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nus, préfet de Syrie, vint avec quelques hommes (1) faire le recensement aux lieux où régnait Hérode. Le scribe et l'agrimensor s'établirent à Bethléem, recevant les déclarations que chacun était obligé de venir faire dans sa propre cité (2): et le premier navire qui partait pour l'Italie emporta les tables du cens, sur lesquelles, deux cents ans plus tard, Tertullien faisait voir aux Marcionites l'acte de naissance du Fils de Dieu (3).

A cette époque solennelle dans l'histoire du monde, l'empire de Rome était complet, le temple de Janus fermé, les institutions impériales étaient toutes debout. La puissance d'Auguste était parvenue à son apogée. Lui-même, que Lui-même, que la guerre civile avait déjà mené dans l'Orient, la guerre des Cantabres en Espagne et dans les Gaules, achevait de parcourir le monde ; deux provinces seulement, la Sardaigne et l'Afrique, échappèrent à l'œil du maître (4). Sous un portique bâti tout exprès dans Rome, on voyait une carte du monde romain, œuvre merveilleuse pour l'antiquité, commencée deux siècles auparavant et enfin achevée par Agrippa (5). Et plus tard, Auguste qu'on appelait le père de famille de tout l'empire (6), laissait, comme l'inventaire de sa maison, une statistique où étaient indiqués les provinces, les rois, les villes libres, le chiffre des impôts, la valeur des revenus, le nombre des soldats, des troupes auxiliaires et des vaisseaux (7).

(Selon Josèphe, Ant. XVII. 15. XVIII. 1.) 766. (Suétone, in Aug. 10. Lapis Ancyr.) Ajoutez le recensement qui eut lieu l'année de la naissance de J.-C., quelques années avant l'ère vulgaire (Luc. II. 1. Εγενέτο δὲ ἐξῆλθε δόγμα ταρὰ Καίσαρος Αὐγούστου ἀπογραφεσθαι πᾶσαν τὴν οικουμένην).

(1) Zúv dɣcts. Josèphe, XVII. 24.

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(2) Καὶ ἐπορεύοντο πάντες ἀπογράφεσθαι, ἔκαστος εἰς τὴν ἰδιὰν πολίν. Luc. 11. 3. (3) Ex censibus sub Augusto actis genus Christi inquirere potestis. Tert., adv.

Marcio. IV. 19. Eusèbe, Hist. Eccl. I. 5. Saint-Justin., Apol. II.

(4) Suét., in Aug. 47. Dion. LIV. 67. (5) Pline, H. N. III. 2. 3.

(6) Paterfamilias totius imperii.

(7) Suét., in Aug. cap. ult. Tac., Ann. I. 11.

Ce monde ainsi organisé, revu et dénombré par Auguste, marcha ensuite comme de lui-même. La politique défiante et retirée de Tibère, qui n'accorda pas un bienfait, ne chercha pas une conquête; la démence de Caligula, qui jetait le droit de cité à des villes entières parce qu'elles avaient eu l'honneur de donner naissance à l'un de ses favoris; l'imbécile assujettissement de Claude, qui laissait vendre à l'encan tous les priviléges de l'empire: tout cela sans doute portait coup aux traditions d'Auguste, mais ne les brisait pas; tout cela préparait une décadence déjà visible, mais peu avancée encore. César gouvernait le monde plus aisément qu'il n'eût gouverné un seul peuple. Ici les paroles du rhéteur n'ont rien d'exagéré : « Il semble que, comme un seul pays ou une seule nation, le monde entier obéisse en silence, aussi docile que sous le doigt de l'artiste peuvent l'être les cordes de la lyre.... Cette puissance de l'empereur qui gouverne toute chose inspire à tous une telle crainte, qu'il semble connaître nos actions mieux que nous ne les connaissons nous-mêmes. On le redoute et on le révère comme un maître présent et ordonnant à l'heure même..... Une simple lettre gouverne le monde (1). »

Et cependant les anciennes traditions politiques commençaient à s'affaiblir. Ce n'était déjà plus cette sagesse de l'antique Rome et sa modération dans la conquête celle de la Bretagne fut sans motif et sans mesure, pleine d'outrages et de violence. Ce n'était plus cette même prudence dans la fondation des colonies: Claude en établit quelques-unes (2); mais les colons dégénérés étaient plus pressés de bâtir des théâtres que des remparts, choisissaient les plus beaux sites

(1) Aristides rhetor, de urbe Româ.

(2) Camulodunum en Bretagne. Tac., Ann. XII. 32. XIV. 31. Cologne ( Colonia Agrippina), an 51. Tac., Ann. XII. 27. Pline. I. 57. IV. 20. 55. 69. La ville des Juhons (vers l'an 49), près de Cologne. Tac., Ann. XIII. 57. Ptolémaïs (Acé) en Syrie. Pline. V. 19. Archelaïs en Cappadoce. Id. VI. 3. Traducta Julia, Lysse, Tingi, Tanger et Lyxos en Afrique. Id. V. 1. Sicum en Dalmatie. Id. III. 22.

plutôt que les lieux les plus sûrs (1). La colonie n'était plus cette solennelle installation de la légion romaine avec ses étendards, ses chefs, ses cohortes: c'était une cohue, dit Tacite, plutôt qu'une colonie (numerus magis quàm colonia) (2); des soldats pris de côté et d'autre, sans unité et sans lien; plus tard même des affranchis du palais venaient s'établir dans une ville que souvent l'ennui leur faisait quitter: et ce nom glorieux de colonie romaine ne fut bientôt qu'un vain titre donné ou retiré par le caprice des Césars.

Les rois, à leur tour, n'étaient plus des feudataires, gouvernés, mais protégés par une puissance suprême; ce n'étaient plus, comme sous Auguste, des membres d'une même famille, liés étroitement par une autorité presque paternelle; c'étaient des esclaves (3), parfois puissants ou riches, par là suspects, ou bons à être dépouillés. « Cinq rois étaient réunis à Tibériade, auprès du roi des Juifs, Agrippa, quand le préfet de Syrie, Marsus, vint l'y voir. Agrippa vint à sept stades audevant de lui, dans un même chariot avec ces cinq rois. Mais Marsus considéra comme dangereuse pour l'empire cette rare union entre des princes, et leur signifia de retourner chacun dans son royaume (4). » César donnait et reprenait les couronnes, augmentait ou diminuait les royaumes (5), citait un

(1) Ainsi pour Camulodunum. Tacite, loc. cit. (2) Annal. XIV. 27.

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(3) Reges inservientes,» dit Tacite, Hist. II. 81.

(4) Josèphe, Antiq. XIX. 7. Il dit encore : «< Agrippa s'occupa de relever Jérusalem, et il l'aurait renduc si forte que personne n'eût pu la prendre. Mais Marsus en ayant donné avis à l'empereur, celui-ci lui manda de ne pas continuer. »

(5) Ainsi Tibère ôte la couronne aux rois de Cappadoce, d'Arménie, de Comagène, etc... (Tac., Ann. II. 40. 42. 56. Dion. LVII. Josèphe, Ant. XVIII. 5. Strabon. XVI). Caligula rétablit les rois destitués par Tibère : Sohème en Arabie, Cotys, dans la petite Arménie, Rhæmétalce en Thrace, Polémon dans le Pont, Agrippa en Judée (Josèphe, Ant. XVIII. 8. 9. Dion. LX); puis les détrône pour la plupart. Claude les rétablit une seconde fois; puis ôte le Pont à Polémon pour le donner à Mithridate, donne le Bosphore à Cotys, fait roi Cottius, etc... Néron supprime les royaumes de Polémon et de Cottius. Dion. LX. Rome, dit St. Jean, cvox Brotézy śmí twv Bustλéwv tñs yñ;. Apoc. XVII. 18. V. encore page 57, note 1.

roi devant lui, le retenait éternellement à Rome, et faisait dire au préteur voisin de gouverner ses États (1). César faisait accuser les princes par les délateurs, juger par le sénat, charger de chaînes, exiler, mettre à mort.

Elle-même, l'indépendance des villes libres et des municipes était atteinte. L'arbitraire des gouverneurs, les empiétements de l'administration impériale, la toute-puissance de César, qui se proclamait duumvir d'un municipe et envoyait un préfet le gouverner à sa place, faisait redescendre la ville libre au rang de ville sujette, la ville romaine au niveau de la ville étrangère. La législation propre à chaque cité (2) s'effaçait peu à peu, et ces mots, municipe, colonie, devenaient des termes vagues, dont on se servait sans en avoir le sens distinct (3).

Enfin les institutions militaires commençaient à dégénérer. L'affaiblissement physique et moral (4) de la population italique (5) obligeait de recruter les légions d'abord parmi les Romains des provinces, ensuite parmi ceux qui n'étaient pas Romains, quelquefois même parmi les affranchis et les esclaves (6). La politique défiante des empereurs, redoutant

(1) Suétone, in Tib. 37. Tac. II. 42.

(2) Ainsi la loi du cens (Tabul. Heracl. pars. alt. lin. 68-64), la loi des élections (Id. secund. pars. Cic., Fam. VI. 18) devenaient les mêmes pour tous les municipes d'Italie. Les villes perdaient le droit de battre monnaie (V. Eckel, des monnaies ), que quelques-unes avaient encore sous Auguste. Strab. IV.

(3) Aulu-Gelle. XVI. 13. Municipes et municipia verba sunt dictu facilia et usų obvia... Sed profectò aliud est, aliud dicitur : quotius enim ferè nostrûm est qui cum ex coloniâ sit non se municipem... esse dicat? etc.

(4) Tibère fut chargé, sous le règne d'Auguste, de visiter les ergastules de l'Italie dans lesquels on renfermait, disait-on, non-seulement des voyageurs arrêtés sur les routes, mais même des hommes à qui ce lieu servait de refuge, pour échapper au service militaire. Suét., in Tib. 8. Un grand nombre d'hommes se coupaient le pouce pour se rendre incapables de servir. (Suét, in Aug.). De là notre mot poltron (pollice trunco). - (5) V. tome I, pages 198 et 382.

(6) Sur les affranchis et les esclaves, V. tome I, page 198. Sur les provinciaux et les non-Romains, V. Tacite : « inops Italia, imbellis urbana plebes, nihil in legionibus validum nisi quod externum » (Ann. III. 40). Tibère parle de faire un voyage

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leurs soldats, ne demandait pas mieux que d'en affaiblir et le nombre et la discipline.

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Ainsi tout déclinait, mais déclinait lentement, parce que tradition antique était puissante, parce que la grandeur du nom romain ne pouvait s'effacer en un jour. Tout déclinait, sans que l'empire souffrît d'une manière trop évidente; c'était un édifice qui reste longtemps debout par sa masse, après que ses fondements sont minés.

Une grande crise l'attendait pourtant. La mort de Néron et les troubles qui la suivirent furent un signal de révolte, auquel répondit tout ce qui restait encore de nationalités vivantes dans le monde romain. Rome, épuisée par ses propres discordes, dégoûtée d'elle-même par cinquante ans de tyrannie, Rome devait néanmoins résister; et cette insurrection rhénane, cette ligue gallo-germaine tomba devant quelques légions, qui ne savaient pas au juste pour quel empereur elles combattaient.

Le récit de cette révolte et de cette crise n'appartient pas à mon sujet. Mais une chose est à remarquer : ce qui sauva Rome, ce fut sans aucun doute la sympathie des peuples devenus Romains, opposée à la haine de quelques peuples chez qui le sang barbare bouillonnait encore. Ce qui sauva Rome, c'est cet ensemble de faits sur lequel nous l'avons montrée édifiant son pouvoir. Lisez dans Tacite, au moment où des peuples gaulois sont prêts à se révolter (an 70), comment

dans les provinces pour veiller au recrutement de l'armée. IV. 4. Levées dans les provinces. Hist. IV. 14. Agricola. 31. Annal. XVI. 13. V. aussi Hist. III. 47. 50. Les soldats légionnaires appelés par opposition aux prétoriens, « miles peregrinus, provincialis, externus. » Hist. II. 21. «Si la Gaule secoue le joug, quelle force demeurera à l'Italie ? N'est-ce pas avec le sang des provinces que Rome a subjugué les provinces?» Hist. IV. 17. Enfin, les inscriptions du temps de Vespasien et de Domitien établissent que, dans les guerres civiles qui suivirent la mort de Néron et qui avaient créé tant de soldats, beaucoup d'étrangers avaient été reçus même dans ces cohortes que l'on appelait spécialement cohortes romaines. Gruter, Thesaurus. 571, 573, 574.

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