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J'ai beaucoup dit sur les Césars; je n'ai pas tout dit encore sur leur époque et sur le monde romain. Il y a chez les nations quelques grands traits qui ont besoin d'être pris à part, dégagés des événements de leur vie. Cette tâche me paraît plus nécessaire et plus grave, lorsqu'il s'agit du siècle qui a vu naître le christianisme, du siècle où l'esprit de l'antiquité, uni et coordonné sous le sceptre romain, semblait avoir rassemblé toutes ses forces et se tenir en bataille contre son ennemi.

son bien-être

Ainsi l'empire: :-sa constitution politique et militaire, sa force au dehors, - son unité au dedans, matériel, sa civilisation extérieure ;

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Ensuite les doctrines :- soit dans la philosophie, soit dans la religion; leur origine, leurs combats, leur mélange; leur puissance morale;

:

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Enfin les mœurs sous le double point de vue de la société et de la famille ; telles qu'elles se manifestent dans les

phases habituelles de la vie d'un peuple, sur les places publiques, sous le toit domestique, dans les arts, dans les lettres, au théâtre :

Voilà, ce me semble, trois points auxquels on peut tout rapporter, et qu'il suffit d'envisager pour prendre une idée complète de ce qu'était le monde païen au moment où il se trouva en face du christianisme.

Mais avant d'aller plus loin, il est bon de connaître le terrain sur lequel nous marchons. Jetons d'abord les yeux sur la forme extérieure de cet empire dont Rome était souveraine, et de ce monde que Rome gouvernait.

Il faut distinguer, en effet, l'empire romain et le monde. romain : le premier avait des limites officielles et certaines; le second, à proprement parler, ne finissait qu'avec la renommée du peuple romain et le bruit de ses armes. L'empire, c'étaient les provinces gouvernées par les proconsuls : le monde romain, c'était de plus cette ceinture de royautés et de nations vassales, tributaires, alliées, qui, à des degrés divers, reconnaissaient la suprématie de Rome ou subissaient. son influence. Dans cette échelle de dépendance ou de liberté, dire qui était sujet, dire qui était libre est impossible. Les rois de Comagène, de Damas, et vingt autres dont les noms nous sont à peine connus, humbles serviteurs des proconsuls, payaient l'impôt, subissaient la loi du cens, et leurs imperceptibles souverainetés formaient à l'orient comme les marches de l'empire. Plus loin, l'Ibère et l'Albani, princes barbares du Caucase, étaient, dit Tacite,« protégés par la grandeur romaine contre la domination étrangère » (1); l'Arménie, royauté fille de la royauté Parthique, habituée néanmoins à recevoir ses rois de la main des Césars, flottait éternellement entre Rome et les Arsacides (2); et le Parthe lui-même, ce fier ennemi, plus d'une

(1) Tacite, Ann. IV. 5. Et Strabon, écrivant à l'époque que Tacite raconte, dit qu'ils attendent un magistrat romain, prêts à obéir le jour où Rome ne sera pas occupée ailleurs. VII, in fin.

(2) Ambigua gens... maximis imperiis interjecti et sæpiùs discordes sunt, adversus

fois rendit hommage à la suzeraineté romaine. Où commen-çait la puissance de Rome? où finissait-elle? Elle n'avait pas de limite rigoureuse, suzeraine là où elle n'était pas maîtresse, alliée prépondérante là où elle n'était point suzeraine: Sénèque parle de ces régions placées au delà des frontières de l'empire, pays d'une douteuse liberté (1).

Si l'on veut pourtant fixer, autant qu'il se peut, une frontière à cette puissance illimitée : l'Océan à l'ouest; au midi l'Atlas ou le désert d'Afrique, les cataractes du Nil, les confins de l'Arabie heureuse; à l'orient l'Euphrate, l'Arménie, la mer Noire; au nord enfin, le Rhin et le Danube: telles étaient à peu près les frontières de l'empire (2). Ajoutez, par delà la mer des Gaules, une grande partie de l'île de Bretagne ; par delà le Pont-Euxin, le royaume de Bosphore, vassal des Romains et dont quelques contrées étaient sous leur souveraineté immédiate.

Au centre de cet empire, entre toutes ces régions et tous ces peuples, le grand intermédiaire, le grand lien matériel était la Méditerranée : admirable instrument des vues de la Providence pour la civilisation et pour l'unité, bassin unique au monde, construit tout exprès sans doute pour être témoin de l'accomplissement des plus grandes destinées du genre humain. Juste Lipse, avec cet enthousiasme que la science, même au xvIe siècle, savait parfois revêtir, nous peint «< cette mer, centre de la grande fédération romaine, coupée par tant de promontoires, partagée en tant de bassins divers; sorte de

Romanos odio et in Parthum invidiâ. Tacite, Ann. II. 56. De même Palmyre: inter duo imperia summa, Romanorum Parthorumque, et, in discordiâ, prima utrinque cura. Pline, H. N. V. 25.

(1) Regiones ultrà fines imperii, dubiæ libertatis. Sénèque. « Vous ne commandez pas à des limites certaines. Nul voisin ne vous prescrit des bornes...,» dit le rhéteur Aristide aux Romains. De urbe Roma.

(2) Claustra olim Romani imperii, quod nunc Rubrum ad mare patescit. Tacite, Ann. II. 61. - Mari Oceano aut amnibus longinquis septum imperium. Tacite, Ann I. 11. La Mer Rouge, les cataractes du Nil, les Palus-Méotides (qui passaient pour les bornes du monde), sont les limites de votre empire. Aristides. Ibid.

grande route ouverte au commerce des peuples; jetée à travers le monde comme un baudrier sur le corps de l'homme; ceinture magnifique enchâssée d'îles comme de pierres précieuses, qui resserre et qui réunit en même temps qu'elle distingue et partage (1). » Par cette mer sans flux ni reflux, par ce grand lac, les climats les plus divers, les races les plus éloignées, les produits les plus variés de la terre se rapprochent et se touchent; le noir fils de Cham, le Grec ou le Celte enfant de Japhet, l'Arabe ou l'Hébreu descendant de Sem, en un mot, les trois parties du monde antique sont, grâce à elle, à quelques journées l'une de l'autre. Par le Pont-Euxin et le Tanaïs, elle remonte jusqu'aux steppes de la Tartarie; par le Nil jusqu'aux cataractes d'Éléphantine. Peu de jours de route la mettent en communication par l'Ebre avec le Tage et toute la côte de Lusitanie, par le Rhône avec le Rhin et les mers du Nord, par le Nil avec la mer Rouge et les Indes (chemin longtemps abandonné, et qu'aujourd'hui la civilisation va reprendre). A ces bords si admirablement dessinés de la main de Dieu, et découpés en tant de formes diverses pour mêler plus intimement la terre que l'homme habite à la mer qu'il parcourt, jamais ni les grands hommes, ni les grandes choses, ni les grandes cités n'ont manqué. L'unité romaine s'est façonnée autour de cette mer; l'unité chrétienne l'a embrassée tout entière, tant que l'unité chrétienne n'a pas été tronquée par le schisme. Le sacrifice de la croix s'est accompli près de son rivage; et depuis la croix, là ont été remportés tous les triomphes du christianisme, depuis le naufrage triomphant de saint Paul jusqu'à la victoire de Lépante. L'empire de Charlemagne s'est étendu sur ses bords pour faire contre-poids à celui des califes; sur ses bords l'Espagne a soutenu contre le Coran sa lutte de huit siècles; la longue guerre des Croisades n'a fait que revendiquer pour la Méditerranée le beau titre de lac Chrétien. La croix de saint

(1) Lipsius, de Magnit. Roman. I. 3.

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