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que la poésie ait prise; car je pense, au contraire, qu'on n'en a fait un genre distinct qu'à l'époque où la civilisation était déjà très-avancée. Quelques auteurs ont été portés à croire que, parce que les hommes menèrent d'abord une vie agreste, leurs premiers essais poétiques célébrèrent la campagne et le bonheur des champs. Je ne doute pas que, dès le principe, ils n'aient emprunté des images et des allusions aux objets que leur offrait la nature et qu'ils connaissaient le mieux; mais je ne crois pas que les scènes calmes et paisibles de la vie champêtre fussent capables de leur inspirer ce que nous appelons la poésie. Chez tous les peuples, elle dut sa naissance aux événemens et aux objets qui, dans les premiers siècles, excitèrent les passions, ou du moins produisirent l'étonnement ét l'admiration. Les actions des dieux et des héros, les exploits des guerriers, les succès ou les malheurs de leurs concitoyens ou de leurs amis, furent les premiers sujets que chantèrent les bardes de toutes les contrées. Ce n'était qu'accidentellement qu'il se trouvait dans leurs compositions quelques morceaux du genre pastoral. Ils ne durent pas songer à célébrer les plaisirs et le repos des champs, tant que ces plaisirs et ce repos furent pour eux les objets d'une jouissance journalière. La poésie pastorale ne prit sa forme actuelle que lorsque, rassemblés dans les grandes villes, les hommes eurent appris à connaître la distinction des rangs et le tumulte des cours. C'est alors qu'ils jetèrent un œil de regret sur la vie simple et innocente de leurs ancêtres, ou dont ils supposaient du moins que leurs ancêtres avaient joui; ils la contemplèrent

avec plaisir, et, croyant voir dans le séjour et dans les occupations de la campagne un bonheur bien au-dessus de celui qu'ils éprouvaient, ils voulurent le célébrer en poésie. C'est à la cour de Ptolomée que Théocrite écrivit les premières pastorales que nous connaissions, et c'est à la cour d'Auguste que Virgile les imitait.

Mais quelle que soit l'origine de la poésie pastorale, il est du moins bien certain que c'est un genre plein de naturel et de grâce. Il rappelle à notre imagination les scènes riantes et les beaux aspects de la nature, si pleins de charme pour l'enfance et la jeunesse, et sur lesquels, dans un âge plus avancé, presque tous les hommes aiment encore à reporter leurs regards. Il nous peint une existence à laquelle nous associons des idées de paix, de repos et d'innocence. Aussi nous sommes toujours prêts à ouvrir notre cœur à ces douces images, comme si elles nous promettaient de bannir les soucis de la vie, et nous transportaient dans les paisibles régions de l'Élysée. Aucun sujet d'ailleurs ne semble plus favorable à la poésie. Quels riches modèles à décrire la nature nous offre de toutes parts! Quels sujets pourraient mieux se prêter à la langue et à l'harmonie des vers que les fleuves, les montagnes, les prairies, les collines, les arbres, les troupeaux et les bergers? Aussi, dans tous les temps, la poésie pastorale a fait le charme d'un grand nombre de lecteurs, et excité l'émulation de plusieurs écrivains. Cependant, malgré les avantages qu'elle réunit, nous allons voir qu'il n'est presque aucun genre de poésie dans lequel il soit plus difficile

d'atteindre à la perfection, et dans lequel aussi un plus petit nombre de poètes en ait approché.

La vie pastorale peut être envisagée sous trois points de vue différens. D'abord, telle qu'elle est aujourd'hui, que l'état de berger est une condition basse, servile et laborieuse, que les travaux auxquels ces hommes sont assujettis sont désagréables et pénibles, et que leurs idées sont grossières et ignobles; ensuite, telle que l'on suppose ce genre d'existence dans les premiers siècles du monde, dans ces temps de simplicité où la vie champêtre était aisée et abondante, où les hommes ne connaissaient presque d'autres richesses que leurs troupeaux, où le berger, encore grossier dans ses mœurs, jouissait cependant d'un état honorable. On peut, enfin, considérer la vie pastorale sous cet aspect qui ne fut et n'existera jamais, sous celui où nous croyons voir le goût délicat et les manières polies des temps modernes réunis au bonheur, à l'innocence et à la simplicité des premiers siècles. De ces trois états, le premier est trop vil, et le second trop raffiné et trop loin de la nature pour se prêter à la poésie pastorale. Chacun de ces extrêmes est un écueil contre lequel le poète ne peut approcher sans se perdre. Il ne nous inspirera que du dégoût, si, comme on l'a souvent reproché à Théocrite, il nous peint les travaux ignobles et les idées grossières de nos paysans; et si, à l'exemple de quelques auteurs français et italiens, il fait parler ses bergers comme des courtisans ou des philosophes, ses poésies n'auront de pastoral que le nom.

Il doit donc savoir tenir un juste milieu; il faut qu'il

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se forme l'idée d'une vie champêtre telle qu'elle a pu exister à certaines époques où régnaient l'abondance, l'égalité, l'innocence; où les bergers étaient aimables et gais sans bel esprit et sans pédantisme, où ils étaient simples sans être grossiers. La poésie pastorale doit son plus grand charme aux peintures qu'elle nous offre de la tranquillité et du bonheur des champs. C'est à produire cette douce illusion que le poète doit essentiellement s'attacher. Il doit nous montrer tout ce que cette condition a d'agréable, et nous cacher les côtés sous lesquels elle pourrait déplaire (1); en peindre

(1) Dans ces beaux vers de sa première églogue, Virgile, pénétré du véritable esprit de la poésie pastorale, a tracé l'image de tous les plaisirs de la vie champêtre :

Fortunate senex! hìc, inter flumina nota
Et fontes sacros, frigus captabis opacum.
Hinc tibi, quæ semper vicino ab limite sæpes,
Hyblæis apibus, florem depasta salicti,
Sæpè levi somnum suadebit inire susurro;
Hinc altâ sub rupe canet frondator ad auras :
Nec tamen intereà raucæ, tua cura, palumbes,

Nec gemere aeriâ cessabit turtur ab ulmo.

Tu viendras, près du fleuve errant dans ces contrées,
Respirer la fraîcheur des fontaines sacrées;

Et, tandis

que du haut de ces rochers déserts,
La voix du bûcheron se perdra dans les airs,
Heureux vieillard! ici, l'abeille qui bourdonne,
En effleurant ces prés que le saule environne,
Viendra par un doux bruit t'inviter au sommeil :
Tes ramiers favoris charmeront ton réveil;
Et sur l'ormeau, témoin de leurs amours fidèles,
Pour toi roucouleront les tendres tourterelles.

Firmiu DIDOT,

toute la simplicité, toute l'innocence, et n'en pas laisser voir les peines et les malheurs. Toutefois il peut en retracer les chagrins et les inquiétudes; car il n'est pas naturel de supposer qu'aucune des conditions de la vie en soit tout-à-fait exempte; mais ces chagrins et ces inquiétudes doivent être tels qu'ils n'offrent rien de pénible à l'imagination, et ne soient pas faits pour inspirer du dégoût pour la vie des champs. Un berger, par exemple, peut gémir sur la cruauté de sa maîtresse, ou sur la perte d'un agneau favori. C'est déjà une assez grande recommandation pour un état, que de n'y avoir pas d'autres maux à pleurer. Enfin, le poète doit nous montrer la vie pastorale embellie, ou du moins il doit nous la présenter sous son côté le plus favorable. Mais, en embellissant la nature, qu'il prenne garde de la rendre méconnaissable, qu'il ne cherche pas à joindre au bonheur et à la simplicité des champs des raffinemens qui leur sont étrangers. S'il ne nous offre pas le tableau d'une vie réelle, que ce tableau du moins ait quelque chose de vraisemblable. Telle est, je crois, l'idée générale que l'on doit avoir de la poésie pastorale; mais, pour en faire un examen plus particulier, nous allons d'abord considérer, dans ce genre de composition, le lieu de la scène, ensuite le caractère des personnages, et enfin l'action qui doit en faire le sujet.

Quant au lieu de la scène, il est clair que ce doit toujours être la campagne, et le mérite du poète dépend beaucoup de la description qu'il en sait faire. Virgile, à cet égard, est resté au-dessous de Théocrite, dont les descriptions sont bien plus riches, bien plus

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