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il faut que par le prestige de l'imitation il rende son action présente, que l'intervalle des lieux et des temps disparaisse, et que les spectateurs ne fassent plus qu'un même peuple avec les acteurs. C'est là ce qui distingue essentiellement le poème en action, du poème en récit. Les Français, au spectacle d'Athalie, doivent devenir Israélites, ou l'intérêt de Joas n'est plus rien. Mais s'il y avait trop loin des mœurs des Israélites à celles des Français, l'imagination des spectateurs refuserait de franchir l'intervalle; c'est donc aux Israélites à s'approcher assez de nous pour nous rendre le déplacement insensible.

Il n'y a point de déplacement à opérer pour les choses que la nature a rendu communes à tous les peuples; et on peut voir aisément, par l'étude de l'homme, quelles sont celles de ses affections qui ne dépendent ni des temps ni des lieux; l'intérêt puisé dans ces sources est intarissable comme elles. Les sujets d'OEdipe et de Mérope réussiraient dans vingt mille ans et aux deux extrémités du monde ; il ne faut être, pour s'y intéresser, ni de Thèbes, ni de Mycènes : la nature est de tous les pays.

C'est dans les choses où les nations diffèrent, qu'il faut que l'acteur d'un côté, les spectateurs de l'autre, s'approchent pour se réunir. Cela dépend de l'art avec lequel le poète sait adoucir, dans la peinture des mœurs, les couleurs dures et tranchantes ; c'est ce qu'a fait souvent Corneille,

en homme de génie, quoi qu'en dise Louis Racine.

Jamais personne n'a été blessé de l'âpreté des mœurs des deux Horaces; et il serait à souhaiter que l'auteur de Bajazet et de Mithridate eût osé donner à la peinture des mœurs étrangères cette vérité dont il a fait si noblement lui-même l'éloge le plus éloquent. Tout ce qu'on doit aux mœurs de son siècle, c'est de ne pas les offenser; et nos opinions sur le courage et sur le mépris de la mort ne vont pas jusqu'à exiger, par exemple, d'une jeune princesse, qu'elle dise à son père :

D'un œil aussi content, d'un cœur aussi soumis
Que j'acceptais l'époux que vous m'aviez promis,
Je saurai, s'il le faut, victime obéissante,
Tendre au fer de Calchas une tête innocente.

Je suis même persuadé qu'Iphigénie, allant à la mort d'un pas chancelant avec la répugnance naturelle à son sexe et à son âge, comme dans Euripide, eût fait verser encore plus de larmes.

Il est vrai que, si le fond des mœurs étrangères est indécent ou révoltant pour nous, il faut renoncer à les peindre. Ainsi, quoique certains peuples regardent comme un devoir pieux d'abréger les jours des vieillards souffrants; que d'autres soient dans l'usage d'exposer les enfants malsains ; que d'autres présentent aux voyageurs leurs femmes et leurs filles pour en user selon leur bon plaisir; rien de tout cela ne peut être admis sur la scène.

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Mais si le fond des mœurs est compatible avec nos opinions, nos usages, et que la forme seule y répugne, elles n'exigent dans l'imitation qu'un changement superficiel ; et il est facile d'y con cilier la vérité avec la bienséance. Un cartel, dans les termes de celui de François Ier à CharlesQuint, « Vous en avez menti par la gorge», ne serait pas reçu au théâtre; mais qu'un roi y dît à son égal, « Au lieu de répandre le sang sujets, prenons pour juges nos épées», le cartel serait dans la vérité des mœurs du vieux temps, et dans la décence des nôtres.

de nos

Il y a peu de traits dans l'histoire qu'on ne puisse adoucir de même sans les effacer; le théâtre en offre mille exemples. Ce n'est donc pas au goût de la nation que l'on doit s'en prendre, si les mœurs, sur la scène française, ne sont pas assez prononcées, mais à la faiblesse ou à la négligence des poètes, à la délicatesse timide de leur goût particulier, et, s'il faut le dire, au manque de couleurs pour tout exprimer avec la vérité locale.

CRITIQUE. On peut la considérer sous deux points de vue généraux. D'abord on appelle critique ce genre d'étude à laquelle nous devons la restitution de la littérature ancienne. Pour juger de l'importance de ce travail, il suffit de se peindre le chaos où les premiers commentateurs ont trouvé les ouvrages les plus précieux de l'an

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tiquité. De la part des copistes, des caractères, des mots, des passages altérés, défigurés, omis ou transposés dans les divers manuscrits; de la part des auteurs, toutes ces figures des mots, qu'on appelle tropes, toutes ces finesses de langue et de style qui supposent un lecteur à demi instruit; quelle confusion à démêler, après que la révolution des siècles, les changements qu'elle avait faits dans les opinions, les mœurs et les usages, et surtout ce vaste intervalle de barbarie et d'ignorance qui séparait le temps de la renaissance des lettres des temps où elles avaient fleuri, semblaient avoir coupé toute communication entre nous et l'antiquité.

Les restituteurs de la littérature ancienne n'avaient guère qu'une voie, encore très incertaine : c'était de rendre les auteurs intelligibles l'un par l'autre et à l'aide des monuments. Mais pour nous transmettre cet or antique, il a fallu périr dans les mines. Avouons-le, nous traitons cette espèce de critique avec trop de mépris, et ceux qui l'ont exercée si laborieusement pour eux et si utilement pour nous, avec trop d'ingratitude. Enrichis de leurs veilles, nous faisons gloire de posséder ce que nous voulons qu'ils aient acquis sans gloire. Il est vrai le mérite d'une pro

que

fession étant en raison de son utilité et de sa difficulté combinées, celle d'érudit a dû perdre de sa considération à mesure qu'elle est devenue plus facile et moins importante; mais il y aurait

de l'injustice à juger de ce qu'elle a été par ce qu'elle est. Les premiers laboureurs ont été mis au rang des dieux, avec bien plus de raison que ceux d'aujourd'hui ne sont mis au-dessous des autres hommes.

Cette partie de la critique comprendrait encore la vérification des calculs chronologiques, si ces calculs pouvaient se vérifier; mais il faut savoir ignorer ce qu'on ne peut connaître : or il est vraisemblable que ce qui n'est pas connu dans la science des temps ne le sera jamais ; et l'esprit humain y perdra peu de chose.

Le second point de vue de la critique, est de la considérer comme un examen éclairé et un jugement équitable des productions humaines. Toutes les productions humaines peuvent être comprises sous trois chefs principaux, les sciences, les arts libéraux, et les arts mécaniques: sujet immense, que je n'ai pas la témérité de vouloir embrasser. Je me bornerai à établir quelques principes généraux, que tout homme capable de sentiment et de réflexion est en état de concevoir.

Critique dans les sciences. Les sciences se réduisent à trois points à la démonstration des vérités anciennes, à l'ordre de leur exposition, à la découverte des nouvelles vérités.

Les vérités anciennes sont ou de fait, ou de spéculation. Les faits sont ou moraux, ou physiques. Les faits moraux composent l'histoire des

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