le jeu d'un bateleur qui fait le maniaque pour assembler la foule. Or j'appelle extravaguer en écrivant, accumuler des métaphores incohérentes, des idées bizarres, des raisonnements faux, des hyperboles insensées ; avancer hardiment des opinions révoltantes, les soutenir avec effronterie, insulter à la fois à l'évidence et à la pudeur, et prendre pour les attributs d'un génie audacieux et libre, l'impudence et l'absurdité. C'est là pourtant ce qu'on nous a donné quelquefois pour de la chaleur. CHANSON. De tous les peuples de l'Europe, le Français est celui dont le naturel est le plus porté à ce genre léger de poésie. La galanterie, le goût du plaisir, la gaieté, la vivacité, qui caractérisent ce peuple aimable, ont produit des chansons ingénieuses dans tous les genres. A propos de l'ode et du dithyrambe, j'ai parlé de nos chansons à boire, et j'en ai cité des exemples; en voici encore un de l'enthousiasme bachique. Le poète s'adresse au vin : Non, il n'est rien dans l'univers Qui ne te rende hommage; Jusqu'à la glace des hivers, Tout sert à ton usage. Le soleil luit pour te mûrir; Nous naissons pour te boire. Mais, comme parmi nous le vin n'est pas ennemi de l'amour; il est rare que la chanson bachique ne soit pas en même temps galante; et, à l'exemple d'Anacréon, nos buveurs se couronnent de myrtes et de pampres entrelacés. L'un dit dans sa chanson : En vain je bois pour calmer mes alarmes Pour mon Iris : Le vin me fait oublier ses mépris, Et m'entretient seulement de ses charmes. Un autre : J'ai passé la saison de plaire, Il faut renoncer aux amours: Vous seuls rendez heureux, mais vous ne durez guère. Quel triomphe pour toi, si tou jus me console C'est en général la philosophie d'Anacréon renouvelée et mise en chant. L'amour du vin et de la table est commun à tous les états; c'est donc quelquefois les mœurs et le langage du peuple de la ville ou de la campagne qu'on a imités dans les chansons à boire, comme dans celle-ci : Parbleu, cousin, je suis en grand souci ! Qu'il faut choisir du vin ou d'elle. Et la quitter! elle est, ma foi, trop belle. Dufréni en a fait une, où un buveur s'enivre en pleurant la mort de sa femme. Le son des bouteilles et des verres lui rappelle celui des cloches. Hélas! dit-il à ses amis : Il me souvient toujours qu'hier ma femme est morte. Elle redouble à ce lugubre son : Bin bon. Voudriez-vous de ce jambon? Il est bin bon, etc. Dans une chanson du même genre, un buveur ivre, en rentrant chez lui, croit voir sa femme double, et s'écrie: ô ciel! Je n'avais qu'une femme, et j'étais malheureux : Ai-je donc mérité que vous m'en donniez deux? La chanson n'a point de caractère fixe, mais elle prend tour à tour celui de l'épigramme, du madrigal, de l'élégie, de la pastorale, de l'ode même. Il y a des chansons personnellement satiriques, dont je ne parlerai point; il y en a qui censurent les mœurs sans attaquer les personnes : c'est ce qu'on appelle vaudevilles. On en voit des exemples sans nombre dans le Recueil des OEuvres de Panard. Une extrême facilité dans le style, la gêne des rimes redoublées et des petits vers, déguisée sous l'air d'une rencontre heureuse, une morale populaire, assaisonnée d'un sel agréable, souvent la naïveté de La Fontaine, caractérisent ce poète rappeler quelques traits. j'en vais La folie avec les amours, C'est ce que l'on voit tous les jours : Le plaisir avec le devoir, C'est ce qu'on ne voit guères. Sans dépenser, C'est en vain qu'on espère De s'avancer Au pays de Cythère. Maris jaloux, Femme en courroux, Ferment sur nous Grille et verroux; Le chien nous poursuit comme loups; S'ouvrent d'abord; Le mari sort; Le chien s'endort; Femme et soubrette sont d'accord: Un jour finit l'affaire. On est quelquefois étonné de l'aisance avec laquelle ce poète place des vers monosyllabiques : il semble s'être fait à plaisir des difficultés pour les vaincre. |