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yeux des autres, il faut ne la voir qu'avec ses yeux, ni de trop près, ni de trop loin. C'est avoir beaucoup d'esprit, sans doute, que d'en avoir trop; mais c'est n'en pas avoir assez.

L'affectation de Fontenelle, la plus séduisante de toutes, consiste à rechercher des tours ingénieux et singuliers, qui donnent à la pensée un air de fausseté, afin qu'elle ait plus de finesse. Ce mot de lui, pour exprimer la ressemblance du portrait d'un homme taciturne, On dirait qu'il se tait; et celui-ci au cardinal Dubois, Vous avez travaillé dix ans à vous rendre inutile; et celuici, en parlant de certaines choses, Dès l'âge de neuf ans, je commençais à n'y rien comprendre; et celui-ci, en louant La Fontaine, Il était si béte, qu'il ne savait pas qu'il valait mieux qu'Ésope et Phèdre, font sentir ce que je veux dire. Le mot de Charillus, à un Ilote, Si je n'étais pas en colère, je te ferais mourir sur l'heure; et celui d'un autre Lacédémonien qui revenait d'Athènes, et à qui l'on demandait comment tout y allait, Le mieux du monde, tout y est honnéte ; el ce mot de Pyrrhus, après avoir battu deux fois les Romains et vu périr ses meilleurs capitaines, Si nous gagnons encore une bataille, nous sommes perdus, sont dans le goût de Fontenelle. On lui a reproché en général le soin d'aiguiser ses pensées et de brillanter ses discours', en ménageant, pour la fin des périodes, un trait saillant et inattendu. Mais cette affectation, qui

n'en était plus une, tant l'habitude lui avait rendu ce tour d'esprit familier et facile, ne peut pas être celle de tout le monde : Marivaux, avec bien de l'esprit, s'était gâté le goût en voulant l'imiter.

Ce que Fontenelle paraît avoir recherché avec tant de soin, c'est cette simplicité délicate et fine qu'on attribuait à Simonide, et à propos de laquelle M. Le Fèvre a dit: Il faut vieillir dans le métier pour arriver à cette admirable, à cette bienheureuse et divine facilité. Ni Hermogène, ni Longin, ni Quintilien, ni Denys encore, ne feront cette grande affaire. Il faut que le ciel s'en mêle, et que la nature commence ce que l'art achevera peut-être un jour.

La Motte était moins étudié que Fontenelle dans sa prose; mais dans ses fables, toutes les fois qu'il a voulu être naïf, il a été maniéré : c'est que la naïveté ne lui était pas naturelle, et que tout l'esprit du monde ne peut suppléer au talent. Voyez FABLE.

AIR. En lisant et relisant l'Essai sur l'union de la poésie et de la musique, je me suis si bien pénétré des idées dont cet excellent ouvrage est rempli ; et depuis, mes réflexions et les lumières que l'expérience a pu me donner, se sont si parfaitement accordées avec les principes de l'auteur de l'Essai, qu'en écrivant sur la poésie des

pas

tinée à être mise en chant, il ne me serait possible de distinguer ce qui est de lui ou de moi; et qu'il vaut mieux tout d'un coup lui attribuer, soit que je le copie ou non, tout ce que je dirai sur l'objet qu'il a si bien approfondi.

L'air est une période musicale, qui a son motif, son dessein, son ensemble, son unité, sa symétrie, et souvent aussi son retour sur ellemême.

Ainsi l'air est à la musique ce que la période est à l'éloquence, c'est-à-dire, ce qu'il y a de plus régulier, de plus fini, de plus satisfaisant pour l'oreille; et l'interdire au chant théâtral, ce serait retrancher du spectacle lyrique le plus sensible de ses plaisirs. C'est surtout le charme de l'air qui dédommage les Italiens de la monotonie de leur récitatif, et de la froideur de leurs scènes épisodiques; et c'est ce qui manque à l'opéra français pour en dissiper la langueur. (J'écrivais ceci avant que la musique italienne fût établie sur notre scène lyrique : les opéra de M. Piccini n'y laissent rien à désirer. )

Mais si l'air doit être admis dans la musique théâtrale, il doit y être aussi naturellement amené ; et l'art de le placer à propos n'a pas été assez

connu.

La musique vocale a trois procédés différents: le récitatif simple, le récitatif obligé, et l'air ou le chant périodique et suivi. Le premier s'emploie à tout ce que la scène a de tranquille et de

rapide : le second a lieu dans les situations plus vives; il exprime le choc des passions, les mouvements interrompus de l'ame, l'égarement de la raison, les irrésolutions de la pensée, et tout ce qui se passe de tumultueux et d'entrecoupé sur la scène. Voyez RÉCITATIF.

Quelle est donc la place de l'air? Le voici. Il est des moments où la situation de l'ame est déterminée et son mouvement décidé ou par une passion simple, ou par deux passions qui se succèdent, ou par deux passions qui se combattent, et qui l'emportent tour à tour. Si l'affection de l'ame est simple, l'air doit être simple comme elle: il est alors l'expression d'un mouvement, plus lent ou plus rapide, plus violent ou plus doux, mais qui n'est point contrarié ; et l'air en prend le caractère. Si l'affection est implexe, et que l'ame se trouve agitée par deux mouvements opposés, l'air exprimera l'un et l'autre, mais avec quelque différence. Tantôt il n'y aura qu'une succession directe, un passage, comme de l'abattement au transport, de la douleur au désespoir; et alors le premier sentiment doit être en contraste avec le second, et celui-ci former sa période particulière : c'est là ce qu'on appelle un air à deux motifs, mais sans retour de l'un à l'autre. Tantôt il y aura un retour de l'ame sur elle-même, et comme une espèce de révulsion du second mouvement au premier; et alors l'air prendra la forme du rondeau : par exemple,

il commencera par la colère, à laquelle succédera un mouvement de pitié, qu'un nouveau mouvement de dépit fera disparaître, en ramenant avec plus de violence le premier de ces sentiments. Par cet exemple, on voit que l'air en rondeau peut commencer par le sentiment le plus vif, dont la seconde partie soit le relâche et qui se réveille à la fin avec plus de chaleur et de rapidité c'est quelquefois l'amour que le devoir retient, mais qui lui échappe et s'abandonne à toute l'ardeur de ses désirs; c'est la joie que la crainte modère, et qu'un nouveau rayon d'espérance ranime; c'est la colère que ralentit un mouvement de générosité, mais que le ressentiment de l'injure vient ranimer encore avec plus de fureur.

:

Il peut arriver cependant que la première partie de l'air, quoique la plus douce, ait un caractère si sensible, si gracieux, ou si touchant, qu'elle se fasse désirer à l'oreille; et alors c'est au poète à prendre soin que le mouvement de l'ame l'y ramène : l'oreille, qui demande et qui attend ce retour, serait désagréablement trompée, si on lui en dérobait le plaisir.

Enfin les révolutions de l'ame, ou ses oscillations d'un mouvement à l'autre, peuvent être naturellement redoublées, et par conséquent le retour de la première partie de l'air peut avoir lieu plus d'une fois.

La forme et la coupe de l'air est donc prise

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