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tinople la suite des poëmes qui chantaient de Charlemagne

et de Roland.

Les événements de la quatrième croisade sont merveilleux comme une fiction, héroïques comme une chanson de geste. L'imagination des trouvères n'avait rien rêvé de plus grand que cette conquête fortuite d'un empire par une poignée de pèlerins, à peine assez nombreux pour assiéger une des portes de sa capitale. Le grand mérite de l'historien, c'est qu'il s'identifie si bien avec son sujet, qu'il est impossible de l'en distinguer. La narration et l'événement font corps ensemble: en lisant l'une on voit l'autre. On suit tous les mouvements de l'armée, toutes les délibérations des chefs: on partage, par une vive sympathie, tous les dangers, toutes les inquiétudes, toutes les joies des pèlerins. Villehardouin fait mieux que raconter les faits, il en éprouve l'émotion et nous force à la partager. Vous n'apprenez pas seulement ce qu'il vous dit, vous le voyez avec ses yeux, vous le sentez avec son âme. Ce n'est pas qu'il embarrasse jamais son récit de ses réfléxions personnelles; il reproduit les faits nettement et sans commentaires. Son style est grave, concis. Il a une certaine roideur militaire qui tient au caractère de l'homme et à l'enfance de la langue. Les phrases sont courtes et nettes, les tournures vives et peu variées; elles ont quelque chose de l'allure brusque et anguleuse du soldat. Le maréchal, comme ses confrères les autres chanteurs héroïques, emploie les formes de la narration orale: Or oïez, or sachez; pourrez savoir, seigneurs; pourrez ouïr estrange prouesse. Il leur emprunte même des phrases toutes faites et passées dans le domaine public des trouvères, des transitions telles qu'on les voit à chaque instant dans les chansons de geste. Il est l'historien, poëte encore, d'un monde réel encore poétique.

SIÉGE DE CONSTANTINOPLE.

PREMIER ASSAUT.

Un joesdi maintin fu lor assauls atornez et les eschieles. Et li Véúisiens orent le lor appareillé par mer. Ensi fu devisiés li assaus, que

les trois batailles des sept garderoient l'ost par defors. Et les quatre iroient à l'assaut. Li marchis Bonifaces de Monferrat garda l'ost par devers les champs, et la bataille des Champenois et des Borgoignons, et Mahius de Mommorenci : et li cuens Baudoin de Flandres et de Hermaut alla assaillir et la soe gent, et Henri ses frères, et li cuens Loeys de Blois et de Chartein, et li cuens Hues de Sain Pol, et cil qui à els se tenoient, alerent à l'assaut et drecierent à une barbacane deux eschieles empré la mer. Et li murs fu mult garnis d'Anglois et de Danois, et li assaux forz et bons, et durs, et par vive force monterent les chevalier sor les eschieles et des serjanz, et conquistrent le mur sor als et monterent sor le mur bien quinze, et se combatoient main à main às haches et às espées, et cels dedenz se reconforterent, si les metent fors mult laidement, si que il en retindrent deux. Et cil qui furent retenu de la nostre gent, si furent menez devant l'empereor Alexis, s'en fu mult liez. Ensi remest li assauz devers les François, et en y ot assez de bleciez, et de quassez, s'en furent mult irié li baron. Et li dux de Venise ne se fu mie obliez. Ainz ot ses nés, et ses uissiers et ses vaissiaux ordenéz d'un front. Et cil front duroit bien trois arbalestrées, et comence la rive à aprochier qui desus les murs, et estoit desoz les tors. Lors veissiez mangoniaus giter des nés et des uissiers, et quarriaus d'arbalestre traire, et ces ars traire mult delivrément, et cels dedenz defendre des murs et des tours mult durement; et les eschieles des nés aprochier si durement que en plusors leus s'entreferoient d'espées et de lances, et li huz ère si granz que il sembloit que terre et mer fundist. Et sachiez que les galies n'osoient terre prendre. Or porroiz oïr estrange proesce, que li dux de Venise qui vialz hom ère et gote ne veoit, fut oz armez el chief de la soe galie, et ot le gonfanon Sain Marc par devant lui, et escrient as suens que il le meissent à terre, ou se ce non, il feroit justice de lor cors. Et il si firent que la galie prend terre, et ils saillent fors, si portent le gonfanon Sain Marc par devant lui à la terre. Et quant li Venisien voient le gonfanon Sain Marc à la terre, et la galie lor seignor, qui ot terre prise devant als, si se tint chascuns a honni, et vont à la terre tuit. Et cil de uissiers saillent fors, et vont à la terre, qui ainz ainz, qui mielz mielz. Lors veissiez assault merveillox, et ce tesmoigne Joffrois de Villehardouin, li mareschaus de Champaigne, qui ceste ovre tracta, de ce que plus de quarante li distrent por vérité, que il virent li gonfanon Sain Marc en une des tors, et mie ne sorent qui li porta. Or oiez estrange miracle; et cil dedenz s'enfuirent, si guerpissent les murs. Et cil entrent enz, qui ainz ainz, qui mielz mielz : si que il saisissent vingt-cinq des tors, et garnissent de lor gent. Et li dux prent un batel, si mande messages às barons de lost, et lor fait assavoir que il avoit vingt cinq tors et bien sachent de voir que il nel pooent reperdre.

Li baron sont si lié, que il nel pooient croire que ce soit voirs. Et li Venisien comencent à envoier chevaus et parlefroiz à l'ost en batiaus, de cels que ils avoient gaaigniez dedenz la ville. Et quant

l'emperères Alexis vit que il furent ensi entré dedenz la ville, si comence ses genz à envoier à si grant foison vers els. Et quant cil virent que il ne les porroient soffrir, mistrent le feu entre els et les Grex. Et li vens venoit devers nos genz. Et li feus si comence si grant à naistre, que li Grex ne pooient veoir nos genz. Ensi se retraistrent à lors tors que ils avoient laissies et conquises (De la Conqueste de Constantinople, ch. LXXXIX, XC, XCI.)

Traduction.

Un jeudy matin toutes choses furent disposées pour donner l'assaut et les échelles dressées. Les Vénitiens s'aprétérent pareillement du costé de la mer et fut arresté que des sept batailles les trois demeureroient à la garde du camp par dehors pendant que les quatre autres iroient à l'assaut. Le marquis de Montferrat eut la charge de garder le camp du costé de la campagne, avec la bataille des Champenois, et des Bourguignons, et Mathieu de Montmorency; et le comte Baudouin de Flandres avec ses gens, Henry son frère, le comte Louys de Blois, le comte de Saint Paul et leurs trouppes allérent à l'assaut, et dressérent leurs échelles à un avant-mur, qui estoit fortement garny d'Anglois et de Danois, où ils donnérent une rude attaque; quelques chevaliers montans sur les échelles avec des hommes de pied gagnérent le mur jusques au nombre de quinze, et y combatirent quelque temps main à main, à coup de hâche et d'espées; mais ceux de dedans reprenans vigueur les rechassérent vigoureusement, et prirent deux prisonniers, qu'ils conduisirent sur le champ à l'empereur Alexis, lequel en témoigna beaucoup de joye. Ainsi cet assaut demeura sans effet, y ayant eu nombre de blessez et de navrez de la part des barons, ce qui leur causa un extrême déplaisir. D'autre costé le duc de Venise, et les Vénitiens ne s'endormoient point: car tous leurs vaisseaux rangez en très-belle ordonnance d'un front, qui contenoit plus de trois jets d'arc, commencérent courageusement bord à bord à approcher la muraille et les tours qui estoient le long du rivage. Vous eussiez veu les mangoneaux et autres machines de guerre, affustées dessus le tillac des navires et des palandries jetter de grandes pierres contre la ville; et les traits d'arbalétes et de fléches voler en grand nombre, tandis que ceux de dedans se défendoient généreusement: d'autre part les échelles qui estoient sur les vaisseaux approcher si prés des murs, qu'en plusieurs lieux les soldats estoient aux prises, et combattoient à coups de lan ces et d'espées. Les crys estans si grands, qu'il sembloit que la terre et la mer deussent fondre. Mais les galéres ne sçavoient où, n'y comment prendre terre.

A la vérité c'ètoit une chose presque incroyable, de voir le grand courage et la proüesse du duc de Venise en cette occasion. Car quoy qu'il fust vieil et caduc, et ne vist goutte, il ne laissa néantmoins de se présenter tout armé sur la proue de sa galére, avec l'estendart de Saint

Marc devant soy, s'écriant à ses gens qu'ils le missent à bord, sinon qu'il en feroit justice et les puniroit. Ce qui les obligea de faire tant que la galére vint au bord; et soudain saillirent dehors portans devant luy la maistresse banniére de la seigneurie: que les autres n'eurent pas plutost apperçue, et comme la galére de leur Duc avoit pris terre la première, que se tenans perdus d'honneur et de réputation s'ils ne le suivoient, s'approchérent du bord nonobstant tous périls et empéchemens, et saillirent hors des palandries à qui mieux mieux, et donnérent un furieux assaut : durant lequel arriva un cas merveilleux, qui fut attesté à Geoffroy de Villehardouin mareschal de Champagne par plus de quarante, qui lui asseurérent avoir apperçeu le gonfalon de Saint Marc arboré au haut d'une tour, sans qu'on sçeust qui l'y avoit porté ce que veu par ceux de dedans, ils quittérent la muraille, et les autres entrérent en foulle, et s'emparérent de vingt-cing tours, qu'ils garnirent de leurs soldats. En mesme temps le duc dépécha un bateau aux barons de l'armée, pour leur faire entendre comme ils s'estoient rendus maistres de ces vingt-cinq tours, et qu'il n'estoit pas bien aisé de les en déloger.

Les barons furent tellement surpris de joye de cette nouvelle, qu'à peine la pouvoient-ils croire: mais les Vénitiens pour la leur confirmer, leur envoyérent en des batteaux nombre de chevaux et de palefroiz de ceux qu'ils avoient desja gagnez dans la ville. Quand l'empereur Alexis les vit ainsi entrez dans Constantinople, et s'estre emparez des tours, il y envoya une bonne partie de ses trouppes pour les en déloger. Lors les Vénitiens, voyans qu'ils ne les pourroient souffrir à la longue, mirent le feu aux prochains édifices d'entre eux et les Grecs, qui estoient au-dessous du vent, qui chassoit d'une telle impétuosité vers eux, qu'ils ne pouvoient plus rien voir au devant; et ainsi les Vénitiens retournérent à leurs tours qu'ils avoient conquises, et puis abandonnées. (Ducange.)

PRISE DE CONSTANTINOPLE.

Ensi dura cil afaires trosque à lundi matin : et lors furent armé cil des nés et des uissiers, et cil des galies. Et cil de la ville les dotérent plus que il ne firent à premiers. Si furent si esbaudi, que sor les murs et sous les tors ne paroient se genz non. Et lors commença li assaus fiers et merveilleux. Et chascuns vaissiaux assailloit endroit lui. Li huz de la noise fut si granz, que il sembla que terre fondist. Ensi dura li assauls longuement, tant que nostre sires lor fist lever un vent, que l'en appelle Boire. Et bota les nés et les vaissiaux sor la rive plus qu'ils n'estoient devant. Et deux nés qui estoient liées ensemble, dont l'une avoit non la Pelerine, et li autre li Paradis, aprochiérent à la tor l'une d'une part, et l'altre d'autre, si con Diex et li venz li mena, que l'eschiele de la Pelerine se joint à la tor, et maintenant uns Vénitiens et un Chevalier de France qui avoit nom André d'Arboise, entrérent en

la tor, et autre gens commence à entrer après als, et cil de la tor se desconfissent et s'en vont.

Quand ce virent li chevalier qui estoient ès uissiers, si s'en issent à la terre, et dreçent eschiele à plain del mur, et montent contremont le mur par force. Et conquistrent bien quatre des tors; et il començent assaillir des nés et des uissiers et des galies, qui ainz ainz, qui mielz mielz, et depecent bien trois des portes et entrent enz, et commençent à monter. Et chevauchent droit à la herberge l'empereor Morchuflex1. Et il avoit ses batailles rengies devant ses tentes. Et cum il virent venir les chevaliers à cheval, si se desconfissent. Et s'en va l'emperères fuiant par les rues à chastel de Boukelion 2. Lors veissiez griffons abatre, et chevaus gaignier, et palefroi, muls et mules et autres avoirs. Là ot tant des mors et des navrez qu'il ne n'ére ne fins ne mesure. Grant partie des halz homes de Grece guenchirent às la porte de Blaquerne, et vespres ière jà bas, et furent cil de l'ost lassé de la bataille et de l'ocision, et si començent à assembler en uns place granz qui estoit dedens Constantinople. Et pristrent conseil que il se hebergeroient prés des murs et des tors qu'ils avoient conquises, que il ne cuidoient mie que il eussent la ville vaincue en un mois, les forz yglises, ne les forz palais et le peuple qui ère dedenz. (Chapitres cxXVII et CXXVIII.)

Traduction.

Le lundy arrivé, les nostres qui estoient dans les navires, les palandries et les galères, prirent tous les armes, et se mirent en estat de faire une nouvelle attaque; ce que voyans ceux de la ville, ils commencérent à les craindre plus que devant : mais d'ailleurs les nostres furent étonnez de voir les murailles et les tours remplies d'un si grand nombre de soldats, qu'il n'y paroissoit que des hommes. Alors l'assaut commença rude et furieux, chaque vaisseau faisant son effort à l'endroit où il estoit, et les cris s'élevérent si grands, qu'il sembloit que la terre dust abismer. Cet assaut dura long temps, jusques à ce que nostre Seigneur leur fit lever une forte bize qui poussa les navires plus prés de terre qu'elles n'étoient auparavant, en sorte que deux d'entre elles qui estoient liées ensemble, l'une appelée la Pélerine et l'autre le Paradis, furent portées si près d'une tour, l'une d'un costé l'autre de l'autre, que, comme Dieu et le vent les conduisit là, l'eschelle de la Pélerine s'alla joindre contre la tour. Et à l'instant un Vénitien et un chevalier françois, appelé André d'Arboise, y entrèrent, suivis

1. Murtzuphle, officier du palais de l'empereur, s'était fait couronner à Sainte-Sophie, et avait fait étrangler Alexis, son prédécesseur. 2. Le palais de Bucoléon, au bord de la mer, à peu de distance à l'ouest de Constantinople, était ainsi appelé parce que l'on y voyait une sculpture représentant le combat d'un bœuf contre un lion.

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