Ce n'eft point chez ce Dieu qu'habite la fortune. Son Art peu profitable à la vertu commune, Au vice qui le craint fut toujours odieux. Il n'appartient qu'à ceux que leurs vertus fuprêmes Egalent aux Dieux mêmes,
De favoir eftimer le langage des Dieux.
Rouffeau, Ode au Prince Eugene,
FILLES du Dieu de l'univers, Mufes, que je me plais dans vos douces retraites: Que ces rivages frais, que ces bois toujours verds, Sont propres à charmer les ames inquiétes!
Quel cœur n'oubliroit fes tourmens Au murmure flatteur de cette onde tranquille! Qui pourroit résister au doux raviffement, Qu'excite votre voix fertile!
Non, ce n'eft qu'en ces lieux charmans, Que le parfait bonheur a choifi fon afile.
Heureux qui de vos doux plaifirs Goûte la douceur toujours pure ! Il triomphe des vains défirs, Il n'obéit qu'à la nature.
Il partage avec les Héros
La gloire qui les environne
Et le puiffant Dieu de Délos,
D'un même laurier les couronne.
Rouffean, Cantate du Triomphe de l'amour.
FILLES du ciel, chaftes & do&tes Fées Qui des Héros confacrant les trophées Garantiffez du naufrage des tems Les noms fameux & les faits éclatans ; Des vrais lauriers fages difpenfatrices, Mufes, jadis mes premiéres nourrices, De qui le fein me fit prefque en naiffant Têter un lait plus doux que nourriffant ; Je vous écris, non pour vous rendre hommage, D'un vain talent que dès mon plus jeune âge A cultivé votre amour maternel,
Mais pour vous dire un adieu folemnel. Quel compliment quel brufque incartade ! Mc direz-vous d'où vient cette boutade ? De quoi fe plaint ton efprit ulcéré ?
C'eft par nos foins que ton efprit docile Prenant pour guide & Térence & Virgile, Dans leur école a de bonne heure appris A diftinguer des folides Ecrits,
Ces vains amas d'antithéfes pointues, D'expreffions flafques & rebattues, Dont nous voyons tant d'Auteurs admirés Farcir leurs vers du badaut révérés. Voilà tout l'art, voilà tous les mystéres, Que t'ont appris nos leçons falutaires. Mais ces leçons t'ont-elles engagé A brocarder un Auteur affligé, Affez puni de l'orgueil qui l'enivre, Et du malheur d'avoir fait un fot Livre, Par le chagrin de fentir fon travers Et de fe voir tout vif rongé des vers Eft-il permis de braver fur l'échelle Un patient jugé par la Tournelle ? Laiffons le pendre au moins fans l'infulter. Vous dites vrai. Mais comment l'éviter ?
Dès qu'un Ouvrage a commencé de naître, Soit qu'au Théâtre il fe foit fait connoître, Soit que fon titre orne les carrefours Chacun en parle au moins deux ou trois jours. Et fi quelqu'un, fa fentence paffée, M'en vient à moi demander fa pensée ? Que dites-vous de ces vers chevillés, De ces difcours obfcurs, entortillés ? Il faut parler. Que répondre ? que faire ? Les admirer? non. Et quoi done? te taire. Fort bien l'avis eft fenfé: grand-merci. Je me tairai. Mais faites taire auffi Paris, la Cour, les Loges, le Parterre, Tous ces fifflets plus craints que le tonnerre, Ces cris enfin d'un peuple mutiné, Dont mon vilain fe voit affaffiné, Laiffe crier, & retiens ta critique, Répondez-vous; la cenfure publique Peut fur un fat s'exercer tout au long : Mais toi, fois fage, & te tais. Comment donc ? Quand de fes vers un grimaud nous poignarde, Chacun pourra lui donner fa nazarde. L'appeller buffle & ftupide achevé : Et moi, pour être avec vous élevé, Je ne pourrai fans faire un facrilége Me prévaloir d'un foible privilége Que vous laiffez au dernier des humains? S'il eft ainfi, je vous baife les mains Mufes, gardez vos faveurs pour quelque autre. Ne perdons plus ni mon tems ni le vôtre, Dans ces débats où nous nous égayons. Tenez, voilà vos pinceaux, vos crayons: Reprenez tout. J'abandonne fans peine Votre Hélicon, vos Bois, votre Hippocrene, Vos vains lauriers d'épine enveloppés, la foudre a fi fouvent frappés.
Rouffeau, Epitr. aux Muses.
LA nature féconde, ingénieuse & fage,
Par fes dons partagés ornant cet univers
Parle à tous les humains, mais fur des tons divers. Ainfi que fon efprit tout peuple a fon langage, Ses fons & fes accens à fa voix, ajustés
Des mains de la nature exactement notés ; L'oreille heureufe & fine en fent la différence. Sur le ton des François il faut chanter en France; Aux loix de notre goût Lully sût fe ranger; Il embellit notre Art au lieu de le changer.
Voltaire, Temple du Goût.
N homme, tel qu'Aman, lorsqu'on l'ose irriter, Dans fa jufte fureur ne peut trop éclater.
Il faut des châtimens dont l'univers frémisse, Qu'on tremble en comparant l'offenfe & le fupplice, Que les peuples entiers dans le fang foient noyés. Je veux qu'on dife un jour aux fiécles effrayés, Il fut des Juifs. Il fut une infolente race. Répandus fur la terre ils en couvroient la face. Uu feul ofa d'Aman attirer le courroux, Auffi-tôt de la terre ils difparurent tous.
Ce n'eft donc pas, Seigneur, le fang Amalécite, Dont la voix à les perdre en fecret vous excite ?
Je fais que defcendu de ce fang malheureux, Une éternelle haine a dû m'armer contre eux; Qu'ils firent d'Amalec un indigne carnage; Quejufqu'aux vils troupeaux, tout éprouva leur rage; Qu'un déplorable refte à peine fut fauvé. Mais crois-moi, dans le rang où je suis élevé, Mon ame à ma grandeur toute entiére attachée, Des intérêts du fang eft foiblement touchée. Mardochée eft coupable; & que faut-il de plus ? Je prévins donc contre eux l'efprit d'Afluérus. J'inventai des couleurs. J'armai la calomnie. J'intéreffai fa gloire; il trembla pour fa vie.
« PoprzedniaDalej » |