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effets, les mêmes caractères; mais Virgile n'a pas de plus beaux vers. Dans ce vers: A chercher le soutien d'une mourante vie, remarquez une modulation lente, terminée par une chûte presque monosyllabique; peinture admirable de l'affaissement progressif d'un corps qui s'abat.

Ni Loups, ni Renards n'épioient

La douce et l'innocente proie.

Ces épithèthes pourroient paroître parasites à qui ne réfléchira pas sur la double idée qui les a sans doute inspirées au poète. D'abord cette proie n'offre plus que de douces et innocentes victimes aux Loups et aux Renards, alors que les vengeances du ciel ont dévoilé à leurs coupables yeux tant de rapines, tant de perfidies première idée. Ensuite, les fléaux du ciel enveloppent non pas seulement le farouche brigand qui nous égorge, non pas l'hypocrite ravisseur qui nous dépouille, mais ce qu'il y a de plus doux, mais l'innocence elle-même, qui n'ofensa jamais personne, et se trouve punie toutefois comme si elle étoit coupable. Ainsi le bon, l'inimitable La Fontaine dira encore dans un autre de ses chefs-d'œuvre où il décrit un deluge:

Les animaux périr! Car encor les humains,
Tous avoient dû périr sous les célestes armes.

(Philémon et Baucis.)

C'est donc un sentiment réfléchi de compassion qui renforce les couleurs du poète. Aussi ne peut-on rien voir de plus touchant que ce tableau:

Les Tourterelles se fuyoient.

Le maître de La Fontaine termine de même sa description de la peste de Florence. «Et qui plus grande chose est, et quasi incroyable, les pères et mères fuyoient de servir et visiter leurs enfans. (Décameron, Ire. Journée, page 9. trad. franç. in-8°. Londres, 1757.) Avec quel art le poète contraste ses récits et ses personnages! C'étoient tout-à-l'heure des Loups et des Renards, c'est-à-dire, les tyrans des forêts: voici maintenant les symboles de la tendresse et de la fidélité, qui ne vivent plus que pour souffrir, et pour s'éviter. Oh! qu'elle est cruelle cette maladie qui éteint jusqu'aux derniers feux de l'amour, que l'on a dit être `plus fort que la mort même !

Plus d'amour, partant plus de joie.

Tout est dit dans ce seul mot: c'est le comble du malheur. II semble que le monde privé de l'amour, va retomber dans le cahos d'où l'amour, si l'on en croit Hésiode, l'avoit fait sortir. Ainsi par un charme qui lui est particulier, et qu'il faut appeler le dernier effort du génie, La Fontaine fait sortir du fond le plus sombre les plus riantes images, et de ces images-là mêmes sait composer les traits les plus attendrissans de son funèbre tableau.

Le Lion tint conseil, et dit: Mes chers amis.

Ce n'est plus là le ton superbe d'un monarque parlant à des sujets; aussi le Lion est-il comme eux frappé par le malheur. Je crois que le Ciel a permis.

Le Ciel, à l'entendre, n'est pas auteur du mal qu'il éprouve : il ne fait que le permettre. Cette opinion est bien plus religieuse.

Pour nos péchés cette infortune.

Un autre auroit dit: pour nos forfaits. Outre que le Lion en parlant de lui, n'en doit pas parler comme la renommée, nos péchés a quelque chose de plus dévot et de plus humble: ce qui convient mieux à sa situation.

Peut-être il obtiendra la guérison commune.

On n'en est pas sûr : mais que sait-on ? C'est là du moins une dernière ressource que la sagesse indique contre le malheur extrême où l'on est. Et pour preuve que la confiance du Lion ne manque point de fondement :

L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents

On fait de pareils dévouements.

Il est beau à un roi de s'appuyer des témoignages de l'histoire : tout orateur a droit de l'invoquer. Ce discours est un petit chefd'œuvre d'éloquence: oui, d'éloquence; car, dit Pline, il n'est point de genre qui, porté à un certain degré de perfection, ne soit susceptible d'une grande éloquence. ( Epist. ad Canin.)

Pour moi, satisfaisant mes appetits gloutons,

J'ai dévoré force Moutons.

Que m'avoient-ils fails? nulle offense.

On remarquera cette expression, mes appétits gloutons : elle

est grande; elle est riche: plus d'un écrivain l'a imitée depuis. Le poète dira de même ailleurs :

Les vastes appétits d'un faiseur de conquêtes.

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Mais ne perdons point de vue la position de l'orateur : elle est délicate. Comment dissimuler ses violences? il sue encore le crime. Comment les excuser? le Ciel lui-même s'en est déclaré le vengeur. Il ne peut donc point en éluder la confession. Mais d'abord, comment la fera-t-il? En prévenant l'accusation, il l'affoiblit; en paroissant charger son examen, il ôte le droit de, l'approfondir, par ce vers:

Que m'avoient-ils fait ? nulle offense.

L'hypocrité s'appytoie sur ses victimes, c'en est assez pour leur

vengeance.

Méme il m'est arrivé de manger quelquefois

Le Berger.

Voilà bien son plus grand péché: aussi le prononce-t-il à la hâte; le vers n'est presque qu'un monosyllabe bientôt étouffé par la période pleine qui va suivre. L'expression manger, au lieu de dévorer, n'est point non plus indifférente: on dévore par gloutonnerie, on mange par besoin; le délit porte son excuse avec soi. Je me dévouerai donc, s'il le faut : mais je pense Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi; Car on doit souhaiter, selon toute justice,

Que le plus coupable périsse.

La religion, l'histoire, tout a servi à sa cause: maintenant ce sont les grands principes d'équité naturelle qu'il reclame. Il a mis dans ses aveux un art si profond, que déjà on cherche un autre coupable; mais ce n'est pas à lui à le nommer.

Sire, dit le Renard, etc.

Celui-ci entreprend non seulement de faire oublier les crimes du monarque, mais de les justifier. Comment s'y prendra-t-il ?

Il va, sans paroître y penser, rappeler la dignité du Lion: Sire. Ces titres éblouissent les sots. Des éloges exagérés préoc cupent les esprits: vous êtes trop bon roi. Et il entre en matière.

Parce que le roi a parlé religion, le flatteur empruntera des

termes dévôtièuz, mystiques même : vos scrupules, délicatesse de conscience, est-ce un péché, assaisonnés de l'impudence de l'orgueilleux dédain et de ce persifflage, style familier des gens de cour.

Eh bien! manger moutons, canaille, sotte espèce,

Est-ce un péché?

Le mot canaille exprime ce qu'il y a de plus vil. Demandez à l'usage l'explication precise de ce mot: c'est cette populace, ramas impur de tous les vices, que nous avons vue comme un troupeau de moutons se précipiter autour des bustes de Marat, et dont on ne sait si elle excite plus l'horreur que le mépris. Interrogez l'étymologie ce sont ces meutes de chiens qui ne savent qu'aboyer, ou environner les échafauds pour y lecher le sang qui en découle; Canum alligatio: voilà la canaille; et à la honte de l'humanité, l'histoire parle ici comme la fable. Sotte espèce. C'est jusques dans l'expression, la même insolence que celle du Méchant, dans Gresset, quand il dit:

Les sots sont ici bas pour nos menus plaisirs.

Est-ce un péché? Non, non. Admirez l'assurance du Renard. Ces casuistes de cour ne doutent de rien.

Vous leur fites, Seigneur,

En les croquant, beaucoup d'honneur.

Un homme de beaucoup d'esprit ne voyoit dans ce vers qu'une charge. Mais cette charge, qui est-ce qui la fait ? un courtisan petit-maître; mais cette charge n'en a que plus de comique, comme les traits toujours applaudis de l'Avare de Molière. Elle est devenue proverbe; ce qui atteste sa justesse et son grand sens: elle n'est point hors de la nature; elle n'est pas plus exagérce que la flatterie de ce seigneur Persan dont parle Senèque dans son Traité de la Clémence, qui félicitoit Cambyse de son adresse à percer le cœur de son propre fils, en lui disant: Apollon n'eût pas

mieux tiré.

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Dans ce charmant acte d'accusation contre Lully, que tout le monde connoît, La Fontaine a imité ces vers par ceux-ci, qu'il prête au Florentin :

Cela joint à l'honneur

De travailler pour moi, te voilà grand Seigneur.

(Quvres div., T. I. p. 90.)

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· L'on

Et quant au Berger... Oh! c'est ici qu'on l'attend. peut dire qu'il étoit digne de tous maux. Eh! pourquoi ? Etant de ces gens-là. On sent tout ce que ces gens-là a de méprisant. Qui sur les animaux se font un chimérique empire. Donc en punissant l'usurpation, le roi des animaux n'a fait qu'exercer un acte de justice, et se donner des droits à la reconnoissance publique !

Nous passerons rapidement sur les vers suivans, quoiqu'on y trouve cette expression si bien assortie au caractère des acteurs: ni des autres puissances; et ce contraste plaisant de ces gens querelleurs devenus tout-à-coup de petits saints, imité peut-être de ce vers de Villon:

Gens morts furent faits petits Dieux.

Venons au discours de l'Ane:

(Grand Testam. p. 42.)

L'Ane vint à son tour, et dit: J'ai souvenance
Qu'en un pré de Moines passant,

La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense
Quelque diable aussi me poussant,

Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.

Que de beautés! Qu'il faut avoir d'esprit, comme parle JeanJacques Rousseau, pour savoir ainsi faire la bête ! J'ai souvenance; la faute est ancienne. Souvenance: « Ce vieux mot qui se prononce moitié du nez, n'est pas mal dans la bouche de l'Ane. Il cherche dans sa mémoire, comme s'il eût été honteux d'être seul innocent >> (l'abbé Batteux). Il trouve enfin qu'en un pré de Moines passant. Ce n'est ni un jardin, ni un champ. La différence est sensible : un pré de Moines; des Moines ont bien le moyen de perdre. Il n'a fait qu'y passer. Quel dégât pouvoit-il y faire? La faim. On pardonne tout à ce besoin; il maîtrise, il entraîne. L'occasion. On est foible, on se laisse aller; mais on n'est pas pour cela un pervers; et puis, occasion n'est pas habitude. L'herbe tendre, ce don du ciel et de la rosée, invite à en goûter. On ne tient pas contre un semblable attrait! Et pourtant il n'eût pas succombé, sans l'impulsion d'un génie malfaisant. Et je pense quelque diable aussi me poussant. Or, le moyen de résister à une influence au-dessus de la nature? Avec tout cela, voyons encore quels ravages ont

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