Obrazy na stronie
PDF
ePub

N

SENS MORAL.

OM donné par le savant Hutchéson à cette faculté de notre ame, qui discerne promptement, en certains cas le bien et le mal moral, par une sorte de sensation et par goût, indépendamment du raisonnement et de la réflexion.

C'est là ce que les autres moralistes appellent instinct moral, sentiment, espèce de penchant ou d'inclinatîon naturelle qui nous porte à approuver certaines choses comme bonnes ou louables, et à en condamner d'autres comme mauvaises ou blâmables, indépendamment de toute réflexion,

C'est ainsi qu'à la vue d'un homme qui souffre, nous avons d'abord un sentiment de compassion qui nous fait trouver beau et agréable de le secourir. Le premier mouvement, en recevant un bienfait, est d'en savoir gré, et d'en remercier notre bienfaiteur. Le premier et le plus pur mouvement d'un homme envers un autre, en faisant abstraction de toute raison particulière de haine ou de crainte qu'il pourroit avoir, est un sentiment de bienveillance, comme envers son semblable avec qui la conformité de nature et de besoins le lie. On voit de même que, sans aucun raisonnement, un homme grossier se récrie sur une perfidie, comme sur une action noire et injuste, qui le blesse. Au contraire, tenir sa parole, reconnoître un bienfait, rendre à chacun ce qui lui est dû, soulager ceux qui souffrent, ce sont là autant d'actions qu'on ne peut s'empêcher d'approuver et d'estimer comme étant justes, bonnes, honnêtes et utiles au genre humain. De là vient que l'esprit se plaît à voir et à entendre de pareils traits d'équité, de bonne foi, d'humanité et de béneficence; le cœur en est touché, attendri. En les lisant dans l'histoire, on les admire, et on loue le bonheur d'un siècle, d'une nation, d'une famille où de si beaux exemples se rencontrent. Mais, pour les exemples du crime, on ne peut ni les voir ni en entendre parler sans indignation et sans horreur.

[ocr errors]
[ocr errors]

Si l'on demande d'où vient ce mouvement du cœur qui le porte à aimer certaines actions, et à en détester d'autres,

sans raisonnement et sans examen, je ne puis dire autre chose, sinon que ce mouvement vient de l'auteur de notre être qui nous a faits de cette manière, et qui a voulu que notre nature fût telle, que la différence du bien et du mal moral nous affectât en certains cas, ainsi que le fait celle du mal physique. C'est donc là une sorte d'instinct, comme la nature nous en a donné plusieurs autres, afin de nous déterminer plus vite et plus fortement là où la réflexion seroit trop lente. C'est ainsi que nous sommes avertis par une sensation intérieure, de nos besoins corporels, pour nous porter à faire promptement et machinalement tout ce que demande notre conservation, Tel est aussi cet instinct qui nous attache à la vie, et ce desir d'être heureux qui est le grand mobile de nos ac tions. Telle est encore la tendresse presqu'aveugle, mais très-nécessaire, des pères et des mères pour leurs enfans. Les besoins pressans et et indispensables demandoient que l'homme fût conduit par la voie du sentiment, toujours plus vif et plus prompt que n'est le raisonnement.

Dieu donc a jugé à propos d'employer aussi cette voie à l'égard de la conduite morale de l'homme, et cela en imprimant en nous un sentiment ou un goût de vertu et de justice, qui décide de nos premiers mouvemens, et qui supplée heureusement, chez la plupart des hommes, au défaut de réflexion; car combien de gens incapables de réfléchir, et qui sont remplis de ce sentiment de justice! Il étoit bien utile que le créateur nous donnât un discernement du bien et du mal, avec l'amour de l'un et l'aversion de l'autre, par une sorte de faculté prompte et vive, qui n'eût pas besoin d'attendre les spéculations de l'esprit ; et c'est là ce que le docteur Hutcheson a nommé judicieusement sens moral.

(M. de JAUCOURT.)

[ocr errors]

DISPOSI

ISPOSITION tendre et délicate de l'ame qui la rend facile à être émue, à être touchée.

La sensibilité de l'ame, dit très-bien l'auteur des Mœurs, donne une sorte de sagacité sur les choses honnêtes, et va plus loin que la pénétration de l'esprit seul. Les ames sensibles peuvent, par vivacité, tomber dans des fautes que les hommes à procédés ne commettroient pas; mais elles l'emportent de beaucoup par la quantité de biens qu'elles produisent. Les ames sensibles ont plus d'exis tence que les autres : les biens et les maux se multiplient à leur égard. La réflexion peut faire l'homme de probité; mais la sensibilité fait l'homme vertueux. La sensibilité est la mère de l'humanité, de la générosité; elle sert le mérite, secourt l'esprit, et entraîne la persuasion à sa suite.

les

La sensibilité tient plus à la sensation, et la tendresse ́ au sentiment; la chaleur du sang nous porte à la tendresse, la délicatesse des organes entre dans la sensibilité : les jeunes gens seroient donc plus tendres que les vieillards, vieillards plus sensibles que les jeunes gens. Nous voyons cependant que la sensibilité diminue et s'use, pour ainsi dire, dans les vieillards, à mesure qu'ils avancent en âge: les hommes sont peut-être plus tendres que les femmes, les femmes plus sensibles que les hommes.

La tendresse est un foible, la sensibilité un effet da tempérament. La première est un état de l'ame, la seconde n'en est qu'une disposition. Le cœur tendre éprouve toujours une sorte d'inquiétude analogue à celle de l'amour; l'ame sensible est calme et tranquille tant qu'elle ne ressent pas les atteintes de cette passion.

La sensibilité nous oblige à veiller autour de nous pour notre intérêt personnel. La tendresse nous engage à agir pour l'intérêt des autres.

L'habitude d'aimer n'éteint point la tendresse, l'habitude de sentir émousse la sensibilité.

Il y a, dit M. Duclos, une espèce de sensibilité vague, qui n'est que l'effet d'une foiblesse d'organes, plus digue

de compassion que de reconnoissance. La vraie sensibilité seroit celle qui naîtroit de nos jugemens et qui ne les formeroit pas.

L'homme sensible est souvent d'un commerce fort difficile; il faut toujours ménager sa délicatesse. La sensibilité poussée à l'excès, et sur des objets qui n'en sont pas sus-ceptibles, fatigue, ennuie, et devient ridicule. L'homme tendre est d'une humeur assez égale, ou du moins dans une disposition toujours favorable; il veut toujours vous intéresser et vous plaire.

Le cœur sensible ne sera pas méchant, car il ne pourroit blesser autrui sans se blesser lui-même. Le cœur tendre est bon, puisque la tendresse est une sensibilité agissante. Le cœur sensible et le cœur tendre sont tous deux amis de l'humanité; mais le premier a plus de penchant à la secourir et à la soulager.

:

Le sensible est affecté de tout; il s'agite, et ressent, pour ainsi dire, les maux dont il est témoin le tendre n'est affecté que de son objet, il y tend. Il est peu d'ames assez dures pour n'être pas touchées des malheurs d'au-, trui la plupart ne sont pas assez humaines pour en être attendries. On plait les malheureux, on ne les soulage guère : l'insensibilité s'allie donc avec une espèce d'inhuinanité; et, si cela n'étoit pas, détourneroit-on sitôt les yeux de dessus l'infortuné souffrant? Iroit-on si vîte en perdre l'idée dans des distractions frivoles ou même agréables? Vous l'avez vu avec émotion, vous en avez été affecté jusques aux larmes : et qu'importe ? vous pouviez le secourir, et vous ne l'avez pas pas fait. C'est à cet homme qui, peut-être d'un oeil sec, mais avec une ardeur inquiète, vole lui chercher des remèdes à quelque prix que ce soit, revient avec une vive impatience les lui appliquër, et ne cesse de lui donner ses soins que quand ils lui sont inutiles; c'est à cet homme que la nature a donné un cœur sensible c'est lui que j'embrasse au nom de l'humanité.

[ocr errors]

Il est assez ordinaire de voir des gens se plaindre et se blâmer d'être trop sensibles; c'est un tour qu'ils prennent pour vous dire : J'ai le cœur excellent. Ce sont sans doute de telles gens que les stoïciens avoient en vue quand ils

disoient que la sensibilité est un vice, ou du moins une qualité fort équivoque, et qui n'est pas toujours la marque d'un cœur bienfaisant. La sensibilité, disent-ils, répondra, par exemple, aux services qu'on lui rendra, mais elle grossira les offenses qu'elle recevra; elle prendra part aux maux d'autrui, mais elle aggravera le poids des vôtres. Parcourez ainsi, ajoutent-ils, les différentes veines de la sensibilité, vous y trouverez, avec de l'or, un alliage bien impur; cependant on lui fait grace, on lui applaudit quelquefois pourquoi? parce qu'elle est voisine de plusieurs belles qualités, avec lesquelles elle est souvent unie, et avec lesquelles on la confond presque toujours, parce qu'elle n'offense pas directement la société, et qu'elle est directement opposée à un des vices dont la société s'offensé le plus. Cette manière de juger la sensibil.té est digne de la doctrine des stoïciens, qui faisoient gloire d'une insensibilité chimérique et hors de la nature.

Le beau défaut que celui d'être trop sensible! Avec ce défaut, nous fermerons volontiers les yeux sur ceux d'autrui, nous serons attentifs sur nous-mêmes pour nous corriger des nôtres, nous serons officieux et reconnoisnous pardonnerons avec plaisir, nous ne nous offenserons même pas lorsque nous aimerons les hommes. Ah! que la nature seroit ingratë, si le cœur qui l'honore le plus n'étoit pas fait pour être heureux!

sans,

Suivant le principe d'attraction par lequel la nature nous fait graviter les uns vers les autres, les cours s'attirent réciproquement en raison de leur tendresse et de leur sensibilité. Les ames tendres et les ames sensibles par excellence sont au centre de la société pour en faire le charme et le bonheur.

Les ames sensibles ont plus d'existence que les autres; les biens et les maux se multiplient à leur égard. Elles ont encore un avantage pour la société, c'est d'être persuadées des vérités dont l'esprit n'est que convaincu. La conviction n'est souvent que passive; la persuasion est toujours active; et il n'y a de ressorts que ce qui fait agir.

(M. de JAUCOURT.)

« PoprzedniaDalej »