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Il n'en sera point ainsi de J. J. Rousseau; son génie, ses succès, son nom, le nom de ceux dont il fait la confession en même temps que la sienne, le rapport de cet écrit à ses ouvrages les plus célèbres, l'influence des événemens de sa vie sur son caractère, de son caractère sur son talent, les résultats de morale et d'instruction que présentent ces rapprochemens; toutes ces causes assurent aux confessions de Rousseau, sinon le même degré d'estime, au moins la même durée qu'à ses meilleurs écrits. C'est le sentiment confus de cette vérité qui sembla redoubler, après sa mort, la haine de ses ennemis, lorsqu'ils apprirent qu'il avoit en effet composé les mémoires de sa vie. La mort prématurée des dépositaires successifs de son manuscrit le rendit public avant l'époque désignée par Rousseau, et ses ennemis subirent, de leur vivant, la punition qu'il ne réservoit qu'à leur mémoire. Mais il faut avouer que celle de Rousseau en parut avilie. L'aveu d'une bizarre disposition au larcin, de l'abandon d'un ami délaissé au coin d'une rue, d'une calomnie qui entraîna le déshonneur et la ruïne d'une pauvre domestique innocente; la révélation de toutes les fautes d'une jeunesse aventurière, exposée à tous les hasards que poursuivent l'indigence; enfin le coupable et systématique égarement d'un père qui envoie ses cinq enfans à l'hôpital des enfans trouvés; voilà ce qu'apprit avec surprise une génération nouvelle, remplie d'admiration pour Rousseau, nourrie de ses ouvrages, non moins éprise de ses vertus que de ses talens; qui, dans l'enthousiasme de la jeunesse, avoit marqué les hommages qu'elle lui rendoit de tous les caractères d'un sentiment religieux. C'est de cette hauteur que J. J. Rousseau descendit volontairement. Nous ajoutons ce dernier mot, parce qu'en effet plusieurs de ces vices et de ces fautes étoient ignorés, et pouvoient rester ensevelis dans l'obscurité de sa malheureuse jeunesse, parce qu'il pouvoit se permettre une demi-confession, rédigée avec cette apparence de franchise qui en impose beaucoup mieux qu'une dissimulation entière, et que la postérité, prenant désormais pour règle ce qu'il auroit avoué dans ses mémoires, eût mis le reste sur le compte de la calomnie. Une femm

d'esprit disoit que Rousseau auroit eu une plus grande réputation de vertu s'il étoit mort sans confession.

En convenant des torts de cet homme extraordinaire, on ne peut s'empêcher de l'aimer. Les maux qu'il a soufferts et le bien qu'il a fait, voilà ses titres et son excuse. Qu'on se représente, d'une part, les torts envers lui de la société où il vivoit, les opinions établies dans le temps qu'il se communiquoit dans le monde, c'est-à-dire à l'époque de ses succès: qu'on se figure, de l'autre, Rousseau au milieu de ces conversations absurdes si bien jugées par lui; qu'on se rappelle ses goûts, ses habitudes, son attachement aux convenances naturelles et premières, et qu'on juge de quel oil il devoit voir les convenances factices que la société leur opposoit; l'importance mise aux petites choses; la nécessité de déférer aux sottises respectées, aux sots en crédit; la tyrannie des riches, leur insolence polie, l'orgueil qui, pour se ménager des droits, se déguise en bienfaisance; la fausseté du commerce entre les gens de lettres et les gens du monde, on sentira ce que de pareilles sociétés devoient être pour Rousseau, et ce qu'il étoit luimême pour elles. C'est là que se formèrent les inimitiés qui empoisonnèrent le reste de sa vie, et qui l'engagèrent dans une lutte où il ne pouvoit avoir que du désavantage. Lui-même en avoit le sentiment; il savoit le parti que ses ennemis tireroient de ses vivacités brusques, de ses étourderies passionnées; et, disposé sans doute à la défiance, quoiqu'il ait prétendu le contraire, il parvint à tourner cette disposition contre lui-même, à en faire le tourment de sa vie, à n'oser plus risquer un pas ni un mot; enfin à justifier l'heureuse application qu'on lui a faite de deux vers de l'Arioste: De soupçonneux qu'il étoit d'abord, étoit devenu le soupçon même.

il

Son caractère étoit certainement original, ainsi que ses opinions la nature ne lui avoit peut-être donné que le germe de ce caractère, et l'art avoit vraisemblablement contribué à le lui rendre encore plus singulier. Il n'aimoit à ressembler à personne; et, comme cette façon de penser et de vivre extraordinaire lui avoit fait un nom, il manifesta un peu trop une sorte de bizarrerie, soit dans sa con

duite, soit dans ses écrits. Semblable à l'ancien Diogène, il allioit la simplicité des mœurs avec tout l'orgueil du génie; et un grand fonds d'indolence, jointe à une extrême sensibilité, rendoit son caractère encore plus singulier. Voici comme il se peint lui-même : « Une ame paresseuse qui >> s'effraie de tout soin, un tempérament ardent, bilieux, » facile à s'affecter, et sensible à l'excès à tout ce qui l'af» fecte, semblent ne pouvoir s'allier dans le même carac>>tère; et ces deux contraires composent pourtant le fonds » du mien. La vie active n'a rien qui me tente; je consen» tirois cent fois plutôt à ne jamais rien faire qu'à faire » quelque chose malgré moi, et j'ai cent fois pensé que je >> n'aurois pas mal vécu à la Bastille, n'y étant tenu à rien. » du tout qu'à rester là. J'ai cependant fait dans ma jeu» nesse quelques efforts pour parvenir; mais ces efforts. » n'avoient jamais d'autre but que la retraite et le repos de » ma vieillesse; et, comme ils n'ont été que par secousses, » comme ceux d'un paresseux, ils n'ont jamais eu le moin>>dre succès. Quand les maux sont venus, ils m'ont servi » d'un beau prétexte pour me livrer à ma passion domi

>>> nante. >>

Il exagéra souvent ses maux dans son esprit et dans l'esprit des autres. Il tâchoit sur-tout de se rendre intéressant. par la peinture de ses malheurs et de sa pauvreté, quoique ses infortunes fussent moins grandes qu'il ne le pensoit, et quoiqu'il eût des ressources assurées contre l'indigence. Il étoit d'ailleurs charitable, bienfaisant, sobre, juste, se contentant du pur nécessaire, et refusant les moyens qui lui auroient procuré ou des richesses ou des places. On ne peut l'accuser, comme tant d'autres sophistes, d'avoir souvent répété, avec une emphase étudiée, le mot de veriu sans en inspirer le sentiment. Quand il parle des devoirs de l'homme, des principes essentiels à notre bonheur, du respect que nous nous devons à nous-mêmes, et de ce que nous devons à nos semblables, c'est avec une abondance un charme, une force qui ne sauroit venir que du cœur. On disoit un jour à M. de Buffon: «Vous aviez dít et prou» vé, avant J. J. Rousseau, que les mères doivent nour» rir leurs enfans. Oui, répondit cet illustre naturaliste » nous l'avions tous dit mais M. Rousseau seul le

>> commande et se fait obéir. » Un autre académicien disoit que « les vertus de Voltaire étoient dans sa tête, et celles » de Rousseau dans son cœur.

Rousseau s'étoit nourri de bonne heure de la lecture des anciens auteurs grecs et romains; et les vertus républicaines qui y sont peintes, le stoïcisme mâle des Caton et des Brutus, le transportoient au-delà des bornes de la simple estime. Dominé par son imagination, il admiroit tout dans les anciens, et ne voyoit dans ses contemporains que des esprits affoiblis et des corps dégénérés.

Sur la fin de ses jours, Rousseau se contenta de vivre en philosophe paisible, borné à la société de quelques amis sûrs, fuyant celle des grands, paroissant détrompé de toutes les illusions, et n'affichant ni la philosophie ni le bel esprit. Cet homme célèbre mourut d'apoplexie à Ermenonville, terre de M. le marquis de Girardin, qui lui a élevé un monument fort simple dans l'île des peupliers, faisant partie de ses beaux jardins. On lit sur son tombeau cette épitaphe :

<< Ici repose l'homme de la nature et de la vérité. »

Les curieux, qui vont voir ce monument, y considèrent aussi la cabane du citoyen de Genève. On y lit, au dessus de la porte, ces mots qui fourniroient matière à un livre. « Celui-là est véritablement libre qui n'a pas besoin >> de mettre les bras d'un autre au bout des siens >> sa volonté, »>

pour faire

(ANONYME.)

BOURG

RUEL.

JOURG du Mantois dans l'île de France. Ce lieu est ancien et remarquable par la résidence que nos rois de la première race y faisoient quelquefois. Il fut donné à l'abbaye de Saint-Denis par Charles-le-Chauve. Ce fut aussi le séjour du fameux cardinal qui gouverna pendant vingt ans le roi et la France; qui, d'une main terrible, en écrasant la tête des grands, rétablissoit le calme par la tempête; qui fit couler le sang sur les échafauds pour ne plus le voir couler dans les guerres civiles; enfin, qui fit tout pour le roi et rien pour la nation. Il embellit Ruel. C'est dans sa maison qu'il fit transférer l'infortuné maréchal de Marillac, arrêté au milieu de l'armée qu'il alloit commander en Piémont. Le garde des sceaux, Châteauneuf, qui étoit sous-diacre et gros bénéficier, instruisit, à la tête d'une commission, le procès criminel, ayant eu dispense de Rome; et Marillac, couvert de blessures, après quarante années de services, fut condamné à mort par des commissaires, dans la propre maison de son ennemi, sous le même roi qui avoit donné des récompenses à trente sujets rebelles. Louis XIII disoit qu'il y avoit parmi les juges de Marillac un barbon qui vouloit condamner le roi aux dépens : c'étoit de Philippe Berbis, mort doyen du parlement de Dijon, qu'il entendoit parler, parce qu'il étoit fort austère, et qu'il portoit toujours une longue barbe. Il ne fut pas d'avis de la mort.

durant

La mère de Louis XIV se retira à Ruel en 1648, les guerres de la fronde. Après plusieurs conférences, la paix y fut conclue. Le résultat de la négociation du parlement et des grands fut; 1° que le quart des tailles seroit supprimé; 2o que la liberté seroit rendue aux prisonniers et aux exilés; 3° que le roi retourneroit à Paris; 4o qu'il ne seroit permis d'emprisonner aucun citoyen qu'il ne fût au pouvoir de ses juges de l'interroger dans les vingt-quatre heures; 5° qu'il ne seroit jamais établi d'impôts sans être enregistrés au parlement.

Mais cette déclaration fameuse, l'ouvrage des princes et,

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