ple, c'est moi; la raison, c'est moi : je suis la règle et le juge suprême de tout, et il n'y en a point d'autre. La plupart des princes d'Allemagne et du Nord, croyant en profiter pour eux seuls, applaudissent à ces principes d'anarchie universelle : le roi d'Angleterre, après les avoir combattus, finit par les adopter, pour satisfaire ses impures convoitises. Ceux à qui Dieu fait la grâce de conserver la foi et le bon sens, François fer et Charles-Quint , au lieu d'unir leurs efforts pour réprimer l'anarchie au dedans de l'Europe, repousser le Turc au dehors, porter la gloire de leur nom avec la civilisation chrétienne en Afrique, en Amérique, aux Indes, au Japon, à la Chine, dont la Providence leur ouvre le chemin, comme pour leur dire : Allez, nobles rivaux, luttez glorieusement ensemble à qui fera pour Dieu et l'humanité des choses plus belles et plus grandes ; François Ier et Charles-Quint ne s'accordent que pour se contrarier, souvent d'une manière basse et ignoble. Le roi trèschrétien, le fils aîné de l'Eglise, s'allie avec les hérétiques d'Allemagne contre les catholiques ; il s’allie avec le Turc, avec le mahométan, contre les chrétiens, pour lui livrer l'Italie et Rome; Rome déjà saccagée par l'armée de Charles-Quint, qui rançonne le Pape comme aurait fait un chef de corsaires. Et c'est avec ces deux princes que les Papes sont obligés de s'entendre pour remédier aux maux de l'Eglise et du monde. Ce n'était pas chose facile : quand l'un voulait, l'autre ne voulait pas, ou voulait d'une autre manière. On le voit en particulier pour la convocation et la tenue du concile de Trente. Quant aux historiens de ce concile, il y en a deux principaux : Fra-Paolo et le cardinal Pallavicin. Pierre Sarpi naquit à Venise en 1552, embrassa l'ordre des Servites en 1565, et changea son nom de baptême en celui de Paul : dès lors on ne l'appelait plus que Fra-Paolo, c'est-à-dire frère Paul. Il fut théologien consulteur de la république de Venise, dans ses démêlés avec le pape Paul V. On le consulta même sur des matières d'état. Et l'opinion qu'il donna pour garantir la stabilité du gouvernement, dit Lanjuinais, est un monument du plus odieux machiavélisme ; et Daru, dans son histoire de Venise , l'appelle un chef-d'oeuvre d'insolence et de conceptions non moins scélérates que tyranniques '. Cet esprit parait surtout dans les Conseils politiques adressés à la noblesse de Venise. Voici quelques-unes des maximes de Fra-Paolo: «Dans les querelles entre les nobles, châtier le moins puissant; entre un noble et un sujet, donner toujours raison au noble; dans la justice civile, on peut garder une impartialité parfaite.—Traiter les Grecs comme des animaux féroces; du pain et le bâton, voilà ce qu'il leur faut: gardons l'humanité pour une meilleure occasion.-S'il se trouve dans les provinces quelques chefs de parti , il faut les exterminer sous un prétexte quelconque, mais en évitant de recourir à la justice ordinaire. Que le poison fasse l'office de bourreau; cela est moins odieux et beaucoup plus profitable '. » Tel était Fra-Paolo, qui fit une histoire du concile de Trente, publiée pour la première fois à Londres en 1619. Il en avait donné le manuscrit à Marc-Antoine de Dominis, lorsque ce dernier allait apostasier dans la capitale de l'Angleterre. Cette édition, publiée sous le nom de Pietro Soave Polano, anagramme de Paolo Sarpi Veneto, fut reçue avec applaudissement dans tous les états protestants , et le livre fut bientôt traduit en diverses langues. Quant au jugement des catholiques, voici ce que dit Bossuet, en réfutant les histoires ou historiettes de l'évêque anglican, Burnet. « On se doit donc bien garder de croire notre historien en ce qu'il prononce touchant ce concile (de Trente) sur la foi de Fra-Paolo, qui n'en est pas tant l'historien que l'ennemi deelaré. M. Burnet fait semblant de croire que cet auteur doit être pour les catholiques au-dessus de tout reproche, parce qu'il est de leur parti ; et c'est le commun artifice de tous les protestants. Mais ils savent bien en leur conscience que ce Fra-Paolo , qui faisait semblant d'être des nôtres, n'était en effet qu'un protestant habillé en moine. Personne ne le connait mieux que M. Burnet qui nous le vante. Lui qui le donne dans son histoire de la réformation pour un auteur de notre parti, nous le fait voir dans un autre livre qu'on vient de traduire en notre langue, comme un protestant caché qui regardait la liturgie anglicane comme son modèle ; qui, à l'occasion des troubles arrivés entre Paul V et la république de Venise , ne travaillait qu'à porter cette république à une entière séparation, non-seulement de la cour, mais encore de l'église de Rome; qui se croyait dans une église corrompue et dans une communion idolâtre, où il ne laissait pas de demeurer; qui écoutait les confessions, qui disait la messe, et adoucissait les reproches de sa conscience en omettant une grande partie du canon, et en gardant le silence dans les parties de l'office qui étaient contre sa conscience. Voilà ce qu'écrit M. Burnet dans sa vie de Guillaume Bedell, évêque protestant de Kilmore en Irlande, qui s'était trouvé à Venise dans le temps du démêlé, et à qui Fra-Paolo avait ouvert son caur. Je n'ai pas besoin de parler des lettres de cet auteur, toutes protestantes, qu'on avait dans toutes les bibliothèques, et que Genève a enfin rendues publiques. Je ne parle à M. Burnet que de ce qu'il écrivait lui-même, pendant qu'il comptait parmi nos auteurs Fra-Paolo, protestant sous un froc, qui disait la messe sans y croire , et qui demeurait dans une église dont le culte lui paraissait une idolâtrie '. » Voilà ce que Bossuet dit de ce protestant travesti en moine. Les apologistes du calviniste encapuchonné ont crié à la calomnie, se sont inscrits en faux contre les assertions de Burnet, de Bedell, de Bayle, de Le Conreyer, etc. Ils ont nié l'authenticité des lettres imprimées, et de quelques-uns des ouvrages publiés sous son nom. Malheureusement pour sa mémoire, l'examen des archives secrètes de Venise, dont M. Daru a eu communication, et d'autres découvertes récentes n'ont que trop confirmé les assertions de Bossuet. Un écrivain protestant, Lebret, nous apprend qu'en 1609, JeanBaptiste Linck, agent de l'électeur palatin , eut un entrevue avec Fra-Paolo, qui, avec Fra-Fulgence, son confrère, dirigeait une association secrète de plus de mille personnes, dont trois cents patriciens des premières familles, dans le but d'établir le protestantisme à Venise. Ils attendaient, pour éclater, que la réforme se fût introduite dans les provinces allemandes limitrophes du territoire de la république. Un fait analogue, publié depuis long-temps, mais dont les apologistes de Sarpi se sont bien gardés de parler, confirme la même chose. Un ministre de Genève écrivait à un calviniste de Paris que l'on ne tarderait pas à recueillir les fruits des peines que Fra-Paolo et Fra-Fulgenzio prenaient pour introduire la réforme à Venise, où le doge et plusieurs sénateurs avaient déjà ouvert les yeux à la vérité, etc. » La lettre, interceptée par Henri IV, fut a envoyée à Champigny, ambassadeur de France à Venise, qui en communiqua la copie d'abord à quelques-uns des principaux sénateurs, et ensuite au sénat assemblé, après en avoir retranché, par ménagement, le nom du doge. Le cardinal Ubaldin raconte que cette lecture fit pâlir un des sénateurs : un autre avança que la lettre avait été fabriquée par les Jésuites; mais le sénat, méprisant cette imputation , remercia le roi de son avis, défendit à Fra-Fulgenzio de prêcher davantage, et prescrivit à Fra-Paolo de mieux s'observer à l'avenir. On voit, par ces lettres, qu'il priait Casaubon de lui ménager un asile en Angleterre, au cas qu'il se vît forcé de quitter l'Italie ? « Variat., 1. 7, n. 109. – ? Biographie univ., art. Sarpi. 2 : L'histoire du concile de Trente par Fra-Paolo excita une réclamation générale parmi les catholiques. Mis à l'index avec les qualifications les plus fortes, il fut réfuté, à Venise même, par Philippe Quarli. Mais il fut mieux réfuté encore par l'histoire authentique du même concile, publiée, l'an 1655, sur les pièces originales, conservées aux archives du château Saint-Ange, et qui valut le chapeau de cardinal à son auteur , le jésuite Pallavicin, né à Rome en 1607, d'une des premières familles de cette ville. On y trouve, à la fin, l'énumération de trois cent soixante-un points de faits , sur lesquels Sarpi est convaincu d'avoir altéré ou dénaturé la vérité, indépendamment d'une multitude d'autres erreurs qui ne sont pas susceptibles d'être articulées en peu de lignes, mais qui résultent de l'ensemble de son discours : il suffit de lire cette longue liste, à chaque article de laquelle on indique les preuves justificatives, pour s'assurer qu'il n'est point vrai queces erreurs ne portent que sur des objets de peu d'importance, comme affectent de le dire les apologistes de Fra-Paolo'. L'histoire de Pallavicin, publiée récemment en français par Migne, aidera singulièrement à redresser les innombrables faussetés qui se propagent dans les histoires modernes, comme autant d'échos de l'apostat Sarpi. Ce dernier suppose que le pape Clément VII recula de convoquer un concile, parce qu'il craignait qu'on ne l'y déposat à cause de l'illégitimité de sa naissance et puis de son entrée simoniaque dans la papauté. Pallavicin fait voir que tout ceci est un rêve. Lorsque Clément VII, encore Jules de Médicis, dut être élevé au cardinalat, la légitimité de sa naissance fut prouvée juridiquement par un acte de mariage clandestin contracté entre son père Julien et sa mère Fioretta. Nous avons vu que son père fut assassiné soudainement dans une église de Florence. D'ailleurs Sarpi avoue luimême qu'aucune loi n'exige pour la validité de l'élection du Pape que sa naissance soit légitime. Quant à la simonie, jamais elle n'a été reprochée à Clément VII par aucun de ses ennemis, et il en a eu de très-violents, tel que le cardinal Pompée Colonne, qui, excommunié et dégradé comme rebelle, fut cause du sac de Rome par le connétable de Bourbon, et de la captivité du pontise 2. Ce qui de prime abord fit hésiter Clément VII à convoquer un concile ecuménique, c'est que les principaux souverains de l'Europe étaient en guerre les uns contre les autres; c'est qu'il y avait à craindre que le mauvais esprit de Bále ne se réveillât et ne vint ? Pallavicin, Hist, du concile de Trente , 'Biographie univers., art, Sarpi. 1. 2, c. 10. empirer le mal, bien loin de le guérir; c'est que les protestants voulaient en effet que le Pape parût au concile, non plus comme chef de l'Eglise, mais comme simple évêque : ce qui était se faire protestant avec eux. Autant vaudrait dire à un homme : Vous souffrez d'un certain mal d'oreille, le remède est facile; permettezmoi, une seule petite fois, de vous amputer la tête d'entre les épaules pour vous l'attacher au dos, et tout sera dit. — On ne saurait croire combien d'auteurs, surtout modernes, trouvent cette opération toute simple : Fra-Paolo était de ce nombre. En 1550, de la diète d'Augsbourg, où les protestants présentèrent leur fameuse confession , Charles-Quint pria le Pape, même de la part des protestants, d'indiquer le concile général, ainsi que la ville où il devait se réunir. Les protestants déclaraient vouloir s'y soumettre, et, en attendant, renoncer à leurs erreurs. Fra-Paolo suppose que Clément VII fit tout son possible pour éluder la demande. Or, nous avons la lettre autographe de ce Pape à l'empe- | reur; il y expose d'abord les inconvénients que certains cardinaux trouvaient à l'assemblée d'un concile dans les circonstances présentes; lui, cependant, rassuré par la prudence et la fermeté de l'empereur, consent à cette assemblée et propose comme lieu le plus convenable la ville de Rome, ou bien Bologne, Plaisance et Mantoue. Dans ses réponses à cette lettre et à d'autres, l'empereur reconnaît que les inconvénients et les difficultés étaient très-graves; il en avait délibéré par lettres avec son frère, le roi des Romains, et les autres princes catholiques; tous ils persistaient néanmoins à croire que le concile était le remède unique et nécessaire pour la guérison de pareilles plaies : afin de lever les obstacles indiqués, il avait écrit au roi de France. Il finit par exposer au Pape le grave danger de tout retard, « n'ayant d'autre but, disait-il, que d'engager sa Sainteté, comme chef de l'Eglise chrétienne, auquel nous devons tous l'obéissance et la soumission, à prendre le parti qui assurera le mieux la gloire de notre souverain maître, la guérison des maux de la chrétienté, la conservation de notre sainte mère l'Eglise et du Siége apostolique. Sa Sainteté doit être assurée d'ailleurs que, pour l'heureuse issue du concile, l'empereur et le sérénissime roi, son frère, mettront à son service et leurs personnes et leurs états, comme il lui en a fait l'offre pour sa part, et comme il espère que le feront les autres rois et princes chrétiens, dès qu'ils auront connaissance de sa détermination. » En conséquence de ces négociations , il y eut, le vingt-huit novembre 1530, un consistoire où il fut décidé d'un consentement unanime, et par le Pape et par chacun des cardinaux, que le concile aurait lieu ; quant au siège |