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le l'hôpital, qui avait été témoin de sa piété extraordinaire, le prit avec lui, dans la vue de l'employer au service des malades. Jean 'acquitta de cet emploi avec un zèle bien au-dessus de son âge: sa charité éclatait surtout dans les exhortations qu'il faisait aux malades, pour leur inspirer les sentiments dont ils devaient être pénétrés. Il pratiquait en secret des austérités incroyables, et continuait en même temps ses études au collége des Jésuites.

Lorsqu'il eut atteint sa vingt-unième année, il prit l'habit chez les Carmes, à Médina, et ce fut sa dévotion pour la sainte Vierge qui le Idétermina de préférence pour cet ordre religieux. Jamais novice ne montra plus de soumission, d'humilité, de ferveur et d'amour de la croix. Son zèle, loin de diminuer après le noviciat, ne cessa de prendre de nouveaux accroissements. Ayant été envoyé à Salamanque pour faire sa théologie, il continua d'y pratiquer des austérités extraordinaires. Il voulut loger dans une cellule étroite et obscure qui était au fond du dortoir. Un ais creusé, qui ressemblait à un cercueil, lui servait de lit. Il portait un cilice si rude, que le moindre mouvement mettait tout son corps en sang. Ses jeûnes et ses autres mortifications avaient quelque chose d'incroyable. Tels furent les moyens qu'il employa pour mourir au monde et à lui-même. Mais en même temps, l'exercice continuel de la prière, auquel il se livrait dans le silence et la retraite, faisait prendre l'essor à son âme. La maxime fondamentale de la perfection dont il faisait la règle de sa conduite et qu'il établit depuis dans ses écrits, était que celui qui veut être parfait doit commencer par faire toutes ses actions en union avec celles de Jésus-Christ, désirant de l'imiter et de se revêtir de son esprit. Il doit, en second lieu, mortifier ses sens en toutes choses et leur refuser tout ce qui ne peut point être rapporté à la gloire de Dieu. Il aurait voulu n'être que frère convers; mais ses supérieurs refusèrent d'y consentir.

Son cours de théologie, qu'il avait fait avec succès, étant achevé, il fut ordonné prêtre. Il avait alors vingt-cinq ans. Il se prépara à la célébration de sa première messe par de nouvelles mortifications, par de ferventes prières et par de longues méditations sur les souffrances de Jésus-Christ, afin d'imprimer dans son cœur les plaies précieuses du Sauveur et d'unir au sacrifice de l'homme-Dieu celui de sa volonté, de ses actions et de toute sa personne. Les grâces qu'il reçut de cette première célébration des saints mystères augmentèrent encore en lui l'amour de la solitude. Il délibéra sur la pensée qui lui était venue d'entrer dans l'ordre des Chartreux.

Nous avons vu sainte Thérèse autorisée par le général des Carmes à fonder deux monastères réformés pour les hommes de son ordre.

La sainte était bien éloignée de penser que ce projet pût avoir lieu: il lui eût fallu au moins un coopérateur plein de zèle, qui consentit à se mettre à la tête d'une entreprise aussi difficilé; et ce coopérateur lui manquait alors. « D'ailleurs, dit-elle, je n'avais point de maison, ni d'argent pour en acheter une tellement, que tout se trouvait réduit à une pauvre Carmélite déchaussée, chargée de patentes et pleine de bons désirs, mais sans moyens pour les exécuter et sans aucune assistance que Dieu seul. Le courage ne me manquait pourtant pas : j'espérais toujours que notre Seigneur achèverait ce qu'il avait commencé ; tout me paraissait possible, et ainsi je mis la main à l'œuvre. » Mais, en attendant, elle passa cinq années de suite dans le couvent de Saint-Joseph d'Avila.

Dans le mois d'août de l'année 1567, elle se rendit à Médina del Campo, pour y fonder un nouveau monastère de Carmélites déchaussées. Durant le séjour qu'elle y fit, elle songeait continuellement à la réforme des religieux du même ordre; mais elle n'avait personne pour l'aider dans ce nouveau dessein. Ainsi, ne sachant que faire, elle se résolut de confier ce secret au prieur des Carmes de Sainte-Anne de Médina, pour voir ce qu'il lui conseillerait. Il lui en témoigna beaucoup de joie et lui promit qu'il serait le premier qui embrasserait cette réforme. « Je crus, dit Thérèse, qu'il se moquait, parce que, encore qu'il eût toujours été un bon religieux, recueilli, studieux et ami de la retraite, il me semblait que, étant d'une complexion délicate et peu accoutumée aux austérités, il n'était pas propre pour jeter les fondements d'une manière de vie si rude. Je lui dis tout franchement ma pensée, et il me rassura, en me répondant qu'il y avait déjà long-temps que notre Seigneur l'appelait à une vie plus laborieuse; qu'il avait résolu de se faire Chartreux, et qu'on lui avait promis de le recevoir. Cette réponse me donna de la joie, mais ne me rassura pas entièrement; je le priai de différer l'exécution de son dessein et de s'exercer cependant dans les austérités auxquelles il voulait s'engager. Il le fit, et il se passa ainsi une année, durant laquelle il eut beaucoup à souffrir, et le souffrit avec grande vertu 1. »

Peu de temps après vint dans la même ville Jean de la Croix. Thérèse lui parla, et apprit qu'il voulait, comme le prieur de SainteAnne, se faire Chartreux. Elle lui communiqua pareillement son dessein et le pria instamment de différer jusqu'à ce que Dieu leur cût donné un monastère, lui représentant que, puisqu'il voulait embrasser une règle si étroite, il lui rendrait un plus grand service

Fondation de Médina del Campo.

de la garder dans son ordre que dans un autre. Il le lui promit, pourvu que ce retardement ne fût pas grand. Une pauvre maison leur fut donnée dans le hameau de Durvelle : les deux religieux s'y établirent comme ils purent et y renouvelèrent leur profession le premier dimanche de l'Avent 1568. Le galetas, qui était au milieu du logis, servit de chapelle et de chœur, et l'on pouvait y faire l'office; mais il fallait se baisser bien bas pour y entrer et pour entendre la messe. Il y avait aux deux côtés de la chapelle deux petits réduits où l'on ne pouvait demeurer qu'assis ou couché. Il y faisait si froid, qu'il avait fallu y mettre quantité de foin. Le plancher en était si bas, qu'on y touchait presque de la tête, et deux petites fenêtres regardaient sur l'autel. Ces bons pères n'avaient pour chevet que des pierres, au-dessous desquelles étaient des croix et des têtes de morts. Depuis matines jusqu'à prime ils demeuraient en oraison, Dieu leur faisant la grâce de beaucoup s'y occuper; et lorsqu'ils allaient dire prime, leurs habits étaient souvent tout couverts de neige, sans qu'ils s'en aperçussent. Ils allaient prêcher dans les lieux circonvoisins qui manquaient d'instruction: ils allaient jusqu'à deux lieues, marchant les pieds nus sur la neige et sur la glace; et, après avoir passé presque tout le jour à prêcher et à confesser, ils s'en retournaient sans avoir mangé et sans que ce travail, quelque extraordinaire qu'il fût, leur parût considérable. Ce monastère fut depuis transféré en un autre lieu nommé Mancera. Telle fut l'origine des Carmes déchaussés, dont l'institut fut approuvé par Pie V et confirmé en 1580 par Grégoire XIII. Les austérités de ces premiers Carmes réformés étaient portées si loin, que sainte Thérèse crut nécessaire de leur prescrire une mitigation. L'odeur de leur sainteté se répandit bientôt dans toute l'Espagne. Sainte Thérèse fut obligée de fonder deux autres monastères, le premier à Pastrane, le second à Alcala.

L'exemple et les exhortations de Jean de la Croix inspiraient aux autres religieux l'esprit de retraite, d'humilité et de mortification. Son amour pour la croix éclatait dans toutes ses actions, et il l'augmentait tous les jours, en méditant sur les souffrances de JésusChrist. Il travaillait sans cesse à former en lui une ressemblance parfaite avec Jésus crucifié. Pour purifier entièrement son cœur, Dieu le fit passer par les plus rigoureuses épreuves, tant intérieures qu'extérieures; et c'est la conduite qu'il tient ordinairement à l'égard des âmes qu'il destine à une sainteté éminente et qu'il veut combler de grâces extraordinaires.

Le saint, après avoir goûté les douceurs de la contemplation, se vit privé de toute dévotion sensible. Cette sécheresse spirituelle fut

suivie du trouble intérieur de l'âme, de scrupules et du dégoût de exercices de piété, que le serviteur de Dieu n'abandonna cependant jamais. En même temps, les démons l'assaillirent par les plus violentes tentations, et les hommes le persécutèrent par la calomnie; mais les scrupules et la désolation intérieure furent les plus terribles de toutes ses peines. Il semblait au saint voir l'enfer ouvert et prêt à l'engloutir. On trouve dans son livre intitulé. La nuit obscure, une description admirable des angoisses que cet état fait éprouver. Elles sont connues plus ou moins des âmes contemplatives; cette épreuve a coutume de précéder la communication des grâces spéciales que Dieu leur accorde. Ce fut par là que Jean de la Croix parvint à ce dénûment, à cette pauvreté d'esprit, à ce renoncement à toutes les affections terrestres, à cette entière conformité à la volonté de Dieu qui est fondée sur la destruction de la volonté propre, à cette patience héroïque, à cette courageuse persévérance. Les rayons de la lumière divine percèrent enfin les ténèbres dont le saint religieux était environné, et il se trouva comme transporté dans un paradis de délices. Mais de nouvelles ténèbres succédèrent aux premières ; les peines intérieures et les tentations qui les accompagnèrent furent si violentes, que Dieu parut avoir abandonné son serviteur et être devenu insensible à ses soupirs et à ses larmes. Il tomba dans une tristesse si profonde, qu'il serait mort de douleur, si la grâce ne l'eût soutenu. Le calme revint et fut suivi de consolations. Jean de la Croix sentit alors plus que jamais l'avantage des souffrances et surtout des épreuves intérieures ; il comprit combien elles servaient à purifier l'âme de ses imperfections; toujours recueilli, parce qu'il était toujours en la présence de Dieu, son cœur brûlait du feu de la divine charité: il était enflammé d'un ardent désir d'imiter Jésus souffrant, de porter sa croix, de partager ses humiliations, de servir le prochain pour l'amour de lui; rien ne lui paraissait devoir résister à son courage il jouissait d'une paix inaltérable, et souvent il était élevé dans les transports d'amour à l'union divine, ce qui est le plus sublime degré de la contemplation. Quelquefois les douceurs de cet amour faisaient sur son âme une impression si vive, qu'elle était comme plongée dans un torrent de délices, sans cesser cependant d'éprouver la peine qu'il appelle la blessure de l'amour. Il explique ceci lui-même, en disant qu'il paraît à l'âme, dans cet état, qu'elle est blessée par des traits de feu qui la laissent se consumer tout entière d'amour; et elle est si enflammée, qu'il lui semble qu'elle sort d'elle-même, et qu'elle commence à devenir une nouvelle créature.

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Sainte Thérèse se servit utilement de ce grand serviteur de Dieu pour le succès de sa réforme, même parmi les Carmélites. Elle éprouvait de grandes difficultés de la part du couvent d'Avila, où elle avait fait sa première profession. L'évêque de cette ville crut tenex qu'il était nécessaire qu'elle en fût prieure, du moins pour retrancher les fréquentes visites des séculiers. Il y envoya Jean de la Croix, et l'en fit directeur en 1576. Il eut bientôt engagé les religieuses à renoncer au parloir, et à corriger tous les abus que doit dproscrire une vie de retraite et de pénitence. Il prêchait avec tant d'onction, qu'on venait de toutes parts l'entendre avec empressement. Plusieurs personnes du monde lui confièrent la direction de leur conscience.

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Mais Dieu l'affligea par de nouvelles peines, en permettant qu'il trouvât des persécuteurs dans ses propres frères. Les anciens Carmes s'opposaient à la réforme ; et quoiqu'elle eût été entreprise par sainte Thérèse de l'agrément et avec l'approbation du général, ils la traitaient de rébellion contre l'ordre. Aussi, dans leur chapitre à Placentia, condamnèrent-ils Jean de la Croix comme un fugitif et un apostat. Les officiers de justice, venus de leur part, l'enlevèrent tumultueusement du couvent, et le traînèrent en prison. Mais connaissant la vénération dont le peuple d'Avila était pénétré pour lui, ils le firent conduire à Tolède, où il fut renfermé dans une cellule qui ne recevait le jour que par une ouverture trèsétroite. Pendant les neuf mois qu'il y resta, on ne lui donna pour nourriture que du pain, de l'eau et quelques petits poissons. Il recouvra cependant la liberté par le crédit de sainte Thérèse, et par une protection visible de la mère de Dieu. Il fut favorisé, durant sa captivité, des plus abondantes consolations du ciel, ce qui lui faisait dire depuis: Ne soyez pas étonné si je montre tant d'amour pour les souffrances; Dieu m'a donné une haute idée de leur mérite et de leur valeur, lorsque j'étais en prison à Tolède.

A peine eut-il été mis en liberté, qu'il fut établi supérieur du petit couvent du Calvaire, situé dans un désert. En 1579, il fonda celui de Baëza. Deux ans après, on lui confia la conduite du couvent de Grenade. On l'élut en 1585, vicaire provincial d'Andalousie, et premier définiteur de l'ordre, en 1588. Ce fut dans le même temps qu'il fonda le couvent de Ségovie. Les divers emplois qu'il exerça ne lui firent jamais rien diminuer de ses austérités. Il ne dormait que deux ou trois heures chaque nuit, et passait le reste en prière devant le Saint-Sacrement. On ne se lassait point d'admirer son humilité, son amour pour l'abjection, sa ferveur et son zèle dans tous les exercices, et un désir insatiable de souffrir. « Nous

TOME XXIV.

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