Obrazy na stronie
PDF
ePub

a effrayé, a fait verfer des larmes. Molière a joué l'amour ridicule d'un vieil avare: Racine a repréfenté les faibleffes d'un grand roi, et les a rendues refpectables.

Que l'on donne une noce à peindre à Wateau et à Le Brun : l'un représentera fous une treille des payfans pleins d'une joie naïve, groflière et effrénée, autour d'une table rustique où l'ivresse, ́ l'emportement, la débauche, le rire immodéré régneront; l'autre peindra les noces de Thétis et de Pélée, les feftins des dieux, leur joie majeftueuse: et tous deux feront arrivés à la perfection de leur art par des chemins différens.

On peut appliquer tous ces exemples à Mariamne. La mauvaise humeur d'une femme, l'amour d'un vieux mari, les tracafferies d'une belle-four font des petits objets, comiques par eux-mêmes; mais un roi, à qui la terre a donné le nom de Grand, éperdument amoureux de la plus belle femme de l'univers; la paffion furieufe de ce roi fi fameux par fes vertus et par fes crimes; fes cruautés paffées, fes remords préfens; ce paffage fi continuel et si rapide de l'amour à la haine, et de la haine à l'amour; l'ambition de fa foeur, les intrigues de fes miniftres; la fituation cruelle d'une princeffe, dont la vertu et la beauté font célèbres encore dans le monde; qui avait vu fon père et fon frère

livrés à la mort par fon mari, et qui, pour comble de douleur, fe voyait aimée du meurtrier de fa famille quel champ! quelle carrière pour un autre génie que le mien! Peut-on dire qu'un tel fujet foit indigne de la tragédie? C'est là fur-tout que felon ce qu'on peut être, les chofes changent

de nom.

FRAGMENT

1

DE LA PREFACE

DE L'EDITION DE 173 0.

LA destinée de cette pièce a été extraordinaire. Elle fut jouée pour la première fois en 1724, et fut fi mal reçue, qu'à peine put-elle être achevée. Elle fut rejouée en 1725 avec quelques changemens, et fut reçue alors avec une extrême indulgence.

J'avoue avec fincérité qu'elle méritait le mauvais accueil que lui fit d'abord le public; et je fupplie qu'on me permette d'entrer fur cela dans un détail qui, peut-être, ne fera pas inutile à ceux qui voudront courir la carrière épineufe du théâtre, où j'ai le malheur de m'être engagé. Ils verront les écueils où j'ai échoué; ce n'eft que par-là que je puis leur être utile.

Une des premières règles eft de peindre les héros connus tels qu'ils ont été, ou plutôt tels que le public les imagine; car il est bien plus aifé de mener les hommes par les idées qu'ils ont, qu'en voulant leur en dunner de nouvelles.

Sit Medea ferox,invictaque; flebilis Inoz
Perfidus Ixion, Io vaga, triftis Orestes, etc.

Fondé fur ces principes, et entraîné par la com plaifance refpectueufe que j'ai toujours eue pour Théâtre. Tom. I.

des perfonnes qui m'honorent de leur amitié et de leurs confeils, je réfolus de m'affujettir entiérement à l'idée que les hommes ont depuis longtemps de Mariamne et d'Hérode, et je ne fongeai qu'à les peindre fidellement d'après le portrait que chacun s'en eft fait dans fon imagination.

Ainfi Hérode parut dans cette pièce cruel et politique; tyran de fes fujets, de fa famille, de fa femme; plein d'amour pour Mariamne, mais plein d'un amour barbare qui ne lui infpirait pas le moindre repentir de fes fureurs. Je ne donnai à Mariamne d'autres fentimens qu'un orgueil imprudent, et qu'une haine inflexible pour fon mari. Et enfin, dans la vue de me conformer aux opihions reçues, je ménageai une entrevue entre Herode et Varus, dans laquelle je fis parler ce préteur avec la hauteur qu'on s'imagine que les Romains affectaient avec les rois.

Qu'arriva-t-il de tout cet arrangement? Mariamne intraitable n'intéreffa point: Hérode n'étant que criminel, révolta: et fun entretien avec Varus le rendit méprifable, J'étais à la première représentation: je m'aperçus dès le moment où Hérode parut, qu'il était impoffible que la pièce eût du fuccès; et je compris que je m'étais égaré en marchant trop timidement dans la route ordinaire.

Je fentis qu'il eft des occafions où la première

règle eft de s'écarter des règles prefcrites; et que (comme le dit M. Pascal fur un fujet plus férieux) les vérités fe fuccèdent du pour au contre à mesure qu'on a plus de lumières.

Il eft vrai qu'il faut peindre les héros tels qu'ils ont été ; mais il eft encore plus vrai qu'il faut adoucir les caractères défagréables; qu'il faut fonger au public pour qui l'on écrit, encore plus qu'aux héros que l'on fait paraître; et qu'on doit imiter les peintres habiles qui embelliffent en confervant la reffemblance.

Pour qu'Hérode reffemblât, il était néceffaire qu'il excitât l'indignation; mais pour plaire il devait émouvoir la pitié. Il fallait que l'on détestât fes· crimes, que l'on plaignît fa paffion, qu'on aimât fes remords; et que ces mouvemens si violens, fi fubits, fi contraires, qui font le caractère d'Hérode,paffaffent rapidement tour à tour dans l'ame du fpectateur.

Si l'on veut fuivre l'hiftoire, Mariamne doit hair Hérode et l'accabler de reproches; mais fi l'on veut que Mariamne intéreffe, fes reproches doivent faire efpérer une réconciliation; fa haine ne doit pas paraître toujours inflexible. Par-là le fpectateur eft attendri, et l'histoire n'est point entièrement démentie:

Enfin je crois que Varus ne doit point du tout voir Hérode: et en voici les raifons. S'il parle à

« PoprzedniaDalej »