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Rigueurs de Cranmer contre les dissidents.

En Angleterre comme dans l'Allemagne, la réforme n'avait pas tardé à voir naître autour d'elle et se produire au grand jour les sectes les plus désordonnées. Parmi les nouveaux prédicants, il s'en trouva d'assez impudents pour prétendre que la défense faite à un homme d'avoir deux femmes, ou à une femme d'avoir deux maris, était une invention du pape ; d'autres soutenaient que c'était rejeter le gouvernement de Dieu que de se soumettre à un roi ; qu'il n'était pas permis d'obéir à des lois humaines, ni de remplir un emploi quelconque dans l'état ; que les serments étaient illégitimes; qu'il fallait rebaptiser ceux qui l'avaient été dans leur enfance; que JésusChrist n'avait pas pris un corps véritable dans le sein de la Vierge; que le repentir ne pouvait pas effacer les péchés ; que tous les biens devaient être communs à tous et que les élus avaient droit de prendre tout ce qui leur est nécessaire; que bien que l'homme extérieur puisse pécher, l'homme intérieur est toujours sans péché ; enfin, que le salut est obtenu par la foi seule, et que la voie la plus infaillible pour arriver à la perdition était la confiance dans les bonnes œuvres, entendant par ces paroles aussi bien les devoirs moraux que les observances monastiques et les cérémonies (1). Ces erreurs, publiées la plupart par une foule d'aventuriers réfugiés en Angleterre, attirèrent l'attention du gouvernement. On imposa aux sectaires un silence qu'ils ne gardèrent pas, et bientôt il fallut exercer des rigueurs contre les sujets anglais qui avaient adopté ces extravagances impies. Même aux yeux des partisans de Cranmer, la réputation du métropolitain souffrit ici un grand échec. Le Dr Southey, parlant de la condamnation de Jeanne Botcher, en laisse échapper péniblement l'aveu. Écoutons-le raconter lui-même ce fait : il nous dispensera d'en rappeler beaucoup d'autres non moins révoltants. « Jeanne Botcher, dit-il, dame du pays de Kent, avait reçu une belle éducation : elle descendait d'une famille honorable et tenait un toire constitutionnelle, on lit ce jugement sur Cranmer. Porté par un protestant écossais, il servira à justifier, quand les autres autorités ne le feraient pas surabondamment, ce que l'histoire oblige de rappeler sans cesse à la charge de cet hérésiarque. «L'intolérance est toujours mauvaise; mais l'intolérance sanguinaire d'un homme si chancelant dans sa croyance inspire un dégoût auquel il est difficile de donner libre carrière sans user de paroles inconvenantes. Également faux dans ses engagements politiques et religieux, il fut d'abord l'instrument de Somerset et ensuite celui de Northumberland.... >>

1. Stat. 5, Edward VI. - Strype, vol. 11, p. 12, 90. vol. IV, p. 418.

Hume, Hist. of Engl.,

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rang distingué dans la société. Accusée de soutenir une opinion bizarre et oubliée depuis longtemps, savoir, que notre Sauveur, quoique né de la Vierge, ne participait à l'humanité qu'en apparence et qu'il avait un corps non réel, mais seulement fantastique, elle fut pour cela condamnée à mort. « Vous avez bien sujet de considérer votre ignorance, dit alors cette femme intrépide à ceux qui étaient assis pour la juger. Il n'y a pas encore longtemps, vous avez brûlé Anne Ashew pour un morceau de pain; et cependant vous en êtes venus vousmêmes bientôt après à croire et à professer la doctrine pour laquelle vous l'avez brûlée. Et maintenant vous voulez me brûler moi-même pour un morceau de chair ;... et à la fin vous en viendrez à croire comme moi, quand vous aurez lu les Écritures et que vous les aurez comprises.» - C'était là une parole, continue toujours Southey, qui, indépendamment de l'erreur qu'elle renferme, devait frapper Cranmer d'un sentiment de repentir (1). Cranmer, en effet, avait eu sous Henri VIII la criminelle lâcheté de poursuivre et de faire condamner à mort des victimes dont en secret il partageait les erreurs. Maintenant qu'il était soustrait à cette sujétion trop redoutable du tyran, et qu'il pouvait suivre en toute liberté les inclinations de son âme bienfaisante, ou du moins mettre en pratique les premières conséquences du principe de libre-examen admis par la réforme, qu'allait faire ce primat de l'église d'Angleterre? Car << le conseil, qui a vu que nul raisonnement ne peut ébranler la constance de cette femme dans son opinion sans fondement, en appelle à Cranmer pour obtenir un warrant en faveur de son exécution (2). » Cet homme, qui avait la conscience de tant de parjures, et dont les variations sur les différents points de la doctrine catholique lui avaient été si souvent reprochées en face, pouvait arracher au supplice l'infortunée Jeanne Botcher. « S'il n'avait pas donné son consentement, ou même s'il n'avait pas contraint le jeune roi à signer l'arrêt fatal, ce crime eût été empêché (3). » Une année entière cette signature fut refusée par Edouard; mais Cranmer ne recula point devant ces perplexités d'une âme inquiète. La bible à la main il montra que les blasphémateurs devaient être mis à mort, comme Moïse déclare qu'il faut les lapider. Que le

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Misère du peu. ple qui se soulève contre les novateurs.

prince ne s'y méprenne pas, ajoute l'hérésiarque ; grande est la différence entre des erreurs sur quelque point de théologie et celles qui s'attaquent au symbole des apôtres. Ces dernières sont des impiétés qu'un prince, comme représentant de Dieu, doit punir. « Édouard, les larmes aux yeux, signa le warrant en déclarant à Cranmer que, s'il faisait mal, lui-même en répondrait devant Dieu, puisque c'était par soumission à son autorité qu'il le faisait (1). » Non, « dans toute notre histoire il n'y a pas de circonstance plus pénible et plus humiliante (2) », ajoute comme en gémissant l'un des admirateurs de cet étrange réformateur.

Mais c'était peu pour l'hérésie de verser le sang de quelques femmes ou de quelques sectaires égarés par des opinions qu'ellemême avait enfantées : son bras impitoyable frappera encore une multitude d'autres victimes, qui, depuis son origine, la maudissent comme l'auteur de tous leurs maux. La misère du peuple croissait, en effet, de jour en jour, et tout faisait pressentir que des soulèvements ne tarderaient point à éclater. Outre le désordre apporté dans les affaires par des altérations ou des modifications réitérées des monnaies sous le règne précédent, la location des terres était devenue beaucoup plus élevée entre les mains des nouveaux propriétaires, ou plutôt des ravisseurs sacrilèges qui les tenaient. Au régime doux et paternel qui, de tout temps, en Angleterre comme dans les autres pays, distinguait les possesseurs ecclésiastiques, avait succédé la froide et impitoyable rigueur des procureurs ou des hommes de loi choisis par les nobles usurpateurs. Les petits fermiers, dont la condition était auparavant si heureuse, se voyaient peu à peu réduits à l'indigence, et grossissaient rapidement le nombre des mendiants que la réforme, malgré ses rigueurs, avait peine à contenir. « Jamais, aussi longtemps que les monastères avaient été debout en Angleterre, il n'y avait eu d'acte dans le parlement pour aider les pauvres. Ces monastères leur portaient d'abondants secours dans leurs besoins (3). » << Maisons de bon accueil pour les ouvriers, grands hôpitaux pour tous (4), » là les affamés étaient nourris, ceux qui étaient nus recevaient des vêtements; on donnait la sépulture aux morts, on accomplissait tous ces devoirs de la charité qui

1. Burnet, Hist. of Reform., vol. 11, p. 112.

2. Dr Southey, Book of the Church, vol. 11, ch. XIII, p. 135.
3. Dugdale, Hist. of Warwick, p. 803.

4. Cobbett, Hist. of Reform., letter IV.

paraissent si essentiels à l'esprit du christianisme (1). » Ces biens, que la piété des générations passées et une sage administration avaient amassés pour le soulagement de toutes les misères humaines, étaient perdus sans retour, et le peuple, en face d'une misère extrême jusqu'alors inconnue, apprenait qu'un acte du parlement ordonnait de marquer d'un fer rouge ceux qui iraient mendier le morceau de pain nécessaire à leur subsistance (2). Hume lui-même, en dépit de ses préjugés, ne peut dissimuler que telle est la véritable cause des insurrections qui éclatèrent sous le gouvernement du duc de Somerset. « Les moines, dit-il, résidaient sans cesse dans leurs terres, y répandaient autour d'eux une grande somme de bienfaits, et n'ayant aucun motif qui pût les pousser à l'avarice comme les autres hommes, ils étaient en même temps et les meilleurs maîtres et les propriétaires les plus humains. » L'historien philosophe montre ensuite que, quand les biens du clergé devinrent propriétés particulières, les fermages augmentèrent de prix et qu'en même temps on alla en dépenser au loin les revenus. De là des fermiers exposés à la rapacité d'un intendant sans pitié, des métayers expulsés de leurs demeures, et des villageois dépouillés des terres où ils avaient le droit de faire paître leurs troupeaux. « La population du royaume diminua sur tous les points, et son ancienne prospérité déchut sensiblement... La grande masse du peuple perdit une partie de ce qu'elle avait acquis par son travail et son industrie, et l'explosion des murmures et des plaintes retentit par tout le royaume (3). »

Ce fut au moment où le service religieux imaginé par Cran

1. M. Higgons, Short view, etc., p. 190.

2. Burnet, Hist. of Reform., vol. II, p. 45. « V. Imprinted with a hot iron on their breast. >> Collier, Eccles. Hist., t. 11, book IV, p. 237. 3. Hume, Hist. of Engl., Edw. VI.

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Le Dr Southey n'est pas moins explicite. « Les hommes dans les mains de qui passèrent les biens d'abbayes, en usèrent aussi mal qu'ils avaient mal agi pour les acquérir. Les tenanciers furent forcés de rendre les titres en vertu desquels ils tenaient ces biens pour deux ou trois vies, moyennant une rente faible et payable surtout en nature. Ces rentes furent alors triplées, quadruplées, et les amendes élevées dans une proportion plus énorme encore... La surveillance pleine de bienveillance que les moines avaient exercée, leur hospitalité libérale, rien de tout cela ne fut expérimenté de la part de ces hommes que, dans son indignation honnête, Latimer appelait des seigneurs au petit pied, Step-Lords... Les tenanciers étaient chassés pour aller mendier, voler ou mourir de faim. Ce système inhumain fut poussé à un tel point, qu'on constata une diminution sensible de la population dans les registres (Muster-books)... Une semblable oppression poussa les hommes au désespoir et produisit des insurrections... » Dr Southey, Book of the Church, vol. 11, p. 127.

Conséquences déplorables de la Réforme.

mer et imposé par un statut du parlement, allait être mis en usage, que les insurrections éclatèrent de toutes parts. Quinze comtés parurent en armes presque en même temps. Quatre autres, ceux d'Oxford, de Norfolk, de Devon et de Cornwall, s'organisèrent pour résister aux injonctions de la cour et aux changements qu'elle prétendait opérer dans les croyances. Les habitants du Devonshire exprimèrent hautement leurs griefs. << Ils se plaignaient des altérations subies par la religion, de l'oppression à laquelle plusieurs membres de la noblesse prétendaient soumettre le tiers-état, né libre et indépendant, de l'abolition de la sainte liturgie observée par leurs pères, et de l'établissement d'un nouveau culte étranger à leurs mœurs (1). » Le Dr Heylin, qui rapporte ces détails, ajoute que l'on demandait à grands cris le rétablissement de la messe et des couvents, et le célibat pour les prêtres comme dans les temps anciens. « Le mécontentement régnait dans tout le royaume, ajoute encore un anglican. La réformation était odieuse à l'immense multitude, tant à cause des sentiments religieux des populations, que parce qu'elles croyaient que cette réformation était la source de tous les maux qui étaient survenus (2). » Disons-le à la honte éternelle de la réforme et de ses propagateurs : le droit et la justice succombèrent alors sous la violence, et ce fut grâce à une intervention étrangère que . l'on parvint à éteindre dans le sang les gémissements et les plaintes du peuple opprimé. L'hérésie fut sans pitié comme elle était sans principe et sans règle. Des bandes d'aventuriers allemands, espagnols, italiens, que le protecteur avaient appelés pour l'expédition qu'il projetait contre l'Écosse, sauvèrent le protestantisme dans cette crise et l'empêchèrent de tomber sous le mépris et la fureur du peuple irrité. La répression fut implacable on appliqua la loi martiale dans toute sa rigueur, et des exécutions multipliées vinrent encore décimer des populations que la tyrannie, la misère et le désespoir poussaient aux dernières extrémités.

Pendant que le sang coule à flots sur les champs de bataille ou sur les échafauds, les hommes de la réforme, résolus de se maintenir à tout prix en possession de leurs rapines, jettent

1. Cobbett, Hist. of Reform., letter VII.

2. Cet aveu est digne de remarque. « Discontent prevailed over the whole country, and the Reformation was odious to the great body of the peuple, both from their religious persuasions, and from a belief that it was the cause of all the evils to which it had afforded occasion. > Dr Southey, Book of the Church, vol. 11, p. 127.

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