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femme reste quelques moments muette de douleur. Enfin reprenant quelque force: "Eh bien! Edouard, qu'allons

nous devenir...? c'est demain dimanche, et nous allons "certainement mourir de faim, à moins que tu n'ailles de "nouveau... (elle n'osait prononcer le mot) chez ton oncle, 66 pour lui demander quelques chelins. Il me semble que, "si tu lui fais connaître l'affreuse misère à laquelle nous "sommes réduits, il ne pourra nous refuser..." L'enfant veut en vain cacher la peine que lui cause la proposition de sa mère; ses joues si pâles se teignent tout d'un coup d'un rouge écarlate par la violence qu'il se fait, son bon œil si doux brille d'un éclat inaccoutumé.-" Oh! ma mère, "s'écrie-t-il, que me demandez-vous ?... Non, jamais, ja"mais... j'aime mieux mille fois souffrir les horreurs de la "faim... j'aime mieux quêter... j'aime mieux mourir... Oh! "ma mère, je vous en conjure, ne me commandez pas "d'aller chez mon oncle..." Et en proconçant ces paroles, il se cachait le visage entre ses mains, qu'il tenait appuyées sur la table.

Il s'en suivit un long silence, qui ne fut interrompu que par la petite fille: "Maman, dit-elle, vous m'aviez promis "de me donner à souper, lorsque Edouard serait de retour; "je vous en prie, j'ai faim, donnez-moi donc un petit mor"ceau de pain... Vous ai-je donc fait de la peine, chère "petite maman, pour que vous ne m'ayez rien donné à

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manger aujourd'hui ? je n'en puis plus... Mais pourquoi "donc pleurez-vous ?" La mère, pressant cette chère petite, ne put lui répondre que par ses sanglots... En ce moment, Edouard levait la tête de dessus la table; son visage était revenu à sa paleur naturelle, et cet air de vivacité qu'il avait un instant auparavant, avait fait place à l'abattement; il s'avance vers sa mère, passe ses bras autour de son cou, et l'embrasse avec toute l'effusion d'un bon cœur. "Chère et tendre mère, lui dit-il, pardonnez-moi, "je vous en prie... je ne savais ce que je disais... Oh!

je vous en conjure, ne me faites pas mourir avec ces

"larmes que vous versez et qui me reprochent le malheur que j'ai eu d'augmenter vos chagrins par ma désobéis،، sance. Je pars tout de suite... Après tout, il ne peut "toujours me traiter plus dûrement qu'il l'a fait l'autre jour... Ma mère, ma chère mère, prenez un peu de courage, je vous en conjure; priez pour moi, je vais vous "chercher du pain..."

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-"Edouard, répliqua la mère éplorée, en le pressant contre son cœur, mon Edouard, ce serait avec joie que je "ferais le sacrifice de ma vie, pour exempter la moindre

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peine à un enfant qui m'a toujours été aussi bon et aussi "soumis que toi, mon cher; tu sais que ce n'est pas pour "moi que je te prie de faire une démarche dont la seule pensée m'accable autant que toi... mais (en lui montrant "ses petites sœurs,) c'est pour leur amour que tu vas m'obliger, et que tu vas, encore cette fois, montrer ton "bon cœur pour ta mère."

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Il rentre,

Un instant après, elle était seule, à genoux, et priait en tenant dans ses bras ses enfants qu'elle arrosait de larmes. Il est impossible de dire combien les instants qui s'écoulaient paraissaient longs à cette mère dont le cœur était à la fois brisé par tant de douleurs... Bien des fois, elle se leva, et ouvrant la porte, elle regardait; mais elle ne voyait que les ténèbres d'une nuit dont l'obscurité était encore augmentée par Porage qui grondait. Elle prêtait 'oreille au moindre bruit qu'elle croyait entendre... Enfin elle reconnut les pas de l'enfant si cher à son cœur. et cette fois-ci il apportait quelque nourriture. conta pas à sa mère avec quel mépris il avait été repoussé de bien des portes, quelles insultes il lui avait fallu recevoir partout. Il ne lui dit pas dans combien d'endroits on lui avait dit que ça ne convenait pas de donner du pain, qu'on avait tant de peine à gagner, pour nourrir un ivrogne avec ses paresseux d'enfants; il ne lui dit pas quels affronts il avait reçus pour son amour; et combien de fois il avait été forcé de se jeter aux genoux de ceux qui le repoussaient,

Mais il ne

en les conjurant de lui donner un petit morceau de pain pour sa mère et ses petites sœurs, qni mouraient de faim. Mais la fièvre mortelle qui colorait, de ses feux dévorants, la figure de son enfant, et les larges gouttes de sueurs qui tombaient de son front, racontaient plus éloquemment qu'aucune voix, à cette mère infortunée, ce que son enfant avait souffert pour elle... Ses forces étaient épuisées: il tombe sans connaissance entre ses bras. Aux premiers cris de douleur de cette pauvre femme succède un long silence... Puis revenant un peu à lui-même: "Ma mère, dit-il, prenez "6 ma main, mettez-la sur votre cœur... Pourquoi pleurezvous, ajouta-t-il après un moment de repos, pourquoi pleurez-vous, ma mère? est-ce parce qu'aujourd'hui vous "6 avez un enfant sur la terre, et que demain il sera au ciel ? "Pourquoi pleurez-vous...? je m'en vais quitter ce monde "si plein de misères, ce monde où vous n'avez eu que du "chagrin et des soucis, pour ce ciel si beau dont nous

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avons si souvent parlé tous les deux. Je n'ai plus qu'un "moment de vie: déjà je sens mes yeux qui se ferment à "la lumière. La mort a déjà la main sur moi; je n'ai "qu'un seul regret en quittant si jeune la vie: oh! ma

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mère, c'est d'être séparé de vous... Ah! si je pouvais

vous emmener avec moi! mais j'espère que vous allez "bientôt me suivre..." Les mots qu'il voulut encore prononcer étaient inintelligibles. Sa tête se pencha sur le sein de sa mère; puis poussant un profond et dernier soupir, il laissa échapper son âme pour aller au ciel, jouir, comme il l'espérait, d'une meilleure vie. Et la mère, trop infortunée, tomba sans paroles et sans force sur le cadavre inanimé de son enfant...

Plusieurs heures s'étaient écoulées: et, sans connaissance, elle tenait toujours le corps de son fils entre ses bras; on eût dit qu'elle était morte, et qu'elle aussi avait dit un éternel adieu aux peines et aux misères de cette vie. Tout d'un coup, la porte, poussée violemment, s'ouvre avec bruit, et un homme ivre rentre en chancelant... Il regarde, d'un

air stupide, autour de lui, comme pour connaître où il se trouve. A la fin il reconnaît sa femme; et, s'élançant vers elle, il la saisit par le bras et la tire avec brutalité.

Un profond soupir qu'elle pousse fait connaître qu'elle revient à elle... puis l'apercevant, elle se lève, et lui montrant le cadavre de son enfant: "Le vois-tu, s'écria-t-elle, "le reconnais-tu ? sais-tu qui est celui qui a écrasé cet "enfant sous le poids des peines et des angoisses? sais-tu 46 qui lui a donné en partage, dès son entrée dans le monde, "la pauvreté, la misère et la honte, et qui a rempli la coupe "de la vie de cet ange d'un fiel si amer qu'il en a détourné "les lèvres, et qu'il n'a pu en supporter l'amertume? "Monstre! ai-je besoin de le dire, sais-tu qui a enfoncé le “ poignard dans le cœur de ce tendre enfant ? C'est un père "ivrogne! c'est toi qui as creusé son tombeau, c'est toi qui "m'as ôté mon enfant, c'est toi qui as déchiré le cœur de la "femme que tu avais fait serment de rendre heureuse !...."

Le malheureux père, stupéfait, ne pouvait prononcer une seule parole. Son ivresse s'était complètement passée à la vue du triste spectacle qu'il avait devant les yeux. La voix de sa conscience lui faisait des reproches aussi mérités et encore plus forts que ceux de sa femme.

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Pour appaiser ses remords et oublier son chagrin, il court à l'auberge voisine, et s'enivre !...

C. CHINIQUY (1).

(1) Le Révérend Père Chiniquy est né à Kamouraska, district de Québec, le 30 juillet 1809. Après avoir fait son cours d'études au collège de Nicolet, il fut ordonné prêtre le 21 septembre 1833; puis ayant été curé de Beauport et de Kamouraska, il entra chez les Pères Oblats, à Longueuil, et au bout de dix-huit mois il abandonna ces derniers religieux, pour se livrer entièrement à la prédication de la tempérance dans l'usage des liqueurs enivrantes. Il a eu de beaux succès dans la cause dont il s'est fait l'ardent apôtre : à son appel des milliers de personnes se sont rangées sous son drapeau. Comme récompense de ses rudes travaux, les adeptes de la tempérance de Montréal lui présentèrent une médaille d'or, le 15 juillet 1849, et l'Assemblée Législative lui vota dans sa dernière session une somme de cinq cents louis. Il a publié un Manuel de Tempérance, dont nous avons extrait quelques chapitres, afin de donner une idée du genre et du style de M. Chiniquy.

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1847.

DERNIERS SOUPIRS.

LA JEUNE FILLE.

La nature est aimable au retour du printemps,
Flore embaume les lys et donne son encens
Aux guirlandes de roses.

Mon âme était soumise aux vives émotions,
Et le jour le plus beau me prêtait ses rayons,
Je voyais douces choses.

Quand la brise venait caresser mes cheveux,
Assise sous le hêtre, en regardant les cieux,
J'élevais ma pensée.

Et l'étoile du soir recevait mes désirs.

Tout me paraissait d'or. J'ai connu les plaisirs
Purs comme la rosée.

Hélas! dans mon chemin tout parsemé de fleurs
La vie était pour moi si pleine de douceurs...
Je finie ma carrière.

De ce monde joyeux l'aspect le plus brillant
M'entraînait dans sa course et me laisse en mourant...
Mon Dieu! la froide bière.

Ma beauté se flétrit qui parlait aux amours.
Il faut donc tout quitter et périr pour toujours...
Mais, la mort a des charmes.

Au chevet de mon lit veille la piété,
Qui me dit à genoux: pense à l'éternité !
Oh! c'est ma mère en larmes.

Si ma faible existence a méconnu ta loí,
Mon cœur s'est repenti. Seigneur, pardonne-moi,
J'adore ta parole...

J'abandonne la terre et je meurs sans regrets,
Bénissant de mon Dieu les trop sages décrets...
Mon âme au ciel s'envole.

CHS. LEVESQUE.

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