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nous plutôt la douce tranquillité qui succède tout-à-coup à ces jours de vengeance. Déjà je vois s'élever au-dessus de ces bourgades, la fumée du paogan, ce calumet de paix, et ces Sauvages si féroces sur le champ de bataille, s'endorment dans une noble oisiveté. Si vous vous égarez dans ces bois inconnus, vous pouvez sans crainte, gagner leurs cabanes pauvres, mais hospitalières; toute leur haine s'est éteinte, dans le sang qu'ils ont versé, et l'amitié règne seule sous leurs faibles toits d'écorce de bouleau. Les étrangers chez eux, sont appelés du nom de frères, et sont reçus comme des frères; on s'envie le bonheur de les voir à sa table pour partager les fruits de la chasse. Vous nous direz leur amour filial, leur respect pour les cendres de leurs aïeux, lorsqu'un peuple entier ne veut point abandonner sa bourgade, parce que les os de ses frères ne sauraient se lever et le suivre sur la rive étrangère. Vous nous direz aussi leur fermeté dans les tourments, leur mépris de la mort, et les dernières paroles du vieillard mourant: "Que ne me laissais-tu vivre plus longtemps pour t'apprendre à mourir en homme," disait-il à l'ennemi qui, voulant abréger ses tortures, lui porta le coup mortel.

Votre plume plus gracieuse, veut-elle nous peindre des émotions plus douces, des scènes d'amour? Nous n'irons plus, foulant aux pieds les tapis des boudoirs, troubler dans sa pose langoureuse, la jeune fille aux yeux bleus, aux cheveux blonds, vêtue de soie, aspirant les parfums, et préparant des paroles flateuses, mais bien souvent mensongères. Nous irons sur les bords du fleuve dont les ondes faiblement agitées par une brise légère, réflètent les rayons pourpres du soleil descendant à l'horizon. Sous vos pieds la verdure, au-dessus de votre tête l'azur du ciel, la main sur votre cœur, et oubliant les sentiments factices des nations civilisées, vous évoquerez la fille des peuples qui jadis parcoururent ces rives, la pure et naïve algonquine, au langage harmonieux. Vous nous peindrez au sortir du bain, ses cheveux noirs, encore trempés par les eaux du

fleuve, et la couvrant toute entière. Elle a reçu, pendant le jour, les présents de chasse des plus beaux guerriers de sa tribu, et cependant une tristesse vague, un désir ou un regret à saisi son cœur ; aucun de ces guerriers, trop occupés de la gloire des combats, n'a murmuré à son oreille le mot que son âme, vierge comme son corps, attendait. Ses yeux noirs, si doux, si limpides, tournés vers le ciel, semblent y chercher ce qu'elle ne saurait trouver au milieu des siens, sur cette terre sauvage; vous nous direz le cri naïf de sa joie, lorsqu'elle aperçut, pour la première fois, l'Européen qui bravant les tempêtes de l'océan, avait abordé sur ces rivages. Oh! ton amour, jeune fille, qu'il sera beau, qu'il sera pur!

Je n'ai pu, messieurs, tracer que faiblement la route que nous devons suivre, si nous voulons avoir une littérature à nous, une littérature canadienne; mais j'ose me flatter que vous voudrez bien suppléer vous-mêmes à ce qu'il pourrait y avoir d'insuffisant et de défectueux dans cet essai. Je voulais indiquer le moyen que je pensais le plus propre à vaincre cette indifférence funeste qui, accueillant l'écrivain à son début, bien souvent lui faisait abandonner la carrière littéraire; je voulais lui faire un horizon plus étendu, agrandir le cercle étroit qui devait jusqu'ici borner son ambition, et lui montrer le monde entier pour théâtre de sa gloire. Nous avons le bonheur de parler une langue que possèdent les personnes instruites de l'Europe presqu'entière; partout où parviendront la langue et la littérature françaises, nous pourrons espérer de voir notre œuvre y parvenir, sous l'égide de ses aînées. Et lorsque quelqu'un de nous plus favorisé du ciel, aura élevé quelque monument littéraire, digne d'être offert à notre ancienne patrie, comme le descendant d'Agar, l'Ismaélite séparé de sa famille, mais se rappelant son origine, il le présentera à la France, la priant d'ajouter ce fleuron à son couronne littéraire.

Pour moi, messieurs, je m'estimerai heureux si j'ai pu laisser sur la route, quelques traces qui puissent aider dans leur marche d'autres voyageurs plus hardis.

L. A. OLIVIER (1).

1845.

DE L'HABITUDE DE SALUER LES PASSANTS.

Les manières sont l'indice le plus frappant et le plus certain du caractère et de la pensée d'un peuple. Elles sont la peinture de ses mœurs. En effet, tout sentiment généralement éprouvé toute opinion commune, tout préjugé public, influe sur les habitudes extérieures et se reflète dans les actes de celui qui le partage; tellement que l'examen des pratiques journalières des membres isolés d'une société la fait mieux connaître, la dévoile plus clairement que l'étude de ses institutions écrites et de ses faits collectifs. Il y a toujours un certain nombre de personnes qui s'éloignent du type commun et ont des manières différentes de celles de leurs compatriotes; quelques-unes encore ont un maintien si peu tranché, qu'on ne saurait jamais deviner à quelle nation elles appartiennent; on les prendrait en tout pays, même dans le leur, pour des étrangers. Mais ces exceptions ne s'appliquent qu'à l'individu ; des manières communes à un peuple entier ne sauraient être trompeuses, aussi sont-ce les pratiqnes extérieures les plus universellement répandues qui présentent le plus fidèlement l'image de son caractère et de son état social.

Comme les autres peuples, le Canadien se peint dans ses manières. Entre autres l'habitude de saluer les passants, si fidèlement observée dans nos campagnes, frappe les étrangers an seuil même de notre pays. Parcourez le Canada français d'un bout à l'autre, qui que vous soyez,

(1) M. Olivier est avocat du barreau de Montréal, et rédacteur de l'Echo des Campagnes.

il vous semblera que tous vous connaissent; uniformément chaque personne que vous rencontrerez ôtera son chapeau en signe de respect et d'amitié, et vous apercevrez sur la figure de l'inconnu et du voyageur qui passe près de vous l'expression de la bienveillance. Vous serez vous-même forcé, après quelque temps, de convenir que vous passeriez pour un homme mal élevé, si vous n'en faisiez autant et si, conformément à l'usage reçu, vous n'étiez le premier à saluer les femmes; vous verrez aussi que cette coutume est universelle, commune à tous et réciproque aux grands et aux petits, aux riches et aux pauvres, à la vieillesse et au jeune âge.

Cet échange d'égards et de civilités qui paraît particulier à notre pays, ce salut si futile en apparence et si peu réfléchi, exprime cependant une des pensées les plus profondes, un des plus nobles sentiments qui puissent animer un peuple. Les grandes pensées viennent du cœur, dit Vauvenargues, et que dit le cœur les hommes sont tous frères et tous égaux. Voilà la pensée qui engage le canadien à saluer son compatriote et l'étranger, l'inconnu et l'ami, à ôter son chapeau lorsque passe le riche ou l'indigent. Il fait ce que son cœur lui dit, ce que son âme lui inspire. Cet homme, ce voyageur m'est inconnu, dit-il, mais il est peut-être malheureux; qu'il soit consolé, il verra qu'il n'est pas seul sur la terre, que d'autres pensent à lui; et il lui souhaite le bonjour. Cet autre peut-être est un ami encore inconnu mais qu'il trouvera dans d'autres temps; il le salue pour lui dire qu'il est maintenant le sien et l'inviter par ce signe à reclamer son aide. Est-ce un homme puissant, un riche, qu'il sache que le canadien n'envie ni son rang ni sa fortune. Au pauvre, au malheureux, il dira le front découvert : que Dieu te bénisse, frappe et tu trouveras un abri sous mon toit. Voilà ce que veut dire le salut donné aux passants; c'est l'expression de la confraternité, de la justice et de l'égalité qui distinguent les canadiens. Cet usage indique aussi la persuasion de l'égalité entre tous les hommes, c'est une protestation de chaque instant, de tout un peuple, contre ces distinctions sociales qui

s'établissent au hasard, qui attribuent aveuglément, aux uns la fortune et la considération, aux autres le mépris et la misère; et cette idée de l'égalité est commune à tous les canadiens aussi bien que l'estime qu'ils ont pour toute personne en quelque position qu'elle se trouve placée. Chez la plupart des peuples, on se dit en parlant des autres hommes: je suis autant que vous, et l'on craindrait de perdre de son importance en leur témoignant le moindre respect; c'est l'orgueil et l'égoïsme, et la préférence de soi-même qui inspirent ce sentiment; n'est-il pas plus digne, plus généreux en saluant le passant comme font les canadiens, de dire: vous êtes autant que moi, je vous estime à l'égal de moi-même ?

Cette habitude de saluer tout le monde indistinctement a encore sa source dans un sentiment religieux et appartient à la plus haute philosophie. L'homme est sur cette terre celui de tous les êtres qui se rapproche le plus de la divinité. Il a été créé à son image, et son âme est le souffle de Dieu. Si sa nature est tellement élevée, si la meilleure partie de lui-même a une origine aussi sublime, ne mérite-t-il pas tous les égards? n'est-il pas digne de tous les respects? et honorer l'humanité, honorer l'homme n'est pas rendre hommage à son créateur. En effet l'esprit de Dieu est partout vivant dans l'humanité; chez le bon et le méchant, chez le grand et le petit, chez l'enfant nouvellement mis sur la terre, chez le vieillard prêt à remonter vers son auteur, chez la femme qui, plus souvent que nous, pense à Dieu, et s'élève davantage vers lui en l'adorant avec plus de ferveur. Il semble donc que tous les hommes quels qu'ils soient, ont droit à notre respect; cette consiration, mes amis, aussi bien que la vénération due à nos anciens usages, vous engagera à faire comme jusqu'ici, à conserver l'habitude de saluer les passants.

GUIL. LEVESQUE (1).

(1) M. Guil. Levesque est avocat du barreau de Québec. Il fut un de ceux qui furent condamnés à mort par la cour martiale de Sir John Colborne, pour avoir pris part au mouvement insurrectionnel de 1838. Son jeune âge, il n'avait alors que dix-neuf ans, le fit gracié, mais à condition qu'il irait vivre à cent lieues de la frontière.

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