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Il connaissait alors quelle était ma tendresse ;
Aujourd'hui, pourquoi donc m'accuser de bassesse ?
Mais n'importe, mon cœur le chérira toujours,
Et quand même il faudra pour conserver ses jours
D'un zèle trop ardent risquer d'être victime,
J'affronterais les feux, je braverais l'abîme;
Plein de crainte et d'amour, ne sachant résister,
Pour le sauver, partout on me verrait jeter.
Oui, si je vous voyais terrassé par la rage
D'un animal féroce ou d'un monstre sauvage,
Pour appaiser sa faim et conserver vos ans,
J'irais m'offrir moi-même à ses cruelles dents.
Enfin, demandez-moi tout ce qui se peut faire
Sans altérer les traits d'un noble caractère,
Parlez, je vous le jure à la face des cieux,
Mon père, en l'accordant, je serai trop heureux.
RICHARD

Mais l'amour filial peut-il avoir un terme?

ROGER.

Oui, certes, je le pense, et je dois rester ferme,
Si pour plaire à l'objet de mon affection

Je ne suis qu'un ingrat envers ma nation;
S'il faut perdre ma gloire, à tant de frais acquise,
Exposer le succès d'une noble entreprise,
Trahir une patrie et ne la plus revoir,
Enfin, s'il faut manquer au plus sacré devoir.
LE PERE.

Roger, tu vas trop loin; ce coin de l'Acadie,
Ce terroir hérissé, ce sol de barbarie
Que la France naguère a commis à ton bras,
Voilà ce que je veux: ne me rebute pas.
J'ai soigné ton enfance, et pendant vingt années
Mes soins te préparaient d'heureuses destinées.

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gage si chéri de mon premier amour,

Quand j'ai perdu ce sein qui t'a donné le jour,

Ah! oui, je m'en souviens, quand ta mère expirante Me

pressa sur son cœur de sa main défaillante,

Et voulut m'embrasser pour la dernière fois,
Elle pleura longtemps, et sa mourante voix
Proféra pour adieu cette seule parole:

Mon cher époux, je meurs... que Roger te console...
O Roger... ô mon fils... regarde vers les cieux!
Ta mère y prie encor, rends-toi donc à mes vœux,

Toi qui dois m'adoucir les peines de ce monde...
ROGER.

Ah! cessez, ma douleur est déjà trop profonde.
Ne pleurez plus, pourquoi chercher à m'attendrir?
Je vous chéris encore et je veux vous chérir,
Et je ferai pour vous tout ce qu'on peut attendre
De l'ami le plus cher, et du fils le plus tendre.
Que voulez-vous de plus? pour avoir votre amour
Faudra-t-il mériter de ne plus voir le jour ?

GARAKONTHIE.

Ton cœur est un grand cœur et tu n'es pas un traître. RICHARD.

Songez du moins, Roger, que votre père est maître.

LE PERE.

Pense aux maux effrayants qui vont fondre sur toi; Pense au bien que tu peux t'acquérir près de moi.

ROGER.

Vainement voudrait-on me déclarer la guerre,
En vain l'on m'offrirait le reste de la terre,
Non tant que je vivrai, ce fort et ce pays
Seront soumis, mon père, aux armes de Louis.
LE PERE.

Où prends-tu, fils ingrat, une telle insolence?
Tu veux, je le vois bien, provoquer ma vengeance,
Tu voudrais m'irriter; cruel, ne sais-tu pas
Que mes vaisseaux au port sont remplis de soldats ?
RICHARD.

Réfléchissez, Roger... s'il faut que votre père
Fasse aux plus doux transports succéder la colère...
Mais non, songez plutôt, songez à son amour...
Peut-être il va demain vous quitter sans retour.
Ne vous abusez pas; vous lui devez la vie,
Lui refuseriez-vous ce coin de l'Acadie?
Mais il est temps, je crois, de prendre du repos.
La nuit qui des humains fait oublier les maux,
La nuit sur l'univers étend son noir empire;
Allons, reposons-nous, et que Dieu vous inspire
De pieux sentiments pendant votre sommeil,
Et faites-nous-en part après votre réveil.

Fin du premier acte

CHANSON.

AIR: La Brigantine.

O perfidie,

Fuis loin de moi,
Puisque ma vie
N'est pas pour toi.
O France chérie,
J'irais te trahir!
Non, ma patrie,
Plutôt mourir.

Douce nature,
J'entends tes cris,

Ta voix si pure,
Ah! j'en frémis.
Mais, France chérie

Faut-il te trahir!
Non, ma patrie,

Plutôt mourir.

La mort apprête
Ses dards, ses feux,

Voilà ma tête

Devant ses yeux.
Car, France chérie,
Puis-je te trahir!
Non, ma patrie,

Plutôt mourir.

ACTE SECOND.

SCENE I.

LE PERE, RICHARD, RAYMOND.

LE PERE.

Je n'ai pu résister dans cette inquiétude,
Je veux enfin sortir de mon incertitude.
Le calme de la nuit règne encore en ces lieux,
Rien ne viendra troubler nos moments précieux,
Parlons en sûreté. Dites-moi que prétendre ?
Albion envers moi sera-t-elle plus tendre?
Pourra-t-elle accorder un pardon généreux
A celui que son fils éloigne de ses yeux ?
Non, chez ce peuple fier si je retourne encore,
Je serai rejeté, car je sais qu'il abhorre
Celui qui par malheur trompe ses intérêts.
J'ai prêté devant lui des serments indiscrets:

Mais, vous le savez tous, qui pouvait me restreindre?
De la part de Roger pouvais-je avoir à craindre,
Lui dont le naturel ainsi que les vertus

Excitaient des respects que je lui croyais dus?
Déception funeste! eh! n'est-ce pas un rêve ?...
Peut-on penser ainsi de votre aimable élève ?.....
Ah! s'il venait, Richard, s'il venait devant nous
Abjurer ses serments, tomber à nos genoux...
Nous serions soulagés du poids qui nous accable.
Mais, non, ce fils cruel, non, cette âme indomptable,
Quand même je serais le plus puissant des rois,
Aimerait mieux périr que d'écouter ma voix.
Cruel renversement!... tant de trouble à mon âge!...
Pour ne pas succomber j'ai besoin de courage...
Etre dans l'infortune, et presque sans amis !...
RAYMOND.

Perdez-vous tout espoir? ah! seigneur, si mon fils,
Pour moi, comme Roger, devenait inflexible,
Je saurais parvenir à le rendre sensible;
Car à la voix du sang l'on ne peut résister,
Vous êtes père enfin et ne pouvez douter
Que Roger, malgré lui, n'exauce vos prières,
Si vos désirs, seigneur, lui semblent nécessaires.

LE PERE.

Mais quand même il voudrait, cette foule d'amis,
Ces affreux conseillers dont il suit les avis,
Vous les verriez bientôt l'accabler de menaces,
Le faire revenir à ses premières traces.
Ces méchants contre moi lui prêtent leur appui.
Peut-être maintenant sont-ils auprès de lui:
Ils l'entourent sans cesse et le rendent féroce.
RAYMOND.

Ne leur supposons point ce caractère atroce;
Je les connais, seigneur, ils sont hommes de bien.
En outre, votre fils ne les écoute en rien;

Il a son sentiment, et son âme trop grande
Ne peut jamais souffrir qu'un autre la commande.
Je ne puis m'empêcher de vous le dire encor:
Votre fils vers l'honneur a déjà pris l'essor.
C'est à ce noble objet que son cœur se dévoue.
Je ne puis le haïr, il faut que je l'avoue:
Je combats ses raisons, mais je l'aime en secret,
Sur moi tout ce qu'il dit produit plus d'un effet.
Sans y trop réfléchir je vous ai dit peut-être....`

RICHARD.

Oui, qu'il était pieux, Roger que j'ai vu naître,
Roger que j'ai formé, que mon cœur aimait tant.
Peut-être croit-il suivre en nous contrariant
L'ordre de son devoir et de sa conscience.
Ah! s'il en est ainsi, sortons donc du silence,
Détrompons-le, faisons les plus puissants efforts,
Montrons-lui sans délai ses erreurs et ses torts.
LE PERE.

N'avons-nous pas choisi la route la plus sûre!
Nous avons fait parler la raison, la nature;
Ce fut en vain: Roger resta sourd à leurs voix.
Que faire maintenant ? nous n'avons plus de choix,
Les armes, le combat, voilà notre refuge.

Je ne saurais souffrir que mon fils soit mon juge.
Et je vais lui montrer que je ne plîrai pas.

RAYMOND.

Seigneur, allez plutôt vous jeter dans ses bras,
Comme un père coupable implorer votre grâce.
Car je connais Roger; il défendra la place,
Et vos vaillants soldats, longtemps triomphateurs,
Trouveront des rivaux, peut-être des vainqueurs.
Le Canadien est brave; il donnera sa vie,
Pourvu qu'il soit fidèle à sa mère-patrie :
Oui, l'enfant de ce sol est tout plein de valeur,
Le sang de ses aïeux bouillonne dans son cœur.

LE PERE.

Sous l'effort du grand nombre il faudra bien qu'il plie. RAYMOND.

Mais soyez sûr au moins qu'il vendra cher sa vie.

LE PERE.

N'importe, on sentira ce que peut mon courroux.
RICHARD.

Mais, Roger... votre fils... Seigneur, y pensez-vous?

LE PERE.

Ah! c'est lui, c'est Roger qui provoque mes armes,
Oui, c'est un fils chéri qui cause mes alarmes!
Mais, parlez, dites-moi tous vos pressentiments;
Pensez-vous que Roger gardera ses serments?
Malgré tant de refus puis-je avoir l'espérance
D'ébranler tant soit peu sa terrible constance?
Pour moi, je vous le dis, je crois voir clairement
Que tout restera vain sur un cœur si constant.

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