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Et des fleuves français les eaux ensanglantées,
Ne portaient que des morts aux mers épouvantées.

Longin, dans son Traité du Sublime, cite comme une expression ampoulée: Vomir contre le ciel; mais si l'on dit de Typhoé, qu'il a vomi contre le ciel

Les restes enflammés de sa rage mourante.

l'expression est naturelle.

Dans la tragédie de Théophile, Pyrame, croyant qu'un lion a dévoré Thisbé, s'adresse à ce lion, et lui dit :

Toi, son vivant cercueil, reviens me dévorer.
Cruel lion, reviens; je te veux adorer.

S'il faut que ma déesse en ton sang se confonde,
Je te tiens pour l'autel le plus sacré du monde.

Voilà ce qui s'appelle de l'ampoulé : l'exagération en est risible à force d'être extravagante. En général, le ridicule touche au, sublime, et pour marcher sur la limite qui les sépare sans la passer jamais, il faut bien prendre garde à soi. «< Dans le haut style, nous dit Longin, rien de si difficile à éviter que l'enflure. »

Mais c'est une erreur de penser que les degrés d'élévation du style soient marqués pour les divers genres. Dans le poëme didactique, le plus tempéré de tous, Lucrèce et Virgile se sont élevés aussi haut qu'aucun poëte dans l'épopée.

Lucrèce a dit d'Épicure : « Ni ces dieux, ni

leurs foudres, ni le bruit menaçant du ciel en courroux ne purent l'étonner. Son courage s'irrita contre les obstacles. Impatient de briser l'étroite enceinte de la nature, son génie vainqueur s'élança au-delà des bornes enflammées du monde, et parcourut à pas de géant les plaines de l'immensité. »

On sait de quel pinceau Virgile, dans les Géorgiques, a peint le meurtre de César.

La Fontaine lui-même, dans l'apologue, a pris quelquefois le plus haut ton: il a osé dire du chêne,

Celui de qui la tête au ciel était voisine,

Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.

Il a osé dire, en parlant de l'astrologie:

Quant aux volontés souveraines

De celui qui fait tout, et rien qu'avec dessein;
Qui les sait, que lui seul? Comment lire en son sein?
Aurait-il imprimé sur le front des étoiles

Ce que la nuit des temps enferme dans ses voiles?

Et de ce ton sublime il se rabaisse au ton familier.

Quand l'enfer eut produit la goutte et l'araignée,
Mes filles, leur dit-il, etc.

Le naturel et la vérité sont de l'essence de tous les genres: il n'en est aucun qui n'admette le plus haut style, quand le sujet l'élève et le soutient; il n'en est aucun où de grands mots

vides de sens, des figures exagérées, des images qui donnent un corps gigantesque à de petites pensées, ne fassent de l'enflure, et ne forment ce qu'on appelle un style ampoulé.

L'épopée, la tragédie, l'ode elle-même, ne demandent plus de force et plus de hauteur dans les idées, les sentiments, et les images, qu'autant que les sujets qu'elles traitent en sont plus susceptibles, et que les personnages qu'elles emploient sont supposés avoir plus de grandeur dans l'ame et d'élévation dans l'esprit.

Il en est de même de la haute éloquence: tout doit y être vrai, ou ressemblant au vrai; et nonseulement les figures, mais les mouvements oratoires sont tous soumis à cette règle. Métaphore, exclamation, imprécation, apostrophe, prosopopée, hypotipose, tout ce qu'il y a de plus véhément devient froid; tout ce qu'il y a de plus noble et de plus sérieux devient grotesque et ridicule, dès que le faux, l'outré, l'enflure enfin s'y fait apercevoir. Or la vérité relative dont il s'agit, est dans le rapport de proportion, non-seulement du style avec la chose, mais du style avec la personne dont on parle, ou qui parle elle-même. Rien n'est si accablant dans la réplique que le ridicule jeté sur une emphase déplacée. C'est à cette disconvenance du langage avec l'orateur que Démosthène s'est attaché dans sa harangue pour la couronne, en réfutant la péroraison d'Eschine, son accusateur.

Élém. de Littér. I

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« O terre! ô soleil! ô vertu! avait dit Eschine; et vous, sources du juste discernement, lumières naturelles, lumières acquises, par où nous démêlons le bien d'avec le mal, je vous en atteste : j'ai de mon mieux secouru l'État, et de mon mieux plaidé sa cause. >>

Ce n'était là qu'un lieu commun, qu'une déclamation ampoulée, que la conduite et les mœurs d'Eschine ne rendaient pas fort imposante. Aussi de quel ton Démosthène y répondit!

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Que pensez-vous, dit-il aux juges, de cet histrion travesti, qui, comme dans une pièce tragique, s'écrie: O terre! ó soleil! ó vertu! qui invoque les lumières naturelles et les lumières acquises, qui nous éclairent sur le discernement du bien et du mal? car je ne surfais point; vous l'avez entendu proférer de telles paroles. Vous, Eschine, le réceptacle de tous les vices, par où, vous et les vôtres, avez-vous quelque commerce avec la vertu? par où discernez-vous le bien d'avec le mal? dans quelle source avez-vous puisé ce talent lumineux? par quel endroit l'avez-vous mérité? et de quel droit prononcez-vous le nom de lumières acquises? >>

On voit par cet exemple, qu'une raison solide vaut mieux que cent exclamations vagues : flèches bruyantes, mais émoussées, qu'on se renvoie tour-à-tour, et qui ne portent aucune atteinte. Qu'il me soit permis d'achever en deux mots cette métaphore, et de conclure qu'il ne

suffit pas qu'un trait d'éloquence ait des plumes, qu'il faut encore qu'il soit armé d'un fer bien aiguisé, qu'il ait un vol mesuré à son but, qu'une main sûre le décoche, et qu'un oeil juste le conduise. Mais cette justesse est l'accord le plus rare du génie et de la raison.

ANACREONTIQUE. Genre de poésie lyrique dont la grâce est le caractère, et qui respire la volupté.

Qu'Horace ait imité Anacréon dans quelquesunes de ses odes; que, dans un siècle non moins poli que celui d'Auguste, quelques-uns de nos poëtes français, parmi les délices des festins et les plaisirs de la galanterie, aient eu, dans leurs chansons, cet enjouement, ce tour élégant et facile, ce naturel, cet abandon aimable de la poésie anacréontique, on n'en est point surpris; mais que, long-temps åvant que la politesse eût formé le goût, l'on trouve dans nos anciens poëtes des morceaux dignes d'Anacréon; c'est là ce qui étonne agréablement, comme lorsque dans un hameau on rencontre la grâce, fille de la nature, unie à la rusticité. Quoi de plus anacréontique, par exemple, que ce songe de Marot?

La nuit passée, en mon lit, je songeoie
Qu'entre mes bras vous tenais nu à nu;
Mais au réveil se rabaissa la joie
De mon désir, en dormant avenu.

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