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Corneille, dans sa vieillesse, essaya d'écrire la tragédie d'Agésilas en vers entremêlés et de différente mesure. Ce faible ouvrage n'était pas fait pour servir de modèle; l'essai ne fut point imité. M. de Voltaire a croisé les vers de la tragédie de Tancrède; et au moins cette singularité n'at-elle pas nui au succès de la pièce, l'une des plus intéressantes du plus pathétique de nos poëtes.

Dans le conte charmant des Trois Manières, le même poëte a employé, avec choix, trois mètres différents, et analogues aux caractères des personnages et des sujets. C'est là qu'en comparant le vers de dix syllabes à celui de douze, il dit, dans le style de Despréaux :

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En mètres qui n'étaient ni trop longs ni trop courts.
Dix syllabes, par vers, mollement arrangées,
Se suivaient avec art, et semblaient négligées.
Le rhythme en est facile; il est mélodieux.
L'hexamètre est plus beau, mais par-fois ennuyeux.

La plus petite suspension suffit au milieu du vers héroïque français pour le diviser en deux parties égales; c'est assez qu'il n'y ait pas, d'un hémistiche à l'autre, une continuité absolue dans le sens; mais indépendamment de ce repos que la règle prescrit, les poëtes qui ont de l'oreille savent de temps en temps couper différemment le vers pour en varier la cadence.

Je fuis. Ainsi le veut la fortune ennemie...........
Je suis vaincu. Pompée a saisi l'avantage
D'une nuit qui laissait peu de place au courage.
(Mithridate.)

Voilà mon cœur. C'est là que ta main doit frapper.
Impatient déja d'expier son offense,

Au-devant de ton bras je le sens qui s'avance.
Frappe. (Phedre.)

C'est sur-tout dans la coupe des phrases et dans l'heureux mélange des incises et des périodes, que consiste l'art de varier l'harmonie et le mouvement des vers alexandrins; et ce secret, qu'on ne peut expliquer, ne s'apprend bien qu'en lisant les bons poëtes, et sur-tout Racine et Voltaire. Voyez l'article VERS.

ALLEGORIE. On n'a pas assez distingué l'allégorie d'avec l'apologue ou la fable morale.

Le mérite de l'apologue est de cacher le sens moral, ou la vérité qu'il renferme, jusqu'au moment de la conclusion, qu'on appelle moralité.

Le mérite de l'allégorie est de n'avoir pas besoin d'expliquer la vérité qu'elle enveloppe; elle la fait sentir à chaque trait par la justesse de ses rapports.

L'apologue, par sa naïveté, doit ressembler à un conte puéril, afin d'étonner davantage, lorsqu'il finit par être une grande leçon. Son artifice consiste à déguiser son dessein, et à nous pré

senter des vérités utiles sous l'appât d'un mensonge frivole et amusant. C'est Socrate qui joue l'homme simple, au lieu de se donner pour sage.

L'allégorie, avec moins de finesse, se propose, non pas de déguiser, mais d'embellir la vérité et de la rendre plus sensible. C'est, comme on l'a très-bien dit, une métaphore continuée. Or une qualité essentielle de la métaphore est d'être transparente; il fallait donc aussi donner pour qualité distinctive à l'allégorie cette clarté, cette transparence qui laisse voir la vérité, et qui ne l'obscurcit jamais.

Les détours, comme je l'ai dit, sont convenables à l'apologue: sans perdre son objet de vue, il feint de s'amuser et de s'égarer en chemin; il fait même quelquefois semblant de s'occuper sérieusement de détails qui n'ont aucun trait au sens moral qu'il se propose; c'est le grand art de La Fontaine.

Il n'en est pas de même de l'allégorie; on la voit sans cesse occupée à rendre son objet sensible, écartant, comme des nuages, tout ce qui altère la justesse de l'allusion et des rapports.

Quelquefois, dans l'apologue, la justesse des rapports est aussi précise que dans l'allégorie; mais alors, en se rapprochant de celle-ci, l'apologue s'éloigne de son vrai caractère, qui consiste à faire un jeu d'une leçon de sagesse, et à ne laisser apercevoir son but qu'au moment qu'on y est arrivé.

L'allégorie est quelquefois aussi une façon de présenter avec ménagement une vérité qui offenserait si on l'exposait toute nue; mais elle la déguise moins : c'est un conseil discrètement donné, mais dont celui qu'il intéresse ne peut manquer de sentir à chaque trait l'application. L'ode d'Horace tant de fois citée,

O navis, referent in mare te novi fluctus,

en est l'exemple et le modèle. Entre un vaisseau et la république, entre la guerre civile et une mer orageuse, tous les rapports sont si frappants, les Romains ne pouvaient s'y méprendre; et la vérité n'eut jamais de voile plus fin ni plus clair.

que

Quintilien, en nous disant que l'allégorie renferme un sens caché, ajoute que ce sens est quelquefois tout contraire à celui qu'elle présente d'abord; mais il ne nous donne aucun exemple de cette contrariété, et je ne crois pas qu'il en existe. L'allégorie, par sa ressemblance et par la justesse de ses rapports, doit toujours laisser entrevoir la vérité qu'elle enveloppe. Son objet est manqué si l'esprit s'y trompe, ou si, satisfait d'en apercevoir la surface, il ne désire pas autre chose, et n'en pénètre pas le fond.

C'est ce qui arrive toutes les fois que l'allégorie peut être elle-même une vérité assez intéressante pour laisser croire que le poëte n'a voulu dire que ce qu'il a dit; car rien n'empêche alors

l'esprit de s'y arrêter, sans rien soupçonner audelà; et c'est pourquoi il est souvent si difficile de décider si la fiction est allégorique, ou si elle ne l'est pas.

Que de l'exemple d'une action épique, il y ait quelque vérité morale à déduire (ce qui arrive naturellement sans que le poëte y ait pensé), le père le Bossu en infère que la fable du poëme épique est une allégorie, un apologue. Il va plus loin; il veut que la vérité morale soit d'abord inventée, qu'après cela on imagine un fait qui en soit la preuve et l'exemple, et qu'on ne nomme les personnages qu'après avoir disposé l'action. Assurément ce n'est pas ainsi qu'Homère et Virgile ont conçu l'idée et le plan de leurs poëmes.

Plutarque a raison de comparer les fictions poétiques aux feuilles de vigne sous lesquelles le raisin doit être caché; mais toutes les fois que le sujet en lui-même a son utilité morale, c'est un raffinement puéril que d'y chercher un sens mystérieux.

Ce n'est pas que, dans les poëmes épiques, et particulièrement dans ceux d'Homère, il n'y ait bien des détails où l'allégorie est sensible; et alors la vérité voilée y perce de façon à frapper tous les yeux: telle est l'image des prières, tel est l'ingénieux épisode de la ceinture de Vénus. Mais regarder l'Iliade comme une allégorie continue, c'est attribuer à Homère des rêves qu'il n'a jamais faits.

Élém. de Littér. I.

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