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LIVRE VINGT-QUATRIÈME.

Histoire naturelle du christianisme. Autrement : à raisonner, d'après deux faits bien notoires, quelle est la manière la plus naturelle d'expliquer le christianisme et son histoire?

II Ꭹ a deux faits connus de tout le monde : l'un nous est attesté par les chrétiens, par les Juifs et par les païens; l'autre, nous le voyons de nos yeux.

Le premier, c'est que Jésus-Christ est un Juif crucifié. Tous les auteurs chrétiens, à remonter de nous jusqu'aux apôtres, nous l'apprennent d'une voix unanime; les Juifs, ennemis des chrétiens, disent la même chose dans leur Talmud; et on lit, dans leur historien Josèphe, que Jésus, plus connu sous le nom de Christ, fut puni du supplice de la croix 1. Les païens parlent comme les chrétiens et les Juifs. Tacite rapporte que le Christ, auteur des chrétiens, fut puni du dernier supplice, sous le règne de Tibère, par Ponce-Pilate, gouverneur de la Judée 2. Le philosophe Celse dit que le maître des chrétiens a été cloué à la croix 3. L'empereur Julien leur reproche de quitter les dieux éternels, pour adorer le bois de la croix et un Juif mort dessus 4. Un Juif crucifié, voilà donc le premier fait.

Le second fait, que nous voyons de nos yeux, c'est que l'univers est chrétien, c'est que l'univers adore comme son Dieu ce Juif crucifié. Le premier de ces faits est la cause du second, et le second est l'effet du premier.

Voici donc le problème. Comment une pareille cause a-t-elle pu produire un pareil effet; comment un pareil effet a-t-il pu sortir d'une pareille cause? comment l'univers a-t-il pu être amené à adorer un Juif crucifié, et, adorant ce Juif crucifié, devenir ce qu'il est devenu? Expliquez cela d'une manière que la raison humaine y conçoive une exacte proportion entre la cause et l'effet, entre l'effet et la cause.

Pour nous faciliter la solution, considérons d'abord bien l'effet, le résultat qui est plus près de nous. Qu'est-ce à dire que l'univers

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est chrétien? Pour le comprendre, voyons ce qu'était l'univers païen. Comparons l'un avec l'autre. Et, pour plus de sûreté, comparons ce que l'univers païen a produit de plus grand, de plus parfait, de plus sublime, en fait de religion, de morale et de société, avec ce qui est commun et vulgaire dans l'univers chrétien.

De toutes les nations païennes, la plus intelligente et la plus spirituelle, c'étaient les Grecs; de tous les peuples de la Grèce, le plus spirituel étaient les Athéniens; de tous les citoyens d'Athènes, les plus spirituels étaient Socrate et Platon, le maître et le disciple, qui même n'en font qu'un. De sorte que Platon et Socrate, c'est la raison païenne élevée à sa plus haute puissance.

Or, cherchant à établir la première et la plus importante de toutes les vérités, l'existence et la nature de l'Etre suprême, Platon disait : « Quant au Créateur et au Père de cet univers, il est difficile de le trouver, et quand on l'a trouvé, il est impossible de le dire au public 1. » Et de fait, son maître Socrate, dans le moment le plus solennel de sa vie, interrogé par les magistrats de la cité, n'a pas su ou pas osé s'expliquer nettement sur cet article. Et partout, le public, le peuple chrétien chante à la messe : Credo in unum Deum, Patrem omnipotentem: Je crois en un seul Dieu, Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, de toutes les choses visibles et des invisibles. Et ce que l'enfant même chante avec tout le peuple, il en entend l'explication au catéchisme : recueil, instruction, qui nous paraît de toutes les choses la plus simple, mais qui, par sa clarté, sa simplicité même, surtout par son ensemble religieux et moral, eût ravi d'admiration Socrate et Platon. L'enfant donc entend dans le catéchisme : « Au commencement et avant tous les siècles, de toute éternité, Dieu était; et il était Père, Fils et Saint-Esprit, un seul Dieu en trois personnes, Esprit bienheureux et tout-puissant. Parce qu'il est bienheureux, il n'a besoin que de lui-même; et parce qu'il est tout-puissant, de rien il peut créer tout ce qui lui plaît. Ainsi, rien n'était que Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit; tout le reste, que nous voyons et que nous ne voyons pas, n'était rien du tout. Dieu créa donc au commencement le ciel et la terre, les choses visibles et invisibles, la créature spirituelle et la corporelle, et l'ange aussi bien que l'homme. Dieu commanda, et tout sortit du néant à sa parole. Il n'eut qu'à vouloir, et aussitôt tout fut créé, et chaque chose rangée à sa place; la lumière, le firmament, le soleil, la lune, les astres, la terre et les plantes, les animaux, et enfin l'homme. Il lui plut de

la

mer,

Timée, t. 9, edit. bip., p. 303.

faire le monde en six jours; à la fin du sixième jour, il fit l'homme à son image et ressemblance, en lui créant une âme capable d'intelligence et d'amour; et il voulut qu'il fût éternellement heureux, s'il s'appliquait tout entier à connaître et aimer son Créateur; en même temps, il lui donna la grâce de le pouvoir faire; et le bonheur éternel de l'homme devait être de posséder Dieu qui l'avait créé. S'il n'eût point péché, il n'eût point connu la mort; et Dieu avait résolu de le conserver immortel en corps et en âme 1. >>

Enfin, ce que ni Socrate ni Platon n'ont osé dire ouvertement, la vanité des idoles, les femmes et les servantes mêmes la procla– ment, en chantant à vêpres : « Notre Dieu est dans le ciel; tout ce qu'il a voulu, il l'a fait. Les idoles des païens, c'est de l'or et de l'argent, ouvrage de la main des hommes. Elles ont une bouche, et ne parlent point; elles ont des yeux, et ne voient point; elles ont des oreilles, et n'entendent pas; elles ont des narines, et ne sentent pas; elles ont des mains, et ne touchent pas; des pieds, et elles ne marchent pas ; et leur gosier ne rend point de son. Leur deviennent semblables, et ceux qui les font, et ceux qui se confient en elles 2! »

Interrogé par Denys, roi de Syracuse, sur la nature du premier Etre, Platon parle d'un second personnage en Dieu, mais en termes énigmatiques, de peur que sa lettre, si elle tombait entre les.mains de quelque autre, ne pût être comprise. Et partout le peuple chrétien publie ce grand mystère, lorsqu'il chante dans le symbole : Et in unum Dominum : Je crois aussi en un seul Seigneur, JésusChrist, Fils unique de Dieu; né du Père avant tous les siècles; Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu; engendré, non fait, consubstantiel au Père; par qui toutes choses ont été faites; qui pour nous hommes, et pour notre salut, est descendu des cieux; et il s'est incarné, par l'opération du SaintEsprit, dans le sein de la vierge Marie; et il s'est fait homme. De plus, il a été crucifié pour nous sous Ponce-Pilate; il a souffert, et a été enseveli; et il est ressuscité le troisième jour, suivant les Ecritures; et il est monté au ciel, est assis à la droite du Père; et il viendra de nouveau avec gloire juger les vivants et les morts; et son règne n'aura point de fin.

Dans la même lettre au roi Denys, Platon parle d'un troisième personnage en Dieu; mais avec la même obscurité, avec la même peur d'être compris. Et partout le peuple chrétien élève la voix pour chanter: Et in Spiritum sanctum : Je crois pareillement au

1 Catéchisme de Meaux. 2 Ps. 115, 11-16.

Saint-Esprit, qui est aussi Seigneur et qui donne la vie ; qui procède du Père et du Fils; qui est adoré et glorifié conjointement avec le Père et le Fils; qui a parlé par les prophètes.

Au fond des traditions religieuses ou philosophiques de la Chine, de l'Inde et de l'Egypte, on retrouve, ainsi que nous l'avons vu, une notion plus ou moins imparfaite d'un Dieu suprême, à la fois un et trine; d'un rédempteur qui tient à la fois de Dieu et de l'homme. Enfin, dans les hiéroglyphes de l'Egypte, une croix est le symbole de la vie divine. Mais ces notions, mystérieuses de leur nature et par-dessus fort incomplètes, étaient exprimées dans un langage inaccessible au peuple, à qui les savants n'en communiquaient que des altérations grossières. Et aujourd'hui, en tout lieu, en tout temps, le peuple chrétien, hommes, femmes, enfants mêmes, se rappellent avec foi, espérance et amour ces adorables mystères; commencent et finissent leurs principales actions, au nom du Père, et du Fils, et du saint-Esprit, et par le signe de la rédemption et de la vie divine, s'unissant ainsi, en tout et par tout, à Dieu en trois personnes, par la grâce et la médiation du Rédempteur, le Fils de Dieu fait homme.

En considérant l'imperfection des sociétés et des lois humaines, Confucius, Platon, Cicéron, ainsi que nous l'avons vu ailleurs 1, concurent une société parfaite, où Dieu serait le souverain monarque'; sa raison, sa parole, la loi souveraine; et toutes les magistratures et toutes les lois humaines, subordonnées et assimilées à cette loi et à cette souveraineté divine. Confucius attendait pour cela la venue du Saint. Socrate ne l'espérait pour la terre que d'une faveur spéciale de la divinité. Cicéron, qui vivait quarante ans avant la naissance de Jésus-Christ, en parle comme d'une chose qui devait se réaliser un jour 2. Et par tout l'univers, et dans la patrie de Cicéron, et dans la patrie de Platon, et dans la patric de Confucius, le peuple chrétien chante cette divine société des hommes: Et unam, sanctam, catholicam et apostolicam Ecclesiam Je crois aussi l'Eglise qui est une, sainte, catholique et apostolique : une, dans sa foi et dans son gouvernement; sainte, dans sa doctrine, dans son culte et dans un grand nombre de ses membres; catholique ou universelle, embrassant tous les temps et tous les lieux; apostolique, descendant des apôtres, par la succession non interrompue de ses pasteurs. Eglise, société de Dieu avec les anges et les hommes qui lui ressemblent. Société dont le souverain monarque est Dieu, son Christ, le saint par excellence;

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dont la loi n'est autre que la raison divine, la sagesse éternelle, qui a créé l'univers et qui le gouverne, qui atteint d'une extrémité à l'autre avec force, et dispose tout avec douceur; loi véritable, non point asservie à d'inflexibles formules, non point ensevelie dans une écriture morte, mais vivant et régnant par la parole; loi une, sainte, universelle et perpétuelle, qui réunit tous les lieux et tous les temps, et le ciel et la terre, en une société une, sainte, universelle et perpétuelle, sous le Dieu tout-puissant.

Il n'y a de vraie société que celle-là; car, là seul, tous les esprits sont unis dans la même vérité, tous les cœurs dans la même charité, toutes les volontés dans l'espérance et la poursuite des mêmes biens: biens éternels, immuables, biens communs à tous et néanmoins propres à chacun, biens que tous et chacun peuvent posséder tout entiers; et, pour y parvenir, ils ont tous la même règle, la même piété envers Dieu, la même justice envers le prochain, la même pureté sur soi-même. Comparés à cette grande communion humaine, comme l'appelle Platon, à cette société universelle, qui seule a pour but direct les intérêts communs à tous les hommes: ce qu'on appelle des peuples et des nations, n'apparaissent plus et ne sont plus en effet que des associations locales pour des intérêts matériels et particuliers. Les lois qu'ils font dans cette vue ne sont pas des lois proprement dites, mais de simples règlements. Car, dit Cicéron, ce que décrètent les peuples suivant les temps et les circonstances, reçoit le nom de loi plus de la flatterie que de la réalité. Quant aux décrets injustes, ajoute-t-il, ils ne méritent pas plus le nom de lois que les complots des larrons. Platon tient le même langage 1.

Dans cette divine constitution de l'humanité, la forme de gouvernement est telle que la souhaitaient Platon et Cicéron 2. Ils en distinguent trois : le gouvernement d'un seul, le gouvernement de quelques-uns, le gouvernement du grand nombre. Tous les trois sont bons, quand la loi véritable y est observée ; quand elle ne l'est pas, tous les trois dégénèrent en tyrannie. Un quatrième leur paraît, surtout au consul romain, infiniment préférable, comme réunissant les avantages des trois autres, sans leurs dangers : c'est une monarchie tempérée d'aristocratie et de démocratie, c'est-à-dire un gouvernement tel, qu'un seul y ait une autorité générale et prééminente, que quelques-uns y participent néanmoins à un certain degré, et que la multitude même n'en soit pas tout-à-fait exclue.

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