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vouer hautement, et la convenance permet de dissimuler sous d'autres prétextes ce mobile unique. Mais chacun doit le laisser supposer d'une manière tacite, et celui qui ne veut pas permettre cette supposition est à la fois un arrogant et un hypocrite.

De ce principe généralement établi découle cette plainte commune partout répétée, partout imprimée, au sujet du petit nombre d'hommes honnêtes qui existent dans la nation. Comment donc, s'écrie-t-on, cet homme veut nous entretenir de ce qui est noble et beau! Comme il nous connaît peu! Que dans des plaisanteries sans goût il nous trace un portrait fidèle de notre vie frivole et triviale, voilà ce qui nous plaît, voilà à quelle condition il sera notre homme, et prouvera qu'il connaît son siècle. Nous reconnaissons bien nous-mêmes que ce que nous ne voulons pas est excellent, et que ce qui nous plaît est mauvais et misérable, et cependant c'est ce que nous voulons, car nous sommes ainsi faits. De ce principe découlent tous les reproches de pré-somption et d'impudence que les écrivains s'adressent réciproquement dans leurs écrits, et les hommes du monde dans leurs paroles. De là découlent tous ces traits d'esprit invariables et stéréotypés qui ont cours dans le public. Je

m'engage à ramener, à un millième près, tout ce trésor de plaisanteries ou à ce principe : il ne sait pas encore que tous les hommes sans exception ne valent pas grand'chose, ou à cet autre : il croit mieux valoir que nous tous, ou bien à tous les deux en même temps. Ordinairement ces deux principes sont réunis. Ainsi, dans l'opinion de cette majorité, le ridicule de l'annonce d'une méthode pour arriver à la vie bienheureuse ne consistait pas seulement dans ma croyance à la possibilité de donner une pareille méthode; mais à la possibilité de trouver des auditeurs, et des auditeurs qui revinssent à la seconde leçon, et qui eussent le ridicule d'y revenir dans un but sérieux.

La majorité vit continuellement dans cette supposition que les hommes ne valent pas mieux les uns que les autres; elle exige que chacun juge de la même manière; elle raille celui qui contredit ce jugement, lorsqu'on la laisse en belle humeur; elle s'irrite contre lui lorsqu'on la met en mauvaise humeur. Or, c'est ce qui arrive, par exemple, lorsque, comme nous le faisons ici, on se livre à des recherches profondes sur sa nature et sur ses principes; car, par cette supposition, la majorité devient méchante, profane, impie, et elle le devient d'autant plus qu'elle y persévère

plus longtemps. Au contraire, l'homme bon et honnête, quoiqu'il reconnaisse ses défauts et travaille sans cesse à les corriger, ne se croit pas radicalement mauvais; il ne se considère pas comme essentiellement méchant, car celui qui se reconnaît comme tel, et se résigne en conséquence à cette condition, celui-là est méchant par là même, et le demeurera toujours. A côté de ce qui lui manque, l'homme bon reconnaît ce qu'il possède, et il doit le reconnaître, car c'est précisément ce dont il doit se servir. Il est bien entendu qu'il ne se glorifie pas de ce qu'il possède, car celui qui a encore un soimême ne peut certainement avoir rien de bon en lui. S'il ne se croit pas lui-même mauvais, il ne croit pas non plus que les hommes avec qui il est en rapport sont essentiellement mauvais et misérables; mais il les croit bons, quelle que soit d'ailleurs son opinion théorique sur la société qui l'environne. Il n'a rien à faire avec ce qu'il y a en eux de pervers; mais seulement avec le bien caché qui se trouve nécessairement en eux à côté du mal. Il ne compte pas sur tout ce qui ne devrait pas se trouver en eux, et il procède comme si cela n'existait pas; au contraire, il compte fermement sur ce qui doit être en eux dans telle ou telle circonstance, comme sur quelque chose de nécessaire qu'il faut supposer, et

dont, sous aucune condition, on ne peut croire qu'ils soient dépourvus. Ainsi si l'homme bon veut enseigner, il ne s'adresse pas à la distraction; mais à l'attention seulement, car la distraction ne doit pas être; et, au bout du compte, il importe plus d'apprendre à être attentif que de retenir certaines thèses. Il ne veut pas ménager la frayeur qu'inspirent certaines vérités; il ne veut pas la calmer, mais il veut la braver; car cette peur ne doit pas exister, et il ne veut pas donner la vérité à qui ne pourrait pas la supporter. La fermeté du caractère serait encore préférable à la possession d'une vérité positive quelconque, encore me paraît-il impossible que sans cette fermeté de caractère on puisse posséder quelque chose qui ressemble à une vérité positive. Ne veut-il donc pas plaire et exercer une influence? Assurément, mais seulement par ce qui est vrai, par ce qui est dans la voie de l'ordre divin. Il ne veut absolument d'aucune autre manière ni plaire ni exercer de l'influence. La majorité suppose encore naïvement que certains hommes, d'ailleurs fort estimables, soit dans l'art, soit dans la science, soit dans la vie, voudraient lui plaire, mais ne savent pas comment s'y prendre, parce qu'ils ne la connaissent pas dans la profondeur de son esprit et de son caractère; elle suppose qu'il faut leur apprendre

comment on pourrait lui plaire. Ces bonnes gens ne savent donc pas que ces hommes les connaissent mieux et plus profondément que jamais ils ne pourront se connaître eux-mêmes, mais qu'ils ne veulent pas tenir compte de cette connaissance dans leurs rapports avec eux, parce que peu leur importe de leur plaire ou de ne pas leur plaire, et parce qu'ils ne veulent pas se faire à eux avant qu'ils ne se soient faits à eux-mêmes. Ainsi, messieurs, après vous avoir fait le portrait de la société actuelle, je vous ai en même temps donné le moyen de vous en affranchir profondément, et de vous en séparer. Ne rougissez pas d'être sages, alors même que seul vous le seriez au milieu d'un monde de fous. Quant à leurs railleries, ayez seulement le courage de vous abstenir d'en rire avec eux, pour rester un moment sérieux et en contempler l'objet de sang-froid. Vous ne serez pas pour cela privés de rire, car dans ces circonstances le véritable esprit n'est pas à la surface, il est au fond, et il est pour nous. Autant l'homme bon l'emporte sur l'homme méchant, autant son esprit l'emporte sur l'esprit du méchant. Quant à leur amour et à leurs suffrages, qu'on ait le courage d'y renoncer, car jamais on ne l'obtiendra sans s'avilir comme eux. Voilà ce qui affaiblit et paralyse tellement de nos jours les gens les meilleurs, et les empêche de se

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