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Le 5 décembre 1714.

Je prie Dieu souvent pour vous, mon bon et cher duc, afin qu'il vous réveille et ranime souvent. Vous ne vivez que de goûts et de liberté. Si vous en sortez pour rentrer dans ces devoirs, vous retrouvez le goût par les petits détails et par les fausses exactitudes dans les devoirs mêmes. Souvenez-vous que les moindres devoirs deviennent des distractions et des amusements dès qu'ils font négliger d'autres devoirs plus importants.

Cherchez un intendant sensé et droit. Quoique médiocre pour le talent, il vous soulagera. Il vaut mieux que le courant de vos affaires ne soit réglé que grossièrement, pourvu qu'on ne laisse rien de considérable en arriere et que vous ayez du temps pour d'autres occupations. Ces occupations sont de prier, de lire, de connoître les hommes et d'être connu d'eux, de faire des amis et de vous procurer des appuis, d'obliger par vos bons offices des gens de mérite, et de vous mettre dans une situation à servir le roi et l'état selon votre rang. C'est votre vocation, que vous ne remplirez jamais dans une vie obscure, où vous ne faites rien de proportionné à votre état, quoique vous soyez sans cesse péniblement occupé. Pardon de ma satyre, vous la méritez. Quand on aime, on fâche hardiment. Demandez à madame

la d... de Chaulnes si tout ce que je dis n'est pas vrai. J'étois en peine d'elle, et je suis ravi de la savoir hors des chemins. Elle a grand besoin d'un long repos pour se rétablir.

Pemettez-moi d'embrasser ici avec tendresse nos chers petits hommes. Je n'écris point à madame la d....... de Chevreuse, pour lui épargner une réponse ; mais j'espere que vous lui direz avec quelle reconnoissance, avec quel zele et quel respect je lui suis de plus en plus dévoué.

Choisissez les occupations les plus importantes; bornez-vous aux essentielles; et, dans les essentielles, coupez court et donnez-vous souvent à Dieu pour faire cette circoncision continuelle et douloureuse que demande l'évangile.

Jugez de mon zele par mes traits satyriques...

Le 28 décembre 1714.

Voici, mon bon duc, une occasion de vous don ner de mes nouvelles et de vous demander des vôtres. On m'avoit alarmé sur le mal de madame la d... de Chevreuse; mais on m'a bien soulagé le cœur en m'assurant dans la suite que ce n'est rien. Et madame la d... de Chaulnes, comment se porte-t-elle? j'en suis en peine. Je ne le suis pas moins de vous. Ne vous fatiguez-vous plus sur vos paperasses? Fai

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tes-vous, pour l'emploi de votre temps, ce que vous savez bien que Dieu demande de vous et que vous lui avez promis tant de fois? Ne seriez-vous pas honteux, si vous aviez manqué aussi souvent de parole au dernier des hommes, que vous en avez manqué à Dieu? Vous dites que vous l'aimez : est-ce ainsi qu'on aime ses amis, qui ne sont que de viles créatures? Voudriez-vous les jouer sans cesse par des promesses sans aucun effet? Dieu demande-t-il trop en demandant la bonne foi et l'exactitude à tenir parole qu'un valet de charrue auroit droit de demander? Que ne préfere-t-on pas à Dieu! Un détail ennuyeux et plein d'épines, une occupation qui use à pure perte la santé, un emploi du temps dont on n'oseroit rendre compte, un je ne sais quoi qui rend la vie obscure et qui dégrade dans le monde, c'est ce qu'on préfere à Dieu. Quel affreux ensorcellement ! Priez, humiliez-vous pour rompre le charme; demandez à Dieu qu'il vous dégage de vos liens de goût et d'habitude. Tournez-vous contre vous-même; faites des efforts constants et soutenus; défiez-vous de la trahison de votre naturel, de la tyrannie de la coutume, et des beaux prétextes par lesquels on est ingénieux à se tromper. N'écoutez rien: commencez une nouvelle vie; elle vous sera d'abord dure, mais Dieu vous y soutiendra, et vous en goûterez les fruits.

2. Heureux l'homme qui se fie à Dieu et non à soi! Que ne donnerois-je point pour vous voir un nouvel homme! Je le demande à Dieu en ce saint temps où il faut renaître avec J. C. Vous le pouvez, vous le devez; vous en répondrez au maître. Accoutumezvous, par le recueillement, à dépendre de son esprit. Avec quel zele je vous suis dévoué!

A M. le m. de Seignelay.

JE rends graces à Dieu, monsieur, de la crainte qu'il vous donne de quitter le mal sans faire le bien. Cette crainte, qu'il imprime dans votre cœur, sera le solide fondement de son ouvrage. Outre que vous ne sauriez jamais de suite, du tempérament dont vous êtes, vous soutenir contre le mal que par une fervente pratique du bien; d'ailleurs vous seriez le plus malheureux de tous les hommes, si vous entrepreniez de vaincre vos passions sans vous unir étroitement à Dieu dans ce combat. Votre cœur seroit sans cesse déchiré; vous n'auriez ni l'ivresse des plaisirs, ni la consolation du Saint-Esprit. Il faut que votre cœur soit rempli ou de Dieu, ou du monde. S'il l'est du monde, le monde vous rentraînera insensiblement, et peut-être tout-à-coup, dans le fond de l'abyme. S'il l'est de Dieu, Dieu ne vous souffrira point dans une lâche tiédeur: votre conscience vous

pressera; vous goûterez le recueillement; les choses qui vous ont charmé vous paroîtront vaines et frivoles; vous sentirez au dedans de vous une puissance à laquelle il faudra que tout cede peu-à-peu; en un mot vous ne serez point à Dieu à demi. Si vous cherchez par de faux tempéraments à partager votre cœur, Dieu, qui est jaloux, rejettera avec horreur ce partage injurieux qui le met en concurrence avec sa créature, c'est-à-dire avec le néant même. Il ne vous reste donc, ou que de retomber par un affreux désespoir dans l'aybme de l'iniquité, livré à vous même, au monde insensé et à tous vos tyranniques desirs, ou de vous abandonner sans réserve au pere des miséricordes et au Dieu de toute consolation qui vous tend les bras malgré vos ingratitudes. Il n'y a pas de marché à faire avec Dieu; il est le maître. Il faut se donner à lui et se taire, se laisser mener, et ne voir pas même jusqu'où l'on ira. Abraham quittoit sa patrie, et couroit vers une terre étrangere sans savoir où il alloit. Imitons son courage et sa foi, Quand on se fait des regles et des bornes dans sa conversion, on marche sous sa propre conduite: quand on se donne à Dieu sans ménagement, on rend Dieu pour ainsi dire le garant de tout ce qu'on fait. Revenez, monsieur, comme l'enfant prodigue: formez au fond de votre cœur cette invoca

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