Obrazy na stronie
PDF
ePub

LETTRE XLVIII.

Cambrai, 27 mai 1713.

Bon jour, mon cher fanfan. Il faut être patient jusqu'à la fin, patient avec les maux, patient avec les remedes, patient avec vous-même. Il faut être patient sur son impatience : il faut s'attendre, se ménager, se supporter, se corriger peu-à-peu, comme on corrigeroit un autre homme qu'on ne voudroit ni découragerni flatter. Le grand point est de ne faire jamais l'entendu, et de montrer sa foiblesse aux vrais amis. Une foiblesse montrée avec ingénuité, sans réserve, et avec la petitesse des enfants de Dieu, se tourne en force: comme, au contraire, la force montrée se tourne en vanité, en fausseté et en foiblesse arrogante. Ouvrez-vous, livrez-vous, et soyez bon petit enfant.

Je suis en peine de madame la duchesse de Mortemart. Dites ou faites dire pour moi à madame sa mere tout ce qu'on peut dire de plus fort sur la peine et sur l'inquiétude qu'elle mé cause: vous ne sauriez rien dire de trop. On me fait vivre comme un fainéant depuis mon rhume, qui est presque Je suis honteux de ma docilité. La chere malade n'a pas besoin de rougir de la sienne, elle est en deçà de tout excès.

fini.

LETTRE XLIX.

Cambrai, 29 mai 1713.

La chere malade nous donna hier au soir des nouvelles assez consolantes de votre état; mais le sien paroît triste et nous alarme. On ne sauroit en ce monde goûter une douceur qui ne soit mêlée de quelque amertume. Celui qui fait ce mêlange, sait l'assaisonner selon notre vrai besoin, qui n'est guere conforme à notre goût dépravé. Oh! que nous ferions de belles choses pour nous enivrer de poison, si Dieu nous laissoit faire à notre mode! Malgré ses coups redoublés par miséricorde, nous avons encore le maudit courage de nous tromper, de nous trahir, et de nous perdre. Que seroit-ce si tout étoit riant et flatteur pour nous? Je suis ravi de savoir M. le duc de Mortemart en si bon train de guérison. Mille amitiés à la bonne malade, au grand abbé, à Put. Bon soir, très cher fanfan.

TOME VI.

F3

JE

LETTRE L.

Cambrai, 1 juin 1713.

ɛ te dois dire, mon cher petit fanfan, que mon incommodité n'étoit point un vrai rhume : c'étoit une fermentation de bile, qui me donnoit d'abord de la fievre, et qui m'avoit laissé une disposition fiévreuse avec une espece de langueur et une toux fort âpre. La toux est finie, la langueur s'en va sensiblement: le quinquina m'a fait un très grand bien. Ne sois point en peine de moi; je suis revenu dans mon naturel.

Je suis content du petit garçon major, que je nomme Alexis : j'espere qu'il sera bon enfant, et que tu en auras de la consolation. Nous sommes assez. librement ensemble.

Je ne veux point que tu fasses de façon avec moi pour prendre de l'argent selon ton besoin: je ne te l'offre point par cérémonie. Tu dois faire de même avec simplicité pour le recevoir. C'est Dieu qui donne, et non pas moi. Le cœur de Dieu est grand; le mien est étroit. Dieu tout, moi rien.

Il me tarde sans impatience de te savoir guéri. Dieu le fera en son temps, et non au nôtre. Oh! que

le mal est bon pour nous désabuser et pour nous accoutumer à demeurer souples et petits dans la dépendance de Dieu! On fait l'entendu et on s'enivre de soi-même dès qu'on a un peu de bon temps.

Comme il faut tenir la jambe ouverte à M. Triboulaut, etc. ainsi il faut tenir ton cœur toujours ouvert à la bonne duchesse et à M. Put. Parle-leur naturellement en toute liberté : s'ils te gênent, il faut le leur dire.

Procure à Blondel les recommandations que tu pourras pour son procès, qui est pour lui d'une extrême importance.

L'abbé de Beaumont a fait beaucoup trop pour moi par ses soins et assiduités pendant mon indisposition. C'est le meilleur cœur qu'il y ait en ce monde. J'espere que la grace opérera peu-à-peu dans son cœur pour l'arracher à ses goûts et pour le livrer au ministere. Il faut prier et l'attendre.

Tu dois profiter d'un temps précieux pour t'accoutumer à prier et à lire dans des temps réglés, soir et matin. Fais le moins mal que tu pourras, pour diminuer l'indocilité et le mauvais régime de notre bonne malade. Il ne faut ni la rebuter ni la chagriner, mais lui insinuer patiemment et à propos ce qui lui seroit utile. Tu lui as des obligations infinies. D'ailleurs elle mérite par son bon cœur une tendre amitié.

Bon soir, très cher fanfan. Dieu seul sait de quelle tendresse je t'aime à la vie et à la mort.

Je te prie de dire au pere Lallemant que j'ai dit tout ce qu'il falloit à M. d'Ipres pour l'engager à donner son approbation; après quoi il me semble qu'il faut l'attendre un peu, et voir ce que son cœur lui inspirera. Dès que j'aurai de ses nouvelles, je me hâterai d'en faire part au pere Lallemant. Alors je lui manderai s'il faut écrire un compliment.

E

LETTRE LI.

Cambrai, 1 juin 1713.

Je suis alarmé, mon très cher fanfan, de la fievre accompagnée de dévoiement de notre chere malade. Elle n'avoit pas besoin de cette nouvelle secousse, après une si longue suite de maux. Dieu veuille qu'elle se laisse secourir par M. Chirac! Elle voit par votre exemple combien il mérite d'être cru, et avec quelle pénétration il découvre ce qui est le plus caché. On est fort heureux d'avoir un tel médecin et un tel ami. Il est vrai que toute la médecine se trouve épuisée par certains maux; mais enfin un habile homme, qui connoît un tempérament, et qui a observé de près le cours d'une longue maladie, dimi

« PoprzedniaDalej »