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ceau de la monarchie ne méritoit pas les frais et les maux d'une si horrible guerre; mais que les autres alliés soutenoient que la France, qui a fait entendre par cette offre qu'elle a le pouvoir de faire sortir de l'Espagne le roi Philippe, l'en fera bien sortir sans la Sicile, plutôt que de continuer une guerre insoutenable.

Tout ce que j'entends dire à nos principaux officiers et aux intendants, fait craindre de grands malheurs. On manque de tout; les soldats sont si affamés et si languissants, qu'on n'en peut rien espérer de vigoureux. Selon toutes les apparences, la campagne s'ouvrira bientôt. On assure que M. le maréchal de Villars ne pourra venir qu'au mois de juin ; voilà une ressource qui viendra tard. En attendant, nous n'aurons, pour sauver la France, que M. le maréchal de Montesquiou, sur qui il y en a qui comptent peu.

Puis-je prendre la liberté, mon bon duc, de vous demander une grace? M. le marquis de Bonneval, colonel des cuirassiers, est mon cousin issu de germain; c'est un homme d'une très ancienne maison de Limosin, qui a eu toutes les marques d'une grosse seigneurie par des terres considérables et par les plus hautes alliances qu'on puisse avoir depuis quatre cents ans, comme Foix, etc. Un de ses ancêtres étoit favori de Charles VIII, et l'un de ses neuf preux che

valiers; ses ancêtres ont commandé des armées en Italie, et ont eu des gouvernements de province; ils paroissent par-tout dans l'histoire. Le marquis de Bonneval dont il s'agit, est d'une très petite mine, mais sensé, noble, capable d'affaires, plein de valeur, aimant la guerre, aimé de sa troupe, estimé des honnêtes gens, appliqué sans relâche au service depuis vingtdeux ans, et y faisant une dépense très honorable, quoique son régiment lui ait coûté cent mille francs. On vient de faire quatorze maréchaux de camp qui devoient aller après lui. Il est vrai qu'il a un frere cadet, qui a fait la faute de passer en Italie au service des ennemis; c'est une conduite inexcusable et indigne, quoique les circonstances de son affaire fassent pitié : mais les fautes sont personnelles, et l'aîné, depuis la faute du cadet, a reçu pendant plusieurs années toutes les marques possibles du contentement du roi et de M. de Chamillart, malgré le tort de son frere; d'ailleurs l'aîné n'a jamais eu aucun commerce avec son frere. qui pût déplaire au roi, ni le rendre suspect, ni l'éloigner des graces. Vous comprenez bien qu'un homme plein d'honneur, dont les sentiments sont très vifs, et qui sent tout ce qu'il a fait pour son avancement dans le service, est au désespoir de se voir exclus avec tant de mépris. Il prendra le parti le plus sage et le plus noble, qui est celui de vendre son ré

giment, de quitter le service, et d'enrager dans un profond silence. Mais outre que je suis affligé de le voir pénétré de douleur, parcequ'il est encore plus mon ami que mon parent, je trouve qu'il est mauvais pour le service qu'on traite si mal un très bon officier qui a beaucoup de naissance, d'ardeur et de talent pour servir. La grace que je vous demande pour lui, sans qu'il en sache rien, est que vous ayez la bonté de demander en secret à M. Voysin la véritable cause de son exclusion: si c'est quelque chose qui ait rapport à son frere, il faut l'approfondir et écouter ses raisons justificatives; s'il est coupable, la chose est si importante qu'il doit être puni.' Mais si le roi et M. Voysin ne connoissent ni sa naissance ni ses services, il est bien triste qu'un homme d'un si beau nom, qui sert si bien depuis vingt-deux ans, soit traité si mal, pendant qu'on prodigue les rangs à une foule de gens sans nom et sans service. Je ne vous demande néanmoins aucune démarche qui puisse vous coûter ou vous gêner; j'aime fort mon parent, mais j'aime beaucoup mieux tout ce qui vous convient. Si par hasard vous appreniez par M, Voysin quelque chose qu'il importât à M. de Bonneval de savoir, ne pourriez-vous point avoir la bonté de le faire prier par madame de Chevry de vous aller yoir? Vous le trouveriez discret et plein de recon

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noissance pour vos avis. Je voudrois qu'on pût l'engager à continuer le service sans bassesse, mais je ne vois pas comment.

Les retours de votre goutte me font beaucoup de peine; le dévoiement qui l'accompagne quelquefois augmente mon inquiétude : soulagez votre corps; appliquez moins votre esprit, sur-tout vers le soir; faites un peu d'exercice; rien n'est meilleur pour le corps, comme pour l'esprit, que de suspendre une certaine activité qui entraîne insensiblement l'homme au-delà de ses vraies forces.

J'oubliois de vous dire qu'un homme venu de Versailles m'a dit qu'on prétend que M. le duc de Bourgogne a dit à quelqu'un qui l'a redit à d'autres, que ce que la France souffre maintenant, vient de Dieu, qui veut nous faire expier nos fautes passées. Si ce prince a parlé ainsi, il n'a pas assez ménagé la réputation du roi : on est blessé d'une dévotion qui se tourne à critiquer son grand'pere.

J'attends de vos nouvelles sur le P. le Tellier. Vous pourrez avoir quelque occasion, ou par madame de Chevry, qui est avertie quand il y en a, ou par les colonels qui partent pour cette frontiere.

Souffrez, mon bon duc, que je fasse ici mille assurances de zele et de respect à madame la duchesse de Chevreuse, à madame la vidame, à M. le vidame.

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Pour vous, je ne sais que vous dire, sinon portezvous bien, et aimez toujours celui qui vous est dévoué sans réserve en Dieu, avec des sentiments que les paroles n'expriment point.

LETTRE XXIII.

Cambrai, 24 juin 1710.

'ENVOIE exprès à Paris, mon bon duc, pour répondre sûrement, et avec la liberté nécessaire, à une question qu'on m'a faite : je compte que vous verrez tout. En vérité, plus je vois combien nous manquons d'argent, d'hommes de bonne volonté, de sujets instruits, d'ordre et de conseil, plus je conclus que nulle paix ne peut être que bonne à acheter très chèrement. On se trompe fort si on se flatte de l'obtenir, après une bataille perdue, aux mêmes conditions qu'à présent: ce seroit encore cent fois pis; les Hollandois n'en seroient pas les maîtres. J'ai vu, ces jours passés, un homme qui sait leur situation: il dit qu'ils n'ont jamais été si embarrassés depuis la naissance de leur république ; ils se croient perdus s'ils ne détrônent pas le roi d'Espagne; et ils se croient presque dans la même extrémité, s'ils achevent de renverser la France pour aller détrôner le roi d'Espagne. Ils

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