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LETTRE XIII.

Cambrai, 24 février 1707.

Je vous envoie, mon bon duc, une lettre pour M. le vidame; lisez-la: si elle est mal, supprimez-la simplement; si elle est bien, ayez la bonté de la fermer et de la rendre. Je pense souvent à vous avec attendrissement de cœur. J'augmente, ce me semble, en zele pour madame la duchesse de Chevreuse; je l'ai trouvée à Chaulnes plus dégagée qu'autrefois : elle est bonne; elle sera, comme je l'espere, encore. meilleure. Mettez paisiblement l'ordre que vous pourrez à vos affaires, et songez à vous débarrasser; toute affaire, quelque soin et quelque habileté qu'on y emploie, n'est point bien faite quand on ne la finit point; il faut couper court pour aller à une fin, et sacrifier beaucoup pour gagner du temps sur une vie si courte. Oh! que je souhaite que vous puissiez respirer après tant de travaux ! En attendant, il faut trouver Dieu en soi, malgré tout ce qui nous environne pour nous l'ôter. C'est peu de le voir par l'esprit comme un objet, il faut l'avoir au-dedans pour principe: tandis qu'il n'est qu'objet, il est comme hors de nous; quand il est principe, on le porte au-de

dans de soi, et peu-à-peu il prend toute la place du moi : le moi, c'est l'amour-propre; l'amour de Dieu est Dieu même en nous ; nous ne trouvons plus que Dieu seul en nous, quand l'amour de Dieu y a pris la place avec toutes les fonctions que l'amour-propre y usurpoit. Bon soir, mon bon duc: ne vous écoutez point, et Dieu parlera sans cesse. Sa raison sera mise sur les ruines de la vôtre; quel profit dans cet échange!

LETTRE XIV.

Cambrai, 17 mai 1707.

J'AI attendu, mon bon duc, tout le plus long-temps que j'ai pu, le passage de M. le vidame; mais il ne vient point, et je ne puis plus retarder mon départ pour mes visites. Notre cher abbé de Langeron vous dira bien plus que je ne saurois vous écrire; il vous parlera de tout ce qui regarde la métaphysique et la théologie. Pour la vie intérieure, je ne saurois vous recommander que deux points : l'un est d'accourcir tant que vous pourrez toutes vos actions et vos discours audehors; l'autre, de jeûner de raisonnement; quand vous cesserez de raisonner, vous mourrez à vousmême, car la raison est toute votre vie. Or, que

voulez-vous de plus sûr et de plus parfait que la mort à vous-même? Rien n'est plus opposé à l'illusion de l'amour-propre, que ce qui met la cognée à la racine de l'arbre, et qui fait mourir cet amour. Plus vous raisonnerez, plus vous donnerez d'aliment à cette vie philosophique. Abandonnez-vous donc à la simplicité et à la folie de la croix. Le premier chapitre de la premiere épître est fait pour vous. Tâchez de donner une forme à vos affaires, pour vous mettre en repos. Il faut tâcher de calmer la bonne duchesse quand elle s'empresse d'en voir la fin: mais il faut supporter en paix son impatience, et vous en servir comme d'un aiguillon pour vous presser de finir; on gagne en perdant, quand on perd pour abréger: Sed ut sapientes, redimentes tempus. Si vous venez l'automne à Chaulnes, faites-le moi savoir de bonne heure, et mandez-moi, avec simplicité, si je pourrai vous aller voir : Dieu sait la joie que j'en aurai! Aimez toujours, mon bon duc, celui qui vous est dévoué ad convivendum et commoriendum.

LETTRE XV.

Cambrai, 24 octobre 1709.

Nous ne savons point encore avec certitude si les ennemis vont en quartier d'hiver, comme M. de Puységur paroît le croire, ou s'ils feront encore quelque entreprise. Nous ignorons aussi ce que M. de Bergeich va devenir; il me semble avoir entrevu que son projet est de se servir de l'occasion de la prise de Mons, où il s'est renfermé tout exprès pour se séparer de la France, et pour mettre entièrement à part les intérêts de l'Espagne. Je crois bien qu'il a fait entendre à Versailles que ce ne sera qu'une comédie pour servir mieux la France même, en ne paroissant plus la servir. Mais certains discours m'ont laissé entendre qu'il veut chercher l'intérêt de la monarchie d'Espagne contre celle de France; il ajoute que tout cela se fera pour Philippe V: mais enfin il n'a dit en termes formels : « Nous vous ferons du mal... « Je serai le premier contre la France............. Je n'ai été << jusqu'ici lié à la France que pour l'Espagne... Nous << donnerons aux François pour frontiere la Somme... « Cambrai reviendra sous notre domination... »

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Je m'imagine qu'il veut que les ennemis se relâ

chent, et laissent Philippe V sur le trône, et que le roi achete leur consentement en rendant toutes les conquêtes de soixante et dix ans. Il espere que les Hollandois et les autres alliés croiront abaisser et affoiblir suffisamment la France par un si grand retranchement, et qu'en ce cas ils auront moins de peur de voir la couronne d'Espagne dans la maison de France parcequ'ils seront les maîtres de pénétrer en France quand il leur plaira de passer la Somme. De son côté, il se flatte que, suivant ce plan, il demeurera le maître des Pays-Bas espagnols, qui reprendront toute leur ancienne étendue. Mais j'ai beaucoup de peine à croire que les ennemis s'accommodent de ce plan. La France pourroit fortifier Péronne, Saint-Quentin, Guise, etc. rétablir ses forces, faire des alliances, et, de concert avec Philippe V, prévaloir encore dans toute l'Europe. Voilà ce que les ennemis doivent craindre. M. de Bergeich pourra travailler d'abord de bonne foi à exécuter ce plan en faveur de Philippe V; mais ce plan l'engagera au moins extérieurement contre la France; cet embarquement pourra le mener plus loin qu'il n'aura peut-être voulu; il ne pourra plus reculer; il se trouvera qu'il aura travaillé pour la monarchie d'Espagne plutôt que pour la personne de Philippe V. Si nous sommes contraints par lassitude d'abandonner Philippe, il se

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