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LETTRES

A MONSEIGNEUR

LE DUC DE BOURGOGNE,

DEPUIS DAUPHIN,

PERE DU ROI LOUIS XV.

LETTRE PREMIERE.

Exhortation à la piété solide et à l'humble connoissance de soi-même.

JAMAIS rien ne m'a tant consolé que la lettre que j'ai reçue. J'en rends graces à celui qui peut seul faire dans les cœurs tout ce qu'il lui plaît pour sa gloire. Il faut qu'il vous aime beaucoup, puisqu'il vous donne son amour, au milieu de tout ce qui est capable de l'éteindre dans votre cœur. Aimez-le donc au-dessus de tout, et ne craignez que de ne l'aimer pas. Il sera lui seul votre lumiere, votre force, votre vie, votre tout. Oh! qu'un cœur est riche et puissant au milieu des croix, lorsqu'il porte ce trésor au-dedans

de soi! C'est là que vous devez vous accoutumer à le chercher avec une simplicité d'enfant, avec une familiarité tendre, avec une confiance qui charme un si bon pere.

Ne vous découragez point de vos foiblesses. Il y a une manière de les supporter sans les flatter, et de les corriger sans impatience. Dieu vous la fera trouver, cette maniere paisible et efficace, si vous la cherchez avec une entiere défiance de vous-même, et marchant toujours en sa présence, comme Abraham.

Au nom de Dieu, que l'oraison nourrisse votre cœur, comme les repas nourrissent votre corps. Que l'oraison de certains temps réglés soit une source de présence de Dieu dans la journée; et que la présence de Dieu, devenant fréquente dans la journée, soit un renouvellement d'oraison. Cette vue courte et amoureuse de Dieu ranime tout l'homme, calme ses passions, porte avec soi la lumiere et le conseil dans les occasions importantes, subjugue peu-à-peu l'humeur, fait qu'on possede son ame en patience, ou plutôt qu'on la laisse posséder à Dieu : Renovamini spiritu mentis vestrae ". Ne faites point de longue oraison; mais faites-en un peu, au nom de Dieu, tous

(4) Ephes. 4, v. 23..

les matins, en quelque temps dérobé. Ce moment de provision vous nourrira toute la journée. Faites cette oraison plus du cœur que de l'esprit, moins par raisonnement que par simple affection; peu de considérations arrangées, beaucoup de foi et d'amour.

Il faut lire aussi, mais des choses qui vous puissent recueillir, fortifier et familiariser avec Dieu. Ne crait gnez point de fréquenter les sacrements selon votre besoin et votre attrait : il ne faut pas que de vains égards vous privent du pain descendu du ciel, qui veut se donner à vous. Ne donnez jamais aucune démonstration inutile; mais aussi ne rougissez jamais de celui qui fera lui seul toute votre gloire.

Ce qui me donne de merveilleuses espérances, c'est que je vois par votre lettre que vous sentez vos foiblesses, et que vous les reconnoissez humblement. Oh! qu'on est fort en Dieu, quand on se trouve bien foible en soi-même! Cùm infirmor, tunc potens sum“. Craignez, mille fois plus que la mort, de tomber. Mais si vous tombiez malheureusement, hâtez-vous de retourner au pere des miséricordes et au Dieu de toute consolation, qui vous tendra les bras; et ouvrez votre cœur blessé à celui qui peut vous guérir. Sur-tout, soyez humble et petit: Et vilior fiam plus quàm factus sum, disoit David (2), et ero (2) II Reg. 6, v. 22.

(1) II Cor. 12, V. 10.

humilis in oculis meis. Appliquez-vous à vos devoirs: ménagez votre santé, et modérez vos goûts. Je ne vous parle que de Dieu et de vous; il n'est pas question de moi. Dieu merci, j'ai le cœur en paix: ma plus rude croix est de ne vous point voir; mais `je vous porte sans cesse devant Dieu, dans une présence plus intime que celle des sens. Je donnerois mille vies comme une goutte d'eau, pour vous voir tel que Dieu vous veut. Amen! Amen!

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Que l'amour de Dieu doit être notre principe, notre fin, notre regle et notre tout en toutes choses.

E

Je crois, monseigneur, que la vraie maniere d'aimer vos proches, c'est de les aimer en Dieu et pour Dieu. Les hommes ne connoissent point l'amour de Dieu: faute de le connoître, ils en ont peur, et s'en éloignent. Cette crainte fait qu'ils ne peuvent compren dre la douce familiarité des enfants, dans le sein du plus tendre de tous les peres. Ils ne connoissent qu'un maître tout-puissant et rigoureux. Ils sont toujours contraints avec lui, toujours gênés dans tout ce qu'ils font. Il font à regret le bien, pour éviter le châti

ment: ils feroient le mal, s'ils osoient le faire, et s'ils pouvoient espérer l'impunité. L'amour de Dieu leur paroît une dette onéreuse : ils cherchent à l'éluder par des formalités et par un culte extérieur, qu'ils veulent toujours mettre à la place de cet amour sincere et effectif. Ils chicanent avec Dieu même, pour lui donner le moins qu'ils peuvent. O mon Dieu, si les hommes savoient ce que c'est que vous aimer, ils ne voudroient plus d'autre vie et d'autre joie que

votre amour!

Cet amour ne demande de nous que des mœurs innocentes et réglées. Il veut seulement que nous fassions pour Dieu tout ce que la raison nous doit faire pratiquer. Il n'est pas question d'ajouter aux bonnes actions qu'on fait déja; il n'est question que de faire par amour pour Dieu ce que les honnêtes gens qui vivent bien font par honneur et par amour pour eux-mêmes. Il n'y a à retrancher que le mal, qu'il faudroit retrancher quand même nous n'aurions d'autre principe que la vraie raison. Pour tout le reste, laissons-le dans l'ordre que Dieu a établi dans le monde : faisons les mêmes choses honnêtes et vertueuses; mais faisons-les pour celui qui nous a faits, et à qui nous devons tout.

Cet amour de Dieu ne demande point de tous les chrétiens des austérités semblables à celles des an

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