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doit point du tout l'empêcher de s'informer des circonftances de la mort de fon prédéceffeur. C'est avoir trop de difcrétion et trop peu de curiofité. Il ne lui est pas permis non plus de ne point savoir l'hiftoire de Phorbas. Un miniftre d'Etat ne faurait jamais être un homme affez obfcur pour être en prifon plufieurs années, fans qu'on en fache rien.

Jocaffe a beau dire:

Dans un château voifin, conduit fecrètement,
Je dérobai fa tête à leur emportement.

que pour

on voit bien que ces deux vers ne font mis prévenir la critique ; c'eft une faute qu'on tâche de déguifer, mais qui n'eft pas moins une faute.

Voici un défaut plus confidérable, qui n'eft pas du fujet et dont je fuis feul responsable. C'est le perfonnage de Philoctete. Il femble qu'il ne foit venu à Thèbes que pour y être accufé; encore eft-il soupçonné peut-être un peu légèrement. Il arrive au premier acte, et s'en retourne au troifième: on ne parle de lui que dans les trois premiers actes, et l'on n'en dit pas un feul mot dans les derniers. Il contribue un peu au nœud de la pièce, et le dénouement fe fait abfolument fans lui. Ainfi il paraît que ce font deux tragédies, dont l'une roule fur Philoctete, et l'autre fur Oedipe.

J'ai voulu donner à Philoctete le caractère d'un héros mais j'ai bien peur d'avoir pouffé la grandeur d'ame jufqu'à la fanfaronade. Heureufement j'ai lu dans Madame Dacier, qu'un homme peut parler avantageufement de foi lorfqu'il eft calomnié: voilà

le cas où fe trouve Philoctete. Il eft réduit par la calomnie à la néceffité de dire du bien de lui-même. Dans une autre occafion, j'aurais tâché de lui donner plus de politeffe que de fierté ; et s'il s'était trouvé dans les mêmes circonftances que Sertorius et Pompée, j'aurais pris la conversation héroïque de ces deux grands hommes pour modèle, quoique je n'euffe pas efpéré de l'atteindre. Mais comme il eft dans la . fituation de Nicomède, j'ai donc cru devoir le faire parler à-peu-près comme ce jeune prince, et qu'il lui était permis de dire, Un homme tel que moi, lorfqu'on l'outrage. Quelques perfonnes s'imaginent que Philoctete était un pauvre écuyer d' Hercule, qui n'avait d'autre mérite que d'avoir porté fes flèches, et qui veut s'égaler à fon maître dont il parle toujours. Cependant il eft certain que Philoctete était un prince de la Grèce, fameux par fes exploits, compagnon d'Hercule, et de qui même les dieux avaient fait dépendre le deftin de Troye. Je ne fais fi je n'en ai point fait, en quelques endroits, un fanfaron; mais il eft certain que c'était un héros.

Pour l'ignorance où il eft, en arrivant, des affaires de Thèbes, je ne la trouve pas moins condamnable que celle d'Oedipe. Le mont Oeta où il avait vu mourir Hercule, n'était pas fi éloigné de Thèbes qu'il ne pût favoir aifément ce qui fe paffait dans cette ville. Heureufement cette ignorance vicieuse de Philoctete m'a fourni une expofition du fujet qui m'a paru affez bien reçue; c'eft ce c'est ce qui me perfuade que les beautés d'un ouvrage naiffent quelquefois d'un défaut.

Dans toutes les tragédies, on tombe dans un

écueil

écueil tout contraire. L'expofition du fujet fe fait ordinairement à un perfonnage qui en eft auffi bien informé que celui qui lui parle. On eft obligé, pour mettre les auditeurs au fait, de faire dire aux principaux acteurs ce qu'ils ont dû vraisemblablement déjà dire mille fois. Le point de perfection ferait de combiner tellement les événemens, que l'acteur qui parle, n'eût jamais dû dire ce qu'on met dans fa bouche, que dans le temps même où il le dit. Telle eft, entr'autres exemples de cette perfection, la première scène de la tragédie de Bajazet. Acomat ne peut être inftruit de ce qui se paffe dans l'armée; Ofmin ne peut avoir de nouvelles du férail; ils fe font l'un à l'autre des confidences réciproques qui inftruifent et qui intéreffent également le spectateur: et l'artifice de cette expofition eft conduit avec un ménagement dont je crois que Racine feul était capable.

Il est vrai qu'il y a des sujets de tragédie où l'on eft tellement gêné par la bizarrerie des événemens, qu'il eft prefqu'impoffible de réduire l'expofition de fa pièce à ce point de fageffe et de vraisemblance. Je crois, pour mon bonheur, que le fujet d'Oedipe est de ce genre; et il me femble que lorsqu'on fe trouve fi peu maître du terrain, il faut toujours fonger à être intéreffant plutôt qu'exact: car le fpectateur pardonne tout hors la langueur; et lorsqu'il est une fois ému, il examine rarement s'il a raifon de l'être.

A l'égard de ce fouvenir d'amour entre Jocafte et Philoctete, j'ofe encore dire que c'est un défaut néceffaire. Le fujet ne me fourniffait rien par luimême pour remplir les trois premiers actes; à peine Théâtre. Tom. I.

D

même avais-je de la matière pour les deux derniers. Ceux qui connaissent le théâtre, c'est-à-dire ceux qui fentent les difficultés de la composition auffi-bien què les fautes, conviendront de ce que je dis. Il faut toujours donner des paffions aux principaux personnages. Eh! quel rôle infipide aurait joué Jocafte, fi elle n'avait eu du moins le fouvenir d'un amour légitime, et fi elle n'avait craint pour les jours d'un homme qu'elle avait autrefois aimé?

Il eft furprenant que Philoctete aime encore Jocafte après une fi longue abfence: il reffemble affez aux chevaliers errans, dont la profeffion était d'être toujours fidèles à leurs maîtreffes. Mais je ne puis être de l'avis de ceux qui trouvent Jocafte trop âgée pour faire naître encore des paffions; elle a pu être mariée fi jeune, et il eft fi fouvent répété dans la pièce qu'Oedipe eft dans une grande jeuneffe, que, fans trop preffer les temps, il est aifé de voir qu'elle pas plus de trente-cinq ans. Les femmes feraient bien malheureuses fi l'on n'inspirait plus de fentimens à cet âge.

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Je veux que Jocafte ait plus de foixante ans dans Sophocle et dans Corneille; la conftruction de leur fable n'eft pas une règle pour la mienne; je ne fuis pas obligé d'adopter leurs fictions: et s'il leur a été permis de faire revivre dans plusieurs de leurs pièces des perfonnes mortes depuis long-temps, et d'en faire mourir d'autres qui étaient encore vivantes, on doit bien me paffer d'ôter à Jocafte quelques années.

Mais je m'apperçois que je fais l'apologie de ma pièce, au lieu de la critique que j'en avais promife: revenons vîte à la cenfure.

Le troifième acte n'eft point fini; on ne fait pourquoi les acteurs fortent de la fcène. Oedipe dit à Jocafte:

Suivez mes pas, rentrons; il faut que j'éclairciffe

Un foupçon que je forme avec trop de juftice.

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Et venez diffiper ou combler mon effroi.

Mais il n'y a pas de raifon pour qu'Oedipe éclairciffe fon doute plutôt derrière le théâtre que fur la scène: auffi,`après avoir dit à Jocaste de le fuivre, revient-il avec elle le moment d'après, et il n'y a aucune autre diftinction entre le troifième et le quatrième acte, que le coup d'archet qui les fépare.

La première fcène du quatrième acte eft celle qui a le plus réuffi: mais je ne me reproche pas moins d'avoir fait dire dans cette fcène à Jocafte et à Oedipe tout ce qu'ils avaient dû s'apprendre depuis longtemps. L'intrigue n'eft fondée que fur une ignorance bien peu vraisemblable: j'ai été obligé de recourir à un miracle pour couvrir ce défaut du sujet. Je mets dans la bouche d'Oedipe:

Enfin, je me fouviens qu'aux champs de la Phocide, (Et je ne conçois pas par quel enchantement J'oubliais jufqu'ici ce grand événement:

La main des dieux fur moi fi long-temps fufpendue, Semble ôter le bandeau qu'ils mettaient fur ma vue. ) Dans un chemin étroit je trouvai deux guerriers, etc.

Il eft manifefte que c'était au premier acte qu'Oedipe devait raconter cette aventure de la Phocide; car

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