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au hafard. Prefque tous fes ouvrages dramatiques ont été représentés et imprimés à Paris dans fon abfence. De-là viennent les fautes dont fourmillent les éditions faites dans cette capitale.

Par exemple, dans la pièce de Gengis imprimée par nous, in-8°, fous les yeux de l'auteur, on trouve dans la fcène où Gengis paraît pour la première fois les vers fuivans:

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Ceffez de mutiler tous ces grands monumens
Ces prodiges des arts confacrés par les temps;
Refpectez les: ils font le prix de mon courage.
Qu'on ceffe de livrer aux flammes, au pillage,
Ces archives des lois, ce vaste amas d'écrits,
Tous ces fruits du génie, objets de vos mépris;
Si l'erreur les dicta, cette erreur m'eft utile;
Elle occupe ce peuple et le rend plus docile. etc.

Ce morceau eft tronqué et défiguré dans l'édition de Duchefne et dans les autres. Voici comme il s'y trouve:

Ceffez de mutiler tous ces grands monumens, Ces prodiges des arts confacrés par les temps, Echappés aux fureurs des flammes, du pillage; Refpectez-les: ils font le prix de mon courage, etc. On voit affez que ce qu'on a retranché était abfolument néceffaire et très à fa place. Ce vers qu'on a fubftitué,

Echappés aux fureurs des flammes, du pillage;

est un vers indigne de quiconque eft inftruit des

règles de fon art, et connaît un peu l'harmonie. Echappés aux fureurs des flammes, eft une céfure monftrueufe.

Ceux qui fe plaifsent à étudier l'efprit humain doivent favoir que les ennemis de l'auteur, pour faire tomber la pièce, infinuèrent que les meilleurs morceaux étaient dangereux, et qu'il fallait les retrancher; ils eurent la malignité de faire regarder ces vers comme une allufion à la religion, qui rend le peuple plus docile. Il est évident que par ce passage on ne peut entendre que les fciences des Chinois, méprifées alors des Tartares. On a représenté cette pièce en Italie, il y en a trois traductions, et les inquifiteurs ne se font jamais avifés de retrancher cette tirade.

La même difficulté fut faite en France à la tragédie de Mahomet; on fufcita contr'elle une perfécution violente; on fit défendre les repréfentations: ainfi le fanatifme voulait anéantir la peinture du fanatifme. Rome vengea l'auteur. Le pape Benoît XIV protégea la pièce; elle lui fut dédiée; des académiciens la représentèrent dans plufieurs villes d'Italie et à Rome même.

Il faut avouer qu'il n'y a point de pays au monde où les gens de lettres aient été plus maltraités qu'en France: on ne leur rend justice que bien tard.

La tragédie de Tancréde eft défigurée d'un bout

à l'autre d'une manière encore plus barbare. Dans les éditions de France, il n'y a prefque pas une fcène où il ne fe trouve des vers qui péchent également contre la langue, l'harmonie et les règles du théâtre. Le libraire de Paris eft d'autant plus inexcufable, qu'il pouvait confulter notre édition à laquelle il devait fe conformer.

Les éditeurs de Paris ont porté la négligence jusqu'à répéter les mêmes vers dans plufieurs fcènes d'Adélaïde du Guefclin. Nous trouvons dans leur édition, à la fcène feptième du fecond acte, ces vers qui n'ont pas de fens:

Gardez d'être réduit au hafard dangereux
Que les chefs de l'Etat ne trahissent leurs vœux.

Il y a dans notre édition:

Tous les chefs de l'Etat, laffés de ces ravages, Cherchent un port tranquille après tant de naufrages. Gardez d'être réduit au hafard dangereux

De vous voir ou trahir, où prévenir par eux.

Ces vers font dans les règles de la fyntaxe la plus exacte. Ceux qu'on a fubftitués dans l'édition de Paris font de vrais folécifmes, et n'ont aucun fens. Gardez d'être réduit au bafard que les chefs de l'Etat ne trahiffent leurs vœux. De quels vœux s'agit-il? Que veut dire Etre réduit au

hafard qu'un autre ne trahiffe fes vœux? On s'imagine qu'il n'y a qu'à faire des vers qui riment, que le public ne s'apperçoit pas s'ils font bons ou mauvais, et que la rapidité de la déclamation fait difparaître les défauts du style; mais les connaiffeurs remarquent ces fautes, et ils font bleffés des barbarifmes innombrables qui défigurent prefque toutes nos tragédies. C'est un devoir indifpenfable de parler purement fa langue.

Nous avons fouvent entendu dire à l'auteur, que la langue était trop négligée au théâtre, et que c'eft là que les règles du langage doivent être obfervées avec le plus de fcrupule; parce que les étrangers y viennent apprendre le français. Il difait que ce qui avait nui le plus aux belleslettres était le fuccès de plufieurs pièces, qui, à la faveur de quelques beautés, ont fait oublier qu'elles étaient écrites dans un style barbare. On fait que Boileau, en mourant, se plaignait de cette horrible décadence. Les éloges prodigués à cette barbarie ont achevé de corrompre le goût.

Les comédiens croient que les lois de l'art d'écrire, l'élégance, l'harmonie, la pureté de la langue, font des chofes inutiles; ils coupent, ils retranchent, ils tranfpofent tout à leur plaifir, pour se ménager des fituations qui les

faffent valoir. Ils fubftituent à des paffages néceffaires des vers ineptes et ridicules, ils en chargent leurs manufcrits; et c'eft fur ces manufcrits que des libraires ignorans impriment des chofes qu'ils n'entendent point.

L'extrême abondance des ouvrages dramatiques a dégradé l'art au lieu de le perfectionner; et les amateurs des lettres, accablés fous l'immenfité des volumes, n'ont pas eu même le temps de diftinguer fi ces ouvrages imprimés font

corrects ou non.

Les nôtres du moins le feront: et nous pouvons affurer les étrangers qui attendent notre édition, qu'ils n'y trouveront rien qui offense une langue devenue leurs délices et l'objet conftant" de leurs études.

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