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SYLVANIA

SOUVENIRS D'UNE EXCURSION DANS L'UNTERWALD.

A Mademoiselle Mathilde de C......

Das Land und Volk gefiel mir wohl.

ARNDT.

SUITE.

VI

J'avais insensiblement perdu de vue Trückmann et le petit garçon. Mais, arrivé au sommet, je me retournai et je les aperçus courant après moi à toutes jambes et en m'appelant du geste et de la voix avec les signes de la plus vive inquiétude. Quoiqu'ils eussent eu soin de me prévenir qu'il y avait en cet endroit une auberge où l'on pouvait prendre tout ce qu'on voulait, ils craignaient que je ne passasse outre sans la remarquer. La précaution était inutile, car mon cheval s'était arrêté court en arrivant au seuil désiré, et passait déjà la tête par la porte entrebâillée de la cabane. Je mis pied à terre et je m'attablai vis-à-vis de mes deux compagnons de voyage. L'aubergiste, assis au fond de la chambre et très-occupé pour le moment à écouter les récits d'un autre voyageur, nous toisa d'un regard rapide, et, ayant constaté que nous n'étions pas des Anglais, ne crut pas nécessaire de se déranger. Il se contenta de faire

un signe à une petite fille qui nous apporta du pain et du vin.

VII

Le connaissez-vous, Mathilde, cet air bienfaisant des hautes montagnes? Le connaissez-vous, ce pays où ne fleurit pas le citronnier, mais où la gentiane alpestre émaille seule de ses petites fleurs bleues le gazon court et ténu des pâturages? Il semble que pour l'âme comme pour le corps la pression atmosphérique se fasse moins sentir sur les hauteurs que dans la plaine. Comme on y respire librement! Comme le cœur y est à l'aise et s'associe gaiement au murmure joyeux du grillon, au frémissement du feuillage, au tintement lointain des clochettes des troupeaux!

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Il y avait plus d'une heure que nous avions fini notre modeste déjeûner, et pourtant nous nous trouvions si bien que nous ne songions pas le moins du monde à partir. Nous nous étions étendus sur l'herbe, près de la cabane, la face tournée vers le ciel, le regard perdu dans l'espace. Nous devisions, Trückmann et moi, comme de vieux amis il m'avait exposé tous les procédés de la sculpture sur bois, tous les écueils et toutes les difficultés du métier; puis, se laissant aller à la pente habituelle de ses pensées, il en était venu à me parler de ce qui lui tenait le plus au cœur ; il m'avait raconté une de ces vieilles histoires « qui pourtant demeurent toujours neuves, » comme dit le poète, et qui ont encore le pouvoir de rendre si heureux ou si malheureux celui auquel elles arrivent. Pour lui cette histoire se résumait à ceci : il avait aimé Lisi pendant trois mois avant d'oser le lui dire, et, quand il le lui avait dit, il s'était trouvé qu'elle l'aimait aussi. Il ne se lassait pas d'admirer un fait aussi merveilleux. N'est-ce pas une histoire extraordinaire, Monsieur? me disait-il tout rayonnant de l'orgueil du bonheur. Croyez-vous que chose pareille se soit jamais passée? Jamais, non, jainais, on n'a rien entendu de semblable! Voyez, j'ai toujours pensé qu'il y

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avait une Providence, parce qu'on me l'avait dit; mais à présent, j'en suis sûr, je l'ai vue; oui c'est absolument comme si je l'avais vue de mes yeux. Je crois aux miracles, monsieur, car enfin c'est un miracle, et jamais on n'aurait imaginé qu'un homme pût être aussi heureux que je le suis.

Brave garçon! Heureux Trückmann! Ce fut lui pourtant qui songea le premier au départ.

Il y a une heure et demie que nous sommes ici, Monsieur, me dit-il en se levant. Et d'ordinaire on ne s'y arrête jamais plus de dix minutes.

Eh! que m'importe, Trückmann, ce que l'on fait d'ordinaire? Pourquoi se hâter, vraiment? Pourquoi courir? Après qui? Après quoi? Croyez-vous que jamais on trouve ce que l'on poursuit? On ne trouve que ce que l'on a, cher Trückmann. Il faudrait tant pour être heureux ! et il faut si peu pour être content! Qu'on me donne un livre et un cigare, et il ne me manque rien dans ce monde. Eh bien! j'ai l'un et l'autre, là, dans ce havresac qui me sert de chevet et je ne pense pas même à en faire usage; il me suffit pour le moment de humer cet air pur et de comtempler ce ciel bleu.

- C'est très-bien, Monsieur, répliqua timidement Trückmann, ébloui de mon beau dire; mais si Monsieur arrive trop tard à Lucerne, il ne pourra pas voir le relief du général Pfyffer. On ferme à cinq heures, il n'y a pas à dire. Et si vous arriviez après cinq heures, vous m'en voudriez de vous avoir laissé vous attarder. Tous les voyageurs savent cela, Monsieur, et ils me disent toujours: « Dépêchez-vous, Trückmann, et faites en sorte que nous arrivions assez tôt pour voir le relief du général Pfyffer.» Mais je vois bien que, du train que vous y allez, vous ne serez à Lucerne qu'à la nuit close.

-Eh! tant mieux! tant mieux! Y a-t-il rien de plus délicieux que d'arriver de nuit dans une de ces vieilles villes mal éclairées, de voir, en approchant, les tours et les clochers dessiner leurs immenses spectres sur un ciel assom

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bri, puis, de traverser seul les rues silencieuses et de n'entendre que l'écho sonore du bruit de ses pas, répercutés par les hautes maisons aux volets fermés? Je me réjouis d'avance, Trückmann, de me glisser dans ces longs ponts couverts, ténébreux et muets comme les cercueils auxquels ils ont emprunté leur forme; je me réjouis d'entrer en tâtonnant, et presque frissonnant d'effroi, dans la cour obscure et dégradée de l'Abbaye des Tailleurs.... Et demain matin, avant l'aube, je vais réclamer au bureau des diligences ma malle que j'y ai adressée poste restante et je pars pour Zurich, avant que Lucerne se soit éveillé et emportant dans mon souvenir l'image fantastique d'une vieille cité du moyen-âge dans toute sa poésie et dans toute son intégrité.

- Oui, Monsieur, mais le relief du général Pfyffer ferme à cinq heures. Et il faut l'avoir vu, ou bien c'est comme si on n'avait rien vu. Il y a là la moitié de la Suisse, avec les lacs, les montagnes, les rivières, les maisons, enfin tout, et de grandeur naturelle.

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Eh bien! partons, Trückmann, partons! Et qu'il ne soit pas dit qu'au mépris de vos avertissements je me suis privé par ma faute d'admirer cette merveille. Remettez la bride à mon cheval pendant que je vais régler avec l'hôte.

En rentrant dans la chambre d'auberge, je trouvai notre petit garçon absorbé dans une occupation qui paraissait tout à fait en rapport avec ses aptitudes. Il avait renversé dans le sucrier ce qui restait au fond de nos verres et en avait composé un liquide glutineux qu'il étendait sur une tranche de pain, aussi proprement que possible, à l'aide du pouce et du doigt indicateur. On eût dit un petit cherubin de Fourier travaillant dans sa sphère passionnelle au bonheur de l'humanité.

Courage, enfant ! Tu appartiens à cette race industrieuse qui répand la méringue dans les deux hémisphères et qui a illustré le nom de confiseur suisse de Saint-Pétersbourg à San-Francisco!

VIII

Quand je ressortis de la cabane, mon guide était en conversation très-animée avec le voyageur qui, à notre arrivée, captivait si fort l'aubergiste par ses récits. Comme l'entretien avait lieu dans le dialecte du pays que je ne comprenais qu'à demi, j'attendis qu'il fût terminé ponr demander à Trückmann de quoi il s'agissait.

Monsieur, me dit-il, le voyageur que voilà est de ce pays-ci. Je lui ai dit que nous allions à Lucerne, mais que vous n'aviez pas l'air pressé d'y arriver. Et là-dessus il m'a dit qu'il vous conseillait de ne pas traverser l'Unterwald sans aller voir le couvent d'Engelberg, un magnifique bâtiment, tout couvert en ardoise. C'est un détour de deux jours seulement, et si vous vous décidez à le faire, je vous conduirai volontiers.

Oui, mais y êtes-vous déjà allé et connaissez-vous le chemin?

Oh! Monsieur, c'est justement parce que je ne le connais pas que j'aimerais bien à y aller. Mais, ne craignez pas, je trouverai bien. Vous ai-je égaré jusqu'à présent ? Et si vous vouliez me permettre d'aller avec vous, interrompit l'Unterwaldois, cela me ferait un grand plaisir. Je comptais retourner directement à Stanz où je demeure, mais j'aimerais beaucoup faire encore ce petit Voyage avant de rentrer au logis, si toutefois vous voulez bien me prendre à votre suite.

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Trückmann et Benz, c'était le nom de l'Unterwaldois, avaient l'air de désirer si vivement ce voyage, que je ne sus pas résister à leurs instances. Il fut arrêté que nous irions à Saxelen, que nous entrerions dans le Melchthal et que nous traverserions la Storegg, pour nous rendre dans la vallée d'Engelberg. De là, Benz et moi nous reviendrions à Stanz et nous couronnerions notre excursion en faisant un pélerinage à la célèbre madone de Nieder-Rikkenbach. Mes deux amis étaient ravis de ma décision. Pour moi,.

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