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CHAPITRE XXXIII

DE L'ORIGINE DU MONDE ET DE LA CRÉATION

Après avoir déterminé les caractères essentiels du monde et établi sa distinction d'avec Dieu, il faut chercher son origine. Il n'est pas d'hypothèse que les philosophes n'aient imaginée à ce sujet.

578. Opinions sur l'origine du monde. 10 Thalès, Anaximène, Anaximandre regardèrent la matière comme éternelle et douée essentiellement de force: celle-ci serait le principe et du mouvement et de la vie. La matière et la vie seraient donc naturellement inséparables : toute matière serait comme un germe ou du moins comme un principe actif de vie. Cette doctrine est appelée pour cela hylozoïsme. Mais c'est une erreur de confondre la force et la vie, le mouvement local et le mouvement vital. L'activité est essentielle à tous les corps, mais non pas la vie.

2o Leucippe, Démocrite, Epicure supposèrent que la matière est composée d'atomes éternels, d'abord isolés et confondus dans le chaos. Les atomes se séparèrent ensuite, se groupèrent avec ordre et le monde actuel apparut. Cette opinion ne diffère guère de la précédente et les matérialistes modernes n'ont fait qu'y revenir pour la développer.

30 Platon comprit, après Anaxagore, que le monde était inexplicable sans une intelligence; mais l'Esprit que

reconnaît Platon est seulement l'ordonnateur du monde, il n'est pas créateur de la matière dont le monde est fait. Il ne paraît pas, en effet, quoi qu'en disent quelques interprètes bienveillants, que Platon ait connu la création. 4o Aristote connut moins encore le vrai Dieu. D'après lui, le monde aurait toujours existé comme il est ; il n'aurait pas été formé par une divine sagesse. Dieu serait placé comme au centre des choses, les attirant toutes à titre de souverain bien, mais sans les gouverner par sa Providence. Son traducteur moderne, Barthélemy-Saint-Hilaire, n'interprète pas favorablement sa doctrine sur ce point et sur quelques autres non moins importants.

5o Avec les Pères de l'Eglise la doctrine sur l'origine du monde, déjà dessinée dans Platon, s'achève et se fixe. Dieu est le Créateur de la matière, l'Ordonnateur du monde et la Providence universelle à laquelle rien n'échappe, ni l'ensemble, ni les détails.

6o Les néo-platoniciens pratiquèrent l'éclectisme. Ils admirent, avec Aristote, une matière éternelle; ils ajoutèrent, avec Platon, qu'elle avait été organisée par Dieu; enfin, ils pensèrent avec les Pères, qu'elle procédait de Dieu, mais ils substituèrent à la création proprement dite l'émanation: c'était tomber dans le panthéisme.

70 Les opinions modernes sur l'origine du monde se rattachent toutes aux opinions anciennes. Descartes remit en honneur l'hypothèse des atomes; mais il ajouta que ces atomes sont créés et mis en mouvement par le premier Moteur.

80 Les matérialistes modernes renouvellent l'opinion des hylozoïstes; ils regardent la matière comme éternelle et douée d'une force qui suffit à tout expliquer le mouvement, la vie, la sensibilité et la pensée. Ainsi Buchner, l'auteur de Force et Matière. Ce système ne diffère pas de l'évolutionnisme athée ou monisme. Tous ces systèmes sont exclus par la thèse suivante :

THÈSE.

La matière dont le monde est fait ne peut pas

tenir l'existence d'elle-même ;

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d'où il suit que le monde

actuel n'est pas le résultat d'une combinaison fortuite d'atomes. Le monde n'a pu émaner non plus de la substance divine. Seule l'hypothèse de la création est possible et s'impose. De plus, la création est libre et, dans l'hypothèse de la création, le monde absolument le plus parfait n'est pas nécessaire.

579. La matière n'existe pas par elle-même. Déjà on a montré, dans le chapitre précédent, que le monde n'existe pas par lui-même. Il faut maintenant étendre cette affirmation à la matière du monde, particulièrement à cette matière chaotique dont il a été fait. Voici les preuves:

10 Tout ce que nous avons dit du monde en général pour prouver sa contingence, s'applique fort bien aux éléments dont il a été formé. Car la matière est plus imparfaite que le monde qui en est sorti. Si donc le monde n'a pas l'existence par lui-même, comment la matière l'aurait-elle? Mieux encore que le monde, on peut la concevoir comme n'étant pas ; elle est finie, muable, dépendante, etc. Or, tous ces caractères sont incompatibles avec l'existence par soi.

2o Considérons les choses de plus près. Une matière existante par elle-même répugne intrinsèquement. Il répugne, en effet, qu'une matière soit en même temps finie et infinie. Or telle serait une matière incréée. Elle serait finie en essence, car la matière est imparfaite, elle n'a pas toutes les perfections; et elle serait infinie, en tant qu'incréée, et partant nécessaire, immuable, sans limite, car tous ces attributs s'enchaînent. De même, elle serait finie en quantité, car une quantité infinie répugne, en tant que nombrée ; et elle serait infinie, car une matière incréée et partant indépendante ne tomberait sous aucune détermination, aucune forme ou figure. Ajoutons qu'une matière incréée ne serait ni en mouvement ni en repos ; car la matière en tant que telle n'a ni repos ni mouvement, ni à plus forte raison tel mouvement déterminé, elle ne s'oriente pas toute seule, sans être attirée ni déterminée.

:

3o Une raison capitale se dégage des considérations précédentes. Si la matière était incréée, elle serait Dieu, il y aurait donc deux dieux de là le dualisme. Ou bien elle serait le Dieu unique de là le panthéisme, qui ne vaut pas mieux. Les Pères ont insisté sur cette preuve contre les partisans des théories païennes sur l'origine des choses.

580. Objections. 10 Descartes a pensé que l'univers s'explique avec la matière et le mouvement. Pourquoi donc supposer autre chose à l'origine? Si l'on admet, en outre, que le mouvement est essentiel à la matière, elle suffit à rendre raison de tout.

Rép. Descartes supposait une matière et des atomes créés par Dieu. Quant au mouvement, en supposant que la matière l'ait essentiellement, ou plutôt en supposant que la matière ait essentiellement la force, l'activité, elle n'aura l'exercice de cette force ou le mouvement effectif qu'autant qu'elle sera déterminée du dehors et qu'une direction lui sera imprimée. Ensuite, le mouvement local ne suffirait pas à expliquer la végétation et la vie organique, comme le pensait Descartes; encore moins suffirait-il à expliquer la pensée.

2o Il est raisonnable de penser, avec Platon, que l'Ouvrier divin a rencontré une matière qui reçut son action: toute action, en effet, présuppose une matière.

Rép. - Une action imparfaite comme la nôtre présuppose une matière, un sujet ; notre opération nous est accidentelle, et c'est pourquoi elle n'a pour terme que des accidents, des modifications ou du moins des formes nouvelles, sans jamais atteindre le premier être ou le sujet de ces formes. Mais, en Dieu, l'acte est substantiel, la substance divine est un acte pur : il est donc concevable de quelque manière qu'elle atteigne et la forme et le premier fond, en un mot qu'elle soit créatrice (1).

(1) Cf. S. Th. Cg., liv. II, cp. 16.

581. Le monde ne résulte pas d'une combinaison fortuite d'atomes. Cette vérité découle de la précédente.

10 En effet, si la matière n'existe pas par elle-même, elle dépend à tous égards d'une cause première très parfaite, et dès lors toutes les combinaisons qu'elle peut former sont prévues et causées.

2o Ensuite, il n'est pas possible d'attribuer au hasard aveugle l'ordre présent du monde, dont nous saisissons assez l'harmonie pour être frappés d'admiration. Il serait plus facile, on l'a dit avec raison, de composer l'Iliade en jetant du haut d'une tour toutes les lettres qu'elle contient, que de former le monde avec des atomes agités au hasard. En vain dirait-on que le hasard, à force de temps, pourra donner toutes les combinaisons possibles. D'abord le hasard n'est pas une cause, il n'est que relatif, ce n'est que l'imprévu par rapport aux causes secondes, et les merveilles que nous lui attribuons sont en réalité et en définitive l'œuvre d'une Providence cachée. Ensuite, en admettant même que le hasard soit une cause, ce qu'il a fait il peut le défaire et à tout instant. Les nuages s'assemblent pour former une figure et même un tableau fantastique; mais le même souffle qui les a réunis les dissipe. On composera le premier vers de l'Iliade en jetant des lettres du haut d'une tour; mais formera-t-on de même et aussitôt après le deuxième vers? On ne pourrait continuer le poème ni surtout le répéter indéfiniment par le même ́ procédé? Si le hasard avait formé le monde, à tout instant il pourrait le détruire, la vie et le mouvement seraient toujours sur le point de finir ou de changer de voie, l'équilibre de la nature pourrait se rompre, et de mille manières, d'autant mieux que l'ordre est plus compliqué. Or cela n'arrive point, tout persévère depuis des temps incalculables.

3o Mais nous l'avons dit, le hasard n'est pas une vraie cause, il n'est rien en soi, il n'est que l'imprévu. Tout au plus peut-on le regarder comme une cause accidentelle. Mais toute cause accidentelle suppose une cause essen

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