Ce qui m'en reste encor n'est qu'un morne flambeau Éclairant à mes yeux le chemin du tombeau. Que je repose en paix sous le gazon rustique, Sur les bords du ruisseau pur et mélancolique! Vous, amis des humains, et des champs, et des vers, Par un doux souvenir peuplez ces lieux déserts; Suspendez aux tilleuls qui forment ces bocages Mes derniers vêtemens mouillés de tant d'orages; Là quelquefois encor daignez vous rassembler; Là prononcez l'adieu : que je sente couler Sur le sol enfermant mes cendres endormies Des mots partis du cœur et des larmes amies!
DANS les beaux jours de Louis quatorzième, Un jeune objet, qu'eût aimé l'Amour même, Grâce à l'hymen, partageait le destin D'un Franc-Comtois, comte de Valespin.
1. Une anecdote très-remarquable, tirée des mémoires du conseiller Lainet sur la guerre civile, et rapportée par Voltaire dans son Siècle de Louis XIV, a fourni à Chénier l'idée de ce joli conte.
« Une dame de qualité, de Franche Comté, se trouvant à Paris, « grosse de huit mois, en 1664, son mari, absent depuis un an, arrive. Elle craint qu'il ne la tue: elle s'adresse à Lainet, sans le connaître. Celui-ci consulte l'ambassadeur d'Espagne; tous deux imaginent de faire enfermer le mari, par lettre de cachet, à la Bastille, jusqu'à ce que la femme soit relevée de couche. « Ils s'adressent à la reine. Le roi, en riant, fait et signe la lettre « de cachet lui-même; il sauve la vie de la femme et de l'enfant; ensuite il demande pardon au mari, et lui fait un présent. Voyez le Dictionnaire du Siècle de Louis XIV, article Lainet. (Note de l'éditeur.)
L'époux, major au service d'Espagne, Laisse à Paris sa gentille compagne Dix mois entiers: un oisif de la cour Le remplaça. Quand au son du tambour Le bon major, zélé pour le service, A Besançon commandait l'exercice, Sans bruit aucun la belle au sein des nuits Cueillait des fleurs qui promettaient des fruits. Rien n'était su: trois semaines encore, Et, déja mûrs, ces fruits allaient éclore. Chez elle un jour elle rentrait le soir : Quel contre-tems! et que le trait est noir! De Besançon certaine lettre arrive; Et son époux par la tendre missive Lui fait savoir qu'il presse son rétour: Le lendemain, vers le déclin du jour, Il reverra sa femme tant aimée !' 'D'un tel espoir la belle peu charmée Lit et relit, se couche, et ne dort pas. Que faire? Il faut se tirer d'un tel pas. Mais le peut-on? Comment? Quel parti prendre? De grand matin, ne sachant qu'entreprendre, Elle est debout: de modestes apprêts Sans les couvrir relèvent ses attraits. En négligé, mais avec élégance, Elle va voir, pour cas de conscience, Un ami sûr, un profond magistrat : Monsieur Lainet, le conseiller d'état.
Elle dit tout d'un air de prud'homie, S'intéressant pour une tendre amie
Qu'elle excusait, sans l'approuver pourtant; Mais la plus sage en aurait fait autant. Le mari loin! puis la jeune imprudente A dix-huit ans, et le mari quarante! Elle parlait en baissant ses beaux yeux, Et parlait bien: Lainet l'entendit mieux. ! Pour le beau sexe il était honnête homme, Lisait Cujas et parcourait Brantôme, Savait le droit sans ignorer l'amour, Et connaissait les usages de cour. Un peu malin, mais avec politesse, Si bien il fait que l'aimable comtesse Voit, reconnaît, révère la douceur D'un indulgent et discret confesseur; A son langage aisément se façonne, Et, renonçant à la tierce personne,
Oui, lui dit-elle, oui, j'approuve bien fort << Celui qui dit: Absens, vous avez tort.
<< Mais pas toujours: n'en déplaise à l'adage, « Mari présent peut l'avoir davantage,
« Le bien est mal, s'il vient hors de saison. << Mon cher époux entendra-t-il raison? << Que dira-t-il quand je vais être mère « De cet enfant dont il n'est pas le père? : << Bien pourrait-on le lui donner gratis, <«< En invoquant la loi Pater est is;
« Mais Valespin n'y verrait qu'une insulte: « Un militaire est peu jurisconsulte.
« Dès ce soir même il arrive en ces lieux:
Voyez, pensez, réglez tout pour le mieux. «<- Penser, Madame! eh! c'est une vétille, « Répond Lainet; nous avons la Bastille : « Le cher époux peut y coucher ce soir; « Les lits sont bons. S'il demande à vous voir, « On lui dira que, pour certaine cause, « A son désir l'ordre du roi s'oppose. « Cet ordre-là peut se lever un jour; « Délivrez-vous: chacun aura son tour. » Elle rougit, fit un peu l'éplorée, Sourit bientôt, et partit rassurée.
Or, en ce tems, le pays franc-comtois Des Espagnols reconnaissait les lois. Il s'agissait d'un cas diplomatique. Lainet le vit, et du roi catholique Alla trouver le grave ambassadeur, Qui, rassemblant toute sa profondeur, Crut que la paix dite des Pyrénées N'avait en rien interdit ces menées. Considérant l'urgence du traité, Il se rendit près de Sa Majesté. Le jeune roi balança sur l'affaire ; Il consulta madame Anne sa mère, Et Mazarin. Le Scapin cardinal
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