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Cultivant chaque jour l'intelligence humaine,
Vous avez fait valoir et grossi son domaine.
Si le profond René, qui fut trop créateur,
Du doute méthodique heureux législateur,
Mais infidèle aux lois par lui-même fixées,
De nos sensations sépara nos pensées;
Si cet autre rêveur qui voyait tout en Dieu
Ne se fit pas comprendre, et se comprit fort peu;
Si, dans la Germanie, un charlatan gothique,
Ose, en illuminé, prêcher sa scholastique;
Les chemins qu'entrevit Bacon le précurseur,
Et dont Locke en tremblant sonda la profondeur,
Offrant à vos efforts un terrain plus docile,
Désormais, grâce à vous, sont d'un accès facile.
Guidés par la nature, et cherchant pas à pas,
Vous étudiez l'homme, et ne l'inventez pas;
Des effets démontrés vous remontez aux causes;
Mais pesez bien les mots, car les mots font les choses.

DISCOURS

SUR LES ENTRAVES

DONNÉES A LA LITTÉRATURE,

DES lettres qui jadis ont fait notre grandeur

Vous voulez, dites-vous, ranimer la splendeur.
Le projet est fort beau: sans elles point de gloire.
Des ignorans cruels ont flétri la victoire:
Sésostris, Alexandre, au brelan des combats,
N'étaient pas plus heureux que Gengis et Thamas;
L'imbécile Alaric subjugua par l'épée
L'empire qu'usurpa le vainqueur de Pompée;
Miltiade implorait l'égide de Pallas;

Suwarow, plus chrétien, suivait saint Nicolas;
Et, depuis trois mille ans aux héros condamnée,
La terre n'a pu voir une innocente année
Où du sanglant récit de ses faits éclatans
Un héros n'ait souillé les gazettes du tems.
Chaque peuple à son tour eut le glaive et l'empire;
Mais, dans l'art de penser, de parler et d'écrire,
Des nations d'élite, et des siècles heureux,
En cet espace étroit des talens peu nombreux,

Flambeaux jetés au loin dans une nuit profonde, Ont semé la lumière et consolé le monde.

Nous conservons du moins leur brillant souvenir:
Ils ont fait le présent; ils feront l'avenir.
De la postérité conquérans pacifiques,
Ces écrivains, ces tems, ces nations classiques,
Ont dicté les leçons qu'il nous faut écouter,
Ont montré les écueils qu'il nous faut redouter,
Et les moyens d'ouvrir des routes aperçues,
Et l'art de se frayer des routes inconnues.
On néglige cet art: vous en êtes surpris!
Ce n'est pas en rampant qu'on peut gagner le prix.
Ne dites point courez, en fermant la barrière;
Le talent ne sait pas rétrécir sa carrière :
Vous n'en ferez jamais qu'un esclave indompté;
Sa force est la Raison; son cri la Liberté.

Certes, du bien-aimé quelque ministre habile De nos malins aïeux aurait ému la bile, S'il eût dit : « Écoutez: Mécène par état, « Des lettres, des beaux-arts, je soutiendrai l'éclat; << Mais je crains la Raison, qui devient trop hardie. << On pense : c'est terrible; et l'Encyclopédie << A corrompu Chaillot, Gonesse et Saint-Germain. << Du lait des préjugés sevrant le genre humain, << Voltaire en esprit fort a changé Melpomène : << De Mahomet, d'Alzire, il faut purger la scène;

<< Fermons-lui le théâtre, ouvert à Pellegrin. << Gloire à Simon-le-Franc! Si Voltaire est chagrin, « Il lui sera loisible, afin de se distraire,

<< D'aider Martin Fréron dans l'Ane littéraire.

« D'un certain Montesquieu l'on parle quelquefois : << Défense expresse à lui d'écrire sur les lois; << Mais ledit Montesquieu d'une plume discrète << Pourra, sous trois commis, rédiger la gazette. << Jean-Jacque est un peu fou; mais, comme il écrit bien, « Il faudra l'enrôler pour le journal chrétien. << Que Buffon, désormais, en prose poétique, D'après les livres saints démontre la physique. << D'Alembert sait l'algèbre, il fera des chansons; << Fréret des mandemens, Diderot des sermons. »

Les bons journaux du tems auraient vanté peut-être Le discours du valet parlant au nom du maître; Mais, accueilli bientôt par vingt joyeux pamphlets, Il eût fait, dans Paris, renchérir les sifflets.

«Oh! répond Clistorel, ministre apothicaire: << Tant de littérature est fort peu nécessaire; << Personne n'écrit bien quand tout le monde écrit; << On baisse; et, je le sens, nous n'avons plus d'esprit. >>> L'ami, pas d'injustice. En la cité gothique, Dans un humble réduit qu'aucuns nommaient boutique, Impunément bavard, tu pouvais délayer, Ressasser, compiler, commenter Lavoisier;

On ne t'écoutait pas, mais on te laissait dire.
Sais-tu bien, Clistorel, qu'il est un art d'écrire?
Sais-tu choisir, placer les mots les plus heureux;
Par de nouveaux rapports les combiner entre eux;
Allier à ces mots, colorés par l'image,
Les sons harmonieux, musique du langage;
Peindre nos passions, et noter leurs accens
En des vers où toujours la rime ajoute au sens;
Où la simplicité n'exclut pas la noblesse;
Où la précision s'unit à la justesse;

Pleins sans être tendus, nerveux avec douceur,
Que le cœur a dictés, et qui vont droit au cœur?
Non : c'est là, Clistorel, que ta science échoue.
Si l'or en ton creuset se mêle avec la boue,
Tu les connais tous deux; tu vas nous démontrer
Qu'en pouvant les unir tu peux les séparer;
Mais le talent échappe à ta vaine analyse:
Tu ne peux de l'esprit distinguer la sottise.
Va, malgré les valets, malgré les charlatans,
Le creuset immortel est dans les mains du Tems.
Exerce ton métier; sois utile et modeste;

D'un peu de gros bon sens conserve quelque reste.
D'un pas tardif et lourd, hâté par l'aiguillon,
Le bœuf en mugissant fertilise un sillon;
Mais donne-t-il le prix aux coursiers de l'Élide?
Du chant des rossignols est-ce lui qui décide?
Va-t-il cueillir ces fleurs dont les filles du ciel
Choisissent les parfums pour composer leur miel?

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