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qu'elle seule explique et connaît; à cette clarté commune aux moralistes chrétiens, le prêtre joint le secours d'une expérience pratique qui lui est propre : de là une science secrète de la vie et des mœurs qui féconde sa pensée et donne de l'ame à sa parole. Nous ne suivrons point l'auteur dans les ramifications de la morale évangélique; nous devons nous borner à toucher les points capitaux de cette doctrine, à mettre en lumière la simplicité des principes et leur efficacité dans l'application; simplicité dans les voies, puissance dans les effets double caractère de la suprême sagesse.

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Pour régler tout l'homme à l'extérieur dans ses sentimens et dans ses actes, l'Evangile a apporté dans le monde une seule vertu : la charité. Or la charité est amour. Nulle autre religion que la religion chrétienne, remarque Pascal, n'a fait aux hommes l'obligation d'aimer Dieu; nulle secte de philosophie, dit-il ailleurs, n'y pensa jamais. Il ne pouvait en être autrement. Dieu est pur esprit, les sens nous dominent, et notre cœur ne s'attache naturellement qu'aux objets sur lesquels il a prise et qui peuvent exciter ses désirs. L'auteur de tout bien avait fait du commandement de l'aimer le premier point de la loi qu'il intimait à son peuple 1 ; il avait, en faveur de ce peuple choisi, épuisé les merveilles de sa toute-puissance; et pourtant toute l'histoire du peuple juif n'est qu'un long témoignage de son infidélité! Pour que l'amour divin pût entrer dans le cœur de l'homme, il fallait que Dieu, revêtu d'une humanité sainte, vînt

1 Et nunc, Israel, quid Dominus Deus tuus petit à te, nisi ut diligas eum ac servias Domino Deo tuo in toto corde tuo et in totâ animâ tuâ? ( Deuter., x, 12. XI, I - VI, 5.)

lui-même sur la terre, afin d'être à la fois, et d'une manière sensible, l'instituteur, le modèle, l'objet de ce sentiment sacré. Il fallait surtout qu'il en fût par sa grâce le dispensateur. « Celui qui a mes commande<«< mens et qui les garde, c'est celui-là qui m'aime ; je <«< l'aimerai et je me ferai connaître à lui 1. » Ainsi l'a déclaré le Législateur lui-même. L'amour n'est pas seulement le mobile de l'observance de la loi; il en est la récompense.

Qui pourrait ne pas admirer cette morale? C'est dans l'amour de l'homme pour son semblable que le divin Législateur a voulu reconnaître le signe efficace de l'accomplissement du grand et premier commandement de l'aimer lui-même! « Je vous fais un commandement << nouveau qui est que vous vous aimiez les uns les << autres; c'est en cela que tous connaîtront que vous «< êtes mes disciples 2. » Puis, dans cette prière sublime qu'il adresse à Dieu au moment de consommer son sacrifice : « Père saint! qu'ils soient un tous ensemble «< comme vous êtes en moi et moi en vous ; qu'ils soient << de même un en nous 3! » Aussi le disciple que Jésus aimait, celui de tous le plus profondément initié dans la doctrine du Maître, a-t-il réduit son enseignement à ces paroles Mes enfans, aimez-vous les uns les autres.... « Si quelqu'un dit : j'aime Dieu et ne laisse <<< pas de haïr son frère, il ment. Comment celui qui « n'aime pas son frère qu'il voit, peut-il aimer Dieu <«< qu'il ne voit pas 4 ? »

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Vous trouvez dans ce peu de lignes évangéliques l'origine et le secret de cette charité fraternelle qui a opéré des miracles dans le monde. Commandement véritablement nouveau qui rend superflues toutes les règles de la morale, et hors duquel toute morale demeure imparfaite. Selon la nature, rien n'entre dans notre cœur que notre intérêt, notre passion, notre plaisir. La nature de l'amour-propre, du moi humain, est de n'aimer que soi, de ne considérer que soi. Tous les hommes se haïssent naturellement, parce que chaque moi est l'ennemi, et voudrait étre le tyran de tous les autres 1. C'est à cet égoïsme, source de division et d'injustice, que l'Evangile oppose la charité. Mais cette charité pour tous est au-dessus de la nature, puisque l'amour exclusif de soi est selon la nature : nul donc qu'un Dieu ne pouvait faire un devoir à l'homme de cette vertu et l'implanter dans son cœur.

Vous voyez tout l'extérieur de l'homme réglé par la charité; l'Evangile met également son intérieur sous la garde d'une seule vertu l'humilité chrétienne. L'humilité, que l'Evangile prescrit à l'homme, est la reconnaissance de sa faiblesse avec le sentiment de la nécessité de l'aide de Dieu pour en sortir. Les anciens sages avaient entrevu l'humilité restreinte au sentiment de notre faiblesse. Nosce te ipsum; connaissez-vous vous-même, disaient-ils, et vous arriverez à la vue de votre infirmité. Nimia magnitudo est sut intelligere parvitatem. Si l'on ne se connaît plein de faiblesse, de misère et d'injustice, on est bien aveugle, a dit Pascal; la sagesse humaine pouvait donc aller jusque-là.

Pascal, chap. iv, art. 2, pensées 7, 10, 11.

I

Mais cette vue ne rabattait rien des hauteurs de l'òrgueil; car il contrepèse toutes nos misères, dit le grand moraliste chrétien : « Ou il les cache, ou s'il les dé« couvre, il se glorifie de les connaître 1. » L'orgueil humain, enflé par le savoir, se constitue roi de la vérité qu'il possède, et il se fait idolâtre de la pensée. L'orgueil avec l'égoïsme est donc le fond de notre nature l'un source d'injustice, l'autre d'aveuglement. L'Evangile attaque cet antique auteur de nos misères avec le poids de ses exemples et la sévérité de ses maximes. Il l'humilie par la foi en des mystères d'humilité, selon le mot d'un grand esprit 2. Puis il lui apprend à s'anéantir devant la nécessité du secours de Dieu pour arriver au moindre bien 3. Telle est l'humilité; disposition de l'ame également nouvelle, mais qui, bien loin de dégrader l'homme, le relève et l'anoblit. « Consi<< dérez, dit Pascal, la hauteur et l'humilité d'une ame «< chrétienne 4. » Il ne sépare point ces deux choses. C'est qu'en effet le chrétien ne s'abaisse que devant Dieu. Il reconnaît qu'il ne peut rien sans lui, mais qu'il peut tout avec lui. Et qu'y a-t-il de grand que la charité chrétienne appuyée sur l'humilité n'ait tenté et mis à fin? De cette vertu tout évangélique naît l'alliance d'une défiance salutaire et d'une confiance sainte; alliance qui devient à son tour le principe d'une sagesse sans présomption, d'une dignité sans enflure.

Chap. VIII, pens. 2.

2 Bourdaloue.

Chap. IV, art. 2, pens. 2.

3 << Comme la branche ne saurait porter de fruit d'elle-même et «sans demeurer attachée au cep de la vigne..... je suis le cep et vous << êtes les branches; vous ne pouvez rien faire sans moi. » ( Joan., xv, 4 et 5.)

4 Chap. VIII, pensée 12.

Voilà toute la morale évangélique, du moins considérée dans sa source. Vous voyez qu'elle domine les âges, les conditions, les diverses situations de la vie. Mettons-la seulement à l'épreuve par rapport au point le plus difficile à régler dans le régime de la société humaine. L'homme est libre par sa pensée; il est dépendant par la société. Supprimez la liberté, l'homme descend au rang de la brute; supprimez l'autorité, la société est dissoute. Ces deux puissances sont en conflit dans le monde. La société abandonnée aux élémens fortuits de sa constitution ou aux combinaisons laborieuses de l'esprit de l'homme, navigue péniblement en péril de despotisme ou d'anarchie; et trop souvent sans pouvoir éviter l'un ou l'autre de ces écueils. Plaçons-la maintenant sous la direction de la morale évangélique. Saint Paul a dit un mot admirable : Nolite fieri servi hominum, gardez-vous de vous faire les esclaves des hommes; et la raison qu'il en donne est celle-ci : car vous avez été rachetés d'un grand prix, empti enim estis pretio magno. Voilà la dignité chrétienne. Mais le même apôtre vous fait un devoir de conscience d'être soumis à l'autorité sous quelque forme qu'elle soit constituée, parce qu'elle a été établie de Dieu même pour le gouvernement du monde 2. Rapprochez ces textes du précepte émané du Législateur: Celui qui est le plus grand parmi vous sera le serviteur des autres. Et ailleurs : «Les maîtres des nations les traitent avec empire, « et ceux qui ont autorité sur elles en sont appelés les « bienfaiteurs. Qu'il n'en soit pas de même parmi vous.

II Cor., VII, 23.

2 Rom., XIII, 1, 2, 5.

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