Accordez-lui ses justes demandes. Oseroisje faire parler en sa faveur votre tendresse pour moi, et l'amour mutuel que nous nous sommes juré mille fois ? M. D'AR. Taisez-vous, mère trop coupable. C'est vous qui par une molle complaisance avez perdu votre fille. Apprenez les malheurs qui la menacent. Je vais écrire pour avoir une lettre de cachet. Avant trois jours, votre fille sera renfermée, non dans un monastère, comme elle le désire, mais dans une prison affreuse. Je me nourrirai de ses douleurs; ses peines feront ma joie. ( Il s'en va avec précipitation.) Mad. D'AR. Quel dessein! quel projet ! O malheureuse mère, à quelles douleurs suis-je donc réservée ! MEL. O mère trop digne d'être aimée, c'est moi qui cause vos tourmens !...... CLOT. Je vous plains, Madame : mais, au milieu de vos peines, vous avez un grand sujet de consolation. Rendez grâces au Dieu puissant qui a donné à mademoiselle votre fille un courage héroïque et chrétien. Oui, le Seigneur est avec elle, il la soutient, il l'inspire on ne peut plus douter de sa vocation. Mad. D'AR. C'est donc aux Carmélites que ma fille veut aller. L'austérité de la règle me fait frémir; mais je ne puis m'opposer à ses desseins. Une puissance invisible semble me forcer à y consentir. Hélas! avant peu, je serai privée d'une enfant qui fait toute la douceur de ma vie. Que ne suis-je assez heureuse, pour terminer avec elle dans la solitude une vie qui ne sera plus pour moi qu'un tissu de chagrins et de peines ! CLOT. Il faut espérer, Madame, que M. votre époux changera. Dieu est le maître des cœurs. Mais, quand il résisteroit encore, Dieu a des ressources qui nous sont inconnues. L'instant, où tout semble désespéré, est souvent celui où tout est sur le point de réussir. Ah! tendre Mélanie, j'envie votre bonheur. Je l'achèterois volontiers au prix de toutes vos peines. MEL. Comment me livrer à cet espoir ? Jamais mon bonheur ne parut plus éloigné. Excellente amie, que de peines à souffrir! que de chagrins à dévorer! Mais, ce qui m'affecte profondément, c'est de voir mon père si éloigné de Dieu, que maman souffre pour moi, et qu'elle s'expose au sort le plus cruel. Mad. D'AR. N'y pensez pas, ma fille. Tout cela est dû à une ame infidèle, qui depuis si long-temps résiste à la voix de son Dieu. Cet évènement me fait faire de sérieuses réflexions. Puisse-t-il me détacher d'un monde, à qui j'ai sacrifié mon Dieu et mon salut! Je vous en prie, mademoiselle Clotilde, ne nous abandonnez pas dans l'extrémité où nous sommes. Revenez le plutôt possible, recueillir nos soupirs, et essuyer nos larmes. Grand Dieu ! quelle nuit affreuse se prépare! Je n'y peux penser sans frémir. Mon cœur se resserre, et mon sang se glace dans mes veines. CLOT. Je voudrois, Madame, ne point vous quitter; mais mon devoir m'appelle, il faut que je retourne auprès de ma mère. Je me rendrai demain ici de bonne heure. Je crois que mademoiselle Mélanie fera bien de ne point paroître ce soir devant M. son père. Tâchez de le fléchir, Madame, et servez-vous pour cela de tout l'ascendant que vos vertus vous donnent. Je vais offrir mes prières au Dieu de toute consolation. Adieu, Madame. Bonsoir, ma chère Mélanie; mon cœur reste au milieu de vous. XXII.e ENTRETIEN. Mort terrible de M. d'Arondel. Entrée de Mélanie anx Carmélites CLOTILDE, MÉLANIE, M.me D'ARONDEL. MÉLANIE. Ah! mon excellente amie, que vais-je vous apprendre ! Venez maison est couverte de deuil. notre CLOT. Que dites-vous, ma chère amie? Quoi ! seroit-il possible? Mad. D'AR. Embrassez, Mademoiselle une veuve désolée. CLOT. Quel cruel accident! Grand Dieu! que vos jugemens sont impénétrables! O Ciel cet homme d'une santé florissante, qui hier...... n'est plus ! Ah! je ne puis retenir mes larmes. MÉL. Il est mort à minuit ; j'ai recueilli son dernier soupir. Quelle mort funeste, ô mon Dieu ! CLOT. Je ne veux pas renouveler vos peines, en vous demandant des détails. La religion peut seule nous soutenir dans ces Mad. D'AR. Ne craignez pas, M.lle, d'augmenter ma douleur. Le cadavre de mon époux est toujours présent à mes yeux; son ombre me suit partout. J'entends ses blasphèmes, je vois ses fureurs et son désespoir. Oh! qu'il est terrible de tomber entre les mains du Dieu vivant! MÉL. En vous quittant hier au soir, mon excellente amie, maman fut trouver mon papa; elle n'osa l'approcher, tant il étoit en colère. Il marchoit à grands pas, frappoit, grinçoit les dents, faisoit des cris affreux; il maudissoit le jour où il est né; il blasphémoit contre le Ciel qu'il accusoit de ses malheurs. Maman me fit appeler : nous croyions l'une et l'autre qu'il avoit absolument perdu la tête, qu'il étoit en délire. CLOT. C'est possible, et il faut le croire. Mad. D'AR. Que ne puis-je me le persuader! O mon Dieu, que vos vengeances' sont terribles! Tous les domestiques, plusieurs personnes même du dehors, accourus pour le secourir, ont entendu ses blasphèmes. On va répandre dans la ville, qu'il est mort en impie. CLOT. C'étoit un accès de frénésie, et cet accès n'annonçoit pas une mort pro |