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de Flandre, rapporta de Jérusalem à Bruges, vers 1150, une partie du sang de Jésus-Christ, recueillie au pied de la croix par Nicodème et Joseph d'Arimathie. Thierry avait reçu ce divin présent de Baudouin III, roi de Jérusalem. Une bulle du pape Clément V constate que jusqu'au commencement du quatorzième siècle, le Saint-Sang de Bruges, figé toute la semaine, se liquéfiait les vendredis, vers six heures. Le miracle cessa le 13 avril 1310, raconte le père Meulenyzer, parce qu'un sacrilége, en baisant la relique, proféra contre elle un blasphème.

Depuis cette époque, le Saint-Sang n'a pas cessé d'être vénéré à Bruges, et le jubilé en a été célébré en 1850 avec plus de solennité que jamais. Un mois d'avance, la grande procession historique avait été annoncée dans tout le royaume, en flamand et en français. Aussi la ville entière regorgeait de pèlerins étrangers. Des Anglais payaient une guinée leur place à une fenêtre. Les rues étaient jonchées de feuillage et de fleurs, et tapissées de tentures, de drapeaux de toute nation, d'oriflammes symboliques, etc. Les cloches carillonnaient sans relâche. La cité, si déserte et si muette ordinairement, était pleine de mouvement, de foule et de bruits joyeux. Le 7 mai, la procession déboucha de Notre-Dame et déploya son immense cortége: musique et régiments de l'armée; la gilde des menuisiers, avec ses hérauts, ses bannières et ses costumes; l'histoire de toutes les Flandres, représentée par ses personnages, le comte Robert, les preux compagnons de saint Louis, Jean de Matha, fondateur des Trinitaires, Charles le Téméraire, Marie de Bourgogne, Thierry d'Alsace, les évêques de Gand, Namur, Liège, etc.; puis encore Jacques de Compostelle, les prophètes et les saints de la Bible, les mystères douloureux et glorieux, les batailles célèbres, le supplice de sainte Catherine, la reine Bathilde, la chasse de saint Eloi, les bourgmestres, les échevins, les fonctionnaires, les corporations; tout cela divisé en autant d'escortes, sur 600 mètres de long, et formant près de deux mille hommes et femmes vétus avec l'exactitude et la richesse traditionnelles. Par exemple, la reine Marie de Bourgogne portait une valeur de 60,000 francs en diamants et en pierreries. Quant à l'assistance et au concours des spectateurs, ils étaient innombrables et composaient un cadre digne de l'immense tableau. Le défilé dura plusieurs heures. Après la rentrée de Pie IX à Rome, c'est le plus beau coup d'œil qu'ait offert la religion depuis longtemps. M. de Ravignan devait prêcher. Son état de souffrance l'en empêcha. Il fut remplacé par M. Capelle, chanoine de Cambrai.

La folie française agitait ses grelots dans cette fête populaire. Sur une place à l'écart, près d'un canal, une armée de saltimbanques s'était établie dans un village improvisé en planches et en toiles peintes. Les bons Flamands sy extasiaient devant un singulier mélange de spectacles: La Passion de Notre-Seigneur, les barricades de Juin, l'Assemblée nationale, la mort de monseigneur Affre, T'empereur Napoléon, le général Cavaignac, en cire coloriée, les femmes sauvages, les bêtes savantes, les escamoteurs, etc., etc. Un traiteur de Paris, qui avait converti en restaurant une vieille maison espagnole du voisinage, vendit, le seul jour de la procession, deux à trois cents livres de beefsteak.

Vous voyez que Bruges méritait le pinceau de M. Ouvrié, comme celui-ci mérite le burin de nos graveurs. FABLES ET FABLIAUX, de M. Etienne CATALAN.

Parmi les livres que le Musée des Familles a pris sous ses auspices et qui sont en vente dans ses bureaux, il en est un que nous recommandons spécialement à nos lecteurs, non-seulement parce qu'il est dans toute la fraîcheur de sa nouveauté, mais encore et surtout parce que nous n'en savons pas de meilleur à placer dans une bibhothèque de famille; ce sont les Fables et Fabliaux de M. Etienne Catalan, le profond et savant moraliste, l'ingénieux et par écrivain, que les Etudes sur Montaigne, pour quiconque les a lues, ont élevé déjà aux premiers

rangs littéraires. Le second ouvrage est digne en tont du premier, et le rappelle heureusement par la solidité du fond et l'originalité de la forme. On reconnaît, dans les Fables et Fabliaux, le digne élève de Montaigne, l'homme qui a pâli vingt ans sur les pages des Essais, et qui s'est approprié en maître les tournures alertes, les finesses naïves, les vieux mots si regrettables, le fumet si exquis (passez-nous le mot) du plus puissant créateur de notre langue. Nul fabuliste, depuis La Fontaine, n'a conté avec autant de bonne humeur et dans un style plus vraiment français, nous allons dire gaulois. M. Catalan, du reste, a renouvelé la fable, si usée depuis deux siècles. Comme son titre l'indique fort bien, il l'a rajeunie en la mariant au fabliau. L'idée, certes, était excellente; l'exécution ne l'est pas moins. Ce ne sont plus ici seulement des bêtes qui font de la morale: ce sont des personnages illustres ou curieux qui défilent, jetant une anecdote, un souvenir ou un bon mot; ce sont les aventures les plus piquantes et les plus ignorées de nos vieux conteurs, ravivées de tout ce que l'art savant du langage actuel, de tout ce que les ressources de la poésie familière, peuvent ajouter au naturel charmant de notre ancien idiome. Nos lecteurs auront jugé cette savante fusion par les deux fables de l'auteur, insérées dans notre présent numéro. Le livre entier mérite d'aller dans leurs mains. Ils n'en trouveront guère, par le temps qui court, de plus littéraire, de plus moral et de plus amusant tout à la fois. Ce sera un honneur pour le Musée des Familles d'avoir mis le premier cette perle en lumière. Aussi ne manquera-t-il pas d'y revenir. Les occasions peut-être ne s'en feront pas attendre, car si les Etudes sur Montaigne avaient excité la vive attention de l'Académie française, les Fables et Fabliaux méritent plus que l'attention de l'éminent aréopage.

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Nous devons un avis sincère aux familles qui reprennent leurs quartiers d'hiver à Paris, et qui cherchent des cours d'instruction où ils puissent envoyer leurs enfants en toute confiance. Le plus distingué, le plus célèbre et en même temps le plus sûr de tous ces cours, est sans contredit celui de M. Colart, ancien instituteur des Enfants de France, premier élève et successeur de l'illustre abbé Gaultier. Universalité des sciences modernes, solidité des vieux principes, unité de méthode et de direction, expérience de quarante années, émulation constante et progrès rapides, tout est réuni dans cet enseignement sans rival, où se forme chaque hiver l'élite de la jeunesse parisienne, depuis le premier âge jusqu'à l'adolescence et au mariage. M. Colart a pour sage devise: Ni trop, ni trop peu. Ses leçons durent six mois, de décembre à juin; des devoirs sont donnés pour l'été et corrigés à la rentrée des classes. Cette division du temps et du travail ne convient pas seulement à la majorité très-aristocratique des élèves de M. Colart, qui passent la belle saison dans les châteaux de leurs pères; elle convient à tous les enfants dont l'esprit se repose sans s'endormir, tandis que leur cœur se retrempe dans la vie de famille, et que leur santé se fortifie dans la vie de campagne. Les cours, justement nommés encyclopédiques, embrassent la grammaire, la littérature, histoire universelle, la géographie, l'astronomie élémentaire, les mathématiques, les sciences naturelles, les langues, les arts d'agrément. Les professeurs qui secondent M. Colart sont dignes de lui. Il suffit de citer M. Jacquand pour la peinture et M. Panseron pour la musique. Quant à la méthode d'enseignement, on ne peut la juger qu'en écoutant le maître. Nous sommes allé l'en

tendre par curiosité, et nous y sommes retourné par intérêt et par plaisir. Jamais la science élémentaire ne prit des formes plus correctes et plus aimables. M. Colart instruit son jeune auditoire en le charmant, nous allions dire en le fascinant. Les enfants les plus rebelles à l'étude y prennent goût avec lui. Nous l'avons vu faire passer les rudiments les plus abstraits de la grammaire à la faveur d'une saillie et d'un éclat de rire. Nul n'excite plus habilement l'émulation par les petits moyens des jetons et des présidences. Nous connaissons une jeune fille pour qui la leçon de M. Colart est la fête la plus désirée de chaque semaine. Ajoutez à tout cela que le personnel de ces cours n'est jamais altéré d'aucun mélange suspect,

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que l'éducation s'y fait en même temps que l'instruction, par l'enseignement mutuel des bonnes manières, et par l'a-propos exquis du maître à donner l'exemple et, au besoin, la leçon de cette morale et de cette politesse française dont l'ancien instituteur des rois a pris la tradition en si bon lieu.

RÉBUS ET ÉNIGMES DU MUSÉE DES FAMILLES.

Ne voulant jamais cesser de joindre l'utile à l'agréable, le Musée des Familles avait résisté jusqu'ici à l'entraînement qui emporte les journaux illustrés vers la futilité des rébus, des charades et des énigmes. S'il cède aujourd'hui à cet entraînement et aux désirs du plus grand

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FRANG

nombre de ses abonnés, c'est qu'il a trouvé le moyen d'introduire l'enseignement jusque dans les bizarreries du rébus et de l'énigme.

Les rébus, que nous inaugurons dans le présent numéro, tout en caseng sant la tête de nos lecteurs, y laisseront hodu moins quelque chose. Ils forme

ront une galerie des médaillons des rois de France et un recueil de leurs paroles les plus mémorables.

Armez-vous de cette clef historique et tâchez d'ouvrir la première porte secrète de notre labyrinthe. (Il va sans dire que le médaillon royal ne fait point partie de la phrase du rébus.)

Nos énigmes auront une portée plus instructive encore et plus générale. Elles embrasseront le vaste domaine de la science, de l'histoire et de la géographie universelles.

Voici celle que nous soumettons, pour commencer, aux méditations de notre public, et qui sera résolue dans notre prochain numéro, par une remarquable scène historique, dramatique et morale:

ENIGME En quel pays et à quelle époque les grands sortaient-ils de table à la lueur de flambeaux vivants?

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N. B. Nous rappelons aux abonnés du Musée des Familles qui ont besoin de gravures de modes exactes et de modèles exécutables de tous les ouvrages à l'aiguille, soit pour eux-mêmes, soit pour leurs familles, soit pour leurs relations de voisinage ou d'amitié, qu'il est encore temps de joindre à leur abonnement pour 1850-51:

LES MODES VRAIES, TRAVAIL EN FAMILLE,

Complément privilégié du Musée des Familles, paraissant chaque mois avec le Musée, contenant plus de texte explicatif et autant de patrons, musique, etc., que les journaux de modes les plus chers, sans excentricités ni réclames de marchands, et ne coûtant que 5 fr. par an pour Paris, et 6 fr. 20 c. pour les départements (à joindre au prix du Musée), au lieu de 12, 15 et 20 fr. que coûtent les journaux de modes sans littérature et sans illustrations. (Voir nos couvertures de septembre et d'octobre derniers.)

Le Musée et les Modes vraies réunis: 11 fr. pour Paris, 13 fr. 70 c. pour les départements. On peut toujours souscrire au Musée seul, auquel rien n'est changé.-Tout abonné du Musée peut souscrire aux Modes vraies, mais on ne peut s'abonner aux Modes vraies sans s'abonner au Musée.

Les abonnés du Musée qui, en renouvelant leur abonnement pour 1850-51, n'ont pas encore profité de leur privilége de recevoir les Modes vraies, n'ont, pour en profiter, qu'à envoyer franco un bon de poste de 6 fr. 20 c., rue SaintRoch, 37.

OUVERTURE D'UN SALON DE LIVRES D'ÉTRENNES AU MUSÉE DES FAMILLES. Beaucoup de familles ne sachant comment faire, surtout loin de Paris et à l'époque des étrennes, le choix si délicat des livres sûrs qui conviennent aux gens de goût, à la jeunesse, aux femmes, aux éducations publiques ou particulières, ont prié le Musée des Familles d'ouvrir un dépôt de ces livres, dans lequel elles pourraient puiser en toute confiance. Le Musée s'est rendu à ce vou, et désormais nos lecteurs n'auront qu'à visiter son salon ou qu'à lui adresser leurs demandes pour recevoir immédiatement les meilleurs ouvrages anciens et modernes: Livres d'heures, de science, d'instruction, de littérature, de récréation morale, d'étrennes, etc., éditions de choix, reliures de toute sorte, à des prix plus réduits que dans le commerce, le Musée ne faisant point ici une spéculation. Voyez la liste et les prix de ces livres, à la quatrième page de la couverture.

Le Salon de livres d'étrennes est ouvert tous les jours, excepté les dimanches et fêtes, de 9 heures à 6 heures.

Typ. HENNUVER. Batignolles.

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Puis, regardant sa femme, charmante Irlandaise, assise en face de lui, et non moins troublée que lui-même, il demanda aux dames la permission de la choisir pour reine. Mme P... reçut la couronne par acclamation, et son mari, autorisé par un tendre coup d'œil, nous raconta ainsi le souvenir qui l'avait ébranlé sur son trône:

Il y a vingt-cinq ans, un orphelin, qui en avait à peine quatorze, et que j'appellerai Daniel, vivait à Dublin chez un oncle maternel, M. Sackville. Ce dernier, veuf d'une femme qui avait emporté toutes ses vertus dans la tombe, était devenu aussi avare que riche, et aussi bourru qu'avare. Il s'était chargé de son neveu par amour-propre; mais, le jugeant au moins superflu dans sa famille (le digne Irlandais avait douze enfants), il l'avait affublé du nom de Treizième, lui faisant de ce nom cruel un reproche quotidien, maudissant son père ruiné par honneur et sa mère tuée par le chagrin, trouvant qu'il mangeait comme un ogre, buvait comme une éponge, dormait comme un fainéant, et n'était bon qu'à désespérer sa famille. Daniel n'eût pu le satisfaire qu'en s'éduquant sans maîtres, en s'habillant sans étoffe, en se nourrissant de brouillard (c'est à peu près ce qui avait lieu), et surtout en partant pour l'Inde avec les mendiants émigrés. Il eût pris vingt fois ce parti, si un bon cœur, un seul, répondant au sien, ne l'eût retenu chez ses parents. C'était Rachel, sa cousine, la plus jeune fille de M. Sackville. Cette jolie enlant, de dix ans à peine, toute blonde et toute rose, avec des yeux d'un bleu humide, avait d'abord, par imitation docile, épousé l'aversion commune pour Daniel; mais bientôt le sentiment de la justice, l'élevant au-dessus de son âge, lui avait appris à consoler le malheureux. Pour vivre et s'instruire à l'ombre de Rachel, Daniel s'était fait le valet de sa gouvernante et de son instituteur. Or, toutes les fois que la cousine était en faute, travaillait mal, perdait ou brisait quelque chose; toutes les fois que la servante ou le pédagogue avaient l'humeur noire, c'était le cousin qui était coupable et qui subissait le châtiment et la malédiction. Cette iniquité pouvait faire de Rachel un petit monstre; elle en fit, au contraire, un ange de dévouement. Plus son compagnon souffrait pour elle, plus elle l'aima et voulut le dédommager. Le voyant puni à sa place, elle devint irréprochable; et, les punitions continuant encore, elle en fit des récompenses en les partageant. Lutte touchante de deux enfants contre une famille entière, où les bons instincts des uns grandissaient de victoire en victoire, tandis que chaque défaite ajoutait aux petitesses et aux vengeances des autres! J'allais oublier un second ami de Daniel, Stop, le griffon du logis, qui le défendait avec plus de courage que de succès.

Rachel était devenue ainsi un prodige de science, de sagesse et de grâce, lorsque arriva la fête de Noël avec son cortége d'étrennes. Chaque enfant reçut un arbre chargé de petits cadeaux et de bougies de couleur. Daniel seul n'en eut point; on trouva quelque raison de l'en priver. Mais comme il dévorait ses larmes à l'écart, Rachel accourut, portant un arbre dix fois plus beau que les autres, et, toute rouge de bonheur, l'offrit à son cousin. C'était un encouragement envoyé par un prêtre voisin à l'ange de la maison. Le donateur arrivait au même instant; il prit les deux enfants sur ses genoux, et adjugeant l'arbre à Daniel, qui n'osait le prendre, il calma le scrupule de son

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tout profit pour elle comme pour toi. Elle en jouira doublement, et vous vous en aimerez davantage.

Les deux enfants s'embrassèrent sous la bénédiction de l'homme de Dieu, et M. Sackville déconcerté ne protesta que par un grognement.

Hélas! c'était trop de bonheur pour Daniel ! Aussi triomphante qu'il restait modeste, Rachel excita sans le vouloir la jalousie de ses frères; et quand vint, le soir, l'exposition des cadeaux illuminés, au moment où le paria contemplait avec délire cette première fête de sa vie, un de ses cousins, feignant une maladresse barbare, mit le feu à son bel arbre de Noël et à tout son échafaudage d'étrennes... En vain Rachel éperdue se brûla les mains pour étouffer l'incendie, Daniel vit la flamme dévorer en un instant son trésor. Ce qui lui fit plus de mal encore, ce fut l'éclat de rires bruyants qui couvrit ses pleurs.

Le lendemain, Rachel était malade au lit, et Daniel cherchait sur le môle un navire pour s'embarquer... Un capitaine américain lui offrit de le prendre à l'essai, s'il consignait huit livres sterling (deux cents francs).

Le pauvre petit crut qu'on lui demandait le Potose, et s'en revint, navré, conter son secret à Rachel...

-Partir! vous voulez partir! s'écria-t-elle, pleurant plus fort que lui. Et ils se consolèrent, en s'embrassant, d'être trop pauvres pour se séparer... Cependant Rachel demeura pensive, et se mit à fouiller machinalement dans les reliques de sa mère...

Pendant les jours suivants, attribuant à Daniel la souffrance de sa cousine, on le maltraita plus que jamais, et on lui interdit le chevet de la malade. Heureusement, celle-ci n'en guérit que plus vite, afin de le revoir, et la famille se retrouva au complet le jour de la fête des Rois. (Ici M. Samuel P... fit une pause, et notre intérêt s'accrut avec son émotion.)

– Daniel eut la fève, reprit-il, comme je viens de l'avoir. Le sort conspirait pour lui, car son cousin, le brûleur d'arbres, avait disposé le gâteau à tout autre intention... Mais il s'embrouilla dans sa tricherie, qui tourna contre lui-même. Il se mordit la lèvre et rougit jusqu'aux oreilles. Les Sackville restèrent confus de cette leçon qui semblait venir d'en haut. Daniel lui-même n'osait se croire le roi du festin, et son regard indécis allait du gåteau à sa cousine, lui demandant d'assurer sa royauté en devenant reine avec lui. Rachel avait bondi sur sa chaise, mais faible encore, elle ne put soutenir tant de joie... Eu voulant s'élancer vers Daniel, elle pâlit, chancela et tomba sans connaissance...

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Ce sera une avance, si je suis content de toi, dit le marin en lui tapant sur la joue. Nous levons l'an ce soir même pour Calcutta.

Sans prendre le temps de sonder ce mystère, Daniel fit son petit paquet et ses adieux au bon prêtre... Puis il embrassa Rachel, avec quels sanglots, vous le devinez.

Sa cousine le prit à part et lui montra son gâteau royal, sauvé par elle et précieusement enfermé dans un coffret: -Vous savez, lui dit-elle, l'enseignement de ma mère. C'est la part de l'absent, votre part, Daniel! Chaque jour, je la consulterai à votre sujet. Tant que vous serez heureux, elle se conservera. J'espère que vous la retrouverez intacte, et que nous la partagerons à votre retour...

L'orphelin sanglota de plus belle et faillit perdre courage. Mais tous les Sackville, accourant et le fêtant pour la première fois, le conduisirent en triomphe au port, non sans le combler... de mille conseils.

La Providence leur réservait deux leçons, à ce dernier moment. Leur victime pleura et les remercia du meilleur cœur en se séparant d'eux; et Stop les quitta pour suivre Daniel à la nage, avec de tels hurlements, que le capitaine attendri le reçut à bord.

Un quart d'heure après, le mousse du Washington (tel était le nouveau titre de Treizième), debont avec Stop sur le bastingage, voyait s'effacer, comme une dernière étoile, le mouchoir agité par sa cousine.

Quand il ne découvrit plus que le ciel et l'eau, le capitaine l'arracha à ses rêveries: Tu connais ceci? lui dit-il en lui montrant un bracelet d'or. Daniel tomba à genoux et comprit enfin... C'était le bracelet de la mère de Rachel, legs sacré de la mourante à sa fille chérie...

- Un vieux prêtre et une charmante enfant, reprit le capitaine, m'ont remis cela ce matin pour la caution que j'exigeais de toi. Lorsqu'on est aimé ainsi, c'est qu'on le mérite! Je crois donc que tu feras ton chemin, et je veux aider tes premiers pas. Si tu es un bon marin, quand nous débarquerons à Calcutta, je te rendrai ce trésor, qui doit te porter bonheur...

-Oh! oui, vous me le rendrez, et je le rapporterai à Rachel s'écria le mousse avec une résolution virile... Douze ans après le départ de Daniel, dont on n'avait plus entendu parler, un mendiant bizarre et inconnu apparut, le soir, jouant sur la clarinette un air du pays, aux portes des anciens châteaux et des riches villas qui entourent Dublin. Il semblait cassé par l'âge et la souffrance. Un chapeau à larges bords ombrageait ses cheveux blancs. Il portait une sorte de robe en haillons, une peau de bête sur les épaules et une besace à la ceinture, avec l'inscription: Pauvre aveugle. Il avait, en effet, pour guide un chien tellement vieux, que sa race était méconnaissable. Les plaisants disaient que l'aveugle y voyait plus clair que le chien. L'un et l'autre intriguaient fort les curieux, qui, sans pouvoir découvrir leur gîte, les retrouvaient chaque soir devant les mêmes habitations. Ces habitations étaient particulièrement celles de la famille Sackville, dont tous les membres, plus ou moins riches, avaient leurs cottages auprès de Dublin. L'obstination du pauvre à mendier à leurs portes était d'autant plus étrange, qu'il serait bientôt mort de faim s'il n'eût vécu que de leurs charités. Les uns le faisaient chasser par leurs domestiques, les autres le chassaient eux-mêmes avec cent avanies; ceux-ci le menaçaient de briser Son gagne-pain criard, ceux-là lâchaient leurs chiens de garde aux trousses de son frêle compagnon. Et plus les marques d'égoïsme lui étaient prodiguées, plus il revenait les provoquer avec son interminable refrain.

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devenir pauvre, et le pauvre riche; que Jésus-Christ luimême (il nous l'a dit) se cache sous les haillons de la misère... Chacun ici-bas peut avoir besoin d'autrui... Réfléchissez à ce que vous faites... La nuit porte conseil; je reviendrai demain...

Et, tout en circulant ainsi, le mendiant faisait causer les les indiscrets, se mettait au courant de l'histoire de chacun, et s'attirait de nouveaux outrages en lançant quelque vérité à propos :

-Monsieur Robert Sackville, attachez bien vos chiens; vous savez que ce n'est pas pour vous qu'ils vous aiment !... -M. Georges, brûlez-vous toujours les arbres de Noël? - Madame Anna Berkins, il y a des marâtres qui donnent aux enfants des gâteaux de pierre !

- Madame Sarah Thomson, vos filles mettent-elles, comme vous, des chats vivants dans le pot-au-feu?

Et mille autres leçons à brûle-pourpoint, qui exaspéraient chacun, sans corriger personne...

L'étrange mendiant ne disparut enfin qu'après avoir reçu de tous les Sackville, festoyant au château paternel, une telle volée de coups de pierre, qu'il s'en alla clopin clopant, emportant son chien meurtri dans ses bras.

Adieu, maintenant! leur cria-t-il d'une voix étonnante pour son âge, je n'ai plus rien à vous demander! Il faut dire qu'une seule exception avait dédommagé le pauvre de tant d'insensibilité. La petite Rachel Sackville, devenue une belle personne de vingt-deux ans, la perle de toute la famille et de tout le comté de Leinster, vivait retirée dans un humble cottage, avec une respectable domestique, soignant les derniers jours du vieux prêtre, ancien ami de son enfance. Chaque fois que le joueur de clarinette arrivait à sa porte, elle écoutait son air national avec une larme dans les yeux, et lui apportait ellemême son aumône en caressant son chien, et en disant de sa douce voix : Priez pour mon cousin Daniel! A ces mots touchants, l'aveugle, attendri à son tour, regardait la jeune fille, comme s'il eût recouvré la vue... Un soir que Mile Sackville était sortie, il se fit conter toute son histoire depuis douze ans par la bonne domestique. C'était la vertu, la piété, la charité en action, mais aussi la tristesse et le malheur... Rachel songeait toujours à son cousin Daniel, et ne pouvait se consoler de son absence et de son silence... Elle passait les journées à parler de lui avec le vieux prêtre... L'arbre de Noël, le gâteau des Rois, le départ, Stop, formaient leur éternelle conversation. Elle avait refusé les plus riches partis de Dublin, ce qui l'avait brouillée avec sa famille...

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- Tenez, suivez-moi, continua la domestique, dont l'émotion du pauvre avait gagné la confiance, vous allez juger à quel point ma maîtresse aime ce Daniel!

Et, oubliant que le vagabond n'y voyait pas, elle le conduisit dans la chambre de Rachel, ouvrit un coffret précieux, et lui montra le gâteau desséché depuis douze ans, mais à l'abri de toute corruption.

- Tant que ce gâteau se conserve ainsi, ajouta-t-elle, Mlle Sackville espère revoir son cousin.

Le mendiant ne l'écoutait plus... Bouleversé des pieds à la tête, il touchait du doigt chaque objet, l'arrosait de larmes, y portait ses lèvres tremblantes... Enfin, s'agenouillant devant le gâteau sacré, il le considéra avec tant d'ardeur et de joie, que la bonne, revenant à elle, s'écria - Vous n'êtes donc pas aveugle?

Pour toute réponse, le pauvre referma le coffret, et disparut...

Quand Rachel rentra, elle poussa un cri, en trouvant le bracelet de sa mère sur le gâteau de Daniel...

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