Vas-tu mentir, traîtresse? (A Germain.) All' m'a dit, comme à toi, des mots gros de tendresse ; All' m'a dit : « Tu sais tout, tu sais te faire aimer. » Crois-tu que j'ai' des droits que je puis réclamer? « Tu sais te faire aimer ! » C'est d'une fière force Un mot pareil, Germain! Eh ben! trompense amorce, Ce mot qui, sur mon cœur, semblait tombé du ciel, Comm' sur la fleur qu'il ouvre un rayon du soleil!... « De ma douce Margot esclave volontaire, « Je soigne ben gaîment et ma femme et ma terre; MARGUERITE, effrayée. Quoi? PIERRE. L'infortuné Pierre, Dans la mare aux canards, la tête la première, S'est jeté, pour y boir' le coup de l'étrier: CHRONIQUE DU MOIS.--SALON DE 1850. LES ANECDOTES DU VESTIBULE. Au moment où vous lirez ces lignes, le Salon de 1850 ouvrira ses portes au public. Notre prochain numéro vous en décrira le contenu. Nous ne pouvons aujourd'hui parler que du contenant. Ne vous en plaignez pas d'ailleurs. Les tableaux des galeries ne vaudront peut-être pas les anecdotes du vestibule. Bien que la peinture et la sculpture annuelles n'aient pas encore trouvé d'asile convenable, il faut se réjouir de les voir exilées définitivement de l'ancien Musée du Louvre. Cette superposition des vivants sur les morts, des croûtes du métier sur les chefs-d'œuvre de l'art, était une barbarie qui a duré beaucoup trop longtemps. Loin de voiler les modèles de nos immortelles galeries, on ne saurait trop les découvrir à tous les yeux; et la nécessité de loger l'art contemporain quelque part nous vaudra un palais de plus..., quand la saison des palais reviendra. Ne sachant que faire des demeures royales, dont il n'osait remplacer les hôtes, le gouvernement de 1848 offrit aux artistes exposants le Palais-National. Les artistes s'écrièrent que c'était les enterrer. On les rejeta alors de Charybde en Scylla, c'est-à-dire aux Tuileries, pour l'exposition dernière. Nous avons dit combien ce palais, bon tout au plus pour les rois et les empereurs, était antipathique aux statues et aux tableaux. Les artistes qui eurent le malheur d'y figurer jurèrent qu'on ne les y prendrait plus. On se mit aussitôt à bâtir vingt galeries sur le papier. L'un proposait le Carrousel, l'autre l'emplacement de la mairie du deuxième arrondissement, un troisième le vide laissé par l'hôtel Turenne, quai Malaquais, etc., etc. On n'oublia que l'idée la meilleure et la plus naturelle, celle qui concilierait tout et coûterait le moins l'appropriation du second étage du Louvre aux exhibitions annuelles, qui auraient ainsi pour modèles et pour stimulants les merveilles en permanence au premier étage. Au milieu de ces projets divers, l'exposition de 1850 faillit se trouver entre deux salons, comme un cavalier entre deux selles. Bref, elle fut remise au mois de décembre, et renvoyée... au Palais-National. Nouvelles réclamations des artistes, échaudés aux Tuileries. Enfin M. de Guisard, le directeur des Beaux-Arts, mit tout le monde d'accord, en proposant d'élever un édifice dans la cour d'honneur du Palais maudit, et d'y réunir toutes les conditions de lumière exigées des exposants. C'est ce plan qu'a réalisé M. Chabrol, l'architecte du lieu, avec un zèle et des précautions qui méritent tout éloge, s'ils n'ont pas obtenu tout succès. sculptures. Les petits tableaux occupent le rez-de-chaussée du Palais, disposé en conséquence. Ce n'est pas le jour qui manquera dans cette cage de verre, car la lanterne supérieure a 103 mètres de superficie vitrée, presque le double de celle qui jette tant de lumière dans le grand salon du Louvre. Des calorifères sont établis pour combattre le froid et l'humidité. Et si la neige s'avisait d'intercepter les rayons d'en haut, un service est organisé pour la balayer du vaste toit. Pour que M. Chabrol succombât dans cette nouvelle campagne de Russie, il faudrait donc que les éléments fussent invincibles, comme à Moscou et sur la Bérésina. N'oublions pas deux rapprochements assez curieux. La première exposition des artistes français eut lieu en 1673 dans ce même Palais-National, alors Royal, où se tient l'exposition de 1850. Nous en trouvons la preuve dans l'exemplaire, unique peut-être, du catalogue de Pierre Petit, imprimeur du roi, encore visible à la Bibliothèque nationale, avec cette date de 1673. Les expositions du Louvre ne commencèrent que vingt-six ans plus tard, en 1699. Quant au jury d'examen, son institution remonte à 1745. Il était élu par la compagnie des artistes, et ne pouvait contrôler les œuvres d'aucun membre de l'Académie de peinture et de sculpture. Comprenez-vous cet admirable enseignement de l'histoire ? L'art était libre, électif, et ne relevait que de lui-même sous l'ancienne monarchie! C'est depuis la révolution de 1793 qu'il a été privé de l'élection et soumis à des jurys arbitraires! - Et comment la République de 1848 l'a-t-elle affranchi? En lui rendant tout simplement ses libertés et ses priviléges de l'ancien régime! L'industrie donne aujourd'hui le même exemple en profitant de son émancipation, pour revenir à quoi? à une institution du moyen âge, aux conseils de prud'hommes! Tant il est vrai que les révolutions ne servent à rien, qu'à tout remettre en place après avoir tout culbuté! et que le progrès de l'humanité, tournant dans un cercle, consiste le plus souvent à regagner le point de départ! N'est-ce pas le cas de varier le mot de Mme Roland, conduite à l'échafaud par la liberté : -«0 liberté ! que de sottises on commet en ton nom!» Encore une curiosité fort piquante du Salon de 1850: L'Assemblée législative a voté 159,000 francs pour les frais de l'exposition; 68,000 francs seulement ont été employés à cet usage. Le reste a servi à réparer les dégâts commis par les vainqueurs de Février dans le Palais-National! Maintenant, quelles seront les œuvres d'art envoyées et admises à cette exposition? Nous n'en pouvons juger encore que par celles qui n'y figureront pas. Hélas! la plupart des maîtres n'y brilleront que par leur absence. Nous avons rencontré hier, aux portes du Salon, un élève de M. Ingres, en paletot gris, pantalon gris, chapean gris, yeux gris, teint gris et mine grise. -Eh bien, lui avons-nous demandé, le maître par excellence daigne-t-il offrir ses œuvres au public? - Jamais! a répondu l'élève de l'air le plus gris. Et il nous a raconté ainsi les occupations de M. Ingres depuis plusieurs années. POURQUOI M. INGRES N'EXPOSE PLUS. Vous savez que M. le duc de Luynes, ce dernier grand seigneur de France, qui emploie si noblement sa haute fortune, avait chargé l'auteur du Saint Symphorien de décorer de peintures monumentales la plus vaste salle de son château de Dampierre. Le prix convenu était aussi magnifique que le cœur du Mécène et que le talent de l'artiste. De plus, le premier livrait au second son royal appartement jusqu'à la confection de l'œuvre. M. Ingres devenait maître et seigneur à Dampierre, à la place de M. le duc de Luynes. Or, vous allez voir jusqu'où l'amour du ton, la recherche du style, la crainte de la couleur, la superstition du jour peuvent conduire le plus aimable et le plus désintéressé des peintres. Le premier jour, le grand seigneur en personne accompagne son hôte sur le théâtre livré à son génie. M. Ingres l'arrête dans un salon garni de tableaux payés fort cher et signés de noms illustres: Salon de 1850. Vue de Bruges, -Je vous prie de faire disparaître ces toiles. Elles sont d'un autre ton que les miennes, et les unes jureraient dans le voisinage des autres. M. de Luynes sacrifia ses tableaux. M. Ingres dessina ses cartons, et le duc fit disposer à grands frais les toiles, les cadres et les ornements de la salle. Quand tout fut prêt pour recevoir la couleur : - Cette décoration ne peut convenir au style de mes peintures, dit M. Ingres; il faut la changer de fond en comble. On changea la décoration, suivant les idées de l'artiste, et la seconde coûta plus encore que la première. tableau de M. Justin Ouvrié. Arrivèrent les tentures commandées par le duc, étoffes d'une richesse, d'un travail et d'un prix exorbitant. - C'est merveilleux, dit M. Ingres, mais cette couleur écraserait les miennes, qui exigent le gris de souris ou le vert-grenouille. On relégua les tentures au grenier, et l'on en fit de vert-grenouille ou de gris de souris. M. de Luynes voulait à tout prix satisfaire M. Ingres et entrer en possession de ses chefs-d'œuvre. L'artiste avait enfin saisi le pinceau, lorsqu'il s'écrie un beau matin : -Décidément, ce n'est pas sur toile qu'il faut peindre ici, c'est sur fresque! Qu'on enlève les toiles, répond le duc, et qu'on mette la muraille à nu. Toiles, cadres, ornements disparaissent, et M. Ingres sonde les murs avec hésitation: -Ces murs ne valent rien; il faut refaire ces murs! - Qu'on les refasse ! repart l'infatigable Mécène. On dut pour cela remanier tout le château, depuis les caves jusqu'au toit. M. de Luynes seul voulut ignorer la dépense de cet effroyable travail. -Eh bien, demanda t-il gracieusement, quand il fut terminé, vous allez peindre à fresque, monsieur Ingres? Ma foi, non! le jour de la salle m'a trompé. Je reviens à la peinture sur toile. Qu'à cela ne tienne! Et l'on relait des cadres, des ornements, tout ce qu'on avait détruit... Alors enfin M. Ingres se met au travail, et M. de Luynes le suit d'un œil triomphant. Quelques têtes sortent de la toile; des groupes s'arrangent, des ciels, des draperies s'ébauchent... - C'est admirable! s'écrie le duc enchanté. C'est sublime répètent les rares connaisseurs admis dans le sanctuaire. Car pendant tout ce temps-là, depuis des années, les meilleurs amis du châtelain n'entraient chez lui qu'avec la permission de l'artiste. C'est détestable! répond M. Ingres, effaçant le tout d'un coup de brosse. Et, plus mécontent de son œuvre à mesure qu'on la loue davantage, il la recommence et la détruit vingt fois de sui'e. - Allons, allons! patience! disait M. de Luynes, apaisant le maître inflexible. Je ne suis pas pressé... Prenez tout votre temps. Mais il n'avait pas prévu le coup de grâce, qui fut celui-ci : -Monsieur le duc, lui déclara enfin l'artiste ; je renonce à la peinture... Confiez à d'autres la décoration de Dampierre! Et M. de Luynes ne trouvant plus rien à répondre cette fois, M. Ingres quitta, avec la naïveté de La Fontaine, l'appartement d'où il avait tenu son hôte exilé dix ans, laissant les cadres vides, la salle sans peintures et le château renchéri des centaines de mille francs qu'il y avait fait dépenser en vain. Grand seigneur jusqu'au bout, le duc de Luynes n'a pas fait entendre un murmure. - - Et voilà pourquoi notre maître n'exposé plus et n'exposera jamais ! conclut l'élève au paletot gris, en achevant de nous conter cette histoire (1). Comme il tournait le dos, nous avisames un disciple de M. Paul Delaroche, et nous le questionnàmes à son tour: M. Delaroche est à Nice, où il soigne un de ses enfants, nous dit le rapin. Il a bien laissé à Paris un chefd'œuvre, mais il ne sera pas pour le nez du public. C'est un Bonaparte passant les Alpes. On le grave en ce moment; vous le verrez chez les marchands d'estampes. Il enfoncera le Bonaparte de David. Napoléon avait dit à celui-ci : Peignez-moi calme sur un cheval fougueux. David a donné dans ce panneau, et n'a fait qu'un cavalier de théâtre. M. Delaroche a été vrai tout simplement. Il a mis le grand homme à cheval sur un mulet; car c'est ainsi qu'il a passé les Alpes. Quant à la figure, le maître n'a eu qu'à se regarder dans la glace pour la rendre frappante; vu qu'il ressemble à Bonaparte à s'y méprendre, surtout depuis qu'il porte, comme l'autre, une mèche de cheveux en travers du front. Un élève de M. Horace Vernet nous assura de son côte que son maître avait renoncé à exposer le portrait équestre du président de la République, depuis que lui-même s'était mordu la langue en tombant de cheval, à la grande revue de Versailles. Le fait mérite confirmation, car M. Horace Vernet n'est pas de ceux qui boudent la publicité. (1) Voyez le portrait de M. Ingres, t. IX du Musée, p. 192. Ce qui est malheureusement trop vrai, c'est qu'un antre grand artiste, spectateur de cette même revue, a brisé ses pinceaux qui ne le nourrissaient plus, pour se livrer au commerce lucratif du vin de Champagne. Vous allez retourner votre première question contre nous:Mais quels tableaux verrons-nous donc au Salon de 1850? - Vous verrez probablement un excellent portrait de M. Amaury Duval, et un autre portrait de M. Eugène Giraud, qui à fait du bruit dans les hautes régions. C'est un simple pastel, mais qui représente avec tout l'éclat de la peinture à l'huile la belle princesse Mathilde D..., cousine du prince Louis-Napoléon Bonaparte. Vous verrez une grande toile de M. Galimard, peut-être un tableau de M. Ary-Scheffer, donné par lui à cette bonne œuvre des colonies bretonnes de M. du Clésieux, déjà recommandée par nous à votre bienfaisance; tableau que vous pourrez gagner avec un billet de la loterie de Saint-Ilan, dont ce chef-d'œuvre formera le gros lot. Vous verrez sûrement des miniatures comme M. Maxime David seul en fait aujourd'hui: fines et vigoureuses, caractérisées et frappantes, bijoux de famille dans un salon, et tableaux de prix dans un cabinet. Vous verrez enfin beaucoup de paysages. L'histoire ne donnant pas de nos jours, et la nature étant plus riante que la société, on dit que les paysages auront la palme au Salon. Vous y admirerez, par exemple, et vous allez contempler ici même, la curieuse et pittoresque fue de Bruges, de M. Justin Ouvrié, que nous avons pris soin de faire graver pour vous, avant que le maître l'envoyat à l'exposition. C'est là un de ces joyaux de l'art qu'il est prudent de saisir au passage; car, à peine livrés au public, les amateurs les enlèvent au poids de l'or. BRUGES. JUBILÉ DU SAINT-SANG. Bruges est la ville bien-aimée des paysagistes. Ancien chef-lieu de la Flandre occidentale, peuple autrefois de plus de cent mille ames, réduit aujourd'hui à trente el quelques mille habitants par le développement des cités industrielles de la Belgique, Bruges est devenu un musée par ses monuments, un sanctuaire par ses églises, ane cour des Miracles par ses mendiants. On n'en compte pas moins de quinze à vingt mille, errant du matin au soir sur les ponts et les canaux de cette Venise flamande, et quêlant leur déjeuner ou leur diner aux portes des cinquante couvents qui leur gardent la part à Dieu. Joignez à cela des rues étroites et sombres, illuminées aux deux bouts, comme des chambres obscures, par les reflets argentés de l'onde ou les rayons dorés du soleil; de charmantes maisons gothiques à pignons dentelés, tourmentées d'ornements dans le goût espagnol; des femmes et des paysans vêtus et coiffés comme au temps de Charles-Quint; les souvenirs mélancoliques d'une grandeur commerciale évanouie, de tout le commerce des Pays-Bas, des factoreries de l'Angleterre et de l'Orient, de la cour des comtes de Flandres, etc., etc.; les restes admirables du grand siècle de la peinture flamande; les tombeaux de Jean van Eyck, de Charles le Téméraire et de Marie de Bourgogne; un hôtel-de-ville, des halles, un évêché, qui sont des chefsd'œuvre d'architecture; une forêt de tours et de clochers découpés à jour, des hôpitaux, des musées et des colléges qui étaient autrefois des palais. Voilà Bruges tel que la peint M. Justin Ouvrié. La vue est prise du canal, près du Grand-Béguinage On nomme ainsi la maison de retraite des femmes âgées. Vous en voyez la porte, au bout du pont, à gauche. L'autre grande maison éclairée, à droite, est le presbytère. Dans le fond se dressent, à gauche l'église Saint-Sauveur, à droite le clocher de Notre-Dame. C'est à travers ces restes du moyen âge, que le moyen âge lui-même semblait défiler, le 7 mai dernier, avec la procession du jubilé du Saint-Sang. Suivant une pieuse tradition, Thierry d'Alsace, comte |