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lington, culte bizarre dont les manifestations sont si loin de nos mœurs, qu'elles étonnent beaucoup nos compatriotes, et arrachent les hauts cris au chauvinisme français.

Dans notre pays, où la orainte du ridicule est poussée à l'excès, aucune gloire n'eût résisté à un pareil régime, et impunément affronté de si déplorables manifestations. Sans parler de la quantité de rues qui portent le nom de Waterloo ou celui de Wellington, observons que le buste du héros est dans tous les musées, dans toutes les bibliothèques. Je l'ai trouvé jusque dans les salles vénérables et gothiques de la Bibliotheca Bodleiana, à Oxford... Sur la place de la Banque, à Londres, Wellington est représenté à cheval, ni plus ni moins qu'un souverain. Mais, ce n'est rien encore à l'entrée de Hyde-Park, au bout d'une pelouse située en face des croisées de lord Wellington, lord Wellington est représenté nu, en Achille, sous des proportions colossales. Achille a les jambes écartées; de son bras gauche, il soulève un bouclier rond; prêt à lancer le trait, il jette un regard formidable, et donne une expression terrible à sa tête lacédémonienne encadrée de favoris taillés en côtelettes. Cette emphatique nudité de bronze est, je le répète, placée sous les fenêtres et pour le plaisir des yeux de Wellington, à qui ce cadeau a été offert par une souscription des dames de Londres...

Tant de flatteries parurent insuffisantes. Une statue équestre à la Banque, une statue allégorique à Hyde-Park, des bustes partout; c'était bien quelque chose. Le vainqueur de Waterloo pouvait se voir en Achille, du fond de sa chambre à coucher; mais il lui était impossible de se contempler, du salon et de la salle à manger qui ouvrent sur la rue. Frappés de ce grand inconvenient, quelques hommes d'importance, protecteurs d'un statuaire qui cherchait aventure, imaginèrent d'ouvrir une souscription pour un nouveau monument au vieux duc. Une pluie d'or répondit à cet appel, et comme on avait laissé à l'artiste l'adjudication de l'entreprise, comme on voulut mêler au bronze, des canons conquis, comme en outre, au lieu de construire un piedestal, on percha tout bonnement cette statue équestre sur l'arc triomphal situé devant Apsley, l'hôtel Wellington, il se trouva que, tous frais déboursés, il resta au sculpteur un bénéfice net de quarante-deux mille livres; un million et cinquante mille francs de notre monnaie.

On se prend d'une tristesse involontaire, quand on songe à tant d'hommes de talent qui vivent dans la gêne, et qu'on voit l'absence du talent, la nullité la plus honteuse ainsi rétribuées. Cette statue est si ridicule que les Anglais euxmêmes ne la peuvent regarder sans rire. La plus mauvaise statue que, de nos jours, l'on ait vue en France, celle du duc d'Orléans dans la cour du Louvre, était un chef-d'œuvre, auprès de cette caricature indécente du vieux duc de Wellington. Ce petit cheval de vignette énervé et sans vie, portant un torse étroitement emprisonné dans un petit manteau collant, sans nul pli; cette tête mince, coiffée d'un énorme chapeau à trois cornes qui n'est pas fait pour elle; ces pauvres jambes qui dévalent en maigres lianes, le long des flancs du coursier, tout cela forme un ensemble indescriptible. Vous avez vụ parfois de ces bons-hommes à cheval que les petits écoliers charbonnent sur les murs... Eh bien! l'on a exécuté en bronze une de ces charmantes fantaisies.

Un vieil officier français se rendait à Hyde-Park avec le groupe dont je faisais partie; il examina le monument en fronçant le sourcil; Waterloo lui tient au cœur. Enfin, il murmura d'un air content:- Nous sommes vengés!

Or, le duc de Wellington ne saurait se mettre à la fenêtre, d'un côté ou de l'autre de son palais, sans se voir nu sous le masque d'Achille, ou bien à cheval, accoutré comme nous l'avons dit.

En dépit de l'exagération de ces honneurs maladroitement rendus à un homme vivant, cette tète sacrée n'a pas même été effleurée par le ridicule. Combien ces mœurs diffèrent des nôtres! La gratitude publique peut aller jusqu'à l'absurde sans perdre de sa gravité. Waterloo qui sauva l'Angleterre, est à trente-cinq années de distance, et l'anniversaire de notre défaite est célébré avec autant d'enthousiasme qu'en 1816. J'ai vu passer le vieux duc se rendant au lever de la reine; on ne peut se faire une idée des hurras de la foule, d'ordinaire silencieuse. Quant au héros lui-même, sa tête, si souvent modelée, convient mal à la sculpture. Longue, étirée, maigre sans saillies vigoureuses, étroite avec un nez busqué et un menton proéminent, elle présente les rides et la páleur d'une sénilité féminine. Wellington paraît indifférent aux apothéoses dont il est l'objet, et il a toujours accueilli la popularité d'un front assez austère.

On raconte que, lors de sa chute du ministère, la populace de Londres soulevée vint briser les vitres de son hôtel. Wellington se garda bien de réparer le dommage, et au suivant anniversaire de Waterloo, quand ce même peuple, accouru sous le balcon pour fêter son héros, réclama, comme de coutume, à grands cris sa présence, Wellington, après s'être fait désirer, apparut froid et sévère; il jeta sur la foule un coup d'œil dédaignenx, lui montra d'un geste ses fenêtres en lambeaux, et se retira.

La fanfare de Waterloo, sonnée dans Londres, partout, sans relâche, et sur tous les tons, depuis trente-cinq années, diminue la grandeur de la nation anglaise. Cet enivrement semblerait plutôt le partage d'un peuple qui, n'ayant jamais gagné qu'une bataille, et désespérant de vaincre une seconde fois, ne peut revenir de sa surprise, ni prendre en patience une gloire inespérée.

-Nous allons donc enfin connaître, me dit un matin mon confrère l'observateur, ces fameux omnibus de Londres, tout tapissés de velours et plaqués en bois des îles. Ah! Paris, Paris, monsieur! Que Paris est en arrière !

On se rendait à Saint-Paul, et l'on devait parcourir la Cité. A l'entrée du Strand, la rue Saint-Honoré de l'endroit (aucun Parisien ne faillit jamais à saisir cette analogie), les omnibus circulent à foison. Nous montons. Quelle est notre surprise! Les omnibus de Londres sont étriqués, mal joints, disloqués, poudreux et d'une saleté remarquable. Seulement, ils sont clos par une portière, et le conducteur se tient en dehors, sur une planchette d'où il hèle incessamment les passants. Jamais, au surplus, quand même il pleuvrait, on ne pénètre dans un omnibus tant qu'il reste sur la plate-forme de la carriole le moindre espace vide; femmes, enfants, vieillards même, chacun aspire à grimper sur la banquette, munie d'un siége transversal, formant le T avec un banc qui partage la voiture dans toute sa longueur. Toutes ces places occupées, les survenants se casert entre les jambes des premiers. Je me souviens de m'être trouvé seizième sur une de ces machines ambulantes, dont l'intérieur n'était pas complétement garni. Parvenus en face de la grille de Saint-Paul, nous payâmes, ce qui fut très-long; mais les Anglais sont d'une patience, dont les administrations, ab solues maîtresses, abusent royalement.

Plus vaste, plus élevé que le Panthéon, Saint-Paul est moins dénudé, plus fleuri et d'un aspect moins froid. C'est

un de ces monuments que l'on élève à l'usage des cours d'architecture, et pour l'honneur de la science. Il faut admirer sérieusement, en conscience, avec méthode, et se dire: nous ne sommes pas ici pour nous amuser. SaintPaul plaît aux Anglais parce qu'on y compte beaucoup de colonnes corinthiennes. La manie des trontons sur pilastres, des péristyles, des galeries hypostyles, enfin des constructions gréco-romaines à colonnes classiques, est poussée jusqu'à l'absurde. On rendra incommode un magnifique hotel, on perdra plusieurs mètres de terrain, dans le but de faire une maison qui rappelle les temples de Postum, ou la Banque, ou la Bourse, ou le Colisée, ou la Poste, ou le British-Museum, ou la Douane... Tous ces monuments sont dans le goût antique, comme les décors des tragédies de Racine au Théâtre-Français. Cette fureur de pureté architecturale est éclose sous le premier des Stuarts; elle durerait encore si, depuis Walter Scott et l'école romantique, l'art ogival et sarrasin, qui ne fut jamais abandonné en Angleterre, n'avait repris sa vogue séculaire.

Saint-Paul est un de ces monuments à propos desquels l'admiration se calcule en pieds, ponces et lignes. Il a 100 pieds de plus en hauteur que le Panthéon de Paris, et 60 à 80 pieds de moins que le dôme de Saint-Pierre. Mais aux yeux des vrais patriotes, Saint-Paul l'emporte de beaucoup sur la basilique romaine, et voici pourquoi: Saint-Pierre a coûté cent quarante-cinq années de travail, et nécessité la collaboration de plus de vingt architectes, tandis qu'en l'espace de trente-cinq ans, de 1675 à 1710, avec un seul architecte, Christophe Wren, et sous le gouvernement épiscopal d'un seul prélat, le docteur Compton, on a édifié Saint-Paul, des fondations à la lanterne. L'homme d'affaires se manifeste à l'instant dans toutes les idées du pays. Celle-ci est dans toutes les bouches, et en la déduisant à chacun depuis un siècle et demi, jamais Anglais n'a senti qu'elle fait naître des réflexions plaisantes. Du reste, les gens savent, jusqu'à un penny, ce que le monument a coûté, le nombre des charrettes employées au transport des terrains, etc., etc....

Excusez-moi de vous esquisser des Anglais à propos de Saint-Paul, avec plus de prédilection que je n'en mettrais à décrire l'église même. Il faudrait bien des pages, et la moindre lithographie serait plus explicite. Rien, au surplus, ne me serait plus facile. J'ai sous les yeux une notice et description raisonnée de l'église de Saint-Paul, exécutée avec une conscience qui donne mal aux nerfs. Je n'aurais qu'à glaner pour être précis et complet. Ma justification est là. Copier des guides, c'est le métier d'un cuistre, non le libre travail d'un gentleman cheminant pour son instruction et pour le délassement futur de ses amis.

Observée du dehors, cette église est moins morne que sa petite sœur des rives de la Seine. D'abord, Saint-Paul est situé au centre du quartier le plus remuant, le plus animé, entre London-Bridge et la porte de la Cité. Puis, le style de l'œuvre étant admis, il faut reconnaître à ce Christophe Wren un grand mérite. Il a meublé sa façade de deux campaniles très-ouvragés, très-découpés, et assez volumineux pour arrêter, pour caresser l'œil en passant, et le préparer à subir la majesté plus froide de la coupole. Si Soufflot eût agi de même, son monument aurait plus de front, plus de vie, et Victor Hugo ne se fût peut-être pas avisé de son gâteau de Savoie. Ensuite, il y a une énorme horloge avec de beaux cadrans, qui, conformément à toutes les horloges du Nord, est la plus merveilleuse du monde. Partout où vous verrez les passions publiques tourner aux horloges phénomènes, avancez avec confiance; vous êtes chez un peuple doux, pacifique, obligeant, et,

s'il adore les carillons, jovial en son humeur. Strasbourg et Bruges fourniraient des preuves à l'appui. Saint-Paul ne marie pas l'agréable à l'utile; il ne carillonne point. Enfin, les hautes et longues murailles de Saint-Paul, loin d'être nues comme celles du Panthéon, roches à pic, attristées de liasses de loin accommodées en festons, les murailles de Saint-Paul fourmillent de fenêtres, de colonnes, d'entablements, de moulures, de guirlandes, de niches à figures, de corniches, de modillons saillants, et autres détails d'ornement.

A l'intérieur, la coupole si élevée est un chef-d'œuvre de hardiesse et de science. On comprend à peine sur quoi s'appuient ces masses superposées; l'économique artifice des charpentes n'est pas moins admirable. Je me rappelle un escalier qui m'a paru, comme l'échelle de Jacob, avoir pour point d'appui la foi. Mais je ne saurais le décrire avec lucidité, bien que je ne sois point architecte.

Penché sur la balustrade en fer de la galerie des Echos, qui d'en bas m'avait fait l'eflet d'une couronne à coiffer un roi de Chypre, je jetai un coup d'œil sur les peintures de la coupole, exécutées par James Thornhill, et représentant diverses scènes de la vie de saint Paul. L'Angleterre considère Thornhill comme son meilleur peintre d'histoire ; elle n'en possède pas d'autre, ce qui suffirait pour justifier ce choix. Mais cet habile artiste serait de force à appeler des rivaux et à lutter avec avantage. Il a laissé, à l'hospice de Greenwich, une des plus vastes peintures murales que l'on puisse voir, et cette composition n'est pas d'un homme vulgaire. Il s'agit d'un plafond et d'un pan de mur. Ce sont de ces apothéoses royales dans le plan de Rubens, et qui rappellent, avec moins de transparence, la couleur de ce maître, et surtout l'harmonie un peu assombrie du plafond de White-Hall. Thornhill, qui entasse un peu trop les figures, peint avec éclat et profondeur. C'est un peintre imbu des traditions nobles de la France de Louis XIV; un Lebrun, moins savant, dont Rubens a chauffé la palette et à qui Mignard a appris à sourire.

Il m'a fallu parler de ses travaux de Greenwich pour donner l'idée de son talent, car ceux de Saint-Paul ne m'ont pas laissé d'impression. Comme je les contemplais, perché au bord de cette galerie, à plus de deux cents pieds au-dessus du pavé, on me raconta une anecdote dont je restai troublé. Thornhill peignait dans les airs sur un échafandage sans parapet. Comme il venait d'achever, en compagnie d'un de ses amis, la tête de saint Paul, par un mouvement naturel aux artistes, il se recula pas à pas, pour juger de l'effet à distance. Il reculait donc, il reculait, tout à sa pensée, et soudain, son compagnon le voit prêt à perdre pied au bord de la dernière planche. Sans hésiter, sans jeter un cri, l'ami qui tenait un pinceau chargé, s'élance prompt comme l'éclair et barbouille le visage du saint.

Que fais-tu? s'écria Thornhill en accourant pour lui arrêter la main.

Je te sauve la vie, répond l'Anglais avec tranquillité. J'ignore si c'est parce que la même distraction m'advint un jour sur un des échafaudages de Versailles, où j'examinais la belle procession des Etats généraux dont mon ami Louis Boulanger enrichissait la frise élevée d'un salon; je ne sais, dis-je, si c'est à raison de ce souvenir que ce récit me remua si fort; mais, en l'écoutant au baut de cet observatoire aérien, je sentis mes yeux attirés par les dalles, tandis que mon cœur s'en allait voltigeant. Néanmoins, je regardai avec fixité les peintures de Thornhill, qui paraissaient onduler et planer contre la coupole, et j'étreignais avec amour les barreaux du garde-fou. Une

fois sorti, je m'aperçus que j'avais oublié les peintures de Thornhill. Quant à l'anecdote, je m'en souviendrai longtemps.

La chronique se tait sur le nom de l'ingénieux ami de l'artiste. Ce qu'il y a d'assuré, c'est qu'il était Anglais. Quel sang-froid exige, en un pareil moment, la soudaine combinaison d'un moyen si délicat ! Cet ami est la plus audacieuse synthèse du caractère national.

L'intérieur de Saint-Paul a la forme d'une croix, et la coupole est placée, comme de coutume, à l'intersection des deux branches. Les voûtes sont très-hautes et d'une glaciale majesté. L'immense édifice ne s'anime guère que les jours de meeting. La gravure jointe à ce chapitre représente un tel spectacle mieux que je ne saurais le faire. Ce monument passe, à juste titre, pour la plus remarquable des églises protestantes. On a pratiqué le long des murs une multitude de niches, et disposé des chapelles peu profondes, meublées de monuments funèbres à la gloire des trépassés illustres. C'est là que l'on peut apprécier la sculpture du pays, et, en passant en revue plus de cent tombeaux, se familiariser aux ambiguïtés de l'allégorie. La description de ces sujets fournirait le plan d'une foule de petits poëmes mortuaires, et donnerait des touches littéraires dans le genre suivant : «Le génie de l'Ibérie pleure le guerrier et dépose sur sa tombe les trophées de la victoire. Minerve, assise, l'indique à un aspirant militaire pour lui inspirer l'amour de la gloire. >>

En général, cette sculpture est gourmée de prétentions antiques. Elle recherche la rondeur, le potelé des formes; les bras sont faits au tour. Les conceptions ne manquent pas d'originalité, les groupes sont dénués d'harmonie : le sentiment de la ligne ne va pas si avant dans le Nord. Par la fécondité et la fantaisie de ses inventions allégoriques, l'Anglais paraît plus propre qu'aucun peuple à perfectionner l'art si délicat du logogriphe et des rébus.

Autour de Saint-Paul il y a un terrain en friche, couvert d'une herbe fauve, et fermé par une grille, une fort belle grille. Au dehors, se pressent les maisous, et s'ouvrent les rues les plus populeuses de la Cité.

Dans ce terrain, au centre de la ville, sous les yeux des populations, on remue journellement la poussière des tombeaux pour l'engraisser de tombes nouvelles. La progressive Angleterre en est là. Avant 89, la voix éclatante de Voltaire avait déjà éloigné de nos villes les charniers insalubres; Londres est restée en arrière. Il existe sur chaque paroisse certaines dynasties bourgeoises, féodalité de la cassonade ou de la chandelle, investies, par d'anciens priviléges, du droit d'être enterrées à la barbe des passants et sous le nez de leurs enfants. Rien n'a pu les décider à abdiquer un si précieux avantage, et chacune des vieilles paroisses est enrichie d'une ceinture de cadavres.

Bien des innovations sont impraticables dans un pays où les mœurs aristocratiques ont pénétré toutes les classes; car il ne faut pas attribuer à un excessif respect des morts et des volontés dernières le maintien de ces coutumes barbares. Mais dans une contrée où, par amour-propre, et pour l'attrait des distinctions, si puissant dans les pays d'égalité légale, chacun a ses idoles à défendre, ses préjugés à faire passer, ses priviléges à maintenir, tous sont intéressés à protéger autour d'eux certains abus, et c'est ainsi que le Parlement n'ose toucher à l'aristocratie des marchands de la Cité.

Pour ce qui est de la vénération des morts, nous la croyons poussée très-loin, parce que la dissection des corps a été interdite aux écoles de chirurgie jusqu'à ces

dernières années, ce qui contraignait les docteurs des Facultés anglaises à ignorer l'anatomie ou à l'étudier sur le continent. Eh bien! ne voyez là qu'une de ces anomalies qui se rencontrent dans la législation des vieux peuples. La vérité, c'est qu'en aucune terre chrétienne l'irrévérence à l'égard des morts n'est portée plus loin. Je le prouverai par un seul exemple.

Je traversais, un dimanche, vers trois heures, la place publique irrégulière et fréquentée qui, du côté nord, isole la longue nef de l'abbaye de Westminster. Cette place, ouverte à tous venants, et où passent même des voitures, offre çà et là quelques vestiges d'anciennes clôtures, mais elle est si fréquentée que le sol en est lisse et battu comme celui de nos Champs-Elysées. Cà et là sont, à demi enfouies, quelques grandes pierres usées par les pieds de la foule; ces pierres sont d'anciennes tombes sur lesquelles on marche sans scrupule. En ce moment-là, cette place était fort animée. Tout autour et à l'extrémité couraient des cabs, des calèches, des omnibus, chargés de bourgeois qui allaient à la campagne; au milieu, circulaient des familles nombreuses, des femmes et des jeunes filles, toutes vermeilles, endimanchées et pimpantes, se rendant à l'office.

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En m'approchant de la porte latérale de l'abbaye qui n'était pas encore ouverte, je vis un ouvrier qui creusait dans la terre une de ces fosses comme l'on en pratique chez nous dans les rues pour rechercher une fuite à une conduite de gaz, et je restai un peu surpris qu'une réparation de ce genre s'accomplit un jour férié Cela se passait dans l'endroit le plus fréquenté, et les gens allaient et venaient, tassant, aux abords de la fosse, terre fraîche à mesure qu'on la lançait de côté. Trois ou quatre personnes regardaient faire; le reste circulait sans

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Meurs commerciales. Le Règlement des comptes, d'après le tableau de Wilkie: The Rent Day. (Page suivante).

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DIX-HUITIEME VOLUME.

s'arrêter. Un des assistants s'écarta comme j'approchais, et je vis avec stupeur, au bord du trou, et à demi déshabillé d'un drap mortuaire, un cercueil, placé là comme une caisse qui attend un porteur. Cet ouvrier, le seul qui travaille le dimanche, c'était le fossoyeur.

Il y avait là deux parents condoyés par les passants; des jeunes filles souriantes se dérangeaient un peu, de crainte de trébucher sur le mort; les pieds entraînaient çà et là les plus gros morceaux de la terre soulevée, et le mien se foula contre l'attache arrondie d'un tibia d'ancêtre, errant parmi les jambes de la postérité. Çà et là, jouaient et criaient des enfants, et au milieu d'une ville en fête, sans appareil comme sans recueillement, dans un sol jonché d'oisifs, et ébranlé par les roues des omnibus d'où partaient les cris des conducteurs appelant la pratique, on enterrait un mort, absolument comme on s'y prendrait chez nous pour encrotter un chien sur le terreplein de la place du Carrousel, si la police tolérait à Paris, sur la voie publique, d'aussi outrageantes malpropretés.

Quand le trou fut fini, le fossoyeur y jeta sa boîte, et les parents s'en allèrent lentement, de l'air de gens qui continuent leur promenade. Pour peu qu'en sa vie l'on ait aimé quelqu'un qu vénéré quelque chose, on conceyra l'impression que j'ai ressentie; je m'éloignai les larmes aux yeux, poursuivi par un carillon qui chantait dans les airs une musique flamande, comme pour me rendre plus sensible encore par ce souvenir de la patrie catholique la distance qui sépare notre âme de leur philosophie.

Peu de jours après, causant avec un des neveux de l'illustre Pitt, je lui exprimais mon étonnement du peu de vogue des idées socialistes dans un pays comme l'Angleterre. C'est, me dit-il avec conviction, c'est qu'en France, le peuple, sceptique jusqu'à l'athéisme, ne recherche plus que le bien-être matériel. Chez nous, au contraire, il est préservé par la foi : le peuple anglais est très-religieux...

Je souris sans répondre : j'étais édifié suffisamment sur la religion des Anglais.

Laissons là Westminster où nous reviendrons, et n'oublions pas que des compagnons nous attendent à la grille de Saint-Paul, impatients de voir du nouveau, et contemplant toutefois avec admiration ce vaste monument romain déshonoré par la suie et la poussière du charbon, qui le salissent sans lui donner ce sombre aspect de vétusté qu'apprécient les âmes romanesques. lei, la teinte est d'un noir vitreux, froid, faisant tache et se répandant par longues traînées parmi des détails qui perdent la vivacité de leur relief. Rien ne convient plus mal à cet horizon brumeux, à cette atmosphère d'usine, qu'une architecture qui fait penser au ciel bleu du Parthénon et aux marbres éclatants de l'Archipel.

De Saint-Paul à la Tour de Londres, on traverse un labyrinthe de petites rues étroites, proprettes, dallées comme des églises et bordées de petites maisons de brique hermétiquement closes. C'est là que sont établis les comptoirs, les agences d'affaires, les dépôts de marchandises, les bureaux du commerce, les banques particulières, etc... Ce quartier, d'un aspect monacal, est dévolu aux chanoines de la Bourse et de la Banque. Tout le quartier fermente et travaille comme l'intérieur d'une ruche d'abeilles. Chaque porte, peinte en bois des îles, est ornée d'un marteau de cuivre luisant, d'un judas et d'une plaque de métal portant le nom du chef de la maison. Là rien d'extérieur, point d'amorces pour les yeux. Ces petits comptoirs, où l'on escompte des millions, ont leur clientèle assurée depuis des siècles; les fils millionnaires succèdent à des

pères plus riches que des nababs; les héritiers de ces dvnasties n'abandonnent pas plus leur commerce que les fils aînés des lords ne renoncent à la pairie. Ce quartier fourmille jusqu'à cinq heures du soir, après quoi il reste désert, car on n'y fixe point sa demeure.

La journée finie, ces négociants regagnent d'un air modeste et paterne leurs splendides hôtels de PortlandPlace, de Regent street, de Pall-Mall, de Burlington ou de Grosvenor-Square; il en est qui vont se reposer aux environs de Londres dans de magnifiques villas, pour reparaître le lendemain avec leur humble extérieur de petit marchand de la Cité. Autant, chez nous, l'on s'adonne à l'affectation de paraître, autant, là-bas, on s'ingénie à disparaître dans la médiocrité commune. Ce genre d'hypocrisie, même, a ses maniaques. On cite de gros banquiers qui, chaque matin, vont en personne acheter à la boucherie des côtelettes, qu'ils portent ostensiblement dans quelque taverne de Cheapside ou de Fleet street, où ils tiendront à les faire griller eux-mêmes. Puis ils achètent pour trois pence de pain de seigle, et grignotent en public un déjeuner de Spartiates, tout en recevant là leurs premières audiences. Et le bon peuple boutiquier d'admirer en eux la simplicité des antiques mœurs. Quels braves gens!

Il en est de cette médiocrité comme du sac de laine sur lequel siége le chancelier. On a mis du d'or dessus, et la balle a disparu sous les plis du velours. Le bonhomme a déjeuné avant cette austère communion, et un souper de Lucullus l'attend à son palais. C'est un de ces sycophantes du dieu Mercure, qui me parlant un jour d'une baignoire antique en marbre de Paros, illustrée de basreliefs érotiques et posée sur quatre lions accroupis, me disait: L'empereur de Russie la faisait monter, contre moi, à la vente de il y tenait et il a fait ce qu'il a pu; mais sa bourse ne pesait pas assez, il a dû me céder la main.

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Telle est, en affaires, la méthode de ces hommes ha biles ils s'efforcent de conclure à des prix exorbitants s'ils vendent, dérisoires s'ils acquièrent; dans cette intention, ils emploient tous les piéges, et abusent des circonstances: vous risquez donc d'être fourvoyé sur les prix; -mais sur la qualité des articles, jamais. Attendezvous à toutes les subtilités de l'agio; mais convenez avec soin de la nature, de la valeur d'une marchandise, et recevez-la les yeux fermés. C'est tout l'opposé chez

nous.

En flânant dans ces quartiers, l'on est frappé de la confiance qui préside aux transactions. A la Banque, point de sentinelles, pas de corps de garde; tout est ouvert, on pénètre partout; plus de ces cages où l'on emprisonne, en nos comptoirs, les caissiers avec leurs écus. Là, des tables basses, accessibles à tout venant, sans treillis ni grillages, et l'on y pèse l'or que l'on manie avec de petites pelles de confiseur, absolument comme chez nous l'on pèse du sel ou des clous de girofle chez un épicier. Dans une salle où se trouvaient des lingots d'or, on en offritun de huit livres à ma curiosité. C'était à l'issue d'un corri dor. Un voisin prit le lingot après moi, le fit passer à quelque autre, et de main en main l'objet disparut au fond du corridor, qui débouchait dans la rue. L'employé n'y fit nulle attention, parla d'autre chose, et quand lingot revint, ce commis le reçut, non-seulement sans satisfaction marquée, mais comme un objet auquel on avait cessé de penser.

Sur une frise de cette banque, j'ai lu une inscription qui résume fort bien la doctrine religieuse du pays; en voici

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