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AVIS AU LECTEUR.

Avant de raconter ee troisième épisode des Révolutions d'autrefois, nous avons deux choses importantes à dire aux lecteurs du Médaillon d'argent, du Pain de Gonesse et du Bouquet de noces.

1° Nous devons leur répéter qu'il s'agit ici d'histoire et nullement de politique. Si les hommes et les faits, les intrigues et les passions du dix-septième siècle ressemblent, à s'y méprendre, aux passions et aux intrigues, aux faits et aux hommes du dix-neuvième, ce n'est pas plus notre faute que notre intention. Honni soit donc qui mal y pense! Instruire en amusant, tel est notre unique et modeste but. Nous reprocher, dans ce récit préparé il y a trois ans, d'après les Mémoires de 1652, les moindres allusions volontaires aux événements contemporains, serait aussi injuste et aussi absurde que de reprocher aux Puritains de Walter Scott des allusions aux querelles religieuses des Anglais d'aujourd'hui. Tant pis pour messieurs les contemporains, si notre épigraphie est une leçon à leur adresse!

2° Bien que le Bouquet de paille forme une action à part et complète en elle-même; comme on y retrouvera les personnages des épisodes précédents, voici les faits qu'il est bon de rappeler à ceux qui les auraient mis en oubli.

Broussel et le Parlement de 1648, au nom du droit de réunion, ont manqué de faire une révolution au profit de Guillaume Deboile, en voulant faire une réforme au profit de leur ambition.

Sur le conseil d'un habile homme, du père Boucherat, Anne d'Autriche, Mazarin et Condé ont châtié Paris en le livrant à lui-même, en lui octroyant ses libertés plénières, et en lui enlevant le pain de Gonesse pour huit jours.

Guillaume Deboile et Philippe d'Amalby, qui se disputaient la main de Louise Boucherat, se sont mesurés dans la guerre civile, le premier à la tête des conspirateurs du drapeau rouge, le second à la tête des gardes de la reinerégente. D'Amalby a vaincu Deboile sur les barricades, et s'est rendu à Notre-Dame pour épouser Louise Boucherat; mais tandis qu'il présentait sa belle mariée à la cour du Palais-Royal, Deboile, échappant aux griffes de la police, a disparu en jurant de prendre sa revanche... C'est là que notre récit s'est arrêté.

Or, au moment même où il recommence, cette revanche est offerte à Guillaume, par une nouvelle révolte du Parlement contre Mazarin, et par une nouvelle Fronde qui a pour chefs le duc d'Orléans et le prince de Condé.

Furieuse de n'avoir pu épouser Louis XIV, la fille du duc, Mlle de Montpensier, s'est emparée d'Orléans, et a donné pour insigne aux factieux son bouquet de noces, dont le mépris royal a fait un bouquet de paille.

Non moins furieux de n'être pas le maître en France, et sous prétexte de chasser Mazarin du royaume, Louis de Condé a tourné contre Louis XIV la grande épée qui vient de sauver la monarchie.

Derrière cette épée formidable s'avancent tous nos anciens Frondeurs, le duc de Larochefoucauld, la duchesse de Longueville, Beaufort, le roi des halles, Nemours, Conti, Rohan, Marsin et le duc Charles de Lorraine, cet aventurier-prince du sang, ce souverain-condottiere, qui tient huit mille bandits à la disposition du plus offrant...

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Errants de province en province, à la tête d'une petite arinée, la régente et le roi ont déjà perdu Bordeaux et la Guyenne; mais il leur reste le génie de Turenne, rentré pour jamais dans le devoir, et l'habileté de Mazarin revenu

de l'exil avec dix mille hommes, tandis que Broussel le fait pendre en effigie...

Les choses en étaient là au mois de mai 1652. Les deux partis rôdaient autour de la capitale, comme deux lions autour de la même proie. Turenne et la cour s'étaient installés à Saint-Denis; Condé derrière le faubourg SaintAntoine, et Charles de Lorraine au village d'Ablon. Une trêve de quelques jours venait de suspendre les hostilités.

I.. UN MOUSQUETAIre de 1652.

A l'extrémité de Choisy-le-Roy, du côté de Paris, ne belle hôtellerie, absorbée au siècle suivant par le chitean royal, s'élevait alors entre la grande route et la Seine. De révolutions en révolutions, hôtellerie et château sont tombés l'un après l'autre, et les rails d'un chemin de fer se croisent aujourd'hui sur leurs fondations.

L'auberge du Chapeau-Rouge était tenue par une charmante hôtesse, Mme Marie-Anne, qui avait de bons motifs pour cacher son véritable nom. Elle s'appelait Mãe Dubosq, du chef de feu son mari, ex-tavernier du BienPublic, au carrefour Dauphine, pendu sommairement entre deux émeutes, pour avoir versé le vin de la révolte aux frères et amis de Guillaume Deboile. Elle était encore, du même chef, la belle-sœur de Dubosq-Montandré, le fameux libelliste de la première Fronde.

Transplantée à Choisy-le-Roy, sans tambour ni trompette, Mme Marie-Anne y recevait depuis un an Frondeurs et Mazarins, avec toutes les prévenances de l'impartialité; mais elle était réellement et secrètement l'espionne habile et l'agent actif des anciens compères de son mari, Elle criait: Vive le roi! quand l'armée de Turenne campait à sa porte; - A bas le Mazarin! quand elle voyait s'approcher des Parlementaires, et: -Gloire à MM. les princes! devant les chapeaux ornés du bouquet de paille. En ce moment, elle eût volontiers crié: — Vive le duc de Lorraine! car ce prince ravageait le pays avec son armée; mais elle attendait, pour lui rendre hommage, qu'il eût vendu ses services au parti le plus riche.

Or, depuis deux ou trois jours, Mme Marie-Anne hébergeait, dans sa plus belle chambre, un hôte fort intéressant et fort mystérieux. C'était un jeune cavalier de seize ans à peine, à en juger par la fraîcheur vermeille de son teint, et qui portait l'uniforme de mousquetaire rouge avec l'aplomb d'un âge plus avancé. Aplomb n'est peutêtre pas le mot propre, car le militaire adolescent se cachait à tous les regards, surtout à ceux des Frondeurs, pâlissait de colère lorsqu'on outrageait devant lui la reine ou le roi, mais rougissait comme une demoiselle dès qu'un homme l'envisageait en face. Il se faisait appeler Raoul d'Estanges, mais il oubliait quelquefois de répondre à son

nom.

Enfin, pour comble de singularité, il était tombé de cheval la veille, s'était donné une entorse au pied gauche, et avait été rapporté évanoui dans sa chambre...

Entrons-y, si nous voulons en savoir davantage, car notre mousquetaire est cloué au lit pour cinq jours, sons la garde de son écuyer, baptisé de l'étrange nom de César. Celui-ci, brave homme de cinquante ans, à la face rubiconde, à l'œil malin, au ventre proéminent, ce qui lai donne l'air d'un marchand de bœufs déguisé en conquérant, a tout d'abord fermé la porte à double tour, croisé les épais rideaux de la fenêtre, et pris tous les soins imaginables pour n'être ni vu ni entendu.

Puis il s'est assuré de l'intégrité d'une valise rondelette. posée sous le chevet de son lit de camp. Puis enfin, ca

voyant la contrainte à tous les diables, il a jeté son épée d'un côté, son chapeau à plumes de l'autre, et s'est coiffé avec délices d'un large bonnet de coton blanc.

Quand je te disais, ma fille, s'écrie-t-il alors, qu'il nous en cuirait de jouer ainsi au soldat!... De quoi s'agissait-il véritablement? de la chose la plus pacifique du monde ! d'aller en Touraine vendre mes moulins à eau, d'en serrer le prix, vingt bonnes mille livres, dans cette valise qui en a caché bien d'autres; de faire nos soixante lieues à petites journées, jusqu'au rendez-vous de ton mari; de lui remettre, en bons serviteurs du roi, notre petit cadeau, pour solder les recrues qu'il amène à Sa Majesté...

-Et de le revoir, surtout! de le revoir enfin, après une si cruelle séparation! interrompit la jeune femme (puisque telle était le mousquetaire rouge); car, fut-il jamais un sacrifice pareil au mien, mon père ?... Il y aura trois ans dans cinq jours, vous en souvient-il?

- Parbleu! s'il m'en souvient!

Le roi vous fit baron, créa mon mari capitaine, et signa de sa main notre contrat. Puis, la cérémonie achevée à Notre-Dame, au beau milieu de ma présentation solennelle à la cour, une dépêche cachetée arrive au comte... Il me quitte à l'improviste en m'embrassant... Je l'attends en vain jusqu'à la fin du bal, et alors seulement j'apprends qu'il est parti pour le siége de Cambrai! parti sur l'ordre du comte d'Harcourt, son nouveau général; parti au moment de m'appeler sa femme pour la première fois!

-Triste, mais noble devoir, mon enfant, dont la dernière lettre du capitaine t'annonce la récompense; car il revient couvert de gloire, à la tête de deux mille recrues superbes, avec un brevet de lieutenant-colonel, que ces vingt mille livres payeront comptant! C'est dans cinq jours, à l'anniversaire de votre mariage, que vous en achèverez la fête au camp royal... devant M. de Turenne et Leurs Majestés! Nous serons demain soir à Saint-Denis, les premiers au rendez-vous; le comte y arrivera dimanche avec son régiment, et...

Mais le bonhomme s'arrêta court en voyant des larmes dans les yeux de sa fille...

-Hélas! reprit-il avec dépit, j'oubliais notre équipage de guerre et ses conséquences !... j'oubliais qu'il a fallu t'habiller en homme et me travestir en héros, au lieu de Voyager sans façon, sur mes bidets de Gonesse, comme un gentilhomme campagnard que je suis, comme une timide et douce femme que tu es! Enfin tu l'as voulu!... Les lauriers de Mademoiselle et de ses maréchales t'empêchaient de dormir !... Nous nous sommes entortillé les jambes d'une épée; nous avons sué sang et eau sous le harnais; nous nous sommes intitulés Raoul et César; nous avons enfourché des chevaux de bataille, comme les amazones de la Fronde; et tout cela, pour aboutir à une entorse au bord d'un fossé, pour attendre, sur un lit d'anberge, que ton mari nous amène une chaise à porteurs!... Si tu avais monté ma Normande au lieu de ton Bucéphale, nous serions depuis vingt-quatre heures à Saint-Denis.

-Vous êtes cruel, mon père, soupira le mousquetaire aux cheveux bouclés; vous oubliez que, sous cet uniforme, j'ai sauvé, il y a trois ans, l'armée royale au siége de Paris, et que trois fois notre chère valise eût couru de grands risques si je n'avais dégaîné contre les bandits de Charles de Lorraine...

- C'est vrai ...; pardon!... tu es une héroïne, et nous touchons au but, après tout! dit l'écuyer en ôtant son bonnet de coton, et en baisant avec tendresse une petite cica

trice que sa fille portait à la tempe... C'est que, vois-tu, ajouta-t-il avec désespoir, cette casaque et cette flamberge ont mis à bout ma patience... et mon échine!

Avez-vous du moins écrit au comte? reprit le mons. quetaire avec anxiété; sera-t-il prévenu à temps de notre mésaventure?

- Il trouvera ma lettre en arrivant au camp du roi, et, au lieu de nous y attendre, il viendra ici nous chercher. Nous serons quittes pour le voir plus tard et nous morfondre inq jours à Choisy.

Mon Dieu soupira la jeune femme en joignant les mains, veillez sur nous pendant ces cinq jours; car c'est plus de temps qu'il n'en faut pour échouer au port. Déjà, poursuivit-elle à voix basse, je crains que l'hôtesse n'ait reconnu ce que je suis. Elle sourit en m'appelant monsieur Raoul, et me comble de petits soins que mon habit ne comporte guère. Enfin, ajouta-t-elle plus bas encore, n'avez-vous pas remarqué cet officier espagnol qui est revenu trois fois au Chapeau-Rouge? Il semble chercher à nous voir, en évitant de se montrer lui-même. Il chuchote à l'écart avec Mme Marie-Anne et ses valets; il rôde sous nos fenêtres, dont il semble mesurer la hauteur... Une seule fois, hier matin, sous l'ombre de son large feutre, j'ai pu rencontrer son regard... Et devinez quel homme il m'a rappelé, mon père ?... Oui, j'en frissonne encore!... il m'a fait songer à ce tribun qui me poursuivait de ses hommages, il y a trois ans, et qui avait l'audace de donner mon portrait pour ralliement aux frondeurs de la populace; à ce chef d'émeute qui dominait le Parlement avec ses bandes, et qui déployait un drapeau rouge sur les barricades, quand mon mari le fit prisonnier et le livra à la justice du roi...

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Aux morts! vous oubliez que M. Deboile s'est évadé de la Bastille, lors du siége de Paris...

Je sais qu'il a été fusillé, le mois dernier, à Bordeaux, par le duc d'Epernon... Un voyageur qui en revenait m'a conté hier les détails de son supplice.

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Vraiment ?... le malheureux ! dit le mousquetaire avec compassion.

Car tel est le caractère des femmes, qu'un homme qui les a aimées ne saurait leur être tout à fait indifférent.

-Mais, reprit-elle, si cet Espagnol n'en était pas un, mon père; si c'était un parent de M. Guillaume, qui cherchât à le venger, ou tout au moins un rebelle et un ennemi du roi comme lui; s'il reconnaissait en moi la comtesse d'Amalby, la femme du rival et du vainqueur de M. Deboile; et en vous, M. Jean Boucherat, le baron de Gonesse, l'homme qui a fait battre, il y a trois ans, les Frondeurs par M. de Condé, et qui porte aujourd'hui à M. de Turenne de quoi battre M. de Condé, Frondeur à son tour!

Ah bah ! fit l'écuyer en remettant son casque à mèche, ce n'est pas là ce qui m'inquiète, et vous rêvez tout éveillée, ma chère fille. Le père Boucherat n'est ni un assez grand personnage pour que les passants s'occupent de ce qu'il fait, ni un assez grand sot pour qu'ils devinent ce qu'il médite! Soignez au mieux votre entorse, et ne vous tourmentez pas d'autre chose! Toutes mes précautions sont prises contre les curieux et les voleurs !

M. Boucherat eût été moins tranquille s'il eût pu voir ce qui se passait dans la chambre voisine.

Derrière le rideau du lit de sa fille, une ouverture se

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Le prince Louis de Condé (le Grand) d'après une estampe contemporaine.

installait à deux pas d'un groupe réuni par des circon- stances fortuites, et qui causait des affaires du temps.

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Le compliment de Mademoiselle à Mazarin, d'après une caricature de 1652.

ans, au teint fortement bruni par le soleil, aux longs cheveux noirs tombant sur les épaules. Un large feutre à plumes rouges ne laissait voir de sa figure qu'une petite moustache, quelques traits énergiques et parfois un regard étincelant dans l'ombre, où l'audace de l'aventurier se mêlait à la défiance du conspirateur. Son uniforme, riche et imposant, était celui d'un soldat de fortune; on n'y distinguait rien qui pût faire présumer son opinion; ni l'écharpe verte de Mazarin, ni l'aigrette en paille des princes, ni le ruban fleurdelisé du Parlement. Un énorme baudrier traversant sa poitrine et soutenant une épée formidable, de grosses bottes à revers montant jusqu'andessus du genou, une cuirasse et des brassards de mailles flamboyant aux rayons du soleil, trahissaient chez le personnage l'intention de prévenir le danger, plutôt que la résolution de le combattre.

Jacquinet, le petit garçon de l'auberge, qui semblait le connaitre de longue date, lui servait le meilleur in de la

cave et les plus fins morceaux de l'office, en l'appelant tour à tour avec respect monsieur le capitaine ou nonsieur le baron d'Altomar.

L'étranger, parlant et entendant le français à merveille, écoutait attentivement, sans en avoir l'air, la discussion engagée entre les commensaux.

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Ma fine! disait le paysan, moi je tiens pour le prince' Louis (le peuple nommait ainsi le grand Condé). Qu'estce qu'il nous faut pour avoir la paix et faire monter le prix du froment? un maître qui nous gouverne à bons coups d'estoc, et coupe la parole aux bavards du Parlement. Le prince Louis s'y entend mieux que personne. Qu'il se fasse régent, qu'il se fasse roi, qu'il se fasse empereur! pourvu qu'il mette à la raison ceux qui l'ont emprisonné dans le temps, qui le flagornaient hier et qui le houspillent aujourd'hui ! C'est tout ce que je leur souhaite, et tout ce que je lui demande !...

- Ignorant repartit le bailli avec dédain; ignorant

qui ne sait pas seulement lire les arrêts de la Cour souveraine! Il lui faut le prince Louis, parce qu'il s'appelle Condé et qu'il a vaincu à Rocroy! comme si on pouvait mener la France avec un nom et une épée! Nous ne serons tranquilles que quand le tiers-parti aura maté les excès de la droite et de la gauche; quand nous aurons le gouvernement parlementaire, les Chambres assemblées, le roi prenant leur avis, l'union des pouvoirs, les libertés publiques, l'équilibre des finances, etc., etc...

C'est-à-dire des disputes toute l'année, et des coups de fusil dans les rues? Merci! messieurs les beaux parleurs, s'écria un des soldats en congé. Votre tiers-parti n'est bon qu'à nous jeter entre deux feux, ou tout au moins entre deux selles! Ne ferions-nous pas mieux de brûler notre poudre à la frontière contre l'archiduc et les Espagnols? Nous nous battons si bien à qui sera le maitre, que c'est l'étranger qui finira par régner en France; comme si nous n'avions pas un maître, qui est seul légitime, l'héritier de nos rois, Louis XIV! Tant que nous n'obéirons pas à celui-là, nous serons des écerveiés qui chercherons midi à quatorze heures!

-Et vous, vous êtes un Mazarin. A bas le mazarin ! interrompit l'autre soldat, qui était en marché avec un recruteur de Mademoiselle. Les races royales, continua-t-il, en récitant quelque libelle appris par cœur, s'usent comme toute chose ici-bas. Les Bourbons aînés ont régné assez longtemps. Ils sont à bout. Une femme et un enfant ne peuvent les relever. Il nous faut un homme, et nous l'avons sous la main. C'est le chef de la branche cadette, monseigneur le duc d'Orléans. Il est l'ami du Parlement, de la noblesse, du peuple, de tout le monde. Voilà le roi qui nous convient. Commençons par le faire lieutenantgénéral... Il se chargera du reste!

Je crois bien, pardine, qu'il s'en chargerait, reprit le fermier; il guette depuis assez longtemps l'occasion, sans avoir le courage de la saisir.

-Tout cela ne vaut rien, dit à son tour Mme la baillie d'un air confidentiel et capable; il n'y a qu'un moyen de nous mettre d'accord, et le voici : c'est de fondre les deux branches en une seule; c'est de marier Mile de Montpensier à Louis XIV! Il n'y aura plus alors qu'une seule fainille royale. On s'embrassera d'un bout de la France à l'autre, et tout sera terminé !

- Faisons mieux encore, poursuivit un député aux Etats de Bretagne, qui était entré sur les entrefaites. Convoquons la nation entière à dire son avis, à régler ses intérêts et à reviser son gouvernement, dans une grande assemblée des Etats généraux. Voilà la vraie, la seule manière de couper court à la guerre civile; car les Etats généraux sont au-dessus des partis et des lois, et la plénitude de la souveraineté n'appartient qu'à eux (1).

Cette opinion nouvelle, éclatant comme une bombe, imposa silence à chacun, et tous s'y rallièrent par accla mation.

-Oui! oui! c'est cela! les États généraux ! les États généraux !

Mais, les supposant déjà rassemblés, nos compétiteurs se mirent à dicter leur décision. Celui-ci voyait sortir des votes Louis XIV affermi; celui-là, le duc d'Orléans roi de France; cet autre, Mile de Montpensier reine; un quatrième, le prince Louis régent et Mazarin chassé; un dernier, les Parlements chargés de gouverner le pays.

(1) Extrait textuellement des pamphlets de l'époque, ainsi que toutes les opinions qui précèdent. (Voir notamment le Point de l'ovale, de Montandré, déjà cité dans le Médaillon.)

Et après en avoir appelé unanimement aux Etats, chacun, bien entendu, se révoltait contre eux, s'ils s'avisaient de prononcer contre lui!

De sorte que ce beau moyen de conciliation devint une pomme de discordes plus acharnées que jamais!

Bref, les disputeurs allaient se prendre aux cheveux, lorsqu'une voix, qui n'avait rien dit encore, résuma ami la discussion :

Vous voyez bien, messieurs, que vous ne vous entendrez jamais; et que la victoire ne sera ni pour Mazarin, ni pour Condé, ni pour le Parlement; mais pour celui qui aura l'adresse de gober l'huître, pendant que vous vous en disputerez les écailles !

Cette voix était celle de l'officier au large chapeau, qui se levant alors et pirouettant sur le talon de sa botte, kissä tout le monde abasourdi de sa conclusion, et suivit le garçon d'auberge dans une pièce où l'attendait madame Marie-Anne.

III. LE CAPITAINE D'ALTOMAR.

Cette pièce était le retrait, ou, comme on dirait aujourd'hui, le boudoir de l'hôtelière. Les petits profits de l'ancienne taverne du Bien-Public s'y condensaient en belles draperies, en meubles sculptés, en coussins à ramages, sur lesquels dormait un charmant épagneul.

Me Marie-Anne fit asseoir le capitaine d'Altomar à côté d'elle, et le Ganimède Jacquinet leur servit sur un plateau un fin dessert de pâtisseries et de liqueurs dorées.

Eh bien, mon fidèle ministre, quel sera votre rapport aujourd'hui? demanda l'officier en dégustant un verre de malaga.

- Ah! monsieur le baron, répondit l'hôtesse, j'ai cru que votre proie allait m'échapper, et il m'a fallu employer les grands moyens. M. le comte d'Amalby arrivant dimanche au camp du roi, sa femme et son beau-père, impatients de terminer une noce suspendue depuis trois ans, allaient transporter leurs fidèles personnes et leur précieuse valise à Saint-Denis. Le joli mousquetaire était déjà en selle, lorsque j'ai chargé Jacquinet de le retenir céans. Par une maladresse des plus adroites, le petit drôle a fait faire un écart au coursier. Tout habile amazone que nous sommes, nous avons vidé les arçons...

- Juste ciel! s'écria l'Espagnol, elle est tombée de cheval; elle s'est blessée ?...

- Calmez-vous! une bagatelle, une petite entorse qui nous met au lit pour la semaine. Au lieu d'ailer attendre M. d'Amalby au camp du roi, nous l'attendrons ici, où il viendra nous prendre. C'est cinq jours de gagnés pour vous, capitaine.

- Le temps de prendre mes mesures et d'achever mon expédition. Vous êtes un diplomate consommé, madame Marie-Anne. Je vous ferai ambassadrice... quand je serai premier ministre.

-Ah! vous n'avez pas de temps à perdre, baron; M. de Turenne y va grand train, et pourra bien faire avant vous son entrée à Paris.

- Voici un billet doux qui arrêtera sa marche, dit l'officier en tirant une lettre de sa poche; c'est une dépêche du duc de Lorraine à Gaston d'Orléans, son beau-frère. J'aurai ce soir trois princes souverains pour alliés et pour complices. Vous êtes toujours sûre, reprit-il, que M d'Amalby et M. Boucherat ne m'ont pas reconnu depuis que je suis à leur poursuite?

-Me d'Amalby a eu quelques soupçons (Altomar pålit et se mordit la lèvre), mais j'y ai mis bon ordre hier soir, en ne rappelant votre admirable idée, et en faisant

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