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métiers endormis se réveilleront pour battre à la fois; et dans cette vallée, une heure avant si calme, tout sera bruit, mouvement et travail, au lever du soleil.

De nos jours, cette fièvre d'activité ne s'apaise que le lundi il y a soixante-onze ans, elle tombait tout à fait la veille. Le dimanche, alors, était religieusement observé; d'abord parce que le Normand naît avec le respect du culte ; en second lieu, parce que le gouvernement prenait le commandement de l'Eglise au sérieux; et puis parce que les fabricants, pour des motifs plus ou moins purs, s'em

pressaient de donner l'exemple. Il en résultait que, les jours fériés, la vallée de Darnetal, aujourd'hui si bruyante, offrait, pendant vingt-quatre heures, l'image de ce profond repos qui plaît tant aux promeneurs paisibles. Ce privilége, dont ne jouissaient ni les boulevards, ni les sentiers bordés d'aubépine qui mènent au Mont-des-Malades, ni les vertes allées de Saint-Sever, rendez-vous du beau monde, avait séduit beaucoup de pères de famille dont les habitudes bourgeoises s'effrayaient du luxe et du bruit. Ceux de la paroisse Saint-Maclou, enfants très-peu dignes du vieux

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Rouen, ne manquaient pas, aussitôt la messe entendue, d'y conduire leurs fils; mais ils avaient beau faire diligence, ils n'arrivaient jamais sur la pelouse avant la basoche normande et les commis de la rue Grand-Pont. Alertes comme des chevreuils, ces jeunes gens semblaient avoir des ailes pour courir à Darnetal... Dans quel but? Vous l'auriez bien deviné sans peine en voyant les deux personnes assises sous un pommier en fleur, le dernier dimanche d'avril 1780.

Evidemment il ne s'agissait pas d'un vieillard que rendaient surtout remarquable un teint olivâtre, des cheveux

grisonnant à peine et sans poudre, des yeux vifs et noirs, un costume étranger, et une cigarette, objet de surprise et d'une sorte de crainte superstitieuse pour toute la population de Rouen; mais bien de la jeune fille qui l'accompagnait et dont il était, disait-on, le père; car on n'osait rien affirmer sur le compte de ce personnage, étrange et mystérieux problème pour la perspicacité normande...

A l'exquise délicatesse de formes qui caractérise les blondes de l'Andalousie, la jeune fille joignait la riche taille, la fraîcheur et les cheveux admirables des femmes du pays de Caux. Dans son regard vif et brillant

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des hommes de camp n'attiraient pas plus son attention que les perruques parfumées et les boîtes d'or des robins. Deux mousquetaires rouges, en quartier chez leurs nobles parents, et qui promenaient leur moustache en croc et leurs grâces dans les prairies de Darnetal, étaient même passés et repassés plusieurs fois sans la tirer de son indifférence, lorsqu'elle rougit tout à coup et baissa les yeux. Cette émotion n'échappa point au père qui, feignant de secouer la cendre de sa cigarette, tourna la tête et aperçut, à quelques pas, un jeune homme fièrement campé devant les mousquetaires rouges. Disant quelques mots à sa fille, en espagnol, pour n'être pas entendu des nombreux promeneurs qui accouraient de tous côtés, il s'approcha nonchalamment du jeune homme, et arriva au moment où il défiait, d'une voix tremblante de colère, les beaux mousquetaires du roi. Ceux-ci accueillaient ses paroles avec des éclats de rire méprisants, qui ne cessèrent que lorsqu'une épithète, énergiquement accentuée, vint les frapper au front. Par un mouvement simultané, ils tirèrent leurs épées et fondirent sur l'insulteur. A la vue du fer, la moitié des témoins de la querelle disparurent; mais sans reculer d'une semelle, quoiqu'il n'eût à leur opposer d'autre arme qu'un bâton, le brave jeune homme attendit ses deux adversaires, para leur double attaque, et au bout de quelques secondes fit voler à vingt pas l'épée du plus acharné. L'autre, reprenant son sang-froid, baissa la sienne aussitôt, et s'éloigna avec son ami, après avoir dit ces paroles:

« Vous venez de prouver, monsieur, que vous savez vous battre si votre naissance leur permet cet honneur, le baron d'Ambreville et le vicomte de Fontaine seront charmés de vous revoir sur un autre terrain.

-Ne répondez pas, murmurèrent quelques bourgeois prudents, chez lesquels la réserve naturelle au Normand l'emportait sur la colère. Mais celui auquel on adressait cet avis ne semblait rien entendre: toutes ses facultés étaient absorbées sous le charme d'un sourire qu'il se figurait avoir surpris sur les lèvres roses de la jeune fille. Telle était la joie où l'avait plongé cette illusion, qu'en voyant se fermer la porte de l'hôtel du Bourgtheroulde au seuil de laquelle il n'avait pu s'empêcher de l'escorter, il crut, mais cette fois en se défiant de ses sens, rencontrer le regard du vieillard arrêté sur lui sans colère. Il n'en fallait pas plus pour le tenir toute la nuit sur pied devant cette vieille demeure.

II. L'hôtel du Bourgtheroulde, ou un chef-d'œuvre de la renaissance. Le ruban vert et le livre de messe:

C'est au coin de la place où les Anglais se déshonorérent, le mercredi 30 mai 1431, en brûlant Jeanne d'Arc, que s'élève l'hôtel du Bourgtheroulde. Cette maison prin= cière, monument du grand luxe féodal et du goût poé= tique de la renaissance, lut bâtie sous François Ier, par Guillaume le Roux, seigneur de Bourgtheroulde, et l'abbé d'Aumale, son fils. Vue de la place, elle n'offrait alors comme aujourd'hui, de remarquable, que cette délicieuse tourelle en encorbellement, où la tradition s'obstine à trouver, malgré l'histoire, la prison de Jeanne; mais à l'intérieur éclataient toutes les ravissantes fantaisies, toutes les magnificences architecturales de l'époque. Deux pilastres, ornés des portraits de François Ier et d'Henri VIII, rappelaient d'abord la date de la construction du monument, date écrite, au surplus, en caractères charmants dans les arabesques de pierre brodées sur les murs. De toutes parts, l'oeil se promène et s'arrête avec admiration et une surprise croissante sur les écussons aux armes de France et les salamandres du

roi-chevalier, sur le phénix d'Elisabeth d'Autriche, sa seconde femme, et sur les ornements qui décorent les pilastres et les bas-reliefs. Le principal corps de logis forme le fond de la cour. A droite, se développe une galerie à hautes arcades, dans le style moresque de Chambord; et une tourelle, d'un dessin tout oriental, s'allonge gracieusement à gauche, dans l'angle sud-ouest. Tout ce que la brillate légèreté du ciseau de la renaissance a pu trouver de fius élégant, tout ce que la sculpture appliquée à l'architecture fournissait de plus riche et de plus magnifique, a été prodigué dans la décoration de cet hôtel. On y remarque surtout cinq bas-reliefs représentant, dans leurs moindres détails, la fameuse entrevue du Camp du Drap d'Or, dont le style, la belle exécution et le fini feraient honneur à plus d'un artiste moderne.

A l'heure où nous avons quitté le jeune adversaire das mousquetaires rouges sur la place, tous ces objets étaient plongés dans l'ombre: une seule lumière brillait au troisième étage de la tourelle du sud-ouest. Là, devant une madone, autour de laquelle étaient déjà suspendues des guirlandes de fleurs cueillies dans les prés verts de Darnetal, la jeune fille, pieusement agenouillée, achevait sa prière. En la terminant à voix basse, et y mêlant quelques mots murmurés plus bas encore, elle se leva et se trouva face à face avec son père, qui lui fit signe de s'asseoir, et resta debout devant elle :

-Paquita (nom que les Rouennais prononçaient Pȧquerette), Paquita, répondez-moi!... Est-ce la première fois que vous voyez ce jeune homme?...

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A l'église, mon père...

Vous a-t-il parlé?...

- Jamais, mon père !

Vous le connaissez, cependant?...

Un oui presque inintelligible fut la réponse.

Comment cela s'est-il fait, puisqu'il ne vous a jamais parlé ?...

-Mon père, dit Pâquerette, après quelques minutes de silence, pardonnez-moi, vous et notre sainte Madone, si j'ai péché, mais je vais tout vous dire. Tous les dimanches, je voyais ce jeune homme près de moi... Sans y songer, nous prîmes l'habitude d'échanger un regard en entrant à Saint-Maclou, sur le perron, à la sortie, et quand je tournais le coin de la rue. Je ne sais comment il arriva que, le jour des Rameaux, j'oubliai mon livre à l'église. Certes, je n'osai vous le dire, de peur d'être grondée, et pourtant j'étais bien inquiète. Ce livre, en effet, n'est-il pas le seul souvenir de ma mère?...

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Le voilà, mon pèrê! dit Pàquerette toute honteuse, en le tirant de sa ceinture.

Le vieillard changea de ton et de physionomie, comme par enchantement:

Bien! mon enfant! garde-le..., tu peux le garder... Prie la Madone et pense à ta mère... Toutes les deux sont dans le ciel, et ne veulent que ton bonheur !...

Et, après avoir effleuré de ses lèvres le front ingénu de la jeune fille, l'Espagnol sortit de la chambre, plus calme qu'il n'y était venu.

Le lendemain, à huit heures, il entrait au Palais de Justice.

III. Une visite au Palais de Justice. Une légende et un marché. Après la force brutale la force morale. Un contrat pour un manuscrit.

Cet édifice, composé de pièces juxtaposées et remontant à des époques différentes, offrait alors, à un degré plus choquant encore, s'il est possible, qu'aujourd'hui, l'accouplement adultère, en architecture, et disparate au premier chef, du style gothique et du style classique et régulier du dix-huitième siècle. Les premières constructions dataient du quinzième. En 1493, les magistrats de la bonne ville de Rouen, grandement scandalisés des rassemblements et trafics qui se faisaient en l'église de NotreDame, aux jours les plus saints de l'année, résolurent de chasser les marchands du temple et de les reléguer sur leur terre natale, c'est-à-dire dans l'Enclos aux juifs. Cet enclos, dévolu au domaine, d'après l'expulsion des enfants d'Israël au douzième siècle, était devenu, trois cents ans plus tard, le fief de la ville, qui en avait fait un marché, et qui dépensa la somme énorme de 88,900 livres pour transformer ce marché en Bourse. Il est vrai que jamais argent ne fut mieux dépensé. Rien de plus majestueusement beau que cette magnifique enceinte, dite Salle des procureurs, avec ses larges cintres sans appui et ses longues voûtes sans colonnes, où, selon l'expression si juste de Nodier, l'espace semble défier tous les calculs. Treize ans plus tard, la célèbre Cour de l'Echiquier, qui se réunissait au château de Rouen, d'après l'ordonnance de 1499, transféra son siége dans une autre salle élevée du côté nord du Clos aux juifs. En 1515, cette Cour, que n'avait pas dédaigné de présider Louis XII, s'appelait Parlement. Tel qu'il était à cette époque, le Palais avait pour défense trois tours; l'une desquelles surplombait sur le jardin qui existe encore, et s'appelait Tour de la Pucelle, parce que la tradition, d'accord cette fois avec le bon sens et presque avec l'histoire, affirme qu'on y renferma, pendant son procès, l'héroïne de Donremy.

C'est vers cette tourelle que se dirigea l'Espagnol. Gravissant, avec le calme qui distingue sa nation, les degrés de l'escalier tournant, il arriva bientôt à une porte cintrée du second étage, et, l'ayant ouverte sans cérémonie, il se trouva en présence du jeune homme de la veille. Le fantôme de Jeanne d'Arc, à laquelle il ne songeait pas à coup sûr, cût apparu à celui-ci, qu'il n'eût pas été plus étonné. Cloué par la surprise derrière une table encombrée de vieux parchemins, il eut à peine la force d'indiquer du geste une chaise à son visiteur, qui, allant d'abord fermer la porte au verrou, puis venant s'asseoir à la table, lui dit, en le regardant fixement:

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· Me connaissez-vous?

Oui, monsieur Manuel, répondit le jeune homme, plus mort que vif.

Je sais tout! Vous a-t-on dit que ma fille est pauvre?
On me l'a dit.

Eh bien! on vous a trompé; Paquita ferait la fortune d'un prince. L'or qu'elle peut apporter en dot à son époux payerait les armes d'un marquis et d'un duc, dix fois ce qu'elles valent aux yeux de cette bourgeoisie si avide de titres. Oui, Paquita est riche, Paquita est belle, et j'ai le droit de me montrer difficile avec ceux qui aspirent à sa main. Je vous ai dit ce qu'elle donne; que lui offrez-vous en échange?

Le jeune homme garda le silence; mais de grosses larmes qui roulaient sur son visage, devenu pâle comme le marbre, répondaient éloquemment pour lui.

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Que lui offrez-vous? répéta l'Espagnol impassible.

Rien, monsieur! dit enfin le jeune homme d'une voix altérée par l'émotion, mais non par la faiblesse... La croyant sans fortune, j'avais osé entrevoir le bonheur...; après ce que je viens d'apprendre, je reconnais avec angoisse qu'il n'est pas de bonheur pour moi. Pauvre, comme mon père, je n'ai, comme lui, qu'une chose à faire en ce monde souffrir, et puis mourir !

-Oui, dit l'Espagnol en se levant brusquement, c'est ainsi que parlent les faibles! Rebuté au premier obstacle, l'homme timide tremble et cède; le brave s'irrite et franchit tout. Souffrir et mourir, avez-vous dit? c'est travailler qu'il fallait dire ! Vous avez du courage: n'en avezvous pas montré hier en désarmant ces habits rouges dont les propos et les regards insultaient ma fille ?... Avezvous eu peur de leurs épées nues qui effleuraient votre poitrine sans défense ?... Votre cœur n'a rien perdu de son sang-froid, votre œil de sa lucidité, votre main de sa vigueur à la fois énergique et calme !... Cependant la mort était sur votre tête !... Et maintenant qu'il ne s'agit que d'une chose difficile, il est vrai, mais possible, la peur vous prend avant la lutte, et vous désespérez !...

Monsieur Manuel, s'écria le jeune homme, magnifique d'enthousiasme, montrez-moi une échelle assez haute pour atteindre à l'étoile, vous verrez si je désespère !

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Ecoutez-moi bien, monsieur Richard !... Ces ruines que le temps noircit et que le vent et les orages effacent peu à peu furent jadis les tours d'un manoir redoutable. Le pâtre, qui garde aujourd'hui ses chèvres au milieu des ronces poussées sur ces débris, ne se doute pas que ces pierres qu'il foule dédaigneusement formaient le pavé de telle riante galerie où devisaient les châtelains, de telle grande salle dans laquelle le seigneur, tout bardé de fer, taillait et grevait son aïeul à merci. Non! la tradition elle-même, qui a mémoire meilleure et plus long ressou venir que l'histoire, a oublié le nom de ces barons, tant ils furent durs aux vassaux! Voici la scule chose dont elle se souvient à travers les siècles. Un seigneur d'Ambreville avait autrefois une damoiselle, célèbre dans tout le pays normand par sa beauté. Chevaliers et barons se disputaient sa main, mais sans succès; car le père mettait à son consentement une de ces conditions bizarres

que peuvent seules expliquer les mœurs de la féodalité, qui étaient, vous ne l'ignorez pas, basées sur la force brutale. Il ne voulait donner sa fille qu'au chevalier assez robuste pour la transporter du pied de la côte au sommet, sans s'arrêter une minute. Cette condition étrange fit reculer les plus hardis. Un seul prétendant se présenta: c'était un écuyer de l'âge de la damoiselle. Chargé de son précieux fardeau, il s'élance et franchit l'espace avec une folle rapidité; moins irréfléchi, moins impatient d'arriver au but, il l'eût atteint vainqueur. La passion l'aveugla : épuisé par une course trop rapide, il fléchit à quelques pas du sommet; mais, tentant un dernier effort, il y parvint... pour y mourir!... Or, ce que fit le tyran féodal, au point de vue de la force matérielle, je veux le faire maintenant au point de vue de la force morale. Chaque siècle a sa loi : la violence a mené le monde pendant le moyen âge et la renaissance, il est temps que l'intelligence le conduise à son tour. Dans le grand tremblement de terre, que je prévois d'ailleurs, et qui peut renverser toute la vieille France, l'esprit vaudra mieux que le fer. Donc, écoute, Richard! voici ma condition: j'accorderai la main de ma fille à celui qui pourra lire couramment et traduire, comme un rabbin, les manuscrits hébreux du douzième siècle, pareils à ce spécimen. Tente et réussis, elle est à toi; sinon je serai inflexible comme le baron d'Ambreville!...

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Une heure après, Richard 'prenait la route du Havre, où il savait qu'on trouve toujours des bâtiments pour la Hollande; et Manuel, après avoir raconté ce qui précède à sa fille, s'enfermait dans sa chambre. Cet appartement formait tout le second étage de la tourelle du sud-ouest. Retiré dans la pièce qui donne sur la cour, Manuel en verrouilla d'abord la porte; poussant ensuite un panneau du vieux lambris en chêne, assujetti par deux barres de fer, il s'engagea dans un couloir pratiqué à l'angle oriental de la chambre. Dans ce couloir était construit un escalier en spirale, dont Manuel gravit les marches avec la plus grande précaution et sur la pointe du pied. A la dernière, il retint son haleine, pour ainsi dire, tant il semblait craindre d'être entendu, et il écouta.

Deux personnes causaient dans la pièce voisine, et paraissaient si rapprochées, qu'on entendait le bruit léger du peloton que l'une d'elles dévidait.

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Je conviens, mon fils, que nous vivons dans un singulier temps, et que nos princes (que Dieu bénisse!) cat d'étranges tolérances. Quand nous allâmes à la cour avec feu votre père, nous comptions, comme sur notre part de Paradis, sur une grande réception; l'un de ses aïeux ayant eu l'honneur de tenir l'étrier de François Ier, et mon grand-père étant grand-gruyer de Falaise, il nous semblait qu'on nous prêterait à Versailles quelque considération. Aussi jugez de notre surprise, en voyant qu'on ne faisait pas plus d'attention à nous qu'aux tableaux de la galerie! Le baron quitta la cour au bout d'un mois, et jura qu'il n'y remettrait les pieds de sa vie.

Que voulez-vous, ma mère! la plume des philosoplies est plus estimée aujourd'hui que l'épée de la noblesse.

Tant pis pour le roi, baron! vous verrez où le mèneront ces idées. En attendant qu'il leur doive sa ruine, elles ont déjà causé la nôtre. Comment cela ?...

J'avais une cousine, appelée Louise de Lillebonne ; élevées dans le même couvent, nous devions partager l'héritage d'un oncle maternel. Cette espérance était immense; car, voué à la pauvreté en sa qualité de religieux, cet oncle était le seul qui possédât et pût nous transmettre le secret du fameux trésor.

A ces mots, Manuel redoubla d'attention, tandis que le baron d'Ambreville s'écriait :

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- Quel trésor ?...

C'est un secret de famille qu'il est temps de vous révéler. Sachez, mon fils, que je remonte par ma mère à la tribu de Lévi, qui se composait, comme chacun sait, de tous les nobles d'Israël. Lorsqu'on chassa les juifs de Rouen, il y avait, à ce qu'il paraît, parmi eux un de nos ancêtres qui ne s'était pas encore converti. Forcé de fuir comme les autres, il enterra la plus grande partie de ses richesses, et, afin de les conserver à sa postérité, consigna sur un parchemin le lieu où elles étaient enfouies. Ce inanuscrit, qui vaut des millions, devait être mon héritage. Et il ne vous fut pas légué, ma mère ?

Voici ce qui se passa. Mon oncle le moine était un homme fantasque et capricieux. On le disait savant et il avait voyagé. Le malheur, car pourquoi ne pas appeler les choses par leur nom?... le malheur voulut qu'il découvrit le fameux parchemin en Espagne dans la bibliothèque de l'Escurial...

Mais je ne vois rien que de très-heureux dans ce hasard!...

Sans doute, s'il n'eût découvert que le grimoire... mais il y avait autre chose.

Ah! quoi donc ?.....

-Un jeune employé de la bibliothèque, juif de naissance, et peut-être de cœur... Notre digne oncle, Dieu lui pardonne cette faute, crut devoir l'emmener avec lui pour apprendre l'hébreu, et il en résulta...

-Que vous perdites l'héritage?...

- Oui, car Louise de Lillebonne, une vraie folle qui savait la chimie et lisait le Mercure, rejetant les hommages du vieux sénéchal de Criqueville, dont les aïeux étaient

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