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ne fit longtemps que crier et gémir. Peut-être, s'il avait couru, aurait-il suivi la voiture d'assez près pour voir le chemin qu'elle prenait. Le désespoir ne raisonne pas, et Maurice, qui venait de se promettre d'être sage et prudent, avait manqué de sagesse à l'heure même où il en formait le vœu. Il devait beaucoup souffrir sans doute. Il s'écriait douloureusement: - C'est pour lui que j'ai quitté mon village, et je le perds si tristement! Pauvre Dragon! Quelle fureur aussi de se jeter sur ce chevreau! Il a eu sa mauvaise pensée à son tour. Et moi, je suis puni de l'avoir dérobé à son généreux défenseur.

Toutes ces idées l'agitèrent jusqu'au moment où il vit la route se partager. Quel côté prendre maintenant? Le sort du chien dépendait du choix que Maurice allait faire. Cette fois le fils de Denis Gerbin fut sage; il se dit seulement: «De quel côté dois-je chercher mon père?» Et la direction étant clairement tracée par les indications de l'honnête aubergiste, Maurice prit par là sans hésiter. Mais qu'il était triste, le pauvre enfant! Que de sanglots et de larmes! Que de fois il retourna la tête! Qu'il s'épuisa longtemps à appeler Dragon de toute sa force! Hélas! si Dragon vivait encore, ce n'était plus pour Maurice.

LES BONS PROCÉDÉS.

Vers le soir, le petit voyageur atteignit un village, et il s'empressa de s'informer s'il y avait un boucher. Sur la réponse affirmative qui lui fut faite, il se fit indiquer sa demeure et y courut. Il se présentait à l'improviste, et néanmoins il ne vit rien de suspect. Il entra, et dit, avec un ménagement timide, que son chien, ayant suivi la voiture d'un boucher, il avait espéré le trouver ici.

-Il ne t'aimait donc guère, ton chien? lui dit d'une voix forte un gros homme à la figure ouverte et avenante, ou peut-être ne lui faisais-tu pas assez bonne cuisine?

- Monsieur, il se contentait fort bien de la mienne, qui n'est pas grasse, en effet; et, à vous dire la vérité, je crois qu'il ne m'a pas quitté de bon cœur.

- Sois plus franc, mon ami, on te l'a volé; je vois que tu as du chagrin; je voudrais que ton chien fût chez moi, et pouvoir te le rendre.

Pendant que l'homme parlait ainsi, un chien, enfermé, gémit derrière une porte. Maurice tourna vivement les yeux de ce côté. C'est que sa voix était toute pareille à celle de Dragon.

- Tu crois que c'est lui! dit le boucher d'un air franc et loyal.

Non, monsieur, reprit Maurice.

- Je veux que tu en juges par tes yeux.

Non pas, monsieur. Je ne veux pas. Vous êtes un brave homme, je le vois bien; Dragon n'est pas chez vous.

En disant ces mots, l'enfant se jeta vivement au-devant du boucher, qui allait ouvrir la porte, Cet homme, charmé de sa confiance, lui tendit alors la main, et lui dit : - Tu seras un honnête homme! Je veux que tu soupes avec moi.

On sentait l'odeur des côtelettes sur le gril. Ces fumées appétissantes et l'obligeante proposition du boucher firent Souvenir Maurice qu'il avait jeûné presque tout le jour. Il accepta l'invitation avec reconnaissance. On le conduisit dans l'arrière-magasin. Là, il prit place entre le gros homme et sa grosse femme. Ils faisaient tous deux honneur à l'étal. Un jeune garçon et une petite fille, leurs seuls enfants, parurent, et saluèrent Maurice d'un ton amical. Ces bonnes gens, ainsi réunis, avaient l'air le plus heureux du monde. La petite fille, qui venait d'arriver, alla ouvrir au chien reclus, et fit paraître, sans le savoir,

la sincérité de son père. Maurice regarda le boucher d'en air qui voulait dire: Je savais bien que ce n'était pas lui, Il donna, comme les autres, ses os au chien, en pensart à la bonne fête que Dragon avait manquée. L'homme, pour distraire son jeune convive, essaya de le faire jaser. Maurice répondit honnêtement, mais avec réserve; et, comparant son triste isolement à l'heureux état où il voyait cette famille, il dit avec une sagesse au-dessus de son âge: - - Vous me faites envie! Et s'adressant au petit garçon: -Mon ami, ne quitte jamais ton père, et ne souffre pas qu'il te quitte.

-Le tien t'aurait-il abandonné? dit l'honnête homme avec un éclat de voix.

J'ai le meilleur des pères; mais Dieu sait quand je pourrai le revoir !

Là-dessus il garda le silence, et comme on vit qu'il désirait n'en pas dire davantage, on ne le pressa plus.

-Mon enfant, dit la femme, nous ne t'avons pas invité à notre table pour te mettre sur la sellette. Tu as plus besoin de sommeil que de conversation. Nous allons y pourvoir.

Alors elle se leva, et prépara un lit pour Maurice à côté de son fils. Ils se retirèrent ensemble, et l'enfant, imitant la discrétion de la mère, laissa le petit voyageur s'endormir à son aise, sans lui dire presque autre chose qu'un honnête bonsoir.

Depuis qu'il était en voyage, Maurice n'avait pas rencontré des hôtes plus bienveillants; il les quitta avec tristesse, et regrettait de s'être montré si réservé. Pour eux, ils ne paraissaient pas y songer le moins du monde. Au départ, ils le saluèrent cordialement; ils le suivirent des yeux aussi longtemps qu'ils purent. Et non-seulement on l'avait fait déjeuner copieusement avant de partir, mais il emportait encore des provisions pour la journée. On aurait dit que le boucher de ce village avait voulu le consoler du chagrin que l'autre lui avait fait.

LE MESSAGER DE VILLAGE.

Mais Dragon ne pouvait être oublié si vite. Sa fidélité tant de fois éprouvée lui assurait celle de Maurice, qui rêvait tristement dans sa marche solitaire. La joie de son père à le revoir ne serait pas complète, quand il apprendrait le malheur du pauvre Dragon.

Maurice avait cheminé la moitié du jour, sans événement, et il venait de faire un bon repas des provisions que sa généreuse hôtesse lui avait données, lorsqu'il vit, à peu de distance, un homme arrêté, qui paraissait chercher quelque chose. Il était courbé vers la terre, et la tâtait avec les mains. Notre voyageur en comprit bientôt la cause le jeune homme, qu'il voyait de près maintenant, était aveugle.

Cependant il portait le bâton du pèlerin, et il avait le dos chargé d'un sac de cuir. Maurice lui demanda ce qu'il cherchait, et lui offrit ses services.

Je suis bien malheureux, dit le jeune garçon d'une voix altérée. Tel que vous me voyez, je suis le messager du village que vous devez apercevoir d'ici, à mi-côte de cette montagne; en voulant faire ici le compte de mon argent, j'ai laissé tomber ma bourse ouverte et l'argent s'est répandu. J'en ai retrouvé une partie, mais il me manque trente sous, et c'est justement ce que je réservais pour acheter des bas de laine à ma vieille mère qui est paraiytique.

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et d'une sœur atteinte d'une maladie de langueur; Dieu l'a voulu !

L'aveugle ne cessait pas de chercher patiemment, tout en répondant à Maurice. Il ajouta :

Vous êtes bien jeune, mon ami, à ce que j'entends. Vous saurez cependant compter ce que j'ai dans cette bourse. Voyez si peut-être je ne me trompe pas.

Maurice trouva le même compte que le messager, et làlessus ils se mirent à chercher de nouveau. Comme ils ne trouvaient rien, l'aveugle dit tristement:

Ma pauvre mère, tu auras froid!

Ne perdons pas sitôt courage, dit Maurice, qui était touché des plaintes et de l'aspect de ce malheureux. Qu'était-ce que vos trente sous? ajouta-t-il avec une intention secrète.

-

sous.

Il y avait une pièce d'un franc et le reste en petits

Alors nous devons au moins en retrouver une partie. Voyons par ici, dans le fossé; eh, justement, voici un sou, et deux, et trois...; c'est la bonne place. En disant ces mots, Maurice tirait les sous de sa bourse et les donnait à l'aveugle, après les avoir frottés de poussière.

Le pauvre messager ne soupçonna pas la ruse, et l'enfart ayant tout d'un coup retrouvé de la même façon la pièce d'un franc, la fit recevoir tout de même. Enfin ses vir agt-cinq sous y passèrent. Alors il fallut bien s'arrêter, il Etait au bout de ses ressources.

Merci! merci! disait l'aveugle tout réjoui. Laissons leeste dans le fossé, cela ne m'empêchera pas d'acheter des bas à ma mère. Dieu vous conserve ces bons yeux qui m'ont si bien servi! Là-dessus il lui tendit la main en le remerciant encore de sa complaisance, et il poursuivit sa route. Maurice, en le voyant s'éloigner, éprouvait un sentiment bien doux.

Il se remit en chemin de son côté ; il était dans un pays d'un aspect triste et sévère; des brouillards assombrissaient la soirée; et lui, toujours plus dépourvu, n'ayant pas un sou, plus de Dragon pour le distraire et le défendre, il marchait toujours vers cette Savoie qui semblait reculer devant lui. Cependant, au milieu de son isolement profond, une pensée le consolait et soutenait son courage, c'était le souvenir du secours qu'il avait prêté au pauvre aveugle.

Il n'en sait rien, se disait-il, mais Dieu m'a vu, j'ai souhaité de lui plaire, il ne m'abandonnera pas.

OU COUCHERA-T-IL CETTE FOIS?

Cependant le jour était sur son déclin et Maurice ne s'était pas encore vu dans des lieux si déserts, Vers le soir, il se laissa tomber de lassitude au bord de la route. Il s'appuyait contre un poteau, et ne s'aperçut qu'au bout d'un temps assez long que c'était une croix. Alors il se mit à genoux et pria de tout son cœur. Peu à peu il sentit sa confiance renaître, il embrassa le signe sacré du salut, et dit avec une ardeur nouvelle : « O mon Sauveur ! vous qui n'aviez pas un lieu où reposer votre tête, ayez pitié d'un enfant sans asile comme vous, et qui n'a pas votre conrage! »

Après avoir passé quelques moments dans cette situation, il se trouva plus fort et il put se remettre en chemin. Aucune maison ne paraissait dans la campagne; il ne voyait que de grandes plaines coupées par quelques haies; mais à peine eut-il fait un demi-kilomètre, qu'il découvrit cependant un asile. C'était une cabane de berger sur ses roues, entourée de la cloison qui attendait les brebis. Il s'y rendit, le cœur joyeux, et disait en souriant:

« Le bon Pasteur m'a exaucé, il me prête sa maison. » Elle se trouva ouverte. Il y avait un matelas et une couverture. On eût dit que Maurice était attendu. Il y entra sans défiance, comme sous la garde du meilleur père.

Une chose l'étonna. Il s'aperçut, à une odeur appétissante, qu'il y avait quelque part des vivres; il s'en assura, ⚫et ses mains touchèrent même un morceau de pain. Quelle tentation pour un enfant qui n'avait pas soupé ! Cependant Maurice comprit que ces provisions attendaient un maître, et il n'y toucha pas. Il pria Dieu de l'endormir bien vite, pour lui ôter l'envie de malfaire. En effet, il s'endormit tranquille, persuadé qu'on lui pardonnerait d'avoir gardé le logis, s'il bornait là son usurpation.

Il pouvait être dix heures, quand Maurice fut réveillé par des bêlements confus, auxquels se mêlaient une voix d'homme et les aboiements d'un chien. Il comprit qu'on amenait le troupeau dans le parc. Au bout d'un moment la porte s'ouvrit, une main s'avança et le palpa doucement : « C'est bien, dit la même voix, tu es à ton devoir. Tu peux dormir. Le troupeau va en faire autant. Je ferme les portes du parc et je laisse le chien. »

Maurice fut si étourdi de ce réveil et de cette apostrophe, qu'il ne trouva rien à répondre. L'homme était bien loin, lorsqu'il put se reconnaître et se dire qu'il aurait dû prévenir l'inconnu de sa méprise. Maintenant il était trop tard. « Enfin, se dit-il, s'il ne s'agit que de dormir, je m'en acquitterai aussi bien qu'un autre. » Il reprit donc sans scrupule son sommeil interrompu, lorsqu'il se fut aperçu, au silence croissant, que les moutons s'endormaient peu à peu autour de lui.

Mais il ne devait pas achever la nuit sans autre événement. Il était environ deux heures quand la porte de la cabane s'ouvrit une seconde fois.

- Père Claude, dit une jeune voix, me voici! Pardonnez-moi d'arriver si tard; mon beau-frère n'a pas voulu me laisser quitter la noce avant la fin.

Le jeune garçon continuait de faire des excuses, Maurice lui répondit:

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Ce n'est pas le père Claude qui est ici.

• Qui donc?

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Sans doute, il devait se trouver des provisions dans la cabane?

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- Je m'en suis aperçu à l'odeur; elles y sont toujours. Pauvre garçon! tu n'avais donc pas faim?

Je mourais de faim en arrivant ici, et je me suis dépêché de m'endormir pour n'y plus penser. - Et à présent?

A présent? Tu t'imagines !...

Eh bien! soupe vite, mon ami, ne te gène pas. Je viens de la noce, moi; j'ai marié ma sœur aînéc; tu goûteras de notre galette.

Le jeune berger n'était pas resté en place pendant ce dialogue; il était monté dans la cabane; il avait allumé une petite lampe rustique et s'était assis à côté de Maurice. Alors il se mit à le servir et il étala devant lui son souper. Il vit avec satisfaction que le père Claude

avait fait ce jour-là les choses assez largement. Maurice consomma tout, à la grande joie de Michel. La galette vint après et fut trouvée excellente. Le dessert achevé, les deux camarades renvoyèrent au lendemain toute autre explication, afin de vaquer au plus pressé. Maurice retrouva un meilleur sommeil depuis qu'il était restauré par la nourriture, et Michel dormit comme on dort après un repas de noces, une course de six kilomètres, et la certitude d'avoir échappé à la colère d'un maître justement redouté. Au réveil, quand il sut comment Maurice avait été amené dans la cabane, il dit :

-J'irai suspendre une couronne à la croix.

-Tu feras bien aussi, ajouta Maurice, de dire à ton maître la vérité, il t'en estimera davantage.

NOUVELLES AVENTURES.

Après avoir quitté Michel, le petit voyageur se remit en chemin, et, malgré le souvenir de cette nuit, passée 'bien plus heureusement qu'il ne l'avait espéré, il se laissa peu à peu ressaisir par le découragement. L'influence de la croix semblait s'évanouir à mesure que l'objet s'éloignait de lui. Il est malheureusement vrai que la chaleur du zèle pieux, qui devrait nous animer sans cesse, nous abandonne le plus souvent après de courts intervalles. Maurice était dans ces fâcheuses dispositions, lorsqu'il fit une de ses rencontres les plus tristes. Il vit enfin de ses yeux ces hommes terribles auxquels il avait pensé tant de fois en frémissant. Deux gendarmes, le fusil sur l'épaule et le sabre au côté, conduisaient un malfaiteur, les mains enchaînées. Ils marchaient d'un bon pas, et devancèrent bientôt Maurice, qui frissonna d'horreur à cette vue. L'un d'eux le salua d'un ton brusque, et l'enfant lui tira le chapeau bien humblement. Quand ils eurent fait quelques pas, le même gendarme se retourna, regarda fixement Maurice, et parut dire à l'autre quelques mots sur son compte. Pour lui, il suait d'angoisse, et il ne fut rassuré que lorsqu'il les vit bien loin, ou plutôt lorsqu'il ne les vit plus.

Son déjeuner matinal était depuis longtemps digéré, quand il passa devant une pauvre maison, au bord de la route. Quatre enfants étaient assis sur le seuil de la porte, armés chacun d'une cuiller, et tenant sur leurs genoux, qui faisaient table, une assiette pleine de soupe. Un chien était couché auprès de la troupe mangeante. Où es-tu, pauvre Dragon?... Ce fut la première pensée de Maurice; la seconde fut pour le potage. Les enfants saluèrent gaiement le petit voyageur, en brandissant leurs cuillers. Ces figures joviales pouvaient donner à Maurice de la confiance; mais demander la charité est si dur, même pour ceux qui l'ont faite! Maurice s'en tira avec finesse, et un badinage lui valut un nouveau déjeuner. Répondant aux agaceries des enfants, il s'assit vis-à-vis sur une pierre, au bord de la route, et, comme s'il avait eu une cuiller à la main et une assiette pleine sur les genoux, il se mit à manger à vide, affectant de savourer avec délices. Les plus jeunes enfants rirent aux éclats; la jeune mère survint, et rit à son tour, mais avec attendrissement. Elle fit un signe d'appel à Maurice, qui vint gaiement s'asseoir auprès de la jeune famille, et prendre au déjeuner une part effective. La mère l'obligea d'accepter, de surplus, un morceau de pain.

- C'est le dessert du pauvre, lui dit-elle.

- Merci, madame, dit l'enfant avec reconnaissance. Un riche ne ferait pas mieux. J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger.

Et il partit après avoir salué gentiment les enfants et la mère.

THÉODORE,

Il marchait depuis longtemps, les yeux fixés sur ces chères montagnes qu'il voyait toujours dans le lointain, lorsqu'il fut devancé par une voiture de belle apparence. Cependant la couleur sombre et les livrées noires 22nonçaient le deuil. Un monsieur et une dame étant seuls dans la voiture. Maurice les regarda curieusement, et il leur ôta son chapeau. Le vent qui soufflait alors it jouer ses longs cheveux bruns autour de sa jolie tête, et, les chevaux n'allant qu'au petit trot, la dame eut le loisir de considérer cet enfant. Elle fit soudain un mouvement de surprise, et poussa un cri. A quelques pas de là on arrêta la voiture, et le monsieur et la dame, ayant mis la tête à la portière, observèrent de nouveau Maurice, en échangeant des paroles très-animées.

Pour lui, toujours défiant, il s'était arrêté. On lui fit signe d'approcher; il obéit avec crainte. Quand il fut à vingt pas, la dame s'écria: - C'est lui-même ! ne le diriez-vous pas? Le monsieur descendit de la voiture et s'approcha de Maurice. Alors le pauvre enfant se troubla; s'il l'eût osé, il aurait fui. Le monsieur le prit par la main, et l'observait avec une attention passionnée. — Ces yeux bleus! ces cheveux bruns et bouclés! cette bouche!.. Mon Dieu !... Telles étaient les réflexions qu'il faisait à haute voix, en présence d'un vieux domestique qui était accouru, et qui regardait Maurice avec la même surprise.

Votre nom, mon enfant ? lui dit le maître. Maurice ne doutait pas que ces personnes ne l'eussent reconnu, parce qu'on l'avait signalé dans quelqu'un des lieux témoins de ses étourderies et de ses escapades. Il se rappela tout à coup le chuchotement des gendarmes, et il se crut perdu s'il déclarait son vrai nom, qu'il avait dit si souvent. La frayeur le jeta dans la feinte; encore le pauvre enfant ne laissa-t-il pas de respecter jusqu'à un certain point la vérité. Il se souvint que son père l'appelait quelquefois son Théodore, parce qu'on lui avait dit que cela signifiait Dieu l'a donné; et Maurice dit en rougissant qu'il s'appelait Théodore.

Pressé de questions sur ses parents, sur son voyage, il ne fut pas plus sincère. Je suis un orphelin, dit-il; je cherche à me placer comme berger dans le voisinage. La dame, qui le regardait avec attendrissement, lui dit:

Vous êtes seul, mon enfant; vous êtes fatigué, montez dans notre voiture...; nous vous laisserons où vous voudrez.

Maurice, confus et troublé, se laissa faire, moitié frayeur, moitié séduction. Il n'avait jamais entendu de voix si douce, ni vu de si belle dame. Elle le fit asseoir devant elle, le regarda encore, le caressa. Au bout de quelques moments, elle se cacha le visage avec les mains, et, quand elle se découvrit, elle était baignée de larmes. Le monsieur dit à la dame: - Si c'est là l'effet de sa présence, il faut nous séparer de lui.-Ah! s'écria-t-elle, je voudrais qu'il ne me quittât jamais!

A six kilomètres de là, on arriva en vue d'un château, et l'on proposa à Maurice de venir y passer la nuit. L'exclamation de la dame lui avait bien causé quelques alarmes; mais il ne se crut pas sérieusement menacé d'un si beau malheur, et il accepta timidement. Quel gite différent de celui de la veille! un superbe château après une cabane roulante ! Tout fut à proportion. Maurice fit une chère délicate; il fut servi par les domestiques, logé dans

une chambre élégante, couché dans un lit des plus mous. Il était fort embarrassé de sa personne au milieu de ces magnificences.

On lui proposa le lendemain de chercher pour lui une place de berger dans le voisinage: A moins, dit la dame, que vous ne préfériez rester avec moi. Voulezvous, mon cher Théodore, me tenir lieu du fils que j'ai perdu?... Vous-même, vous avez perdu vos parents; nous vous servirons de père et de mère. A ces mots, l'enfant se mit à pleurer. La dame, qui vit dans ces larmes un pur mouvement de reconnaissance, en fut pénétrée. L'auraitelle moins été, si elle avait su que Maurice s'attendrissait à la pensée de son pauvre père, et que, le cœur oppressé, il se disait: - Non, non, je ne le laisserai pas?... On ne s'en dit pas davantage pour l'heure. La dame ajouta seulement: Vous êtes libre, mon enfant; ne craignez pas que je vous retienne malgré vous; mais, si vous m'aimez un peu, ne me quittez pas encore !

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LE CHATEAU DE VARANES.

Le monsieur s'y prit d'une autre façon pour achever de le vaincre. Il lui procura tous les divertissements qu'on aime à son âge. Maurice eut des cerceaux, des toupies, des arcs et des flèches, des balles, une escarpolette; le tir au pistolet l'intéressa vivement; mais rien ne le charma plus qu'un petit cheval, qu'il montait la moitié du jour. Ajoutez à cela des friandises, des habits élégants, enfin toutes les recherches du luxe. Et puis Maurice voyait qu'il faisait plaisir à deux personnes malheureuses, en se laissant combler de faveurs. Déjà une certaine aisance de manières avait remplacé chez lui la gaucherie. Il avait des répliques agréables, des discours naïfs et charmants; et il entendait toujours plus souvent la dame dire avec tendresse : C'est son image! Dieu l'a permis pour nous consoler.

Les domestiques, voyant croître chaque jour la faveur

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de M. Théodore, s'accoutumaient à le traiter avec plus de déférence. Il n'en abusait pas trop; mais quel enfant, quel homme refuse longtemps d'accepter les avantages d'une position brillante qu'on s'attache à lui faire? M. Théodore s'accoutuma bientôt à tenir son rang, et n'en plut que davantage à la dame, qui le trouvait par là toujours plus semblable à son fils. Ainsi le temps s'écoulait à prendre du plaisir, à recevoir et à donner des témoignages d'affection. Le petit consolateur s'engageait si avant dans ces nouveaux liens, qu'il en pensait moins souvent, je ne dis pas à Dragon, mais à son père lui-même. La prospérité le gâtait plus que n'avaient fait les accidents de tout genre et les mauvaises compagnies. Cependant la conscience le poursuivait, même dans le château de Varanes, et lui parlait assez haut pour le troubler quelquefois : Tu trompes tes bienfaiteurs, tu oublies ton père; tu ne peux vivre ainsi toujours.

Il avait permission de se promener à cheval dans le

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