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cette mère s'appelle la France; elle est malade; de perfides médecins conspirent sa mort. Dis-moi quel sera son destin?

Et le vieux Tuisko, dont les accents avaient été jusqu'alors pleins de calme et de mélancolie, s'exalta tout à coup. Son verbe devint strident et impétueux, son geste convulsif, ses yeux rayonnants d'un éclat sauvage. Tout son être se transfigura; il était manifeste que l'esprit du tietaja en avait pris possession. Aussi, les Français, qui l'avaient écouté d'abord avec un sourire d'incredulité, ne pouvaient plus se défendre d'une sorte de religieuse terreur. De son côté, la belle Toini, qui était en rapport plus immédiat avec le troll, se laissait gagner à son enthousiasme; elle était haletante, échevelée; on eût dit une de ces sibylles dont les sagas du Midi racontent les frénétiques ardeurs. Ta mère est malade, reprit le sorcier. Quelle est donc ton audace, ô maladie, d'avoir osé l'attaquer?

« O Ukko, toi qui t'appuies sur l'axe du monde, toi qui habites sur la nuée qui vomit la foudre, apporte ici ton glaive de feu, afin de frapper le cruel qui me tourmente, de chasser à jamais

mon ennemi.

« O forêt ! viens avec tes bêtes superbes, viens avec tout ton peuple; Perkele, viens avec toute ta maison. Lac, viens avec les fils de ta race! Que cent guerriers se levent avec leurs glaives, que mille héros accourent au secours du faible, de l'infortuné!

« Mais, si ce n'est assez, quelle autre puissance invoquerai-je encore? Est-il dans le monde, des hommes, enfants des vieux siecles, des hommes éternels? Surgis de la terre, ô mère de la terre! surgis du champ, seigneur éternel; levez-vous, ô vous tous qui portez des glaives, vous tous qui montez des coursiers, venez briser le mal qui m'accable, venez triompher de mes douleurs ! »

A mesure que Tuisko déroulait ses invocations, sa voix devenait plus orageuse, ses gestes plus saccadés. Il frappait du pied, il battait des mains; ses cheveux se dressaient sur sa tête et sa bouche écumait.

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J'aperçois au loin, reprit-il d'une voix profonde mais brisée, j'aperçois une terre rayonnante de verdure et de beauté (la France). Voici des bois touffus, de hautes montagnes, des plaines riches de fruits. Quelles cités splendides s'élèvent de toutes parts! Mais, hélas ! les fleuves qui les baignent sont rouges de sang, les ruisseaux sont rouges de sang, les sources sont rouges de sang (la Terreur).- Une noire fumée enveloppe les châteaux et les palais. Les hommes sont armés de haches et de coutelas. Quelle est cette foule sinistre qui s'avance? — Les armées s'entre-choquent, le cheval de la mort galope de rang en rang (la guerre européenne). Horreur! horreur! - Mais j'aperçois un jeune homme au front resplendissant comme le feu des étoiles. Il s'élance, il brise sous les pieds de son coursier la foule envieuse de sa gloire.-Et le voilà sur un trône (Napoléon)! C'est beau, c'est divin! La foule gronde encore. Les pierres du diademe se brisent, et le serpent qui y était caché va mordre au cœur le héros qui le porte. Le feu dévore la terre. - Le Nord s'ébranle (l'invasion). - D'épouvantables vautours poursuivent l'aigle vainqueur jusque dans son palais de nuages, et il en tombe percé de mille coups, comme un globe de feu éteint dans la tempête. Et la terre reverdit, et les feuilles dépouillent leur robe de sang pour reprendre leur ancienne parure; mais leur sein est jonché des plumes de l'aigle tombé (la Restauration). Plumes merveilleuses! des hommes nouveaux s'en emparent et ils écrivent avec elles une histoire, une histoire éternelle. Et cependant la mer fatale n'a pas encore épuisé ses orages. Un trône est renversé, un vieillard a pris la fuite (la révolution de Juillet). Un jeune prince, celui que je vois là, devant moi, s'avance sur les ailes du destin, comme le génie de la paix du monde. C'est lui qui remettra entre les mains des héros les plumes du grand aigle, afin qu'ils puissent continuer l'histoire interrompue... Eh quoi! la tempête recommence (la révolution de Février), les nuages versent du sang - et le jeune enfant agite ses bras innocents du haut du trône-et l'air est obscurci par les ailes noires de corbeaux immenses (1)... Que veut dire ce signe ? Mais les ombres enveloppent ma pensée; mon esprit m'abandonne; étrangers, adieu! adieu ! »>

Et le vieillard se tut, et il retomba anéanti sur le pavé, d'où il ne se releva enfin qu'après de longues heures d'un sommeil convulsif....

Trois semaines après la scène que nous venons de décrire, nous retrouvons encore les illustres voyageurs à Karessuando.

-Je ne m'étonne pas, disait Guillemot à part lui, que monseigneur se plaise ici. Quelle mauvaise étoile a jeté là sur nos pas cette étonnante sirène? J'en suis moi-même tout ensorcelé.

Cependant la troupe voyageuse avait trouvé dans les environs une habitation plus commode que la hutte du troll; mais Guillemot avait raison: le duc faisait de fréquentes visites à cette

(1) La saga dont nous donnons ici la traduction a été recueillie en 1845 ou 1815. Ainsi le passage que nous soulignons n'a pu y être glissé après coup.

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- Moins cruels encore que les hommes, monseigneur. Ma mère était dame d'honneur de la reine Marie-Antoinette. Elle était belle. Vous devez avoir vu ce teint d'une admirable blaucheur et cette expression indéfinissable de noblesse, qu'on ne rencontre que dans les anciennes familles de Normandie. Ua prince du sang conçut une passion pour ma mère. Elle eut la faiblesse de l'aimer à son tour, et dut cacher avec moi son malheur dans la fuite. Vingt billets nous poursuivirent d'asile ea asile, portant ce mot fatal: Vengeance!

« Arrivées au Havre :- Antoinette, me dit ma mère, il faut quitter la France, nous y chercherions en vain le repos. Allons sur le port, et montons sur le premier vaisseau qui voudra nous recevoir. Un honnête pilote nous accueillit, sans s'enquerir de notre nom ni du but de notre voyage; et quelques semaines après nous abordions à un rivage dont nous n'avions jamais entendu parler; nous étions en Finlande. à Uléa borg.

Et les billets, les billets? s'écria le duc d'Orléans. - Les billets !... grand Dieu! pourquoi en parler? Ma mère bien-aimée dort depuis quatre ans de son éternel sommeil dans le cimetière d'Uléaborg. Et moi, pauvre enfant, le bon Tuisho m'a recueillie, m'a consolée, et, dans ces déserts de neige, il me tient lieu de père.

« Prenez ce médaillon, mon prince, ajouta Toini; c'est le seul héritage que j'aie reçu de ma mère, c'est mon plus grand trésor il renferme un morceau de la vraie croix. Tant que vous le porterez sur votre cœur, vous ne craindrez ni l'eau, nì l'air, ni le feu, ni les balles, ni le poignard des assassins.

- Merci! mon enfant, ce médaillon chéri ne me quittera pas un seul instant de ma vie. Mais laissez-moi voir aussi les billets! Pourquoi cette pâleur, mon prince ?... Les voilà, ces billets; je les porte toujours sur moi : ils enveloppent une boucie des cheveux de ma mère..., ma pauvre mère !

Le duc d'Orléans prit les billets et les ouvrit avec avidité
O enfer! s'écria-t-il, c'est l'écriture de mon père! .

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En revenant de Finlande en Norwêge, incognito, le prince exilé se crut trahi et perdu. Sur son passage, aux environs de Christiania, un cocher se mit à crier: « La voiture du duc d'Orléans! » Le proscrit, maître de luimème, s'aperçut heureusement que cet homme ne le regardait pas. Il lui demanda en simple curieux la raison de son cri. - Ma foi, répondit le cocher, sans le reconnaître, quand j'étais à Paris, je ne sortais jamais de l'Opéra sans entendre crier : la voiture du duc d'Orléans! Ce cri m'est revenu, et je l'ai répété tout à l'heure à propos de rien. Le prince respira, et poursuivit sa route.

Reconnu et menacé à Stokholm, Louis-Philippe passa de la Germanie en Amérique (1796). Ses frères, Montpensier et Beaujolais, l'y rejoignirent pour racheter la tête de leur mère captive depuis 1793, et tous trois parcoururent ensem ble le Nouveau-Monde. Washington les reçut avec grâce, à son domaine de Montvernon. Dans les régions sauvages, le duc d'Orléans sauva un vieillard en le saignant à propos, ce qui le fit regarder comme un dieu par les fallkées. Le dieu voyageait à pied, hantant les auberges les plus modestes, payant son séjour dans les villes ou son passage sur les navires, en leçons de dessin, d'orthogra phe et de langues, couchant ordinairement sur la paille, les pieds tournés vers un grand feu. La gravure ci-dessus représente une habitation indienne, dans laquelle le duc d'Orléans professa l'anglais à une famille yankée.

A Bairdstown, un aubergiste, pressé par l'heure, refusa sa porte à l'humble mine des trois princes (Louis-Philippe était alors fort malade), et les quitta pour courir à un spectacle forain, qu'il ne voulait pas manquer, dit-il, quand même un roi serait son hôte. » Devenu roi, trentequatre ans après, Louis-Philippe envoya une belle horloge à Bairdstown, en rappelant cette aventure à l'évêque Flaget.

Il habita les wigwams des Indiens Senèques, y perdit son chien Franz, revint le chercher à travers mille périls, vit la cataracte de Niagara, en suivit les rives, portant son bagage sur le dos, bagage moins lourd que la royauté (il en est souvent convenu depuis), «passa quatorze nuits dans les bois, dévoré d'insectes, exposé aux ours, aux serpents, mouillé jusqu'aux os, et dinant de porc salé avec du pain de maïs »> (1), fut surpris à Philadelphie par la fièvre jaune, sans un écu pour continuer son voyage; repartit pour l'ouest de l'Union, avec quelque argent envoyé par sa mère, fit une chute grave à Carlisle, se saigna lui-même dans un cabaret, fut supplié par les habitants d'exercer la médecine chez eux, s'embarqua pour la Havane en 1798, et rentra en Europe au moment où Bonaparte confisquait la Révolution.

Louis-Philippe garda jusqu'à son dernier jour un souvenir prodigieux de ses courses lointaines. Dernièrement, un Anglais lui demandait à quelle époque il avait quitté Hambourg? « Le 24 septembre 1796, répondit-il sans hésiter, à bord de l'Américain, capitaine Ewingt. La traversée dura vingt-sept jours. »

On connaît son retour en France, sa conduite sous la Restauration, son élévation au trône par une émeute, sa chute par une émeute semblable, et sa mort en exil, pareille à celle du roi qu'il avait remplacé. Ces grandes leçons de la Providence appartiennent à la politique et, à ce titre, doivent nous rester étrangères.

LE GÉNÉRAL DON JOSÉ DE SAN-MARTIN.

La renommée a d'étranges caprices. Qu'un aéronaute tombe et se tue, pour avoir abusé des liqueurs alcooliques; qu'un autre voyage en l'air sur un àne ou sur une atruche; qu'une chanteuse arrive à New-York au bruit des grosses caisses du charlatanisme, et le monde entier S'occupe de ces personnages, et les journaux sont pleins de leurs exploits et de leurs portraits. Mais que, pendant ce temps-là, un des plus grands hommes du siècle s'éteine dans la majesté de sa gloire et l'humilité de sa foi, et Lenommée n'a pas une trompette pour annoncer sa ort; les journaux n'ont que dix lignes à lui donner entre les réclames de la Californie et les voyages en ballons, et pas un n'a de place dans ses colonnes pour la biographie et le portrait du héros.

Nous n'imiterons pas ces honteuses aberrations, et la vie et l'image du général San-Martin paraîtront au moins dans le Musée des Familles avant celles de la chanteuse Jenny Lind!

Il y a quelques semaines, vous aurez lu dans les journaux cette nouvelle en deux lignes : « Le général don José de San-Martin vient de mourir en France, à Boulogne-sur-Mer, dans sa soixante-douzième année. »

Eh bien! la mort d'un tel homme aurait dû produire antant d'effet dans les deux Mondes que celle de Washington en produisit autrefois. Ecoutez plutôt, ceci est de l'histoire, comme on n'en fait plus :

Au mois de mai 1808, la ville de Cadix se soulevait avec toute l'Espagne contre la domination napoléonienne. On massacrait les Français dans les rues, au tocsin de nouvelles Vêpres siciliennes. Dans le palais du gouvernement, deux hommes d'age fort divers, mais d'une ressemblance étonnante de caractère et de figure, attendaient avec sang-froid l'approche de la tempête. L'un était le

(1) Lettre du duc de Montpensier à la princesse Adélaïde.

marquis de Solano, capitaine général de l'Andalousie l'autre, son aide de camp, don José de San-Martin, né dans l'Amérique du Sud, à Yapeyu, en 1778, du colonel Juan de San-Martin et de dona Francisca de Matorras; brave et bel officier, à la taille haute, à la tête martiale. à la moustache noire et au brillant uniforme.

Bientôt la foule des ouvriers, des matelots, des mañolas échevelées, gronda sur la place, la torche et le poignard à la main, hurlant: - Mort aux Français et à leurs défenseurs !

Solano voulait bien combattre les Français, mais non les assassiner. Il l'avait déclaré au peuple, et il était stoïquement rentré avec son aide de camp.

Assis près d'une table, son épée posée près de lui, il lut à don José une dépêche qui lui annonçait l'égorgement de Filangieri à Villa-Franca, et d'Aquila à Séville, pour avoir résisté aux vengeances populaires.

Ce sera peut-être notre tour demain, ajouta-t-il en se jetant sur son lit; la vie du soldat est un champ de bataille.

Et il s'endormit.

San-Martin veilla près de lui jusqu'à l'aurore; alors seulement il alla parcourir la ville. Il la trouva pleine de bandes furieuses et de vociférations horribles... Quand il revint au palais, l'entrée lui en fut interdite par la foule, et il vit un cadavre en lambeaux, traîné dans la rue par les mendiants de Cadix. Il reconnut Solano, son général.

Les chefs de l'émeute étaient venus demander au marquis l'ordre du massacre. Il leur avit répété: -Je combattrai les Français, je ne les égorgerai pas ! Et il avait payé de sa vie ces courageuses paroles.

Nous avons dit que Solano et San-Martin se ressemblaient singulièrement. A l'aspect de celui-ci, des furieux croient revoir le général, et se ruent avec mille poignards sur l'aide de camp...

Poursuivi de rue en rue, arrêtant parfois les bandits d'un regard ou d'un coup d'épée, don José allait périr enfin à son tour, lorsqu'un moine sort de l'église des Capucins, reconnaît l'officier chancelant aux pieds d'une madone incrustée dans le mur, élève son crucifix entre les meurtriers et la victime, montre le sang du général Solano qui sillonnait la rue, et crie d'une voix ferme et imposante à la multitude: -Cet homme est don José de San-Martin, et cette madone est la vierge du pardon! Ne frappez pas les vivants pour les morts, et sachez vous arrêter dans le crime!

Les plus enragés reculèrent, et l'officier dit au moine en le quittant - Je m'en souviendrai!

Les occasions ne lui manquèrent pas de tenir sa parole. Neuf ans après, San Martin, appelé dans sa colonie natale par un cri d'indépendance, s'était élevé, à pas de géant, de victoire en victoire, et avait affranchi toute L'Amérique espagnole du sud, pendant que Bolivar affranchissait l'Amérique du nord. La Confédération argentine, le Chili et le Pérou doivent leur délivrance à son courage, et leur organisation à son génie.

Au milieu de cette guerre prodigieuse, où il rappela les exploits d'Annibal et de César, le héros vit un jour un moine castillan rouler à ses pieds sous les coups de ses soldats vainqueurs. Il le couvrit de son corps et de son épée, lui donna une escorte qui le sauva, et s'acquitta ainsi de la dette sacrée de Cadix.

Couvert de la gloire de Washington, San-Martin le surpassa par son désintéressement. Il refusa de gouverner les vastes Etats qu'il avait affranchis, et vint s'ensevelir en Europe dans le célèbre drapeau de Pizarre, seule récompense qu'il eût gardée de tant de services.

Tel est l'homme qui mourait dernièrement sans faste à Boulogne-sur-Mer, et dont la moitié du Nouveau-Monde va porter le deuil. Sa bière, conservée à l'église NotreDame, partira bientôt pour Buenos-Ayres, qui lui avait réservé le titre de brigadier général, et qui rappelait chaque année sa gloire au Congrès assemblé. Elle sera saluée par le Pérou qui avait cédé à son libérateur le drapeau de

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Fontaine, et sous la plume de deux écrivains fort connus, qui ont pris le pseudonyme de PIERMAREC, cette Nouvelle est devenue une comédie, mêlée de rire et de larmes, et qui attire au Gymnase dramatique l'élite de la société parisienne. Inutile de vous en faire l'analyse. Vous n'avez qu'à relire la Nouvelle, en y ajoutant par la pensée la bonhomie charmante de Numa dans le rôle si difficile de La Fontaine, l'esprit et la distinction de Mlle Anna Chéri sous les traits de l'épouse du fabuliste, la verve de M. Priston, sous l'habit du jardinier, la passion et la belle voix de M. Armand dans le personnage de Dominique-Albert, la rondeur comique de M. Landrol, sous l'uniforme de Poignan, et la grâce... plus belle encore que la beauté, de Mile Duverger, sous l'éblouissante toilette de La Valière !

En remerciant les auteurs de l'honneur insigne qu'ils ont fait au Musée des Familles, nous leur reprocherons de s'être écartés, sur plusieurs points, des convenances morales de la Nouvelle, et d'avoir ralenti l'action par des finesses de style et de détail, qui eussent été mieux placées à la Comédie-Française qu'au Gymnase. Ils s'excuseront, à la vérité, sur ce que le Gymnase est quelquefois le rival de la Comédie-Française. Il l'a prouvé, en effet, par la représentation du Bonhomme La Fontaine. Nous en remercions l'homme d'esprit qui le dirige, à l'abri des charges et des scandales du vaudeville contemporain. Témoin le Divorce sous l'Empire, de M. Bayard, qui se partage l'affiche du Gymnase avec le Bonhomme, et qui contient une moralité d'autant plus éclatante, qu'elle est interprétée avec un immense succès par les talents sans rivaux de Mme Rose Chéri et de M. Bressant. C'est l'événement

Le général don José de San-Martin.

dramatique du mois, et celui-là, du moins, n'effarouchera pas les familles.

A NOS ABONNÉS. MODES VRAIES.

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Ce complément facultatif du Musée, privilége exclusif pour ses abonnés en famille, est consacré par une adhésion générale. La moitié des souscripteurs renouvellants l'ont réclamé, à la place des coûteux journaux de modes, comme une bonne fortune pour leurs filles, leurs sœurs et leurs amies. Ce succès, assuré d'avance, permet à Tadministration d'augmenter déjà ce qu'elle avait promis pour les Modes vraies. Au lieu de 96 colonnes de texte par an, elle en donnera près de 150; et elle peut fixer le chiffre des gravures et patrons au maximum des journaux de modes les plus chers; ainsi les Modes vraies contiendront, chaque année, 12 grandes feuilles de broderies, avec patrons de chapeaux, canezous, bonnets, manchettes, de modes, voiles, cols, nappes d'autel, etc.; 12 gravures coloriées, 4 grandes feuilles de tapisserie coloriées; 4 mor ceaux de musique des maîtres; 4 grandes feuilles de crochet, tricot, filet, bourses, glands, plumetis, ouvrages en perles, etc. Le tout inédit, fait exprès pour les abonnés, et ne se trouvant nulle part ailleurs. (Voyez l'avis détaillé

sur la couverture.)

N. B. Le prochain numéro du Musée donnera le carieux portrait d'après nature de l'ambassadeur du Népaul qui vient de quitter la France, après avoir fait tant de

bruit en Europe.

Paris, 1850. Typographie HENNUYER et Ce, rue Lemercier, 24. Batignolles.

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Le bouquet des enfants, roses et pavots. Vous vous souvenez de mon ami le docteur T..., qui m'empêcha d'abattre ma clématite, en me racontant son histoire? Voici une aventure qui nous est arrivée à tous deux, cet été, et qui nous ferait adorer les pavots de mon jardin, si nous n'étions, l'un et l'autre, au-dessus de Tidolatrie.

J'ai donc autour de moi de vrais campagnards, au cœur naïf, aux mains calleuses, qui bêchent ou sarclent du matin au soir, ne donnent jamais de leçons au gouvernement, et me tiennent au courant de leur simple vie.

Un d'eux, René Bérard, jeune et beau gars de vingt et un ans, pauvre comme Job, laborieux comme la charrue, ni trop fin, ni trop bête, passa un soir devant ma grille, le chapeau de travers, le visage enluminé, chantant à tue-tête et décrivant des zigzags sur la route.

Ne l'ayant jamais vu ivre, je le questionnai sévèrement. Il me raconta, avec des rires et des larmes..., qu'il avait tiré un mauvais numéro, et qu'il allait quitter sa vieille mère et....

-Et sa jeune fiancée, pensai-je, achevant sa phrase coupée d'un gros soupir, et lui pardonnant d'avoir noyé son désespoir dans la bouteille,

Le lendemain, je vis les conscrits défiler, salués de porte en porte, embrassés de mère en sœur, baignés de larmes par toutes les femmes et inondés de vin par tous les hommes, M. le curé a beau prêcher; le vin est au village l'alpha et l'ôméga. Toutes les joies se condensent dans un verre plein, Toutes les douleurs s'écoulent dans un verre vide. Je fus effrayé de celle de Bérard; elle touchait au délire, à en juger par l'abondance des rasades et la vigueur des chants. Il n'y avait qu'un cœur à l'agonie qui pût brailler, boire et danser de la sorte...

-As-tu fait tes adieux à Thérèse? lui dis-je à l'oreille. Ce mot le dégrisa net. Une larme roula sur sa joue.

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-

- J'y vais avec toi, mon garçon !

René me serra la main, à me briser les os. Les conscrits ayant encore dix cabarets à visiter, il lui restait une demi-heure pour courir chez Thérèse.

J'y entrai avec lui dix minutes après.

Thérèse Aubry est la perle du village. Elle tient de feu sa mère un bien qui vaut mille pistoles, du bon Dieu des yeux qui valent le double, et d'elle-même une vertu qui vaut le triple, Jugez quel rêve pour le pauvre Bérard ! Plaisait-il à Thérèse? Chose difficile à deviner. Le cœur des paysannes est si muet, et celui de Thérèse est si timide! On croyait que René «ne lui était de rien », parce que le père Aubry ne pouvait le souffrir. Mais moi je la soupçonnais de le trouver à son gré, car je la voyais l'éviter souvent, et le rudoyer quelquefois, sans jamais le regarder en face. Quant au père Aubry, il ne considérait dans un gendre que sa bourse, et celle de Bérard étant vide, il eût mis toutes ses qualités à la porte. C'est le moindre défaut de la fourmi et des paysans qui ont fait un peu d'or avec des torrents de sueur.

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A la porte de Thérèse, René cueillit deux églantines à un buisson pour les faire parler à sa place. Aubry s'avança, grommelant un juron; mais, à mon aspect, il tira gauchement son bonnet. Thérèse, qui habillait son petit frère, se leva en baissant les yeux, et d'une main tremblante, comme pour se protéger, mit l'enfant entre elle et Bérard. Ce mouvement fut d'une pudeur et d'une grâce angéliques. La scène d'adieu ne dura guère. « Je pars, Thérèse, Vous partez, René. » Ce fut tout le dialogue. René présenta la rose au petit frère; le petit frère la passa à la sœur; celle-ci la prit sans regarder René. Le père donna la main au conscrit..., à cause de moi; et l'on se quitta comme pour une absence d'un jour.

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de blessés, personne n'en mourra! Au premier congé, le caporal Bérard trouvera Thérèse mariée sans regret.

Mais comme nous longions la clôture, j'entendis un sanglot étouffé, et je vis à terre, renversée, baignée de larmes, les roses à la main, se tordant les bras, devinez qui? Thérèse elle-même! René, qui avait repris son refrain chevrotant, s'arrêta court, me glaça par son cri, et bondit comme un faon par-dessus la haie. Je compris enfin tout ce que la nature cache de tendresse en ces âmes cuirassées d'une si rude écorce. Je restai confondu, attendri, épouvanté.

A la vue de Bérard, Thérèse se remit avec une force héroïque, lui dit un seul mot, lui pressa vivement la main, et disparut au bruit de la voix de son père... Le conserit, remis à son tour, repassa sous la haie, et reprit sa marche et son chant. Cette fois, c'était un vrai chant de triomphe, qui ébranlait tous les échos de la plaine. — Qu'est-ce que ça me fait maintenant? j'ai la foi de Thérèse !... Je ne pus obtenir d'autre explication.

Les conscrits partirent une heure plus tard, tous régalés et grisés par René, qui versait l'argent et le vin à pleine bourse et à plein verre... Cela fit faire de méchantes réflexions aux commères et aux fortes têtes de l'endroit...

Quelques semaines après, ce fut une bien autre surprise! Au lieu de rejoindre le régiment, Bérard rentra joyeux et superbe au village. Il avait acheté un remplaçant cinq cents écus! Pour le coup, on cria au miracle, puis au sorcier, puis au voleur! Le père Aubry fut le premier qui lâcha le mot, lequel fit tant de chemin, que René se vit montré au doigt, surveillé par les gendarmes, et que personne ne voulut boire au pichet après lui. Bref, quand il se présenta pour demander la main de Thérèse, Aubry le chassa comme un gueux, et le menaça de lui rompre les os s'il reparaissait devant lui.

Les choses en étaient là, lorsqu'un matin, en parcourant mon jardin avec le docteur T..., je vis mon fils et ma fille, enfants de dix et de quatre ans, cueillir des bottes de roses à travers mes massifs, sous la surveillance d'un homme qui avait escaladé le mur, et qui disparut brusque ment à notre approche. Cet homme était René Bérard, et voici ce que nous apprîmes :

Thérèse était fort malade depuis quelques jours, Dans son délire, elle criait : - Mes roses! rendez-moi mes roses ! Et René, qui entendait cela de la porte où il se glissait tous les soirs, demandait à mes enfants des roses pour sa pauvre fiancée... Ce simple récit nous troubla profon dément. Je devinai ce qui s'était passé chez Aubry,

Il avait arraché à sa fille les deux églantines de Bérard, chassé par lui comme un voleur; et Thérèse, égarée par la souffrance, réclamait involontairement son trésor... Je rappelai René, qui arriva pâle et chancelant, el nous conta en détail la maladie de Thérèse... Mon ami reconnut une fièvre nerveuse, prête à devenir cérébrale...

Et comme Bérard priait mon fils de porter les fleurs à la jeune fille, puisque le père le chasserait s'il se présen-"

tait lui-même :

Gardez-vous-en bien, dit le docteur, maîtrisant son émotion; l'odeur de ces roses serait fatale à Thérèse. Je vais aller lui porter des soins, et non des fleurs;-s'il n'est pas trop tard! ajouta-t-il d'un air qui me fit trembler. Puis indiquant trois grands pavots dans le bouquet de - Réservez-lui seulement ceci, reprit-il; son y verra des roses, et j'y pourrai trouver son salut, si je n'ai pas le temps d'aller à la ville.

mon fils : délire

Nous primes tous le chemin de la maison d'Aubry, le docteur hâtant le pas avec inquiétude, mes enfants por

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