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-Oh! que c'est beau! Que c'est admirable! Que c'est prodigieux !

Bref, ils conseillèrent à l'empereur de se faire faire, pour la prochaine procession, des habits neufs avec l'incomparable étoffe.

L'empereur se crut obligé de partager l'opinion générale, et il donna aux deux escrocs une décoration à porter à leur boutonnière, avec le titre glorieux de gentilshommes tisseurs.

La nuit qui précéda le jour de la procession, nos coquins ne se couchèrent pas et allumèrent seize lumières. Tout le monde voyait ainsi combien ils se hâtaient pour

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Voilà le pantalon de V. M.! Voilà l'habit! Voilà le manteau! Toute cette parure est aussi légère qu'une toile d'araignée; on croirait qu'on n'a rien sur soi, lorsqu'on en est revêtu; c'est encore une propriété de la merveilleuse étoffe.

- Assurément, assurément, dirent en choeur les offciers, quoiqu'aucun d'eux n'aperçût un seul fil de l'imperceptible costume.

- V. M. I., reprirent les artistes, voudrait-elle, dans sa grâce infinie, déposer ses vêtements?

L'empereur se laissa majestueusement déshabiller, et les coquins firent comme s'ils lui mettaient chaque pièce des nouveaux habits, tandis que le monarque en chemise se retournait de tous les côtés devant le miroir.

- Que cet habillement sied bien à l'empereur! Comme cela va magnifiquement à S. M.! s'écriaient tous les courtisans; quels dessins! quelles couleurs! quelle coupe! c'est véritablement un costume royal!

- Le dais qui, pendant la procession, doit couvrir Sa Majesté, est prêt, dit le maître des cérémonies.

- Je suis prêt aussi, répondit l'empereur. Décidément ces nouveaux habits me vont-ils bien? demanda-t-il encore, en se regardant à la glace, pour faire croire une dernière fois qu'il voyait l'étoffe merveilleuse.

Les chambellans, qui devaient porter la queue du manteau, s'inclinèrent comme pour la relever; puis ils firent semblant de la soutenir de leurs deux mains; car, pas plus que l'empereur, personne ne voulait trahir sa niaiserie ou son incapacité.

Le monarque alla ainsi sous le dais par les rues de la ville, et, bien que nul ne vit ce qui n'existait pas, ce fut une comédie universelle. Tout le monde, sur les toits et aux fenêtres, s'écriait :

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Dieu! que les vêtements de l'empereur sont admirables! quelle superbe queue a le manteau! Que l'habit est charmant et splendide!

Il ne se trouva pas une âme assez franche pour s'avouer sotte ou incapable, en convenant qu'elle n'apercevait rien...

Bref, jamais toilette impériale n'avait eu un semblable succès...

Lorsque soudain un petit enfant s'écria dans sa naïveté : -Mais l'empereur n'a rien sur lui, l'empereur est en chemise!

- Juste Ciel! tu entends la voix de l'innocence, ajouta le père de cet enfant.

Et bientôt on se répéta à l'oreille, puis enfin on s'écria partout:

- L'empereur n'a rien sur lui, l'empereur est en chemise!

Eh bien! quelque importun que fût un tel refrain pour le prince et sa cour, ils n'osèrent reconnaître que la foule avait raison, et ils poursuivirent leur marche solennelle, l'un paradant à demi nu, les autres feignant de porter la queue de son manteau.

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vous devinez, sans nécromancie, qu'ils étaient complices, et qu'ils se partagèrent la laine en riant du mouton. THERESE KARR. (Imité de l'allemand.)

Dans une petite ville de la Propontide, située à peu de distance de Constantinople, et qui a nom Rodosto, vivait, vers le milieu du dernier siècle, un humble faiseur de babouches. Il habitait une maison de bois, construite autour d'un cyprès séculaire qui la traversait de part en part, comme un mât traverse un navire, perforant le toit audessus duquel se dressait son cône gigantesque et sombre. Cet honnête Turc avait un esclave, persan d'origine et qui se nommait Hassan. C'est cet esclave que l'on appela Hassan-Pacha le Victorieux et qui mourut grand-vizir! C'est cet esclave qui domine tout l'Orient pendant la fin du dix-huitième siècle et qui fait le sujet du présent article.

Le babouchier de Rodosto tomba malade un jour. En bon musulman, il s'inclina devant la fatalité, se croisa les bras et attendit. Pendant qu'il attendait, la mort survint. Lorsqu'il la vit debout à son chevet, il fit venir son serviteur : (1) Voyez De Naples à Jérusalem, t. XVI, p. 41 et 81.

-Hassan, lui dit-il, Allahı m'appelle... Sois libre, mais n'oublie pas ma veuve. Tu n'es pas fait pour l'esclavage, et tu la serviras mieux par ta liberté que par ta servitude... Tu es adroit et intelligent, tu établis déjà une paire de babouches presque aussi bien que moi qui ai vieilli dans le métier... Hassan, tu illustreras notre profession! Je t'ai vu, dans les rêves de ma fièvre... vêtu d'un caftan de brocart d'or, et tu portais un turban orné d'une aigrette de pierreries... Hassan, je te prédis une haute destinée!... Tu deviendras grand babouchier du sultan !

Hassan crut volontiers à la haute destinée qui lui était promise; mais il se permit, quant au choix de la route qui devait l'y conduire, d'être d'un autre avis que son maître et de ne pas considérer les babouches comme le meilleur moyen de parvenir aux grandeurs. Aussi, dès qu'il eut conduit le brave Turc à sa dernière demeure, prit-il congé de sa veuve pour courir les aventures.

Ne pleurez pas, lui dit-il en partant; Dieu me fera puissant et riche, pour que je vous fasse heureuse!

Sans parents, sans amis et sans bien, c'est-à-dire libre à même le monde, impatient de renom, riche d'audace et de courage, Hassan résolut de confier au sabre l'office que son défunt maître attribuait aux babouches, et de s'en faire l'instrument de sa fortune.

Malheureusement la Porte était alors en pleine paix. A tout hasard, Hassan gagne Constantinople. Là, en se promenant sur le port, il fait rencontre d'une ancienne pratique du babouchier de Rodosto. C'était précisément le patron d'une felouque qui appareillait le jour même pour Smyrne, avec un chargement d'armes pour les milices que les Barbaresques avaient la permission de recruter à la côte d'Asie. Le projet d'Hassan est aussitôt arrêté; il obtient aisément son passage du patron de la felouque, débarque à Smyrne, s'engage au service d'Alger et, quelques mois plus tard, il guerroyait contre les tribus insoumises.

Il se fit bientôt remarquer par son incomparable andace, et l'année n'était pas écoulée que le Dey le nommait bey de Mascara.

Le sabre justifiait la préférence qu'Hassan lui avait accordée sur les babouches. Décidément il y avait plus d'avantage à tailler des peaux d'hommes que des peaux de chèvres.

Cependant, pour parvenir, Hassan manquait d'un grand vice; il n'était rien moins que courtisan et ne voulait se courber sous aucun joug. Il se croyait pour le moins l'égal de ses maîtres, n'hésitait point à engager la lutte avec eux, comme avec ses pairs, et, si ce sabre de soldat valeureux qu'il jeta dans les balances de la fortune finit toujours par faire pencher le plateau de son côté, le sabre du bourreau lui fit quelquefois contre-poids.

C'est ainsi qu'au début de sa carrière la question de sa future grandeur faillit être brusquement tranchée.

Le nouveau bey possédait une jument d'une rare beauté et d'une vitesse sans égale. Dans une brillante fantasia exécutée par Hassan à la tête de ses troupes, le dey d'Alger remarqua cette bête, la désira et la fit demander. Hassan refusa! Furieux de cette audace inouïe, le dey ordonne aussitôt l'arrestation de ce serviteur rebelle aux désirs de son maître. La demeure d'Hassan est investie, il est poursuivi, traqué, parvient à s'échapper cependant; mais sa tête est mise à prix et, forcé de fuir, il gagne Oran d'où il passe en Espagne.

Il y fut fort bien accueilli; son caractère et ses aventures y eurent un grand succès; Charles III s'intéressa à lui, et lui accorda des lettres de recommandation pour son fils, le roi de Naples.

La même faveur suivit Hassan à la cour de Ferdinand IV, et M. de Ludolphe, ambassadeur de ce gouvernement près la Porte Ottomane, fut chargé de négocier, auprès du sultan Mustapha III, protecteur naturel des Etats barbaresques, la grâce du fugitif.

Sur l'assurance qui lui eut donnée, Hassan, en octobre 1760, s'embarque pour Constantinople. A peine a-t-il touché le sol ottoman qu'on s'empare de sa personne et qu'il est conduit aux Sept-Tours. Les portes du cachot du sang, qui se referment sur lui, ne se rouvrent jamais pour rendre leur proie. C'est le dernier asile des condamnés à mort et le lieu de leur exécution: un puits creusé au milieu du cachot reçoit le cadavre du patient, et le conduit à la mer qui se charge de l'ensevelir dans ses profondeurs. Hassan ne pouvait douter du sort qui lui était réservé. Cependant ce n'est pas la pensée d'un supplice inévitable qui a le plus de prise sur cette âme haute, c'est celle de la

trahison infâme dont il est la victime. Son indignation et sa rage ne connaissent point de borne et ne s'arrêtent pas même au chef des croyants, qu'il maudit et dévoue aux châtiments divins, comme un perfide et un traître.

Instruit des terribles imprécations de cet homme et de sa véhémente colère, le sultan voulut voir ce hardi prisonnier. Il prend le costume de l'un des geôliers et vient lui-même apporter au condamné la dernière cruche d'eau qu'il doit recevoir.

Pendant que le faux geôlier accomplit sa tâche, Hassan recommence ses imprécations avec sa hautaine énergie. Ecoute, dit-il au sultan, en le saisissant par le bras, je ne crains ni la mort, ni la torture, et tu peux dire à ton maître ce que tu vas entendre: Dis-lui qu'il n'est entouré que de flatteurs et de lâches, et qu'avec eux et lui les Russes seront bientôt à Stamboul; dis-lui que moi, qui ne suis ni flatteur ni lâche, loin de vouloir lécher comme un chien la main qui me frappe, je voudrais, comme un tigre, la mordre et la broyer entre mes dents; au lieu de m'bumilier devant ce sultan déloyal et félon, je me lève contre lui et je l'accuse... Je l'accuse en cette vie, comme je l'accuserai dans l'autre; car, au jour du jugement, je le saisirai par la barbe et le traînerai devant le trône de Dien comme un musulman sans foi.

Le sultan était stupéfait, mais il comprit que cette énergie et cette audace pouvaient tourner au profit de sa personne et de son empire, et que cet homme, dont la mort lui était certainement inutile, pouvait devenir un instrument précieux entre ses mains.

De retour au sérail, il convoqua le divan, parla avec enthousiasme du caractère d'Hassan, rappela les derniers revers essuyés dans la guerre contre les Russes, se plaignit de l'indécision et de la mollesse de ses officiers, de la désorganisation de son armée, dans laquelle les hommes ardents et résolus étaient rares, enfin la grâce du prisonnier fut proposée.

- Quel est son crime envers nous? dit le sultan. Je n'oserais demander quel est le nôtre envers lui! Feronsnous mourir ce lion pris au piége?

Le désir de Sa Hautesse était trop clairement indiqué pour que l'on s'y méprît, et le divan comprit d'ailleurs parfaitement tout le parti que, dans les circonstances où Ton se trouvait, l'on pouvait tirer d'un homme comme Hassan. Non-seulement la grâce du prisonnier fut résolue, mais on convint de plus, et d'un commun accord, de lui confier un commandement important et de l'employer immédiatement dans la guerre contre les Russes.

L'affaire fut expédiée à la turque, sans information et sans examen préalables; Hassan quitta son cachot pour monter sur le pont d'une frégate de cinquante canons dont on lui donna le commandement, avec l'ordre de rallier l'escadre de la Mer-Noire,

Peu de temps après, Hassan était vice-amiral! - L'année suivante, il devint capitan-pacha.

Il réorganisa la marine ottomane et remporta sur les Russes des victoires fabuleuses.

L'honorable M. Rufin était alors consul de France aux Dardanelles. Il se trouva naturellement en rapport avec Hassan à cette époque, et, bien que par une voie détournée, c'est de lui que nous tenons la plupart de nos renseignements sur l'homme extraordinaire dont nous esquissons la vie.

Hassan était de taille moyenne et de constitution robuste. Sa physionomie pleine de fierté était rendue plus rude encore par une barbe épaisse et par des moustaches démesurées qu'il portait nouées derrière la tête. Atteint.

dès son enfance, d'une légère surdité, il avait consulté tous les charlatans qui, au Levant, prennent le titre de médecins, et enfin un hyatros arménien lui avait conseillé, comme moyen de guérison, de se pendre aux oreilles deux peaux de lièvres, conseil religieusement suivi par Hassan et qui ne contribuait pas peu à donner à sa personne l'aspect assez étrange qu'elle présentait.

Passionné pour l'exercice du cheval, il s'y livrait avec ardeur et passait pour le meilleur cavalier de l'empire. D'une activité dévorante, il semblait qu'il se multipliàt, et il prit une part active à tant d'événements qu'on serait tenté de croire que sa vie fut collective comme celle d'Hercule.

La passion d'amasser, si commune en Orient, le rendit avide et le fit accuser de rapacité. Cependant il prodiguait largement ses richesses lorsque le service du souverain ou l'utilité publique l'exigeait. Du reste, l'instinct progressif qui animait Hassan s'était développé seul et n'eut jamais le secours de l'instruction. Cet homme extraordinaire savait à peine lire et écrire.

Malgré ses qualités supérieures, Hassan entendait un peu à la turque le système gouvernemental. Sévère à l'extrême, il se montra souvent cruel; mais on ne doit pas oublier qu'il avait affaire à un peuple à moitié barbare et féroce, encore habitué au régime du sabre.

M. Rufin se plaisait à raconter une anecdote qui prouve que si les circonstances ne lui avaient pas forcé la main, Hassan n'aurait pas toujours choisi des châtiments cruels et stériles.

Deux jeunes Français, embarqués sur un bâtiment de Marseille qui relâchait à la côte d'Asie pour y faire de l'eau et prendre des provisions selon l'usage, se prirent un jour de querelle avec deux Turcs de Boyhaz-Hissar. Frappés et maltraités par les musulmans, les jeunes gens vinrent se plaindre à leur consul, M. Rufin, qui les conduisit surle-champ au palais du capitan. Hassan, informé des sujets de plainte de nos compatriotes, fit mander aussitôt les deux Turcs, qui se trouvèrent être des jeunes gens appartenant à de riches familles. Après avoir fait répéter devant eux l'accusation et écouté leur défense:

Vous avez insulté des étrangers, leur dit le capitan d'un ton sévère, et vous avez ainsi terni la réputation d'hospitalité justement accordée aux musulmans vous serez punis! Vous mériteriez la mort, et vous la subiriez; mais cette mort elle-même ne serait utile à personne. Je te condamne donc, Ismaël, à faire construire, à tes frais, un chemin conduisant de ce lien à Kalabalik-Reni, et toi, Soliman, à faire élever une fontaine sur la route qui mène à Nagara; afin, ajouta-t-il lentement et avec solennité, afin que le voyageur qui marchera sur ton chemin, Ismaël, que celui qui se désaltérera à ta fontaine, Soliman, appelle sur vous les bénédictions du Ciel et vous détourne ainsi de la voie coupable dans laquelle vous êtes entrés!

Les actions hardies trouvaient aisément grâce devant Ini. A peu près à la même époque et toujours sous le consulat de M. Rufin, le bailli de Suffren, d'illustre mémoire, l'aventureux précurseur de l'aventureux Nelson, eut lieu de se féliciter de cette tournure d'âme du capitan, vis-àvis lequel il s'était mis dans une position assez embarrassante si Hassan eût tenu strictement aux conventions. Suffren donnait la chasse à un pirate grec: celui-ci, se Voyant dans l'impossibilité d'échapper à son redoutable adversaire, passe les premiers châteaux du canal et se réfugie aux Dardanelles interdites aux bâtiments de guerre et déclarées inviolables par les traités. Dans l'ardeur de sa poursuite, Suffren oublie ou met de côté les traités, et

vient effrontément brûler le forban à l'Echelle même où il espérait trouver un abri.

Averti aussitôt de ce fait, M. Rufin se transporta en toute hâte auprès de l'audacieux marin et lui représenta le danger de sa position, rendue plus grave encore par le voisinage de la flotte du capitan-pacha mouillée dans la baie de Nagara. Bien que Suffren parût peu ému des représentations de son consul, il le pria pourtant de tâcher d'arranger cette affaire, lui disant qu'il s'en remettait entièrement à sa prudence. M. Rufin, sans perdre un instant, se rendit à bord du vaisseau-amiral où se trouvait Hassan. Il lui peignit le bailly de Suffren comme un ennemi des méchants, comme un homme d'une rare intrépidité, et lui dit qu'enfin c'était le Hassan français. Le capitan, flatté du surnom donné par le consul à l'homme le plus brave de la marine française, témoigna le désir de voir M. de Suffren et d'entendre, de sa bouche, le récit de son aventure. On dépêcha donc aussitôt un drogman, et Suffren, coiffé de son fameux chapeau blanc auquel les marins al tribuaient un pouvoir magique, parut devant le capitan. Hassan lui fit grand accueil, puis après avoir entendu les détails dont il désirait s'instruire:

- Tu as bien fait, dit-il au marin français, avec cette exaltation héroïque qui l'animait souvent, tu as bien fait! Ton maître et le mien, endormis dans leurs harems et livrés aux caprices des femmes et des courtisans, font des traités entre eux et voudraient fermer la terre et la mer aux braves; mais la terre et la mer nous appartiennent. Ton action était juste et elle ne rompra pas l'harmonie qui règne entre nos deux nations. Tu as bien fait!

Après cette approbation hardie, Hassan congédia le bailly de Suffren en le comblant de marques d'égards et d'une très-haute estime, et sans oublier surtout de faire donner aux châteaux l'ordre de laisser sortir le bâtiment aventureux.

Presque tous les actes de cet homme singulier ont un cachet frappant de grandeur et d'héroïsme, et l'on s'étonne de trouver de si hautes facultés dans un barbare.

Vers 1786, Abdoul-Hamid, qui avait succédé à Mustapha III, nomma Hassan-Pacha kaïmacan, c'est-à-dire gouverneur de Constantinople, en même temps qu'il lui attribuait le beylerbelik de Roumélie, avec la faculté de se faire suppléer. Les Algériens, feudataires de la Porte, envoyèrent au nouveau kaïmacan des présents magnifiques, pour tâcher de lui faire oublier les persécutions dont il avait été l'objet, et gagner, s'il était possible, ses bonnes grâces.

Le kaïmacan, qui ne voulait pas venger les injures du bey de Mascara, accepta l'offrande des Barbaresques. Parmi des dons plus précieux, se trouvait un jeune lion: Hassan eut le caprice de vouloir l'apprivoiser, réussit dans sa tentative, et se passionna si bien pour son lion qu'i' s'en faisait suivre comme d'un chien et le menait partout à la grande frayeur de tout le monde. Un jour que l'ambassadeur de France, M. de Choiseul, s'était rendu chez le kaïmacan, auquel il avait une faveur à demander, Hassan eut la fantaisie de se faire précéder par son animal favori. M. de Choiseul attendait, fort paisiblement assis, quand il voit tout à coup la terrible bête paraître à la porte, s'avancer droit à lui, et lui poser sans façon sa lourde patte sur le genou. Hassan, pour jouir de l'effet de cette surprise, était resté debout en observation dans l'embrasure de la porte. M. de Choiseul eut la présence d'esprit de dissimuler le trouble de ce premier moment d'entrevue, et, songeant aussitôt qu'on ne pouvait pas ainsi risquer la vie du représentant d'une grande nation, il comprit qu'il s'a

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gissait tout simplement d'une plaisanterie un peu turque, mais enfin d'une plaisanterie. Hassan, qui aimait fort le courage, s'empressa de s'excuser de la familiarité de son lion, et, comblant M. de Choiseul de témoignages d'estime et de respect, lui accorda tout ce qu'il voulut lui demander.

Plus fataliste qu'aucun musulman, Hassan ne douta jamais de l'assistance de Dieu, et cette confiance, qui allait jusqu'à l'aveuglement, lui fit souvent tenter des actes d'une incroyable témérité.

Envoyé à Sérès, en Roumélie, pour exécuter un firman de la Porte contre un pacha rebelle, il laisse à quelque distance de cette ville les forces qui l'accompagnent, et se

Portrait de Gazzi-Hassan-Pacha.

dirige seul vers le lieu habité par le pacha. Celui-ci, entouré de ses gardes, donnait une audience publique dans une des salles de son palais. Hassan va droit à lui, et, déployant d'une main le firman qui le condamne, de l'autre il prend à sa ceinture un pistolet, et étend mort à ses pieds le rebelle. Les gardes se ruent sur l'audacieux exécuteur des ordres du sultan; Hassan résiste et, percé de vingt-deux blessures, il leur crie encore: « Vous ne pourrez me frapper à mort, je vous dis que Dieu ne le veut pas!» Une résistance et une confiance pareilles finirent par imposer à ces hommes qui, d'ailleurs, n'avaient plus personne à défendre, et ils reculèrent devant l'invicible courage de ce fataliste intrépide.

S'il ne craignait pas l'ennemi qui se montrait à découvert et qui l'attaquait ou lui résistait en face, Hassan redoutait du moins les trahisons et les piéges, et la faveur dont il jouissait auprès du faible Abdoul-Hamid n'était pas

telle qu'il ne dût prendre de grandes précautions de streté personnelle. Aussi chaque année, en allant, selon l'usage, prendre congé de Sa Hautesse avant de partir pour lever l'impôt dans les îles de l'Archipel, Hassan se présentait-il devant son souverain, escorté de quatre à cinq cents galiondjis (matelots) pris parmi les plus résolus de sa flotte, et tous armés jusqu'aux dents.

Vers les derniers temps du règne d'Abdoul-Hamid, ses ennemis, ayant mis à profit une de ses absences de la capitale, réussirent enfin à porter une rude atteinte à son influence auprès du Grand-Seigneur. Hassan, de retour à Constantinople, ne pouvait sortir de sa demeure, où il était retenu par une fièvre dévorante. Un jour, un de ses serviteurs vient tout à coup l'avertir que son palais est entouré de troupes. Hassan se lève, regarde à travers ses jalousies, et aperçoit, en effet, un détachement nombreux de spahis et de janissaires. Il ne doute pas un instant que le coup ne parte du ministre. Tremblant de colère, il se traine jusque sur son divan et demande d'un ton bref un calame et un papier, sur lequel il écrit ces seuls mots : « Lui ou moi!» Ce billet, mis dans un sac de soie et envoyé au sultan, produisit l'effet qu'Hassan en attendait, et, peu de temps après sa réception, le canon du sérail annonçait la chute et la mort du vizir.

Bientôt Abdoul-Hamid mourut d'une attaque d'apoplexie, et son neveu Sélim III lui succéda le 7 avril 1789. Sous le règne d'Abdoul-Hamid, les Turcs avaient pénétré jusqu'en Hongrie, et leur marine avait plus d'une fois battu les vaisseaux russes. La part qui revient à Hassan de cette gloire, si toutefois cette gloire ne lui appartient pas tout entière, aurait dû le recommander à la faveur de Sélim; mais le nouveau sultan parut, au contraire, d'abord vouloir abattre la puissance du capitan-pacha. Cependant, reconnaissant bientôt les qualités qui en faisaient encore, malgré son âge avancé, un homme éminemment capable, il lui rendit ses bonnes grâces, le nomma séraskier, puis enfin grand-vizir!

Hassan, en cette qualité, prit le commandement de l'armée turque, lorsque commença la guerre que la Porte, malgré ses avis, avait, sous Abdoul-Hamid, déclarée à la Russie. Il campait avec son armée à Schiumla, lorsque la fièvre le saisit. Quelques jours après, on était au 29 mars 1790, et le grand-vizir était mort!

La crainte qu'il inspirait était telle, qu'ayant renvoyé tous ses serviteurs et fait défense qu'aucun d'eux l'appro chât, on n'osa pas aller jusqu'à lui pour reprendre les sceaux de l'empire: ce ne fut que lorsque son corps, tombant en décomposition, donna l'assurance de sa mort, qu'on se hasarda à pénétrer dans sa tente.

Peu d'hommes ont eu une vie plus remplie et plus audessus de la commune destinée, et pourtant ce nom de Gazzi-Hassan, que j'écris aujourd'hui, est parfaitement inconnu à notre Occident. C'est à peine si la biographie Michaud en tient compte, et les Mines de l'Orient n'en disent pas long sur lui. A quoi tient donc encore la célébrité, s'il ne suffit pas de la mériter pour l'obtenir? Mon Dieu, elle tient aux temps dans lesquels les choses s'accomplissent, aux lieux où elles s'accomplissent, aux circonstances environnantes, aux hommes qui en sont les témoins, surtout aux intérêts qu'elles touchent, enfin, pour tout dire en un mot, au hasard! « De faire que les «<actions soient connues et vues, a dit un vieux mora<«< liste, c'est le pur ouvrage de la fortune; c'est le sort qui « nous applique la gloire selon sa témérité. »

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CHARLES DE LA ROUNAT.

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