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LA SCIENCE EN FAMILLE. GÉOLOGIE (1).

CE QU'IL Y A DANS UN MORCEAU DE PIERRE.

L'invraisemblance du vrai. Le matelot et sa mère. Les révolutions sous le pavé. A Berlin. Milliards de milliards. Les habitants des couches calcaires. Comment on les reconnaît. Foraminiferes ou polythalames. Leur organisation et leurs habitudes. 4 milliards d'animaux dans un dé à coudre. Calcaire, craie, vase, poussière, cendre volcanique, etc.

J'ai lu quelque part, je ne sais où (et si c'est dans un auteur français et moderne, je lui demande bien pardon de lui prendre son idée, pour la gâter peut-être); j'ai lu, disje, quelque part qu'un matelot anglais, de retour d'une longue expédition maritime, était interrogé par sa vieille mère sur les aventures de son voyage. A beau mentir qui vient de loin: ce proverbe était apparemment connu de John Bull, car il s'en donnait à cœur joie, décrivant, comme témoin oculaire, le vaisseau fantôme des Hollandais, les rochers d'aimant, qui raflent toute la ferraille du bord; le rémora, ce petit poisson, qui arrête court un navire; le grand serpent de mer, long d'une lieue; les Patagons, hauts de dix-huit pieds (anglais); enfin toute cette défroque fantastique que les navigateurs se repassent de quart en quart, depuis Simbad le marin. La bonne femme écoutait ces discours avec de grandes exclamations, mais avec la foi la plus entière dans la véracité de son enfant. Lorsque celui-ci eut épuisé son sac de mensonges, (1) Voyez la table du dernier volume.

sans épuiser la curiosité de sa mère, il se rabattit, faute de mieux, sur ce qu'il avait vu en réalité; les madrépores des mers tropicales, ces animaux que l'on prendrait au fond des eaux pour un parterre de fleurs; les mouches luisantes de la Guyane, dont on fait usage comme de chandelles; les poissons volants, qui se servent de leurs nageoires en guise d'ailes, ou si l'on veut, de leurs ailes en guise de nageoires; enfin les monades phosphorescentes qui s'allument sous les flancs des navires, comme un mouvant incendie...

Oh! pour le coup, c'était trop fort, et la bonne dame, demandant si on la prenait pour une idiote, se facha sérieusement contre le malheureux narrateur, qui voulait, pensait-elle, abuser de sa crédulité.

Nous sommes tous un peu comme cette pauvre vieille: nous acceptons, sans sourciller, bien des histoires que nous fait chaque matin notre journal, et s'il nous tombe sous les yeux ou dans les oreilles quelqu'une des grandes découvertes de la science moderne, nous l'accueillons avec le sourire équivoque d'un agent de police qu'un américain viendrait engager à déposer sa montre au pied

d'un arbre.

Depuis notre révolution de 1848, qui a produit tant d'efervescence en Europe, nous avons tous suivi avec intérêt les vicissitudes politiques de ces milliers d'hommes qui s'agitaient sur le pavé des capitales, mais savons

nous quelque chose des révolutions qui se préparent on s'accomplissent sous ce même pavé? Ils sont là, à Berlin, par exemple, des milliards de milliards, qui naissent, qui se reproduisent, qui vieillissent, qui vivent enfin, sans s'occuper de nous, il faut en convenir, plus que nous ne nous occupons d'eux; mais qui doivent laisser de leur passage des traces mille fois plus durables que les nôtres. Car ce sont eux qui forment ces immenses laises de craie blanche et ces bancs de tripoli rouge tendus sur la surface du globe en vastes nappes indestrucibles; ce sont eux que l'on retrouve et que l'on dénombre après des millions d'années. Or, nous, dans un million d'années, quel souvenir aurons-nous laissé ?

Si vous voulez savoir des détails sur l'existence de ce peuple souterrain, c'est au savant micrographe allemand Ehrenberg qu'il faut les demander; c'est lui qui en est le roi, ou plutôt l'inventeur, et c'est une merveilleuse invention!

Depuis longtemps on savait que les couches calcaires renferment des coquillages. Le calcaire, aimables lectrices, c'est la pierre qui sert à bâtir les maisons de Paris, et si vous voulez prendre la peine de regarder l'appui de votre fenêtre, vous y verrez, sans nul doute, quelque empreinte de coquille, parfaitement reconnaissable; le calcaire, c'est encore le marbre qui décore vos salons; c'est la pierre avec laquelle on fait la chaux et le plâtre ; c'est la craie qui est accumulée dans le bassin parisien sur une épaisseur de plusieurs centaines de mètres ; c'est enfin une plus grande partie de l'écorce du globe, celle qui n'est point du granit, comme nos trottoirs, ou des déjections volcaniques, comme la lave, que vous connaissez, au moins de réputation. Le granit, et les roches de cette espèce, que l'on nomme ignées, paraissent avoir été indues par l'action de la chaleur; le calcaire, et cela › remarque aisément dans les hautes falaises de la Norandie, le calcaire a été déposé lentement au fond des

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On trouve dans certaines mines des centaines de couches de calcaire blanchâtre et de houille noire, qui alternent les unes avec les autres et qui sont tellement minces, qu'en ouvrant ces espèces de feuillets on reconnaît facilement que les uns sont composés de végétaux, et les autres de coquillages aplatis. Là, comme dit Fontenelle, on saisit la nature sur le fait. Dans les couches plus épaisses les coquilles sont moins distinctes et comme soudées dans la pâte calcaire qui les enveloppe.'

Buffon avait annoncé, par analogie, que cette pâte était formée de débris de coquilles brisées, assez minces pour que l'on n'en pût plus distinguer la structure; mais, depuis l'éloquent naturaliste, on a reconnu qu'une grande partie des couches calcaires est formée par les carapaces de certains animaux microscopiques, dont les dépouilles se sont lentement accumulées au fond des eaux, et ont fini par se sonder ensemble. Voici comment on s'y prend pour les distinguer.

S'il s'agit d'un calcaire mou, on l'écrase assez pour isoler ces petits êtres, pas assez pour détruire leur organisation. Si l'on étudie un morceau de craie, on le délaye dans de l'eau; enfin, si l'on interroge un calcaire dur ou un silex, on les scie en tranches assez minces pour que l'on puisse apercevoir les carapaces que ces tranches renfer

ment.

MM. Ehrenberg, en Allemagne, Soldani, en Italie, et d'Orbigny, en France, ont surtout étudié ces atomes animés.

En général, leurs carapaces sont composées d'un certain

nombre de petites loges, dont chacune se termine par une sorte d'entonnoir qui pénètre dans la loge voisine. Toutes ces loges se ressemblent entre elles, mais elies sont juxtaposées de différentes manières. C'est cette disposition qui les a fait appeler foraminifères par M. d'Orbigny (de foramen, mot latin qui veut dire trou), et polythalames par M. Ehrenberg (de deux mots grecs qui signifient plusieurs chambres nuptiales).

En observant les espèces vivantes avec de forts microscopes, on voit que ce sont des êtres assez compliqués. Ils sont pourvus de petits appendices rétractiles, ressemblant à des cils ou à des cheveux, dont les vibrations constantes leur servent soit à changer de place, soit à former dans l'eau de petits courants qui leur apportent leur nourriture. Il y en a un grand nombre d'espèces. Les derniers dénombrements en comptent quinze cents, en comprenant les espèces fossiles. Ces animaux sont parfois libres et parfois fixés. Chez quelques-uns la partie calcaire est interne, chez d'autres elle est externe.

Les nummulites sont au nombre des plus grands foraminifères. Elles existent encore dans les mers actuelles, et leurs petites carapaces constituent le sable que l'on voit sur beaucoup de côtes. M. Ehrenberg les a rencontrées sur les bords de la mer Rouge, et il a même reconnu qu'une partie des sables du désert de la Nubie est formée par leurs dépouilles. Du reste, il n'est pas besoin d'aller en Nubie pour en trouver; il y a aux environs de Paris des couches de sable composées presque entièrement des carapaces de ces animaux.

M. d'Orbigny a prouvé que le calcaire grossier de Gentilly (c'est la pierre avec laquelle on bâtit les maisons parisiennes) est principalement formé de milliolites. Ce ne sont pas des personnages fort petits, puisqu'on peut les voir à l'œil nu, cependant il s'en trouve environ trois milliards dans un mètre cube de pierre. Si l'on veut prendre la peine de penser à ce qu'il y a de mètres cubes de pierres dans les carrières qui environnent Paris, on verra combien de fois il faudrait multiplier trois milliards pour avoir le nombre des individus de cette espèce qui ont vécu dans le bassin parisien.

MM. Ehrenberg et d'Orbigny ont reconnu que les couches calcaires des différentes formations géologiques renferment des foraminifères, qui ne sont pas toujours les mêmes, car ces êtres imperceptibles varient d'une époque à l'autre, comme les animaux plus importants. Cependant il semble que leurs variations soient moins grandes que pour les êtres supérieurs. De sorte qu'ils peuvent se regarder comme les anciens habitants du globe, et dire en parlant des mammifères, et surtout de l'homme: Ces nou

veaux venus.

Comme le calcaire grossier, la craie est formée par les dépouilles des foraminifères; mais les espèces y sont plus petites. Il y a quelques années, on a mis à découvert les foraminifères qui se trouvent dans la craie d'Angleterre. On est parvenu à établir que, dans une livre de craie, il y a environ mille foraminifères, visibles à l'œil nu. Il s'en trouve en même temps dix millions de ceux que l'on peut distinguer au microscope, mais ce n'est pas tout; il reste encore des parties solides qui paraissent n'avoir qu'une texture cristalline; cependant il est permis de supposer qu'avec de plus forts grossissements on y trouverait encore des traces d'organisation. Dans un mètre cube de craie, il peut y avoir une soixantaine de milliards de carapaces; c'est vingt fois plus que dans le calcaire grossier. Il faut en conclure que les individus sont environ vingt fois plus petits.

Tout le monde sait que les ports de mer s'encombrent de vases qui font le désespoir des marins. Le magnifique port d'Alexandrie menace d'en être comblé. Dans nos ports de France, ces vases montent aussi sûrement que les marées, quoique plus lentement, et au bout d'un certain nombre d'années elles rendraient la navigation impossible, si la science de nos ingénieurs n'ouvrait point, à grand renfort d'argent, certaines écluses de chasse, qui balayent de temps en temps cette matière nuisible. Or, cette vase n'est autre chose qu'un monde entier d'individus vivants. M. Ehrenberg les a pris en flagrant délit, au moyen de son microscope, et ils n'ont pu nier leur identité, quoiqu'ils se serrassent assez pour tenir 130 dans la longueur d'un millimètre. C'est un peu plus de deux millions par millimètre carré. Vous voyez, par conséquent, qu'il en tiendrait dans un dé à coudre (je suppose que c'est le dé d'une élégante Parisienne, aux doigts effilés et gracieux), quelque chose comme quatre milliards. Pour un mètre cube, ce serait deux millions de milliards. Pour le port d'Alexandrie... je renonce à calculer ce qu'il peut y en avoir là.

Il paraît que l'encombrement du lit inférieur des fleuves et les vastes deltas qui s'y forment sont dus principalement au mélange de l'eau salée et de l'eau douce, qui occasionne la mort des infusoires marins. D'après les observations qui ont été faites, les dépouilles de ces animaux composeraient depuis un dixième jusqu'à un demi dans la masse sédimentaire.

Mais si la vase des ports provient d'individus maudits, en revanche, le limon du Nil et de tous les autres fleuves qui fertilisent leurs rives, ce limon, regardé comme un bienfait des dieux, est composé d'infusoires philanthropes. M. Ehrenberg les a vus, tout comme je vous verrais, cher lecteur, si vous étiez à deux pas de moi. Vous pensez peut-être que ces honnêtes infusoires, qui engraissent nos prairies, sont bien différents de ceux qui détériorent nos ports? Mon Dieu, non! Vous ne les distingueriez pas les uns des autres. Mais il ne faut pas trop vous en étonner. A quoi tiennent le bien et le mal, dans ce monde? Savezvous, chez les hommes eux-mêmes, à quelles petites circonstances de leur jeunesse il faut attribuer leurs vices et leurs vertus? Ne croyez pas, surtout, que ce soit à cause de leur petitesse que ces infusoires sont confondus les

BLA.SE

Coquilles de foraminifères infiniment grossies.

uns avec les autres. Quoique dans certaines espèces vingtdeux mille individus, rangés en bataille, ne présentent

pas un front de plus d'un pouce de longueur; quoique un pouce cube d'eau croupie en contienne autant qu'i! y a d'hommes sur la terre entière, on les a étudiés assez exactement pour les distribuer en genres et en espèces; on les a suivis depuis leur naissance jusqu'à leur mort, et l'on sait que dans le cours d'un mois d'été, il peut naître d'un seul infusoire huit cents millions d'individus. C'est une famille un peu nombreuse à pourvoir, mais il faut croire que les parents n'ont pas l'habitude de donner de grosses dots à leurs filles.

Il y a des infusoires fossiles, dont les carapaces composent des amas de silex, c'est-à-dire de pierres à fusil, et des bancs de tripoli, comme celui qui sert à nettoyer nos théières. Il y en a des espèces actuellement vivantes dans tous les terrains humides.

A sept mètres environ au-dessous du pavé de Berlin, à deux mètres et demi au-dessous du niveau de la Sprée, il y a une couche de tourbe argileuse qui est remplie d'infusoires parfaitement en vie. On y a trouvé des gallionelles jusqu'à vingt mètres de profondeur, et leurs cellules étaient remplies d'œufs verts. Cependant ces animaux n'étaient en contact avec l'oxygène de l'air que par l'intermédiaire de l'eau de la Sprée, qui s'infiltre dans cette tourbe, et qui lui conserve toujours un certain degré d'humidité.

Un jour, pendant un violent orage, il tomba près de Lyon une poussière rougeâtre, qui avait été apportée par les vents. M. Fournet recueillit un échantillon de cette poussière et l'envoya à M. Ehrenberg, car M. Ehrenberg reçoit maintenant la dîme de toutes les poussières que l'on ramasse dans les quatre parties du monde, et il faut avouer qu'il la mérite bien. Le savant micrographe reconnut au premier coup d'œil que celle-ci était composée d'infusoires américains. Or, de son côté, M. Fournet ayant suivi, d'après les journaux, la marche de l'ouragan, avait conclu qu'il avait pris naissance en Amérique. Ce fait, du reste, tout singulier qu'il nous paraisse, n'est nullement anormal. Chaque fois que le vent a soufflé du sud-ouest durant quelques jours, on peut recueillir sur la mousse des arbres, du côté d'où vient le vent, une certaine poussière que M. Ehrenberg a analysée bien des fois, et qu'il a reconnue être composée d'infusoires américains.

Après avoir vu des infusoires au fond des mers, sous la terre et dans l'air même que nous respirons, il ne restait plus qu'à en trouver dans le feu. C'est à peu près ce qu'a fait M. Ehrenberg, car il a découvert, dans des masses provenues des profondeurs volcaniques, des infusoires plus ou moins carbonisés. Les cendres qui entourent beaucoup de volcans contiennent des débris d'infusoires; celles de l'Hécla, en particulier, renferment trente-deux espèces de corps organisés. Chose remarquable, à une seule exception près, les infusoires des volcans appartiennent aux organisations d'eau douce. On voit combien cette curieuse découverte est contraire à l'opinion que l'activité des volcans serait entretenue par l'infiltration des eaux de la mer. Qui se serait attendu, il y a quelques années, à ce que la question, si difficile et si controversée des phénomènes volcaniques, pourrait être éclaircie par l'étude microscopique de certains animalcules déposés au fond des eaux? Voilà cependant comme tout s'enchaîne dans la nature, depuis cet infini de petitesse que nous avons étudié aujourd'hui, jusqu'à cet infini de grandeur que découvrent les corps célestes, dans les lointaines perspectives de leurs révolutions.

P. GROLIER.

ÉTUDES MORALES.

CLÉMENTINE BIRAUD.

Il ne faut pas généralement chercher le bonheur trop haut ni trop loin; il est presque toujours auprès de nous, dans la condition où Dieu nous a placés, si nous savons l'améliorer par notre persévérance, au lieu de la perdre. par notre orgueil.

Ainsi parlait le vieux Jérôme Blanchard à ses petitsenfants, rassemblés autour de lui, devant un bon feu, par une froide soirée d'hiver.

-C'est une grande vérité que celle-là, mes amis, continua le vieillard en voyant ses jeunes auditeurs secouer la tête d'un air de doute; et, si elle est un peu trop gravement exprimée pour plusieurs d'entre vous, je vais tâcher d'égayer ma leçon par un exemple. Quand je parle d'égayer, n'allez pas croire au moins que mon histoire vous fasse rire aux éclats! La morale, pour profiter à ceux qui l'écoutent, doit toujours avoir quelque chose de sévère. On se souvient longtemps de ce qui nous a fait pleurer; il est rare qu'on n'oublie pas vite ce qui nous a fait rire.

Il y a quarante ans passés, mes jeunes amis, que la perle du village de Saint-Yves était Clémentine Biraud. Ses cheveux noirs descendaient en bandeaux lisses sur son front; la fraîcheur de ses joues le disputait aux églantines des buissons, et jamais yeux bleus n'eurent de plus angéliques regards que les siens. Quand arrivait le dimanche, et que Clémentine venait avec ses compagnes danser sur la vaste pelouse qui fait face à l'église, tous les jeunes gens se précipitaient vers elle en même temps pour solliciter l'honneur d'être son cavalier. Un étranger se serait certainement étonné de ne pas voir les amies de Clémentine jalouses d'un pareil succès, mais il suffisait de la connaître pour trouver cela tout naturel. Ses triomphes la rendaient si peu vaine, que non-seulement les jeunes filles de Saint-Yves les lui pardonnaient, mais s'en montraient heureuses.

Cependant, la perfection étant chose fort difficile à rencontrer ici-bas, les habitants de Saint-Yves avaient trouvé un défaut à Clémentine; elle passait pour une savante! Ce titre qui, aujourd'hui, ne peut qu'honorer celui ou celle que la voix publique en décore, était pris alors en fort mauvaise part, et il ne fallait pas posséder des connaissances bien étendues pour le mériter. Aussi, mes enfants, n'allez pas vous imaginer que l'éducation de Clémentine eût été cultivée avec le soin que M. le marquis, notre voisin, fait apporter à celle de sa fille. Mlle Biraud savait lire et écrire passablement; le maître d'école assurait même qu'elle ne faisait point de fautes d'orthographe, mais on ne pouvait guère s'en rapporter à lui, attendu qu'il parlait le patois du pays beaucoup mieux que le français. A cette instruction, de luxe alors, et actuellement de première nécessité, Clémentine joignait des talents que les moins sévères du village avaient quelque peine à lui pardonner. Elle brodait avec la dextérité d'une fée, barbouillait sur le papier des visages humains, et chantait comme un rossignol en s'accompagnant de la guitare.

Cette éducation, beaucoup trop brillante, sans doute, pour la fille d'un pauvre maçon, avait été donnée à Clémentine par sa marraine, la baronne de Chauffailles. Le château de ce nom montre encore sa dernière tourelle der

rière le village, vous le savez, mes enfants? C'est là que s'était écoulée l'enfance de Clémentine. Sa mère, femme de chambre de Mme la baronne de Chauffailles était morte, après une courte maladie, en recommandant son enfant, encore au berceau, à celle qui l'avait tenue sur les fonts du baptême. La baronne, digne et excellente femme, s'était noblement acquittée de sa mission. Clémentine avait trouvé auprès d'elle les soins et l'amour d'une mère. En l'élevant presque comme sa propre fille, l'intention de Mme de Chauffailles avait bien certainement été de laisser assez de fortune à l'orpheline pour qu'elle ne demeurât pas au-dessous de son éducation. Les volontés de Dieu en décidèrent autrement; la mort surprit Mme de Chauffailles au moment où elle allait s'occuper de ses dispositions testamentaires, et sa protégée, qu'une famille avide jalousait depuis longtemps, resta sans ressources. La pauvre abandonnée supporta ce revers avec un admirable courage, et de tous les biens que le Ciel lui enlevait, celui qu'elle regretta le plus vivement, fut la tendresse de sa marraine. Quelques amis, cependant, vinrent en aide à sa situation on lui offrit une place lucrative, celle de femme de chambre chez la duchesse d'Espar, à la ville. Elle refusa. D'abord, elle ne pouvait se décider à quitter son père; puis, la solitude et le calme des champs plaisaient mieux à son âme pure. Sa nouvelle position n'amena pas une plainte ni un regret sur ses lèvres. Elle découvrit que le bonheur le plus sûr est celui que Dieu met à la portée de chacun. (Pourquoi oublia-t-elle plus tard cette vérité?) Elle-même raconta, en allant chercher de l'eau à la fontaine avec une de ses amies, sa résolution de redevenir simple paysanne. Bref, elle dé

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corset de velours, et la coiffe à longues barbes tombant sur les épaules, et revint prendre soin de la pauvre masure de son père. A dater de cette époque, elle conduisit chaque jour la vache aux champs, travailla, comme si elle n'eût pas fait autre chose de sa vie, à serrer les foins et la moisson, et fila l'hiver autant de lin que la plus laborieuse mère de famille. On ne l'entendit plus chanter ni jouer de la guitare; l'élégante filleule de Mme de Chauffailles était redevenue l'humble fille du vieux Biraud.

Trois ans s'écoulèrent. Clémentine devenait de plus en plus belle. Son obligeance et sa douceur lui gagnaient l'estime et l'affection de tous. Les plus riches fermiers des environs, charmés de sa bonne conduite, et de l'aptitude qu'elle montrait pour les soins du ménage, ne cherchaient point à contrarier le désir que manisfestaient leurs fils de l'épouser. Mais, au grand étonnement de plusieurs, un gracieux refus répondit seul à des demandes réitérées. Ces dignes paysans ne comprenaient pas que Clémentine ne mettait point le bonheur dans la fortune, et qu'à l'homme riche et sans éducation, elle préférerait toujours l'homme pauvre et instruit. Moi, j'avais deviné cela, et je ne vous cacherai pas, mes enfants, que la beauté, et surtout la sagesse de Clémentine, avaient produit en moi une impression profonde. Je ne lui déplaisais pas trop. Nos manières de voir et de sentir se ressemblaient beaucoup. Isolés en quelque sorte au milieu de ceux avec lesquels nous vivions, nous nous rapprochâmes l'un de l'autre sans presque nous en apercevoir. Clémentine aimait les promenades, et nous en faisions de longues dans les bois, accompagnés d'une de ses cousines. Nous relisions ensemble les livres qu'elle lisait autrefois avec sa bonne marraine. Je lui parlais des charmes attachés à une union bien assortie; elle me disait le bonheur que doit goûter une mère auprès du berceau de son fils. Chaque jour nos conversations devenaient plus longues, et les heures qu'elles remplissaient plus rapides... Que vous dirai-je, mes enfants?... Il s'en est fallu de bien peu que Clémentine ne devint votre grand'mère. Pauvre infortunée! quelle différence dans son sort! Elle serait ici, à mes côtés, comme voilà ma vieille Jeanne; les souvenirs de nos jours heureux viendraient réchauffer l'hiver de nos ans, et la tombe ne renfermerait pas encore la plus angélique créature que le Ciel ait jamais prêtée à la terre...

Un jour, il y eut quelques troubles politiques dans le pays. Un régiment de dragons fut envoyé de la ville voisine pour rétablir l'ordre. Un beau jeune homme de trentedeux ans, le colonel Gustave de Montmance, commandait ce régiment. M. de Montmance vit Clémentine à la danse du dimanche. Elle était si remarquable, même parmi les plus jolies, qu'il la regarda longtemps. La paix de son cœur se troubla. Le lendemain, il ne put résister à son impatience, et chercha un prétexte pour aller à la chaumière du maçon. Ses formes polies, son langage insinuant, plurent à Clémentine; il renouvela ses visites, et bientôt il aima sérieusement celle qu'il n'avait d'abord voulu aimer qu'un moment. Mais, hélas! son amour ne ressemblait pas à celui des simples habitants du village! trop grand seigneur pour épouser Clémentine, malgré la supériorité d'esprit qu'il avait de suite remarquée en elle, il essaya de l'entraîner hors du sentier de ses devoirs. La jeune fille le repoussa avec mépris, et lui défendit de repasser jamais le seuil de sa pauvre chaumière. Cet effort était grand dans la situation de cœur où se trouvait Clémentine, car elle aussi aimait Gustave, et son âme sc remplit d'une tristesse profonde à la pensée qu'elle ne devait plus le revoir. Craignant ses tentatives, et surtout

le penchant qui l'entraînait vers lui, elle chargea une de ses compagnes du soin de la remplacer auprès de son père durant quelques jours, et partit pour visiter une vieille tante qui habitait à trois lieues de Saint-Yves. Ce départ raviva, s'il est possible, l'amour de Gustave, et ne pouvant en triompher, il songea à un mariage avec la fille du maçon. Ce projet n'eut pas plutôt traversé son esprit, qu'il résolut de le mettre à exécution, et écrivit à ses parents pour obtenir leur consentement. Comme vous vous en doutez, les parents le traitèrent d'insensé, et refusérent de sanctionner une union aussi disproportionnée. Gustave ne tint aucun compte de ce refus, fit faire les sommations d'usage au marquis et à la marquise de Montmance; puis, après avoir donné sa démission de colonel, riche de l'héritage inattendu d'un vieil oncle, il épousa Clémentine, un matin, dans l'église de Saint-Yves. D'abord, la jeune fille avait supplié Gustave de ne point lai donner son nom malgré la volonté de sa famille, lui faisant observer que de telles unions étaient rarement bénies du Ciel. Mais l'amour avait fini par l'emporter sur le devoir et la raison. Le bonheur d'appartenir à celui qu'on aime, par le plus saint des nœuds, est si grand, qu'il fait passer sur bien des considérations. Cependant, ô mes enfants! priez Dieu qu'il vous préserve de ces passions impérieuses qui brisent souvent l'existence à laquelle elles s'attachent. Les victimes de ces terribles orages du cœur sont sans doute plus à plaindre qu'à blâmer; pourtant, sachez bien une chose c'est qu'avec la volonté ferme de ne pas s'écarter de la route des vertus, on parvient à y marcher toujours.

Le lendemain de son mariage, une grande peine troubla le bonheur de Clémentine. Il fallut quitter son père qu'elle aimait d'une tendresse infinie, et dont elle était adorée, pour suivre M. de Montmance à Paris. Elle laissa bien une femme pour servir le vieillard, et rien de ce qui pouvait lui rendre l'existence douce ne fut oublié. Mais il n'aurait plus la présence de sa fille, et la fortune la plus somptueuse demeurait impuissante pour remplacer un pareil trésor à ses yeux. Pourtant, il comprit qu'il fallait montrer du courage afin d'en donner à Clémentine, et l'infortuné sut trouver encore des paroles d'espoir et de consolation.

Tout le monde pleura le départ de Mme de Montmance. Elle aussi, la pauvre jeune femme, malgré l'amour qu'elle portait à son mari, sentit son cœur se briser comme les nôtres à cette séparation.

- Je reviendrai, nous disait-elle à travers ses sanglots. Elle revint en effet, mais dans quel état!

Pendant deux ans, Clémentine écrivit régulièrement à son père. Ses lettres étaient tristes, embarrassées. Moi, qui les lisais au père Biraud, j'en avais l'âme navrée. Un pressentiment m'avertissait que la disproportion des rangs semait déjà quelques troubles dans le ménage de Clémentine. Je ne me trompais pas, comme vous le verrez. Une fois, elle vint faire à son père une visite de vingt-quatre heures. Un fils lui était né, elle voulait qu'il reçût la bénédiction de son aïeul. Oh! mes enfants! que de joie, mais que de douleur aussi dans cette courte entrevue du père et de la fille! Ange de dévouement et de bonté, Clémentine ne se plaignit pas de son mari. Pour ne point affliger le vieillard, elle se prétendit même heureuse, mais ni son père, ni moi, ne nous y trompâmes. Tant de souffrances morales avaient déjà laissé leur empreinte sur ce visage naguère si pur et si charmant! Le matin du départ de Mme de Montmance, le vieux Biraud et moi fùmes l'accompagner jusqu'au bout du chemin de traverse

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