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Clodius dicta quelques ordres au licteur, qui repartit sur-le-champ. Puis, s'adressant aux convives:

Noble Pomponius, dit-il, et vous, mes amis, je vous invite à m'escorter à mon tribunal; vous y jouirez d'un spectacle digne de votre présence; vous témoignerez ainsi de votre piété pour les Dieux, et de votre zèle pour le service de l'empereur.

Les convives se levèrent en chancelant; ils prirent leur chaussure, et sortirent malgré l'ivresse, précédés par leurs esclaves, qui portaient des torches allumées.

Ils aperçurent, en approchant du prétoire, dix énormes flambeaux qui, jetant sur les degrés une lueur sinistre, mêlée de fumée, se tordaient et gémissaient, comme des arbrisseaux sous un vent d'orage.

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Oui, païens aveugles! répondit une voix solennelle et mourante, vous dites la vérité malgré vous. Nous répandons une telle lumière, qu'elle aura bientôt rempli le monde, et replongé dans la nuit vous et vos Dieux, dont vous célébrez les dernières fêtes!...

C'était un des flambeaux vivants qui parlait ainsi. Les convives s'éloignèrent, en cachant mal leur stupeur sous des éclats de rire forcés.

HONORE DAVID.

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Je regardais, l'autre jour, des enfants patiner sur les bassins glacés des Tuileries. Je fus accosté par mon ami le comte de S...; vous savez? le compagnon de mes voyages en Bretagne, le grand touriste qui a parcouru le monde sans visiter la France. Cette fête de l'hiver lui rappela son dernier séjour en Hollande, et il me traça des tableaux à faire grelotter au coin du feu. Ils compléteront à propos ceux que M. Ampère vous faisait, il y a deux ans, des déserts de la Laponie (1).

Rien de plus frappant (je laisse parler le comte) que l'aspect de la Hollande à l'entrée de l'hiver. Ce pays, d'unc verdure si douce en été, s'ensevelit tout à coup dans un (1) Voyez le tome XV, p. 231, 237. (Les Lapons.)

linceul de glace. Les forêts de mâts, prisonnières dans les canaux, ressemblent aux noires ramures des arbres dépouillés. Les ailes des moulins, tournant à la bise, conservent seules le mouvement et la vie. Cette révolution est souvent l'affaire d'une nuit. On dirait un changement de décor, accompli sur un coup de sifflet. Mais le lendemain la scène change encore d'une manière plus saisissante. La Hollande, qui semblait morte et dépeuplée, se ranime et reparaît, reprend son commerce et son essor. Avant-hier, c'était un peuple de matelots sur un navire; aujourd'hui, c'est un peuple de patineurs, escorté de traineaux. Contemplez cet admirable tableau d'Isaac Van Ostade, le digne frère d'Adrien. Tel il a peint ce coin de

sa patrie,

telle est la Hollande entière en ce moment (1). Nos plus agiles patineurs de France ne seraient que des lourdauds près des plus lourds Hollandais. Le patin est la poésie de cette nation prosaïque. Ne tenant plus au sol que par un mince tranchant de fer, elle vole sur des ailes invisibles, elle glisse en se jouant, entre le ciel et la terre, sur un miroir limpide et immense, qui fléchit légèrement sous son poids, et qui garde à peine la trace blanchâtre de son passage. C'est comme un rêve en action. J'ai vu des Hollandais tracer d'un seul pied sur la glace des portraits d'un profil exquis, des dessins de paysages et de monuments, des arabesques et des caprices étonnants de finesse et de complication.

Un négociant d'Amsterdam, chez qui j'étais logé, avait

pour courrier un patineur muet qui faisait chaque matin le tour du port avec la vitesse de la flèche. Revenu à la porte de son maître, il se démenait quelques instants, traçant mille petites lignes étranges. Je m'approchais avec le négociant, et nous lisions toutes les nouvelles du jour écrites au patin sur la glace, comme vous écrivez à la plume sur le papier. Il n'y avait que la différence de la dimension.

A Hindelopen, dans la Frise, j'ai vu des courses en patins fort curieuses, pour les hommes et pour les femmes. Les hommes quittent leurs longues redingotes à boutons de métal, leurs châles-cravates et leurs larges chapeaux; à l'appel de leur nom et devant toute la population réunie, ils se lancent, deux à deux, sur un canal, divisé

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Canal de Hollande glacé, tableau d'Isaac Van Ostade, Musée du Louvre, no 633.

en long par une charpente. Ils vont d'un côté et reviennent de l'autre, jusqu'à la raie qui limite la carrière. Le corps en avant, une jambe en arrière, frappant la glace pour reprendre l'élan, ils glissent si vite qu'on les aperçoit à peine. Celui qui a vaincu soixante coureurs reçoit un meuble ou un bijou précieux.

Les femmes, qui portent le plus étrange costume (robe

(1) Voyez la notice de M. Arsène Houssaye sur Adrien Van Ostade, t. XV, p. 321, 365, avec le portrait de ce maltre par lai-même, et trois de ses tableaux, dessinés par Marvy.

Isaac Van Ostade mourut à la fleur de l'àge, au moment où il allait égaler le talent de son frère.

JANVIER 1851

plissée, corsage à mailles, large ceinture à lacet, paletot ouvert à manches plates, cheveux tressés sur les épaules ou assemblés sur les oreilles, coiffure en cône tronqué, surmontée d'un bourrelet en colimaçon, présentant de face un cadran de montre), les femmes, dis-je, courent en patins plus lestement encore que les hommes, inutile d'ajouter plus gracieusement. Elles remplacent, pour cet exercice, leur vaste coiffe par un serre-tête, et leur robe à plis par deux tuniques étagées sur un pantalon à raies. La course finie, elles s'enveloppent d'un manteau en forme de bourgeron. J'ai rarement vu un spectacle aussi attrayant que celui de ces jeunes Frisonnes lancées à corps perdu sur la glace, et prenant, pour équilibrer leur vol, mille -16-DIX-HUITIÈME VOLUME.

attitudes plus jolies les unes que les autres, tandis que leurs tuniques et leurs jarretières rouges flottent comme des ailes autour de leur taille et de leurs jambes.

Ce pays, du reste, est original en toutes choses. On y parle une langue qui ne se comprend pas à deux lieues à la ronde. On s'y promène, un mouchoir à la main, grignotant des morceaux de pain d'épice. On n'y allume jamais de feu avant le 12 novembre. On n'y ferme en tout temps les portes que la nuit. Les plus pauvres y voyagent

en yack ou en voiture à eux. Les enfants y font leurs premiers pas en patin. Il y a des gardes nocturnes qui réveillent les dormeurs d'heure en heure, au bruit rauque d'une crécelle, et qui arrêtent les voleurs en leur saisissant les jambes dans un piége à ressort. C'est de là que se répandent par toute l'Europe les meilleurs fromages et le beurre le plus fin, dans de petits tonneaux qui remplis

sent des centaines de navires.

CURIOSITÉS DE LA STATISTIQUE.

PARIS ET LONDRES (1).

Le bilan du pavé de Paris est important à établir au moment où le mac-adam le classe de rue en rue. La ville de Paris consacre une somine annuelle de 1 million 900,000 fr. à l'entretien du pavé.

La surface du pavé de Paris est d'environ 3 millions 600,000 mètres carrés. Les rues de première classe sont relevées à fond tous les six à huit ans (substitution complète de pavés neufs aux vieux); celles de seconde classe, tous les quinze à vingt ans ; celles de troisième, tous les vingt à trente-cinq ans. Le nombre des pavés mis en place à Paris peut être estimé à 60 millions. Les divers travaux qui s'exécutent en emploient moyennement 1 million 800,000 par an. D'où il suit que la durée moyenne d'un pavé est de trente-trois ans.

Voici un complément curieux à ce que nous avons dit de la circulation à Londres.

On compte à Londres 3,000 omnibus circulant quotidiennement; ces omnibus possèdent 30,000 chevaux, qui consomment dans l'année 525,000 boisseaux de (1) Voyez décembre dernier.

P.-C.

blé, 180,000 bottes de foin et 180,000 bottes de paille. On calcule qu'au prix actuel de ces denrées la consommation qui en est faite s'élève à 1,762,000 liv. st. (environ 46 millions de francs). Il faut ajouter à cela, pour le ferrage, indépendamment du coût des 30,000 chevaux, la somme de 7,800 liv. st. (195,000 fr.), ce qui fait la somme immense annuelle de 1,769,800 liv. st.

Les droits de péage prélevés sur les omnibus en Angle terre s'élevèrent, en 1841, à 407,960 liv. st. (plus de 10 millions de francs).

On calcule que les 3,000 omnibus en circulation sur les diverses. lignes de Londres transportent chacun, en moyenne, environ 300 voyageurs par jour, soit 2,000 par semaine, ce qui donne, pour le nombre total des omuibus en circulation, 6,000,000 de voyageurs par semaine, et, pour l'année, le chiffre presque incroyable de 300,000,000 de voyageurs! Les employés des omnibus atteignent le chiffre de 11,000, soit 6,000 cochers etconducteurs, 3,000 palefreniers, plus, 2,000 individus employés occasionnellement, ou qui se rattachent à l'administration des omnibus.

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Ah! voici une barque qui revient de la pêche. On met le poisson sur la grève. Quel est, me demandez-vous, cet énorme serpent noir, cette monstrueuse anguille?

- C'est l'anguille de mer, le congre; c'est un poisson providentiel; il est commun, se conserve plusieurs jours à peu près frais et se vend bon marché. Les colléges, les pensions et tous les cabarets connus sous le nom de restaurant à prix fixe en font une énorme consommation. Ces derniers établissements surtout le regardent comme leur providence; en effet,

Protée, à qui le Ciel, père de la Fortune,

Ne cache aucuns secrets,

est loin de se métamorphoser aussi fréquemment que le congre, lorsqu'il

(1) Voyez t. XVII, p. 362. et t. XVIII, p. 40.

S'efforce d'échapper à la vue incertaine

Des mortels indiscrets,

Le congre, coupé en tranches minces, et rôti sur le gril, avec une sauce blanche et des câpres, c'est du

saumon.

Le même coupé, en tronçons, avec une sauce à la moutarde, c'est de l'anguille à la tartare.

En tronçons plus petits, avec une sauce au vin, c'est une matelotte d'anguille.

Dépecé en morceaux avec de la laitue, des jaunes d'œufs et une sauce mayonnaise, c'est une salade de homard. Découpé en aiguillettes, avec de la chapelure, etc., ça s'appelle filets de sole.

On fait encore avec le congre des vol-au-vent de merlan, de la soupe à la tortue, etc., etc.

Le congre, appelé souvent anguille de mer, se nomme filat, sur les côtes méridionales de France; bronco, eu Italie.

Aristote l'appelle úxovypo;; Linnée, murène-congre.

Le congre se tient le plus souvent près de l'embouchure des grands fleuves, où il trouve plus facilement le moyen de satisfaire sa voracité qui est excessive, à cause de la migration perpétuelle que font beaucoup de poissons de l'eau douce dans l'eau salée. On le prend sur nos côtes avec des lignes dormantes.

Un autre poisson qui a, comme le congre, la forme de l'anguille, et dont on se sert quelquefois pour amorcer les lignes à prendre les congres, est le sujet d'une pêche fort singulière c'est l'équille ou lançon, dont la longueur varie de cinq à dix pouces. Le dos est vert, le ventre est nacré; la mâchoire fort pointue se distend au moyen d'une membrane repliée et lui permet d'avaler des insectes aquatiques assez gros.

Ce poisson se pêche à la bêche, et voici comment. Il a l'habitude de s'enfouir dans le sable de la mer, soit pour éviter d'autres poissons qui veulent le manger, soit pour manger lui-même des vers de mer dont il est très-friand. A la marée basse, on vient bêcher le sable comme on bêcherait une plate-bande de jardin ; en retournant le sable, on retourne des équilles, mais la pêche n'est pas faite; elles s'y glissent de nouveau avec une grande rapidité, et il faut les saisir avec prestesse, sous peine de les voir disparaître et de ne plus les retrouver.

Le nom de l'équille, dans les livres, est ammodyte. Sur nos côtes on l'appelle aussi lançon.

Comme ce poisson est excellent frit, et que, d'autre part, il sert d'appât pour la pêche, il est très-connu partout. En Angleterre, on l'appelle ou sand-eel, ou launce, ou grig; en Suède tobis, en Norwège sül, en Allemagne sands-piring. C'est une des pêches les plus amusantes que je connaisse; mais quelquefois l'équille ne s'ensable pas, et alors on bêcherait un arpent sans en rencontrer une seule. Je n'ai jamais pu prévoir par aucuns signes si elle s'ensablerait ou non. Tous les pronostics des pêcheurs se sont trouvés successivement démentis. Je pense que c'est la peur accidentelle, causée par la présence de certains ennemis dans l'eau, ou l'appétit, irrité par la présence de certaines proies dans le sable, qui les détermine.

II. Une tempête. - Deux navires en détresse. Un naufrage. Spectateurs prudents et sauveurs courageux. — Lefevre et Durécu.- Deux héros sans le savoir. -Leur récompense.

Hier, deux heures avant la fin du jour, la mer était inquiète et houleuse, le vent soufflait par rafales; des nuages lourds, portés sans doute par un courant d'air supérieur, montaient dans une direction différente du vent qui régnait à terre. Nous étions presque tous à pêcher par le large du promontoire de la Hève. A ces signes, qui nous annonçaient du mauvais temps, nous levâmes l'ancre et nous appareillames pour rentrer à Sainte-Adresse. Le vent n'élait pas précisément favorable pour nous conduire. Il nous fallait revenir en plusieurs bordées; nous pensions bien que le vent ne tarderait pas à tomber à l'ouest ou an sudQuest; mais ce n'était pas une raison pour l'attendre, car le moment où il retomberait ainsi serait probablement le signal de la tempête. En quelques instants tous nos canots à la voile se mirent en route, se dirigeant d'abord sur Trouville pour rabattre ensuite sur notre plage, chacun selon sa vitesse.

Une heure et demie après, les plus rapides étaient sur la grève. La mer grondait fort; elle était noire, et les lames la couvraient au loin d'une écume blanche. Ceux qui arrivèrent les derniers avaient amené et serré une partie de leurs voiles; le vent ayant sauté à l'ouest, ainsi que nous l'avions prévu. La mer était devenue tout à fait grosse,

et ils eurent besoin, pour échouer, de l'aide de ceux qui étaient arrivés à terre les premiers. Nos bateaux furent hissés jusque sur l'herbe, sur le conseil des anciens; et, après nous être comptés et avoir vu que nous étions tous rentrés, nous nous mîmes à regarder les progrès du mauvais temps. Le vent soufflait en sifflant; de longues lames venaient du large, bondissaient, se brisaient en blanchissant, et couvraient la grève d'écume.

Bientôt nous vîmes deux navires anglais, venant du large, doubler le promontoire de la Hève en se dirigeant vers le Havre. Il paraissait que le vent était tout à fait déchaîné derrière la Hève, car ils avaient amené toutes leurs voiles, à l'exception de leur foc; et cette voile, la plus petite de toutes, les faisait encore marcher plus vite qu'ils n'avaient l'air de le vouloir. La mer était furieuse. Un vieux pêcheur nous dit: La mer monte, mais il n'y a pas encore assez d'eau dans le port pour qu'ils puissent y entrer. Ces gens-là sont en danger de la vie s'ils essayent d'entrer au Havre.

Nous les suivimes des yeux avec anxiété, d'autant plus que le vent augmentait sans cesse de violence et la mer de fureur. L'un des deux passa devant le Havre par le sud de la ville. Nous pensâmes alors qu'il allait en rivière, c'est-à-dire qu'il allait remonter la Seine avec le flot et que l'autre suivait la même route. Mais la nuit s'épaississait ; les nuages noirs, poussés par le vent, l'avaient un peu hâtée. Nous rentrâmes chacun chez nous; nous n'en pûmes voir davantage.

Pendant ce temps, voilà ce qui arrivait : — Le premier des deux bâtiments alla échouer au sud, à une demi-lieue du Havre, où il se brisa. Mais les hommes eurent le temps de se sauver à terre dans leur chaloupe. L'autre essaya d'entrer dans le port, manqua la passe des jetées, et se jeta derrière la jetée du sud, sur un banc appelé le Poullier. Là, le navire, entr'ouvert, fit une large voie d'eau; battu par la mer en fureur, il menaçait à chaque instant de se briser; les lames l'enlevaient et le laissaient retomber lourdement sur les rochers, et des craquements horribles annonçaient qu'il ne pourrait pas résister longtemps à de si terribles secousses. La chaloupe avait été emportée par une lame. Pendant ce temps, la mer montait; le bateau, plein d'eau, restait à rouler sur le roc; les hommes, chassés du pont déjà couvert d'eau, se réfugièrent dans la mâture, en tâchiant, par leurs cris de désespoir, d'appeler du secours.

La nuit était tout à fait tombée sur la mer, et venait ajouter à l'horreur et aux périls de la situation. Il était très-difficile et très-dangereux d'aller porter secours aux naufragés. L'avis de la plupart des assistants était qu'on ne réussirait qu'à partager leur sort et à mourir avec eux. La prudence conseillait au moins d'attendre que la mer plus haute brisât sur l'écueil avec moins de colère. Les jetées étaient couvertes de monde. On ne pouvait qu'entrevoir ce qui se passait.

Cinq matelots anglais se présentèrent; ils offrirent d'aller au secours de leurs compatriotes; mais ils ne pouvaient tenter l'entreprise sans le secours d'un pilote français. Aussitôt Durécu, marin attaché au port du Havre, et Lefèvre, pilote de Quillebeuf, se précipitèrent dans une barque avec les Anglais. Durécu prit la barre du gouvernail, Lefèvre prit un aviron, ainsi que les Anglais, et la frêle embarcation disparut aux yeux des nombreux spectateurs, dans la nuit et entre les lames. De temps à autre les yeux plus exercés des marins qui se trouvaient sur les jetées saisissaient quelques lueurs, et disaient aux assistants ce qui se passait. Il fallut des efforts inouïs et une adresse

et un sang-froid merveilleux pour dépasser les jetées et franchir des vagues énormes et furieuses. Si le bateau en avait reçu une seule par le travers, il était rempli et coulait, et les sept marins qui le montaient étaient perdus. Tantôt on les apercevait sur le sommet d'une lame, tantôt, entre deux autres lames, ils disparaissaient tout à fait. Mais, au bout de quelques minutes, la nuit et la tempête augmentant, on ne vit plus rien. On fut un quart d'heure sans rien voir, sans rien entendre, si ce n'est qu'au milieu du bruit de la mer et du sifflement des vents, il semblait par moment entendre des cris de détresse et d'agonie. Au bout d'un quart d'heure, un marin dit: Je crois voir quelque chose dans l'écume... Oui, c'est un bateau! Tous les yeux perçaient la nuit. En effet, bientôt le bateau passa avec rapidité entre les jetées, rentrant dans le port. Et Durécu, d'une voix qui domina un instant le bruit du vent et de la mer, s'écria, en passant rapidement : Sauvés! tous!

En effet, ils venaient d'arracher cinq hommes à une mort certaine. Des cris d'enthousiasme et des applaudissements répondirent à cette nouvelle. On se précipita audevant des naufragés et de leurs libérateurs. Un étranger sortit de sa poche une poignée d'or et d'argent, et voulut la donner à l'un des marins français. - Ah! monsieur..., dit-il du ton du reproche. C'est juste! dit l'étranger; pardonnez-moi. Il remit son argent dans sa poche, embrassa le marin, et se perdit dans la foule.

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A Sainte-Adresse, nous ne sûmes cet événement que

ce matin. Aussitôt, la mer étant presque calmée, je poussai mon canot à la mer, et je m'en allai au Havre pour voir ces hommes généreux et leur demander l'honneur de leur serrer la main. Mais tous deux, fort accoutumés à de pareils traits de magnanimité, n'avaient pas pour cela dérangé leurs habitudes. Lefèvre, faisant le métier de pilote, conduisait un navire en Seine jusqu'à Rouen, et étail parti avant le jour. Durécu travaillait à gréer un navire, mais personne ne savait dans quel bassin. Je ne pourrai donc les connaître que dans quelques jours.

Si j'admirai l'indifférence de ces deux hommes sur leur belle action, je fus beaucoup moins édifié de voir cette indifférence partagée par les habitants du Havre. Les marins les ont trop accoutumés à leur courage et à leur dévouement.

Certes, je veux bien qu'on donne un banquet à un ministre, comme on a fait avant-hier dans cette même ville du Havre; mais n'aurait-on pas dû rendre un honneur au moins égal à Lefèvre et à Durécu? N'aurait-on pas dû leur offrir une fête, et les montrer entourés de l'estime, de la reconnaissance et de l'orgueil de la ville? Ces deux grands citoyens qui, dans d'autres circonstances, ont déjà sauvé tous deux plusieurs personnes, n'ont pas même reçu une médaille d'honneur. Un Anglais, trompé par un rapport fait avec négligence et indifférence par un officier du port, a envoyé un présent à un seul d'entre eux.

ALPHONSE KARR.

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