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sures seront prises pour écraser la révolte à coup sûr; alors vous aurez raison des Parisiens en leur ôtant ceci huit jours seulement.

Jean Boucherat tira de sa poche le reste de son déjéuner un de ces jolis pains blancs de Gonesse qui, apportés en masse deux fois par semaine, nourrissaient et régalaient en ce temps-là les deux tiers de Paris.

Le Conseil ne comprenant pas, le bonhomme poursuivit tranquillement:

- Le dada des Parisiens, voyez-vous, depuis les barricades de la Ligue, c'est de s'imaginer qu'ils sont tout en France; c'est comme si la grosse meule s'attribuait le froment que lui envoient les champs d'alentour. Il est temps d'arrêter cette belle manie, qui soumettrait le royaume à une poignée de factieux, et le repos général au succès d'une émeute. La recette est toute simple, et voici la manière de s'en servir. A la première escapade de la bonne ville, vous prenez le roi, votre fils, et vous l'enlevez de Paris sans crier gare! Ministres, officiers, police, enfin tout le gouvernement, vous accompagnent. Vous vous installez, tant bien que mal, à Saint-Germain, par exemple, et M. le prince, avec son armée, bloque Paris en quelques heures. Voilà nos Parisiens sans roi, sans reine, sans cour... et sans pain de Gonesse! Ils se croiront d'abord maîtres du monde... Ils feront des ministres et des généraux à foison; mais comme tous voudront l'être en même temps, leur gouvernement sera un attelage à cent mille chevaux, et vous verrez bientôt un beau grabuge! Le pain blanc n'arrivera pas cependant; et quand on aura vécu huit jours de phrases creuses, de disputes et de coups de fusil, je gage cette miche contre votre couronne que les plus acharnés seront à vos genoux, vous suppliant de rentrer... avec le pain de Gonesse ! C'est alors, Majesté, que vous ferez vos conditions, que vous ressaisirez tous vos droits, et rappellerez chacun à ses devoirs! c'est alors que, tout enfant qu'il soit encore, votre fils pourra pärler en homme, envoyer promener cours souveraines et frondeurs, et rester le maître pour soixante ans, s'il en a le génie et la volonté!... Voilà mon petit raisonnement, madame la reine. M. le prince l'a trouvé bon et m'a conduit ici pour vous le dire. Je prie Dieu qu'il vous soit utile, et n'ai plus qu'à demander à vos bontés la liberté de ma fille.

- La voici, répondit vivement Anne d'Autriche, qui se leva soudain avec le Conseil, illuminé comme elle de l'éclat de cette logique si limpide et si profonde, de cette éloquence si nouvelle et si puissante, de cette combinaison qui eût fait envie à Machiavel. Puis, donnant avec une soumission ironique carte blanche au Parlement, signant à la hate l'élargissement de Louise, de Broussel et de ses deux collegues:

-Monsieur Bouclierät, poursuivit la reine, l'Evangile a dit que l'humble sagesse des petits confond parfois la science et l'orgueil des grands. Vous avez eu, en effet, plus d'esprit à vous seul que nous tous ensemble. J'adopte donc pleinement et complétement vos avis, et ces messieurs vont les exécuter sur l'heure, si M. de Condé se charge... de la suppression du pain blanc.

Je m'en charge! repartit le vainqueur de Lens, en caressant du doigt le nœud de son épée.

La reine donna sa main à baiser au bourgeois de Gonesse; et le digne homme se vit entouré, félicité et remercié comme le sauveur de la France.

Il sourit, en philosophe qui connaît la valeur des flatteries, et se dédommagea par une franche poignée de main échangée avec Philippe.

XXVII.-LA PARTIE DU RENARD, EN ÅTTENDANT LA PARTIE

DU LION.

Une demi-heure après, les prévisions de Jean Boucherat étaient accomplies, en même temps que ses recommandations.

Le Parlement, étourdi des concessions de la reine, et trop heureux de sauver du même coup sa peau et ses priviléges, daigna, cette fois, délibérer au Palais-Royal, et rendit sans phrases un arrêt, « qui, tout en remerciant très-humblement Leurs Majestés du rappel et retour des captifs,» maintenait insolemment ses désobéissances passées, ses droits de délibération et de réformes, - et daignait seulement les renvoyer à la Saint-Martin, — sauf le tarif et la rente, réservés comme poires pour la soif. Le conseiller Martineau, rageur in extremis, proposa, sans rire, de « relater la bonne grdce avec laquelle le peuple avait demandé la liberté de Broussel, les armes à la main. Molé rembarra vigoureusement ces paroles, comme injurieuses à l'autorité royale. — « Si cela est, j'en suis trèsmarri, répliqua naïvement Martineau; mais j'ai vu dans l'histoire que César n'avait pas obtenu autrement le consulat, et que, tant dans les républiques que dans les monarchies, les demandes, faites de cette sorte, avaient toujours été accordées. » Ceci promettait, on le voit, les récidives annoncées par Boucherat.

L'arrêt de remerciement et les lettres de délivrance, combinés adroitement avec le bruit du retour de Conde, furent aussitôt portés au peuple, dans les carrosses du roi, par M. de Thou, parent de Blancmesnil, et le conseiller Bouchierat, neveu de Broussel.

Il était temps! les insurgés forçaient les barrières da Palais-Royal.

Ce fut un revirement d'autant plus complet qu'il était moins attendu. Les bourgeois laissèrent tomber leurs armes, de surprise, de joie et d'orgueil, et le Parlemne. n'eut plus qu'un mot à dire pour faire succéder le calme i la tempête. Tout ce que le parti Deboile put obtenir, ca fut de maintenir et de garder les barricades jusqu'au retour des prisonniers.

Bientôt Blancmesnil, ramené de Vincennes, « se montra à pied sur le Pont-Neuf. » Enfin, Broussel, le grand Broussel, le père du peuple, le héros du Parlement, arriva en carrosse, avec sa fille, de Saint-Germain-en-Laye; « et jamais, dit Me de Motteville, triomphe de roi ou d'empereur romain he fut plus grand que celui de ce pauvre petit homme... Sous ses pas enchantés, les barricades disparurent, 1s chaînes se détendirent, les armes furent déchargées en l'air; les derniers champions de Deboile s'enfuirent comme des hiboux chassés par le soleil; et les bourgeois, en délire, trainèrent leur fétiche éperdu jusqu'à Notre-Dame, où ils chantèrent en chœur un formidable Te Deum; si bien que le vieillard harassé, s'évadant par une porte secrète, regagna à grand' peine son logis, où Thérèse Perrotte, à sa vue, tombèrent en syncope, et « où beaucoup de gens de la cour furent le voir par curiosité.» Bref, conclut Gondi, « en moins de deux heures, Paris fut plus tranquille que je ne l'ai jamais vu le ven

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- Monsieur d'Amalby et monsieur Boucherat, dirent Anne d'Autriche et Mazarin, que désirez-vous en récompense de vos services et en mémoire de cette journée ?

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Monsieur le cardinal, répondit le lieutenant aux gardes, je ne vous demande qu'un petit médaillon d'argent enlevé par vous à maître Deboile, représentant la belle Joconde, de Léonard de Vinci...

- Et une autre beauté qui lui ressemble à s'y méprendre, dit à demi-voix Mazarin, en jetant un coup d'œil à Mile Bouclierat. Je comprends enfin la vertu de ce talisman! Vous allez l'avoir, cher comte, vous l'avez certes mérité!

Il alla le chercher lui-même dans son cabinet, et le remit à Philippe, qui le plaça sur son cœur, encouragé par un sourire de Louise.

Deux mots d'explication entre le lieutenant et le cardinal avaient mis celui-ci au courant de l'histoire du médaillon. Il s'excusa gracieusement de la méprise qui avait rendu le portrait fatal au modèle.

-Et vous, monsieur Boucherat, reprit la reine, que vous faut-il de moi?

-Un brevet de capitaine de vos gardes pour mon futur gendre, M. d'Amalby, repartit le bourgeois, en tendant les mains aux deux jeunes gens, qui se précipitèrent dans ses bras.

- En attendant le brevet de colonel, dit Anne d'Autriche, brevet que le comte pourra gagner au blocus de Paris...

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vainqueur de Lens. Vous avez gagné la partie du renard, à moi de gagner la partie du lion.

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Le lendemain matin, deux cortéges se croisèrent sur lá place du Palais-Royal: une troupe d'exempts du roi con→ duisant Guillaume Deboile à la Bastille, - et tous les illus> tres conspirateurs de la veille, le coadjuteur, Conti, Marcillac, Elbeuf, Bouillon, les présidents Viole, le Coigneux, etc., allant profiter de l'amnistie royale et baiser la main de la régente, afin de la mieux déchirer au premier jour, si elle persistait à leur refuser les dignités et les millions qu'ils réclamaient au nom du salut de la France. En voyant passer ces complices impunis, Deboile secoua les chaînes qui lui broyaient les mains.

- Voilà bien, s'écria-t-il, la justice des cours! Les chefs au palais, et l'instrument au cachot! Mais la justice du peuple aura son tour, et nous nous reverrons, messieurs, je l'espère !

La duchesse de Longueville, plus fière et plus scrupuleuse, avait eu du moins le bon goût de rester chez elle... La comédie se termina par un grand Lit de justice, que le jeune Louis XIV alla tenir au Parlement. Tous les enne, mis s'y retrouvèrent solennellement en présence (voyez la gravure ci-dessus), et, sous formes de déclarations et d'arrêts, se donnèrent les plus tendres baisers... Lamourette...

FIN DU MÉDAILLON D'ARGENT. PITRE-CHEVALIER. (Incessamment le PAIN DE GONESSE, 2 épisode des RiVOLUTIONS D'AUTREFOIS.)

LA CHANSON DU CALFAT.

Nos lecteurs se souviennent de M. Charles Poncy, l'auteur des Marines et du Chantier, l'excellent ouvrierpoëte de Toulon, qui a été deux fois déjà notre collaborateur, et que la renommée de ses beaux vers, les suffrages les plus illustres, les séductions si magiques de Paris, n'ont pu arracher à son humble travail de maçon, ni aux pures joies d'une famille, où sa muse se retrempe après les sueurs de la journée.

Noble exemple de courage, de dignité et de raison, qu'on ne saurait trop opposer aux folies et aux lâchetés de tant d'oisifs orgueilleux, qui posent en ouvriers et en poetes, sans être jamais ni l'un ni l'autre (1).

La Chanson du Calfat est un nouveau témoignage de talent et de sagesse, que M. Poncy nous envoie des chantiers de Toulon; nous l'accueillons d'autant plus volontiers, qu'il a double titre pour plaire à l'élite de nos lecteurs.

D'abord, cette poésie rude et franche, leste et robuste, qui appelle naïvement les choses par leur nom, qui joint la richesse harmonieuse des rimes et les savantes combinaisons du rhythme à la profondeur du sentiment moral et patriotique, sera pour le public l'avant-goût d'un recueil inédit de chants admirables, que le poëte-maçon achève pour les divers corps de métiers. Quand ce recueil, dont nous connaissons des fragments, paraîtra, il remplacera, dans tous les ateliers, les rapsodies inconvenantes ou absurdes qu'on y chante aux dépens des mœurs, du bon sens et des oreilles. Chose triste à dire! c'est la révolution de Février, accomplie au nom des travailleurs, qui a retardé cette publication, faite pour élever et adoucir le travail ! Les révolutions n'en font pas d'autres!

La Chanson du Calfat emprunte un second mérite à la musique originale et vigoureuse de M. Eugène Ortolan,

1) Voyez notre notice sur M. Charles Poncy, sa correspondance avec Béranger, et les citations de M. Ortolan. Féminent professeur de la Faculte de Droit, si bien fait, comme poëte, pour juger la poésie (t. XII du Musée, p. 250).

l'auteur de cette belle chanson du Forgeron (autres paroles de M. Poncy), qui obtint, il y a peu d'années, un si brillant succès dans le Magasin pittoresque. La Chanson du Calfat est la suite et le digne pendant de son aînée. Nous nous en rapportons, à cet égard, aux barytons qui sauront traduire cette male et large mélodie, et se dédommager par elle de l'éternelle romance des amours et des beaux jours, qui infeste les pianos depuis un siècle et plus.

Nous sera-t-il permis d'ajouter que la Chanson du Calfat a réveillé chez nous, et réveillera chez tous les enfants des côtes et des ports, un souvenir national et touchant!

Les calfats sont les ouvriers les plus modestes, mais les plus utiles peut-être des constructions navales. Leurs ciseaux, courts et obtus, maniés avec une surprenante dextérité, humectés par leurs lèvres de minute en minute, et résonnant sous des milliers de coups de marteau, qui composent un chœur éclatant d'échos perpétuels, ferment hermétiquement les joints des carènes aux infiltrations de la vague, c'est-à-dire au naufrage et à la mort. Ce sont les véritables assureurs de la durée des flottes et de l'existence des équipages. Qu'un calfat distrait oublie de boucher une fente imperceptible, et quinze jours, un mois, une année plus tard, une voie d'eau peut se déclarer en mer et causer la perte d'un vaisseau à trois ponts et d'une armée! La vie de ces pauvres hommes est toute de dévouement, de vigilance et d'isolement. Au son de la cloche du matin, ils quittent leurs familles, s'embarquent avec leurs outils sur des radeaux, et passent la journée sur ces îlots mobiles, le long de la flottaison des navires. Tout le monde les entend, et ils vivent séparés de tout le monde, accompagnant et charmant leur obscur travail de chansons qui ne valent pas celle de MM. Poncy et Ortolan. Le soir arrive, la clochie les rappelle au foyer. La nuit les rend à leurs femmes, à leurs enfants, et l'aube du lendemain les leur ravit encore. Il résulte de ces lia

bitudes des mœurs un peu sauvages, force libations le jour du repos, et parfois des caractères d'une excentricité spéciale.

Nous avons connu un calfat qui avait tellement perdu l'usage de la parole, qu'il se faisait entendre par signes comme les sourds-muets.

Un second était devenu insensible à tout autre bruit que celui de son marteau.

Enfin, un bon vieillard, le patriarche de son état, s'effrayait tellement de l'importance de sa besogne, qu'il rêvait continuellement de naufrages et de sinistres causés par les oublis de son ciseau. Si quelque vieux navire, qu'il avait calfeutré dans sa jeunesse, sombrait de vétusté sur une mer lointaine, il s'imaginait que c'était sa faute, pleurait à chaudes larmes, demandait pardon à Dieu, et faisait des pèlerinages expiatoires à toutes les chapelles de la Patronne des matelots. Il finit par languir, dévoré d'une humeur noire incurable, errant comme un fantôme sur le port, recommandant à ses confrères la vie des équipages, et n'osant plus lui-même assumer la responsabilité d'un coup de marteau.-Il mourut enfin dans la misère à l'hospice de P....; et son agonie fut une vision terrible qui lui représenta toutes les victimes dont il s'attribuait la mort.

La chanson de M. Poncy n'étant pas complète sous la musique, et ne pouvant être jugée à travers les clefs et les notes, nous la reproduisons à part dans son ensemble:

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JOURNAL DU MOIS.

Qui nous délivrera des duels parlementaires? On ne peut plus se couper la parole à l'Assemblée nationale, sans aller se couper la gorge au bois de Boulogne. Un orateur est à la tribune; il exprime son opinion. Un auditeur l'interpelle... M. Dupin sonne et rappelle à l'ordre. L'orateur descend et aborde l'interrupteur. On échange de gros mots. Six députés sortent: ce sont deux combattants et quatre témoins. On arrive au bois, on se vise à vingt-cinq pas. On tire deux coups de pistolet. On ne se fait aucun mal, et l'on rentre pour voter, à la fin de la séance. Alors pourquoi être sortis, s'il vous plaît? Nous proposons le moyen suivant d'abolir les duels politiques. Chaque député aura quelques balles sur son pupitre, à côté de ses boules noires et blanches. Quand un autre député lui adressera un cartel, il lui enverra une balle... par un huissier... Le provocateur lui en enverra une autre... par le même huissier... Et cette double charge échangée, on déclarera l'honneur satisfait.

M. Dupin a dit son mot sur les duellistes de la Chambre. C'était un jour de grande consommation... de ministres. Vous aurez peine à le croire, mais on n'en trouvait plus. Là-dessus, on annonça au président que M. venait de proposer un troisième duel à son voisin... de gauche.-Homme intraitable! s'écria M. Dupin, dévalisant le Misanthrope :

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Franchement, il est bon à mettre au cabinet!

Et cependant, Paris se remue: E pur si muove! En attendant les bals et les concerts, il y a force raouts en haut lieu. La princesse de Lieven, revenue sur l'horizon de la rue Saint-Florentin, avec M. Guizot, a rouvert son salon aux illustres débris des anciens régimes. Ils s'y consolent entre eux, en refaisant les épigrammes de Talleyrand. Les puissances du jour — infandum! n'ont pas craint de se compromettre en allant serrer la main de M. Guizot et baiser celle de la princesse russe. Est-ce que les soleils éteints seraient près de se relever? M. Guizot s'est montré aussi à l'Académie française. Là, du moins, son astre u'a jamais pâli. Le génie est au-dessus des révolutions.

A propos, l'Académie va enfin recevoir M. de Noailles, le successeur de Chateaubriand. Voilà deux éloges faciles à faire et curieux à entendre. Un autre grand seigneur sera reçu aussi prochainement; et comme il remplace un académicien qui n'a rien écrit, il ne sait comment se tirer de cet embarras littéraire. «Ma foi, monsieur, lui disait hier une femme d'esprit, mettez-vous à la place de votre successeur!» Voilà comment les dames se vengent d'être exclues des quarante.

- Parmi les décorés et les lauréats du jury de l'industrie nationale, nous en connaissons qui n'ont pas volé la croix et la médaille,

Il en est jusqu'à... deux que je pourrais nommer.

Et d'abord, M. Raoux, l'excellent corniste. Il était à la fois exposant et membre du jury. Le jour de l'examen, tous les cors rivaux sonnaient dans une pièce voisine. A la première épreuve, on consulta M. Raoux, qui ne savait, pas plus que les autres, l'ordre du concours. Il désigne comme supérieur le cor qui a joué le troisième; on le fait venir: c'était le sien. A la seconde épreuve, on intervertit les numéros. M. Raoux donne la palme au premier : c'était encore le sien. A la troisième épreuve, nouvelle transposition. Le cinquième l'emporte ! Toujours le cor Raoux. Et c'était justice! De sorte que M. Raoux a reçu la croix avec M. Sax. Lequel admirer le plus? son talent ou son oreille? Le plus sûr est d'admirer les deux.

Une autre récompense bien méritée, c'est la médaille de bronze décernée à W. Coquebert, comme éditeur de la Bretagne ancienne et moderne, de... votre très-humble serviteur, dans laquelle le jury a reconnu « le plus beau livre illustré qui ait paru en France.» Cette distinction est d'autant plus remarquable, qu'ordinairement on couronne l'imprimeur, le dessinateur ou le graveur de ces sortes d'ouvrages: cette fois, par exception, on a couronné le libraire, pour signaler le rôle actif joué par son intelligence et sa direction dans son chef-d'œuvre typograpliique. Et l'on ne dira pas que l'intrigue a enlevé cette

médaille, car le jury l'a déposée de lui-même, après le rapport de M. Firmin Didot, sur la tombe de W. Coquebert. Hélas oui, cet éditeur comme il y en a si peu, cet homme d'esprit et de cœur, ce digne ami, ce conseil éclairé des = auteurs qu'il publiait, est mort à la peine, des suites de la révolution, après avoir fait de cette Bretagne, glorifiée par le jury, un tel monument d'art, de luxe et de goût, que l'écoulement de dix mille exemplaires avait à peine couvert l'énormité des frais (140,000 francs). Puisse la médaille d'honneur réjouir l'éditeur-artiste dans sa tombe, que tant de regrets sacrés voudraient rouvrir !

Grande révolution dramatique! La Comédie-Française ne pouvait se consoler du départ de MI Rachel qu'en lui réclamant 300,000 francs de dommages-intérêts, lorsque tout à coup un jeune poëte fort connu et très-aimé dans les lettres, le rédacteur en chef de l'Artiste, notre ingénieux collaborateur, M. Arsène Houssaye enfin (1), fit annoncer au théâtre sa nomination comme commissaire-administrateur, et son premier acte directorial: la rentrée de Mile Rachel. Voilà un acte qui vaut à lui seul cent tragédies, d'autant plus que M. Houssaye a décidé Mile Rachel à jouer à la fois la tragédie, le drame et la comédie: Charlotte Corday, Marion Delorme et Me de Belle-Isle! Vous croyez que le ThéâtreFrançais a été ravi d'une telle aubaine? Au contraire! Il parait que la double nomination du poëte ne cadre pas avec le décret théâtral de Moscou! Les sociétaires apprécient fort M. Houssaye comme commissaire, mais ils le repoussent comme administrateur. Ce n'est pas à nous de juger la question. De là, procès, plaidoiries, arrêt d'incompétence et renvoi de l'affaire au Conseil d'Etat, c'est-à-dire aux calendes grecques. Espérons que Mile Rachel n'attendra pas si longtemps pour tenir des promesses qui ont mis tout le public dans la jubilation. Déjà, elle vient de ren

trer dans Phèdre, devant une recette monstre et au milieu des trépignements d'enthousiasme.

Quant à M. Houssaye, commissaire ou directeur, il ne pourra que relever la littérature sur notre première scène. Ce n'est pas lui qui laissera trôner dans le temple les marchands de vaudevilles sans couplets, lui qui vient de publier un recueil tout plein de vers comme ceux-ci :

FRESQUE BYSANTINE.

Jésus s'habille en pauvre et demande l'aumône
Au seuil d'un riche au cœur d'acier:
-Beau seigneur, qui chantez comme un roi sur son trône,
Donnez-moi quelque pain grossier.

Donnez-moi seulement les miettes de la table,

Pendant que vos chiens sont là-bas!

- Avec votre besace, allez-vous-en au diable;
La paresse ici n'entre pas.

Jésus-Christ s'en allait, quand il vit une femme
Qui venait d'une ruche à miel.

Belle Dieu l'avait faite, et l'on voyait son âme
Dans ses grands yeux couleur du ciel.

- Mon pauvre homme, venez sous mes noires solives, Par la porte où siffle le geai;

Je n'ai rien que du miel, des raisins, des olives;
Mais je donne tout ce que j'ai.

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- Tu monteras au ciel sans traverser la tombe, Car j'ai la clef du Paradis.

Et là-bas ton voisin avec tout son or tombe
Dans l'enfer où sont les maudits.
Mais quand il aura soif je prendrai le ciboire
Où mon amour est jaillissant;

Je mourrai sur la croix pour lui donner à boire
Jusqu'à mes larmes et mon sang (1)!

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Salon de 1849: La Famille exilée, tableau Voici un tableau du Salon, qui, pour venir tard ici, n'en vient que plus à propos. Cette Famille exilée, de M. Elmerich, si bien rendue par M. Lessestre, personnifie d'une manière touchante les victimes sans nombre et de toutes sortes, que les révolutions et les guerres ont jetées loin de leur patrie depuis deux ans. L'artiste a surtout

(1) Auteur des Peintres flamands, Téniers et Ostade, publiés dans notre t. XV, p. 321, 365,-et de Ruysdael et Rembrandt, qui paraftront dans notre prochain numéro.

de M. Elmerich, gravé par M. Lessestre. songé sans doute aux colons volontaires de l'Algérie. Le ministre de l'intérieur vient d'acheter cette belle toile, et l'enverra, dit-on, en Afrique, pour dire aux colons qu'on ne les oublie pas en France. Que le Musée leur annonce cette bonne nouvelle!

(1) Poésies complètes d'Arsène Houssaye. Biblioth. Charpentier. Un joli volume grand in-18, qui n'est pas fait pour les jeunes filles, mais que les amis des beaux vers placeront au premier rang dans leur cabinet.

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Découvrez-vous devant moi, Je suis ce-lui qui cal-feutre Et goudronne la pa - roi De tous les vaisseaux du

TEAT

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