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Malheureusement, la princesse apprenait, le lendemain, qu'à la suite de ces grands soupirs, Charles Stuart avait convoqué les violons et passé la nuit à danser... Toutefois, elle ne découragea point le prétendant, qui pouvait devenir roi d'un instant à l'autre. Jusqu'à ce qu'elle eût trouvé mieux, elle le tint en haleine par des épreuves successives. Tantôt elle exigeait qu'il prît le train d'une maison royale, et Stuart se ruinait en chevaux, en livrées et en fêtes; tantôt elle lui demandait d'aller battre Cromwell, et il se disposait à entrer en campagne avec fracas. Mais un jour, Mademoiselle fut plus froide que de coutume. Ce jour-là, elle avait appelé en jouant Louis XIV son petit mari, et Louis XIV l'avait appelée, en jouant aussi, sa petite femme. Pourquoi ce jeu ne deviendrait-il pas une réalité ? s'était dit la fille de Gaston. Et elle n'avait plus songé qu'à la couronne de France; et, dans les réceptions de la cour, elle avait tranché de la petite reine. Anne d'Autriche et Mazarin ne virent d'abord là qu'une plaisanterie ; mais le jeune roi y prit un tel goût, il s'amusa si bien des prévenances de sa cousine, qu'on résolut d'y mettre ordre avant sa majorité. Ce fut alors que le duc d'Orléans, se piquant au jeu à son tour, confia la partie à l'habile princesse Palatine. Il désespéra bientot de la gagner; mais, plus sa fille vit d'obstacles, plus elle s'obstina à les vaincre. Il s'agissait de gagner l'époque où Louis XIV sortirait de la tutelle de sa mère. Or, cette époque légale était fixée au 5 septembre 1651. Aux approches de ce grand jour, Anne de Gonzague redoubla d'adresse, et Mademoiselle de petits soins. La première crut avoir ébranlé la régente et le ministre, effrayés des propositions de Condé aux d'Orléans... La seconde se crut assurée du cœur de Louis XIV, et voici pourquoi.

C'était un vieil usage, à la cour de France, qu'au moment de déclarer les rois majeurs, à treize ans, on les dédommageât du peu d'autorité qu'on leur laissait, en leur faisant jouer vingt-quatre heures la comédie du gouvernement. Ainsi, le lendemain, au sortir de son lit de justice, Louis XIV devait choisir des ministres d'un jour parmi ses pages, et une reine symbolique parmi les filles o' nneur, qui lui présenteraient ce qu'on appelait les bouquets de noces. Intendante favorite des plaisirs de Sa Majesté, Mademoiselle avait su faire une grave réalité de ce vain simulacre. Dès la veille au soir, en jouant à ce jeu des portraits, qu'elle avait mis à la mode et dans lequel excellait sa malice, elle avait posé sur le tapis toutes les princesses d'Europe qui pouvaient prétendre à la main de Louis XIV, et elle en avait tracé des caricatures si mord. ntes, que le petit roi n'entendait plus leurs noms sans écheter de rire à leurs dépens. Le jeu avait fini par le Putrait de Sa Majesté, écrit de la main de Mademoiselle,

et

par celui de Mademoiselle, écrit de la main de Sa Majesté. Tous deux s'y étaient prodigué les noms de petit mari et de petite femme. Ils avaient caché la disproportion des âges sous toutes les fleurs du phébus et du pathes, l'une se faisant plus enfant que le roi, et l'autre se fusant plus adolescent que la princesse. La cousine avait décerné au cousin toutes les qualités des César et des Alexandre (1): « L'air hardi, fier et agréable, le port noble, mjestueux et bien planté, les plus beaux cheveux du monde, le parant mieux qu'un diadème, une taille si accomplie, qu'elle semble au-dessus de toutes les autres, des jambes et des pieds si parfaitement faits, qu'on n'a pint de regrets qu'ils soient pour marcher sur nos têtes, etc., etc. » Réciproquement, le cousin avait pétri la cousine de tous les lis et de toutes les roses sans (1) Textuel. Mémoires de Mademoiselle. Portrait de Louis XIV.

secondes du style Rambouillet... Bref, ils s'étaient quittés les meilleurs petits époux du monde, · remettant au lendemain le succès de leur mariage; et Mademoiselle avait renvoyé Charles Stuart aux calendes grecques, en lui imposant, à brûle-pourpoint, l'abjuration du protestantisme!

Elle croyait, pour le coup, lui demander l'impossible. Voilà ce que la fille de Gaston raconta à son père, et ce que venait confirmer l'assurance de la princesse Palatine.

Le lendemain matin, à huit heures, Anne d'Autriche, entourée des pairs et des maréchaux de France, se présenta à la porte de la chambre du roi. Celui-ci s'avança jusqu'à la balustrade de son lit, releva sa mère qui s'inclinait, et l'embrassa. Puis il se mit en route pour le Parlement, suivi et précédé de tout le cortége royal. Le grand-écuyer portait l'épée du roi dans un fourreau de velours violet, semé de fleurs de lis d'or, Louis XIV montait un cheval tout caparaçonné d'or, et qu'il maniait avec une grâce et une dignité charmantes. Derrière lui venaient les carrosses des princes et des princesses, au milieu desquels mademoiselle de Montpensier se reconnaissait à sa toilette royale et à son air triomphant. Toutes les rues étaient bordées d'amphithéâtres élevés jusqu'au second étage. Après la messe dite à la Sainte-Chapelle, la cour entra dans la grand'chambre, et le roi prit place sur son lit de justice. Il débita sa leçon avec une majesté singulière :

Messieurs, je viens vous déclarer que je suis majeur aujourd'hui, et que, suivant la loi de mon Etat, j'en veux prendre moi-même le gouvernement, etc... Le chancelier Séguier annonça « que le nouveau règne étonnerait l'univers par ses merveilles. » La reine déposa ses pouvoirs aux pieds de son fils, en ployant le genou devant Sa Majesté. Tous les princes et tous les officiers vinrent s'y agenouiller à la file, et l'on ouvrit les portes à deux battants pour recevoir les acclamations du peuple.

Jusqu'au soir, les fontaines de la ville versèrent du vin; l'argent et la viande furent distribués à tous les carrefours, et les feux de joie, le canon, les cloches, les trompettes, entretinrent la joie des Parisiens jusqu'à l'aurore.

Pendant ce temps-là, le Palais-Royal resplendissait de lumières, et toute la cour en fêtait la royauté majeure.

Quand on en vint à la cérémonie des bouquets de noces, une surprise inouïe frappa les yeux de l'assistance. On crut voir entrer, dans la personne des demoiselles d'honneur, toutes les puissances de l'Europe représentées par leurs filles à marier. Electrices de l'empire, princesses d'Angleterre, d'Italie, de Suède, de Hollande, de Cologne, etc., chacune était figurée par son costume, par ses armes et par son bouquet.

Puis, l'auteur de ce coup d'Etat, mademoiselle de Montpensier, s'avançait avec la majesté d'une reine de France, tenant à la main des lauriers, des roses et des lis. La quene de sa robe était portée par un petit page d'Anne d'Autriche, qui avait enlevé cet honneur à ses rivaux en les provoquant en duel, au grand divertissement des serviteurs du palais.

Les moins clairvoyants comprirent, et tous les regards se fixèrent sur Louis XIV.

Les princesses s'approchèrent de lui, l'une après l'autre, et lui présentèrent leurs bouquets. Le roi rendit à toutes le plus gracieux sourire, mais ne reçut aucun de leurs hommages... A chaque bouquet refusé, l'émotion redoublait, et Mademoiselle faisait un pas superbe en avant. Enfin, elle se trouva devant son cousin, et elle lui offrit

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à son tour son bouquet... Toute la cour était immobile, silencieuse, frémissante... Le roi parut hésiter... Puis sa main s'avança; il saisit les fleurs, y jeta un coup d'œil rapide, et les laissa tomber en détournant la tête...

Le cri de vive la reine! qui allait saluer la fille de Gaston, s'arrêta étouffé sur toutes les lèvres, et Mademoiselle, stupéfaite, pâle, défaillante, regardant le roi glacé et son bouquet à terre, ne vit plus, à travers ses larmes de honte et de douleur, qu'un sourire ironique sur l'altier visage d'Anne d'Autriche...

Au même instant, sur un signe de celle-ci, une portière livra passage à une blonde enfant, dont le costume et les attributs rappelaient l'archiduchesse Marie-Thérèse, fille de Philippe IV, infante d'Espagne, alors âgée de douze ans, la seule figure que Mademoiselle eût exclue de sa royale troupe, à cause de l'horrible guerre allumée entre les deux pays.

Vous aviez oublié cette princesse; je m'en suis souvenue, moi! dit Anne d'Autriche avec dignité...

Et Louis XIV embrassant la jeune fille, accepta son bouquet, composé d'oliviers symboliques.

La cour entière, excepté Mademoiselle, applaudit à ce présage heureux de paix et de réconciliation...

Le lendemain, la fille de Gaston reçut un nouveau message de la princesse Palatine. Il contenait les tiges fanées

de son bouquet et le bon de 200,000 écus, que l'ambassadrice renonçait à gagner...

Pour comble de mystification, Charles Stuart écrivait en même temps à Mademoiselle : « qu'il était prêt à lui sacrifier sa conscience et sa couronne en se faisant catholique pour obtenir sa main ! »>

La future reine se trouvait entre deux trônes, comme un cavalier entre deux selles...

Anne d'Autriche et Mazarin ne lui avaient donné des espérances que pour amadouer son père jusqu'à la majorité de Louis XIV. Et au dernier moment, ils avaient retourné celui-ci, en le prenant par son faible royal, qui était de montrer sa volonté dans la contradiction d'autrui. Ils avaient feint de lui imposer la main de sa cousine, et l'enfant avait sauté le ruisseau comme l'àne retenu par la queue...

Toutefois, en se croyant assez forts désormais contre la nouvelle Fronde, la reine et son ministre comptaient sans la vengeance de Mlle de Montpensier.

Lorsque, la guerre civile étant reprise, les partisans de Condé redemandèrent au duc d'Orléans les clefs de sa bonne ville, un bataillon d'amazones fringantes s'élança de Paris et arriva aux portes d'Orléans, au moment où Molé en réclamait l'ouverture au nom du roi, qui s'avançait avec son camp sur la rive de la Loire. Le général en ju

pon de soie montra un ordre signé de Gaston et enjoignant aux magistrals, ses vassaux, de recevoir l'armée des Frondeurs.

Ce général était Mlle de Montpensier, et cet ordre était celui qu'elle avait arraché à son père. Ses maréchales de camp étaient les jolies comtesses de Fiesque et de Fron

tenac.

Les magistrats hésitant à obéir, la princesse fit à cheval le tour de la ville et ameuta le peuple assemblé sur les remparts; puis elle fit enfoncer une vieille porte par les bateliers, se hissa bravement à travers une ouverture étroite, entra seule dans la place au milieu des acclamations, harangua les notables à l'Hôtel-de-Ville avec une éloquence entraînante, força l'armée royale à reculer jusqu'à Gien, et attendit les troupes rebelles qui venaient d'opérer leur jonction...

Ce brillant coup de main, qui jetait l'oncle du roi en pleine révolte, allait livrer, avec les clefs d'Orléans, la monarchie aux lieutenants de Condé, si un homme ne se fùt rencontré au pont de Jargeau, qui, avec deux cents cavaliers, arrêta tout un jour dix mille Frondeurs, les culbuta le soir sur le cadavre de leur chef, et sauva ainsi le roi, la reine et la France, près de tomber au pouvoir de Mlle de Montpensier.

Cet homme était Turenne, revenu pour toujours à son devoir.

Devant ce rival, enfin digne de lui, Condé tira l'épée de Lens contre son roi; et la guerre de la GRANDE FRONDE commença entre ces deux géants.

Mademoiselle, accourue d'Orléans au milieu des rebelles, leur donna pour signe de ralliement une espèce de

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LA SCIENCE EN FAMILLE. MÉMOIRES D'UN MAITRE D'ÉCOLE (1).

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HISTOIRE DE L'AÉROSTAT.

Premiers ballons en France. - Les frères Montgolfier.-Charles. -Un calembour. Pilâtre des Roziers. -Blanchard. - Le parachute. Garnerin, Jourdan, Gay-Lussac, etc. - Anciens essais. Cavallo.- La Folie. -Joseph Galien. Le père Lana.-Scaliger. La colombe d'Architas. - Ballons antiques.-Systèmes de direction.

Le jeudi 5 juin 1782, l'assemblée des États du Vivarais était réunie, sur l'invitation des frères Montgolfier, papetiers à Annonay, autour d'un vaste sac de toile recouvert de papier enveloppé d'un réseau de ficelle, le tout reposant sur un châssis de 16 pieds de surface, attaché aux quatre coins par des cordes qui aboutissaient au réseau. Sac, réseau et châssis pesaient environ 500 livres. Cette machine, au dire des deux papetiers, était destinée à aller, au nom de la physique, prendre possession de la région des météores. A la vue de ce triste appareil, MM. des Etats du Vivarais crurent un instant que les frères Montgolfier étaient fous. Cependant, au moyen d'un feu de paille mouillée, allumé sous le châssis, et de quelques ingrédients jetés dans la flamme, le sac se gonfla et s'arrondit en une sphère de 110 pieds de circonférence. Les frères Montgolfier ayant coupé la corde qui retenait le ballon, en moins de dix minutes il s'éleva à plus de 1,000 pieds au-dessus de la tête des spectateurs ébahis. L'enthousiasme succédant à la stupéfaction, MM. des Etats du Vivarais dressèrent procès-verbal de l'expérience en termes pindariques, et bientôt la Gazette et le Mercure de France apprirent à l'Europe savante que le problème d'Architas, déclaré

(1) Voyez le numéro de juin dernier

chimérique par toutes les académies, venait d'être résolu par d'obscurs industriels.

Etienne et Joseph Montgolfier partagèrent la gloire d'une découverte qui devait immortaliser leur nom.

Je n'ai pas besoin de dire quelle sensation produisit à Paris l'expérience d'Annonay. Les guerres de l'Amérique passèrent de mode, et l'on ne s'inquiéta plus que de la navigation aérienne. Les savants faisaient mille conjectures sur la substance mystérieuse, lorsqu'un physicien, nommé Charles, expliqua le mécanisme du ballon des frères Montgolfier, en démontrant que son ascension n'était due qu'à la dilatation de l'air intérieur par le calorique, qui faisait que le ballon gonflé déplaçait une masse d'air d'un poids supérieur à celui de son enveloppe et de l'air dilaté qu'il renfermait. Au lieu d'employer de l'air dilaté par un feu de paille, Charles proposa de remplir un ballon de toile enduit de gomme élastique avec du gaz inflammable (hydrogène), qui, se trouvant plus léger que l'air atmosphérique à la surface du sol, devait produire le même effet, avec cette différence, que l'air dilaté par le feu perd de son élasticité en traversant les couches de l'atmosphère avec laquelle il se met en équilibre de calorique, tandis qu'en employant le gaz inflammable, le ballon doit se soutenir indéfiniment dans les régions atmosphériques dont la densité est égale à celle de ce même gaz. Suivant Charles, la prétendue substance mystérieuse des frères Montgolfier (qu'on a su depuis n'être que du crin et de la laine hachés) n'était qu'une jonglerie indigne de la science, et à laquelle MM. des Etats du Vivarais pouvaient seuls se laisser prendre.

Les Parisiens, heureux de posséder un physicien qui pouvait rivaliser avec les frères Montgolfier, ouvrirent spontanément une souscription nationale, la première qui ait eu lieu en France, et, en deux jours, ils fournirent à Charles les moyens de construire son ballon.

Il en confia l'exécution à un ingénieur. nommé Robert, qui le construisit dans un vaste atelier situé sur la place des Victoires. On en fit l'essai après l'avoir rempli de gaz inflammable dans l'atelier même, et il fut décidé qu'on le transporterait, de nuit, tout gonflé d'hydrogène, sur un vaste brancard, dans l'enceinte construite au milieu du Champ-de-Mars, où son ascension devait avoir lieu le lendemain. C'était quelque chose de fantastique que ce ballon gonflé, de 12 pieds de diamètre, porté sur un brancard par quatre hommes précédés de torches allumées et escortés par un détachement du guet à pied et à cheval. Les cochers de fiacre qui se trouvaient sur la route en furent si frappés, que leur premier mouvement fut d'arrêter leur voiture et de se prosterner humblement, chapeau bas, pendant tout le temps qu'on défilait,

Le 27 août 1783, la capitale était sur pied. Comme il n'y avait pas de places privilégiées, princes et ouvriers, duchesses et grisettes attendaient pêle-mêle, avec cette patience qui caractérise la curiosité parisienne, l'heure fixée pour l'expérience. Charles et Robert s'occupaient de remplacer le gaz que le ballon avait perdu dans son voyage terrestre, lorsque tout à coup, près de l'enceinte, un mouvement se fit, et, comme celui produit par la pierre qui tombe au milieu d'un lac tranquille, ondula jusqu'au dernier rang des curieux. C'était Joseph Montgolfier qui avait voulu pénétrer dans l'enceinte réservée, et que Charles avait mis brutalement à la porte. Enfin cinq heures sonnèrent, un coup de canon partit, et aux acclamations d'un peuple entier, l'aérostat de Charles s'éleva en moins de 2 minutes à 500 toises, et se perdit dans les nuages. Une pluie battante ne put dissiper la foule qui saluait frénétiquement les apparitions et les disparitions successives de l'aérostat qu'annonçait de son côté la voix tonnante de l'artillerie des Invalides. Enfin, le ballon ne reparaissant plus, la foule se dissipa lentement. Les plus ardents coururent aux informations pour savoir ce qu'était devenu le ballon national. Le ballon s'était soutenu dans les airs pendant trois quarts d'heure; mais comme Charles l'avait trop gonflé, la dilatation de l'hydrogène dans les couches d'air moins denses avait occasionné une déchirure à sa partie supérieure, et il était tombé près de la remise d'Ecouen. Les paysans de Gonesse, prenant l'aérostat pour un monstre tombé du ciel, s'armèrent de fourches et de faux, marchèrent sur lui en colonne serrée, le mirent en pièces, et traînaient triomphalement sa peau lorsque les cavaliers arrivèrent pour en recueillir les débris.

La gloire des frères Montgolfier était obscurcie; tout Paris était pour Charles; l'Académie des sciences, qui est rarement d'accord avec le public, prit fait et cause pour les montgolfières. Elle fit construire un ballon de 70 pieds de hauteur sur 40 de diamètre, sous la direction de Joseph Montgolfier; on le remplit de fumée; Montgolfier n'oublia pas d'y ajouter de la vapeur de laine hachée; mais, malgré toutes ces précautions, la pluie contrariant l'expérience, le ballon académique, parti d'un jardin du faubourg Saint-Antoine, ne s'éleva pas à 50 pieds, et tomba bêtement sur une maison de ce même faubourg.

L'Académie était consternée, Montgolfier était au désespoir. Pour les consoler, Louis XVI ordonna que l'expérience aérostatique qui aurait lieu à Versailles devant lui serait faite avec une montgolfière. Montgolfier et l'Académie se remirent à la besogne, et, comprenant que les dieux aiment le nombre impair, construisirent, pour l'expérience royale, un ballon de 57 pieds de hauteur sur 41 de diamètre. Ce ballon, lancé à Versailles, le 19 septembre, enlevait une cage dans laquelle se trouvaient un mouton, un coq et un faisan. Il ne monta qu'à 240 toises, et fut tomber dans un carré du bois de Vaucresson, où les gardes le virent descendre lentement. Le mouton, le coq

et le faisan ne paraissaient nullement fatigués du voyage. Cette expérience donna aux montgolfières la supério rité sur les ballons à gaz inflammable, qui montaient plus haut, il est vrai, mais qui se déchiraient toujours par suite de la force expansive de l'hydrogène. Les partisans de Montgolfier firent circuler une estampe représentant le ballon de Charles qui éclate dans les nuages, et le pay sicien, la bouche béante et les bras tendus, ayant fair d'attendre son ballon, avec ces deux mots latins: Carolus expectat, Charles attend (charlatan).

Les partisans de Charles ripostèrent plus ou moins spirituellement, on échangea quelques coups d'épée; mais bientôt Pilâtre des Roziers annonça devoir s'enlever, en personne, à l'aide d'une montgolfière.

Pilâtre des Roziers était un de ces savants du second ordre, esprit inquiet et entreprenant, fondateur de sociétés scientifiques et littéraires, prêt à demander au martyre l'immortalité à laquelle son génie ne pouvait atteindre. Il fit construire à ses frais un ballon de 70 pieds de hauteur et de 46 de diamètre; il l'enjoliva de fleurs de lis, y traça le chitre du roi, l'orna des douze signes du zodiaque, entremêla des soleils et des mascarons, des aigles et des guirlandes, suspendit à cette superbe machine à fond d'azur une galerie circulaire en osier recouverte en toile, et, après avoir enflé son ballon, armé d'une banderole sur laquelle était inscrit : Sic itur ad astra (c'est ainsi qu'on s'élève aux astres), il partit, à la garde de Dieu, poar le premier voyage aérien, s'éleva, sans feu ni réchaud, à 200 pieds au-dessus du sol, fut balancé six minutes dans les airs, et descendit tranquillement sur la terre.

A peine descendu, il renfla son ballon, jeta le quintal qui lui faisait contre-poids dans sa galerie circulaire, suspendit dans le vide de cette même galerie un réchaud, se munit de paille, et, prenant avec lui un M. Girond de la Villette, il s'éleva de nouveau à 324 pieds, resta dans l'air autant de temps qu'il eut de paille pour alimenter son feu, et descendit doucement avec son compagnon.

Comme le but principal de l'aérostatique était de fournir à l'homme le moyen de rivaliser avec l'aigle et le condor, les montgolfières revinrent à la mode. Charles fat abandonné comme un prince déchu, lorsqu'à son tour il annonça qu'avec son ami Robert il allait tenter la navigation aérienne dans un ballon rempli de gaz inflaminable. L'expérience eut lieu encore au Champ de Mars; Charles avait eu le soin de ne pas emplir entièrement son ballon, de se ménager une soupape qu'il pouvait ouvrir à volonté pour donner une issue au gaz, et de prendre du lest pour s'alléger au besoin. Cette expérience, qui fit courir tout Paris, rendit à son physicien bien-aimé toute sa popularité. Charles et Robert s'élevèrent, non pas comme Pilâtre des Roziers à 300 pieds au-dessus du sol, mais ils montèrent à plus de 3,000, furent toucher les nuages, descendirent et remontèrent alternativement, et enfin s'abattirent sains et saufs à plus de deux lieues de distance. Dès lors l'aérostat à gaz inflammable fut définitivement adopté, et Charles et Robert firent fortune en construisant de petits ballons de baudruche qu'ils vendaient des prix fous, chaque Parisien voulant avoir sen ballon dans sa chambre, et un appareil pour dégager de Thydrogène à volonté. La mode passa à l'étranger; l'aérostatique était devenue une véritable frénésie. Les plus grands personnages, les plus belles dames, le duc de Chertres, MM. de Montalembert et de Bellevue, MMmes de Montalembert, de Podenas, de La Garde, montèrent en ballon.

Pilâtre des Roziers se voyant distancé par Charles et Robert, et voulant être au moins le plus courageux des aéronautes, emprunta leur ballon, partit de Boulogne, tra versa la Manche et descendit en Angleterre. Bien que l'entente cordiale n'existât pas encore entre la France et l'Angleterre, le pavillon français, qui flottait à la nacelle de des Roziers, fut salué par tous les forts du littoral an glais, et l'accueil le plus splendide fut fait à l'aéronaute, qui revint en France en ballon, rapportant un Anglais et un pavillon britannique pour témoigner de son courage.

Les frères Montgolfier, dont Pilâtre Des Roziers avait été l'un des plus chauds partisans, lui reprochèrent d'avoir abandonné leur aérostat pour celui de Charles. Des Roziers, pour réunir les deux partis, qui divisaient l'Europe entière, imagina de repasser en Angleterre au moyen d'un ballon à demi gonflé avec du gaz inflammable, qu'il dilaterait au moyen d'un réchaud placé dans sa nacelle. Mais à peine se fut-il élevé dans les airs, que, le feu du réchaud enflaminant le gaz, le ballon éclata, et le malheureux tomba, comme Icare, dans les flots de la mer.

La catastrophe de Pilâtre des Roziers ne refroidit pas les aéronantes, les expériences se multipliaient. Après avoir trouvé le moyen de s'élever dans les airs, il restait à diriger les ballons. Les mathématiciens déclaraient la close impossible, attendu que le navigateur aérien ne pent trouver de point d'appui. Toutes les objections de la science n'empêchèrent pas le public de croire à la possibilité d'une chose impossible, par cela même qu'il la désirait ardemment. Il existait une sorte d'extravagant, nommé Blanchard, qui, après avoir vainement cherché le mouvement perpétuel, s'était mis à construire un bateau volant, qui ne volait pas du tout. Lorsque les frères Montgolfier eurent découvert l'aérostat, il abandonna son bateau, se munit d'ailes faisant l'office de rames, enfla son ballon, partit du Champ-de-Mars, en criant au public qu'il allait débarquer à Montmartre, où un excellent diner l'attendait, et fut tomber à Vanvres, où on ne l'attendait pas. Blanchard, qui, avec son bateau volant, avait été déjà la risée de tout Paris, voulut prendre sa revanche. Il remonte en ballon, muni d'un vaste parapluie, et, quand il touche aux nuages, il coupe, en désespéré, la corde qui attachait sa nacelle au ballon, et tombe... sain et sauf en parachute !

J'aimerais autant énumérer les tentatives faites pour trouver le mouvement perpétuel et la quadrature du cercle, que de relater tous les systèmes présentés à l'Académie des sciences pour diriger les ballons. Je dirai pourtant que Garnerin crut pouvoir se servir de l'aérostat pour des voyages de long cours, en allant chercher dans les plus hautes régions de l'atmosphère les vents alisés, qu'il supposait exister en sens inverse de ceux qui règnent sur l'Océan.

Je ne parlerai pas non plus des catastrophes qui ont été, pour la plupart, le résultat de l'imprudence des aéronautes. Je me bornerai à citer les services que la tactique et la science ont pu obtenir du ballon.

A la bataille de Fleurus, le général Jourdan se servit d'un aérostat pour connaître la disposition de l'armée ennemie. Gay-Lussac fut chercher en ballon, à 7,000 mètres au-dessus du niveau des mers, l'air qui, analysé par lui, se trouva contenir les mêmes proportions d'oxygène et d'azote que celui pris à la surface du sol dans la cour de l'Ecole polytechnique.

Bien que les résultats sérieux de l'aérostatique se bornent à fort peu de chose, et que la plupart des aéronautes ne soient généralement considérés aujourd'hui que comme des acrobates intrépides, l'invention du ballon serait un titre de gloire pour la France, si cette invention, comme toutes les autres, ne remontait à la plus haute antiquité. Peu s'en est fallu que la découverte de l'ancien procédé d'Architas, faite en 1782 par les frères Montgolfier et Charles, n'ait été faite à Londres, en 1781, par un physicien nommé Cavallo, qui, après avoir fait enlever des bulles de savon pleines d'hydrogène, comprenant la possibilité d'obtenir l'ascension de corps plus considérables, essaya un rudiment d'aérostat; c'était un sac oblong, de quatre pieds de largeur, en papier très-fin. Mais heureusement pour nous, l'hydrogène avec lequel il le remplit s'échappa à travers le papier. Alors il se proposa de se servir de baudruche, peau qu'emploient les batteurs d'or, et il serait parvenu à son but; mais il ajourna son expérience, et les frères Montgolfier prirent les devants.

Il résulte de ce fait que la loi sur laquelle repose l'aérostatique était parfaitement connue des physiciens qui,

depuis les expériences de Toricelli et de Pascal, savaient fort bien que l'air était pesant et s'expliquaient, par la différence de la pesanteur des gaz, l'ascension de la fumée et celle de l'hydrogène.

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Un sieur de la Folie, natif de Rouen, dans un ouvrage publié en 1775, sous le titre de Philosophe sans prétention, avait eu pourtant la prétention d'enlever un globe de trois pieds de diamètre au moyen de l'électricité ; le frontispice de son livre représente un homme dans une espèce de cage garnie de nuages, couronnée par deux globes suspendus en l'air. Mais le système de M. de la Folie se trouvait en rapport avec son nom, et je ne crois pas devoir m'y arrêter.

Un dominicain, professeur de philosophie et de théologie à Avignon, le père Joseph Galien, avait publié en 1755 une brochure intitulée : l'Art de naviguer dans les airs. Pour cela, il proposait de construire un vaisseau de bonne et forte toile doublée, bien cirée et goudronnée, couverte de peaux et fortifiée, de distance en distance, avec de bonnes cordes. Ce vaisseau devait être plus long et plus large que la ville d'Avignon, et sa hauteur égale à celle d'une montagne. Un seul de ses côtés devait avoir au moins un million de toises carrées; ce vaisseau devait, au besoin, transporter dans les airs une armée avec son artillerie et ses vivres pour une année. Le mécanisme de son ascension consistait en ce que l'air étant plus léger au sommet des montagnes qu'aux bords de la mer, en remplissant ce vaisseau avec de l'air des montagnes, il devait nécessairement déplacer, étant sur le sol, une masse d'air d'un poids supérieur à celui dont il était rempli, en ajoutant même le poids de la machine, et c'est précisément pour cela que ce bon père faisait son vaisseau aérien grand comme la ville d'Avignon et haut comme une montagne.

Malheureusement, comme physicien, le père Galien n'était pas de première force; mais de cette utopie aérostatique, il résulte que la cause principale de l'ascension des aérostats, qui provient de la différence de densité des gaz, était connue dès 1755, et que les frères Montgolfier n'ont eu que l'heureuse idée de résoudre un problème très-simple.

Un siècle avant (en 1670), le père Lana, de Brescia, de la Compagnie de Jésus, publia en italien un livre intitulé : Dell' arte maestra, autre traité pour s'élever dans les nuages. Les principaux agents de sa machine consistaient en quatre sphères ou globes de cuivre creux, dans lesquels le vide parfait devait être produit; leur diamètre était de 20 pieds; leur surface, selon les calculs de l'auteur, était de 1,232 pieds, et ils cubaient 5,749 pieds 1 tiers (ce qui démontre d'abord que le père Lana avait oublié sa géométrie, ou du moins qu'il ne faisait pas la preuve de ses multiplications). Pour opérer le vide, il fallait remplir entièrement d'eau les ballons, puis les renverser pour faire écouler l'eau et fermer le robinet au moment où elle finissait de s'échapper. Le révérend ne soupçonnait pas que la réaction de l'air empêcherait ses ballons de se vider. Enfin Lana ne donnant à l'épaisseur de son cuivre que 3/68mes de ligne, rend l'exécution des globes absolument impossible. Mais, à part tout cela, c'est-à-dire si les ballons avaient pu être construits, si on avait pu y opérer un vide parfait, si la pression de l'air extérieur n'avait pas du aplatir le cuivre laminé dès qu'elle n'aurait pas été contrebalancée par la force expansive de l'air intérieur, il est certain que ses quatre globes auraient parfaitement pu enlever le bateau avec sa voilure, tel qu'on le trouve représenté dans l'Arte maestra.

Un siècle avant Lana, J.-C. Scaliger, dissertant contre Cardan, au sujet de la colombe volante d'Architas dont parle Horace dans ses odes, indique le moyen de construire cette colombe. « Rien de plus facile, dit-il; il suffit d'en composer la charpente avec de la moelle de jonc et de la recouvrir exactement avec la pellicule dont se servent les batteurs d'or (la baudruche). Au moyen d'un léger mécanisine on peut donner du mouvement aux ailes. » Scali

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