Obrazy na stronie
PDF
ePub
[ocr errors]

« homme. Un dernier remords devait m'éclairer. Chargé « de la garde de cent condamnés de Quiberom, parmi les« quels se trouvait M. du Liscouet, je l'ai rendu libre sur « parole, jusqu'au jour de son exécution. Il avait, me « disait-il, un serment à remplir chez de pauvres pê« cheurs de Douarnenez. Le moment arrivé, ma tête répondant de la sienne, je suis allé le chercher moi« même. C'est moi qui l'ai poursuivi hier sur la baie. « C'est là que je vous ai aperçu près de lui avec ma sœur. << Ne pouvant en croire mes yeux, j'ai couru chez vos « hôtes, je m'y suis assuré que c'était bien vous ! J'ai re<«< connu, dans une misérable chambre, vos armes que j'avais outragées; j'ai reconnu le portrait de ma sœur, << abandonnée par moi; j'ai appris enfin que j'allais fu« siller votre gendre, et du même coup, sans doute, im<< moler vous et Marguerite. Ainsi se comblait la mesure « de mes épreuves. J'étais encore digne de cette leçon, << puisque j'ai voulu en profiter. J'ai écrit à M. du Lis« couet qu'il pouvait rester un jour de plus, qu'il ne mour<«<rait que le lendemain. Je mentais et j'espérais le trom« per, car il devait réellement mourir le soir même ; mais « à sa place, et sous ses habits, je me suis présenté dans « l'ombre aux balles de mes soldats. Ce dévouement allait << racheter mes fautes, lorsque M. du Liscouet, exact à mon << premier appel, est venu m'arracher au supplice, en récla<< mant son rang parmi les victimes. Nous nous sommes dis<< puté l'honneur de la mort, comme d'autres se dispu<< tent le bonheur de la vie. Cette lutte étrange a désarmé « les exécuteurs, et un ordre magnanime du général Ho<«< che nous a rendus libres tous les deux. Si je n'ai pas « réussi à me punir, je suis du moins parvenu à sauver « votre gendre. Je rends à ma sœur son époux. Je vous «rends un fils plus digne que moi de ce nom. J'ai brisé « pour jamais mon épée. Est-ce assez pour mériter votre << pardon et celui de Marguerite?

« Signé Charles de TALHOUARN (dit le capitaine ROMULUS).»>

[merged small][ocr errors][merged small]

Dieu ne le voulut pas.

Quand nos soins et nos tendresses rappelèrent Marguerite à la vie, elle ouvrit de grands yeux, sans reconnaître versonne. Elle prit la main de son mari comme celle d'un étranger, et elle lui dit en l'entraînant vers la porte:

-Frédéric est mort!... Allons chercher le corps de Frédéric...

Nous tombâmes tous renversés d'épouvante.
Mme du Liscouet était folle !

(Le vieux pilote fit encore une pause. Nous nous regardames en silence. Puis il acheva avec un effort douloureux :)

Le marquis de Talhouarn mourut peu de temps après. Son fils vint recevoir sa grâce en lui fermant les yeux, et consacra sa vie, qui fut courte, à soigner Marguerite avec M. du Liscouet. A la fin de la Révolution, le vicomte retrouva tous ses biens et les donna aux pauvres et aux églises, afin d'obtenir la guérison de sa femme. Tout lut inutile. Tels vous les avez vus ce matin à Ploaré, tels le pays entier les voit depuis cinquante ans, toujours errants

et toujours inséparables, Frédéric attendant toujours que Marguerite le reconnaisse, et Marguerite disant toujours à Frédéric :

-Frédéric est mort, venez chercher son corps avec moi !

Ainsi finit le récit d'Hervé Ledirec. Il nous avait tellement émus, que nous ne parlâmes plus que de la Folle de Douarnenez.

Le soir, notre pêche terminée, nous longeâmes, en rentrant, la côte de Tréboul. Le vieux pilote nous montra, debout sur la grève, deux espèces de fantômes. Nous reconnûmes en frémissant les vieillards de Ploaré : M. du Liscouet avec son habit de l'autre siècle, et Marguerite avec son deuil de paysanne. Elle portait un pain noir, dans lequel était fixé un cierge. Elle alluma le cierge, lança le pain sur la mer, et les suivit du regard, en priant à deux genoux. «C'est ainsi, nous dit Hervé, qu'on cherche les corps des naufragés, sur nos rivages. On espère que le pain s'arrêtera à l'endroit où le mort est englouti. La pauvre folle, qui croit apparemment son mari noyé, va tous les soirs, et par tous les temps, livrer son pain et son cierge aux flots muets de Douarnenez. >>

Nous détournames les yeux; nous étions navrés de douleur... Les deux vieillards se mirent en marche sur la grève, à la suite du pain flamboyant.

[ocr errors]

Non, jamais, s'écria Robert, il n'y eut un supplice pareil à celui de cet époux vivant, attaché depuis cinquante ans à une femme adorée, qui ne le reconnaît pas auprès d'elle et cherche avec lui son cadavre ! Quand les révolutions ne produiraient que de tels malheurs, cela suifirait aux honnêtes gens pour les maudire!

Une admirable diversion nous attendait au port. La nuit venait de tomber. Les sept cents bateaux rentraient à la fois, chacun portant une chandelle allumée, plantée dans sa cargaison de sardines. Il faut remonter en esprit aux fêtes de Venise, pour se figurer, au milieu du sombre amphithéâtre des caps, cette illumination magique, refle tée et multipliée par chaque vague, au point d'éclipser la lueur naissante des étoiles.

En un clin d'œil, une armée de femmes, d'enfants et de vieillards eut compté la pêche et vidé les bateaux, à grand renfort de paniers de deux cents. (Voyez la gravure, page 328.) Chaque pauvre reçut une lance de sardines (cinq). Chaque compteuse en reçut une centaine. Le reste fut partagé entre les navires-marchands de vert (poisson frais), et les manestrans (tonneaux de réserve), pour être ensuite pressé et mis en barils.

Chaque bateau pêche de 25 à 60 mille sardines par jour. La pêche ouvre en juin et finit avec octobre. Multipliez! Année moyenne, Douarnenez expédie 40,000 barils de sardines pressées, à 40 ou 50 fr. le baril. Quant aux sardines en vert, de mai 1826 à novembre 1827, dit la statistique, Douarnenez en envoya à Nantes 30 millions, sur 702 barques jaugeant 3,580 tonneaux et portant 2,982 hommes. Voilà ce que produisent le commerce et l'activité humaine, dans un coin ignoré de la Basse-Bretagne. Ce produit se partage également entre les armateurs et les équipages des bateaux. Ajoutons, hélas! que la misère est grande à Douarnenez, quand la sardine ne vient pas rembourser les 1,500,000 fr. par an que ce port lui jelle

en avances.

PITRE-CHEVALIER.

CHRONIQUE DU MOIS.

ROBERT PEEL.

Robert Peel n'appartenant plus à la politique, mais à l'histoire, c'est à ce dernier titre seulement que le Musée des Familles donne la biographie de ce grand homme. Sir Robert Peel naquit à Bury, dans le Lancashire, le 5 février 1788. Son père était un simple filateur de coton, à qui son intelligente activité ouvrit la Chambre des communes et valut une fortune colossale. En 1803, il faisait vivre, à Bury, 15,000 ouvriers, et prospérer, par son commerce, toute la population du Tamworth, qui n'a pas cessé, depuis 1790, d'être représenté par lui-même ou par son fils. Son établissement était si considérable, qu'il pavait à l'accise un droit annuel de 40,000 liv. sterling (1 million de francs) sur marchandises imprimées.

Il fut créé baronnet en 1800. Lorsqu'en juin 1830 on justifia de son testament en la forme ordinaire, ses propriétés immobilières seulement s'élevaient à 1 million 200,000 liv. sterling (30 millions de francs).

Sir Robert Peel était le fils aîné de ce potentat commercial. Il fit ses études à Harrow, et à l'Université d'Oxford. Il se trouva au collège d'Harrow avec lord Byron. En 1809, à vingt-un ans, Robert Peel entra au Parlement, comme représentant irlandais, et fut chargé, pour son début, d'appuyer la motion de l'adresse. L'homme d'Etat et l'orateur étaient déjà au premier rang.

En 1820, le fils du filateur demanda en mariage une fille du général John Hoyd. On sait qu'en Angleterre un officier n'arrive au généralat qu'à la suite d'une foule d'aieux. Le noble John Hoyd n'en donna pas moins sa Elle à Robert Peel. L'aristocratie anglaise se perpétue ainsi, en s'incorporant tout ce qui s'élève jusqu'à elle par le génie ou la fortune. La noblesse française est tombée pour n'avoir pas su en faire autant.

Chateaubriand, dans ses Mémoires d'outre-tombe, peint l'intérieur de Robert Peel en termes que les journaux anglais ont rapportés avec orgueil : « La personne de sir Robert Peel était agréable, l'harmonie de sa voix faisait oublier l'habitude originale d'un de ses gestes. Lady Peel, née, ce nous semble, sous le ciel de l'Inde, était d'une délicatesse que nous n'avons vue à aucune femme; on eût dit qu'elle était transparente; tout à coup cette Niobé d'albâtre se teignait du pâle incarnat d'une rose de Bengale. Elle avait des enfants, véritables angelets. M. Peel puisait dans sa richesse quelque chose de doux et de modéré. »

Une seule fois Robert Peel se départit de ses habitudes pacifiques. Il avait vingt-deux ans, et gouvernait l'Irlande comme secrétaire d'Etat. Insulté par un discours del'agitateur O'Connell, il lui fit demander une réparation par les armes. O'Connell allait se rendre au lieu convenu, lorsqu'il se vit arrêter par la police. Sa surprise fut extrême, car il avait soigneusement gardé son secret. Il sut bientôt que le dénonciateur était sa propre femme. Les deux adversaires promirent de se retrouver à Ostende, et se mirent en route chacun de son côté. Robert Peel arriva le premier, attendit O'Connell un jour, deux jours, une semaine..., et apprit enfin qu'il venait d'être arrêté derechef par les constables de Londres. Etait-ce encore F'ouvrage de Me O'Connell? la chronique ne le dit pas. Le

fait est que la police de Londres ne relâcha son prisonnier qu'en lui faisant jurer de ne point aller se battre, et en exigeant de lui 50,000 fr., comme caution de sa parole. Si Robert Peel avait des torts en cette circonstance, et s'il se montra cruel alors envers les Irlandais, il leur fit une éclatante réparation en 1829, quand, ministre avec lord Wellington, il arracha au roi et au Parlement l'émancipation des catholiques.

Il couronna son œuvre, de 1841 à 1846, par la fameuse réforme du free trade (abolition des droits sur les céréales). Il fit l'admirable calcul et eut l'audacieux bonheur de relever les finances obérées de l'Angleterre par la suppression de l'impôt le plus lucratif en apparence. Grâce à cette réforme qui a prévenu une révolution, le peuple anglais lui doit le pain du corps à bon marché, comme le peuple irlandais lui doit le pain de l'âme, la liberté de conscience. Ces deux titres de gloire sont impérissables.

Retiré du pouvoir depuis quatre ans, Robert Peel était encore l'âme du grand parti tory, lorsqu'une chute de cheval l'a brisé dans sa force, à l'âge de soixante-deux ans. Il se promenait à Constitution-Hill. Sa monture s'effarouche, le jette en avant, tombe sur lui et le broie sur le pavé. On le transporte à son hôtel de White-Hall-Garden; on le couche dans sa salle à manger. Une foule immense attend de ses nouvelles; le mari de la reine, les princes, les grands accourent près de lui; la science s'épuise en vains efforts pour le sauver. Il appelle sa famille et lui fait de tendres adieux; il reçoit les secours religieux de l'évêque de Gibraltar, et il expire au milieu d'une consternation qui gagne toute l'Angleterre.

Une feuille médicale de Londres a expliqué l'impuissance de l'art devant l'organisation étrangement impressionnable de Robert Peel. Trois semaines seulement avant sa mort, visitant avec une de ses filles la ménagerie de Regent's-Park, un petit singe ayant tout à coup sauté sur sa main, sir Robert Peel s'évanouit aussitôt, et resta très-affecté de ce léger accident pendant deux ou trois heures. Dans une autre circonstance, un de ses doigts ayant été pris dans une porte, bien que la souffrance ne fût pas très-forte, il perdit plusieurs fois de suite connaissance.

Le Parlement a vaqué le lendemain de la mort de Robert Peel, ce qu'il n'avait jamais fait pour un simple particulier. Ses funérailles, qu'on voulait rendre magnifiques, se sont accomplies sans faste, suivant la volonté du grand homme. Le gouvernement anglais lui a décerné une statue en bronze, et les pauvres souscrivent à deux sous pour lui élever un monument de leur reconnaissance.

BALLONS. TRAINS DE PLAISIR. MODES.

La fureur des ballons va toujours croissant et montant. Il en part de l'Hippodrome, du Champ-de-Mars, de l'Observatoire, des fêtes champêtres de la banlieue, de la capitale et des départements. Pour satisfaire à cet engouement général, que nos lecteurs curieux partagent sans doute et très-légitimement, nous qui faisons de la science réelle en famille et non de la science chimérique et en l'air, nous leur donnerons, dans notre prochain numéro, l'histoire complète des aérostats, depuis la colombe d'Archi

tas jusqu'à nos jours. Nous n'aurons pour cela qu'à puiser dans les Mémoires de Gaspard, notre maître d'école.

Quant aux trains de plaisir, qui font concurrence aux ballons, nous initierons aussi nos lecteurs au plus agréable et au plus instructif de tous, au voyage de Londres, que M. Francis Wey, notre spirituel collaborateur, a fait tout exprès pour leur en rendre compte. Nous les dédommagerons ainsi des délices du rail-way, qui ne sont pas à la portée de chacun : les billets de 5 francs, payés un louis après six heures de queue; les étouffements en wagon, par 33 degrés de chaleur; les familles de six personnes réunies en six caisses différentes; les malles et les enfants perdus au bureau des bagages; les promenades en mer empoisonnées par le mal de ce nom; les rhumatismes et les pleurésies gagnées aux bains sur la grève; les averses qui font regretter aux touristes d'avoir oublié deux mille parapluies; l'impossibilité de diner dans les restaurants combles, après vingt-quatre heures de jeûne et d'exercice; le retour du train plus encombré que jamais, et animé de quintes, de ronflements, de disputes au sujet des portières, etc., etc., etc. Le voyage que nous leur ferons faire leur donnera beaucoup moins de plaisir, mais, nous l'espérons, beaucoup plus d'agrément. Les toilettes d'été n'offrent

point les excentricités révolutionnaires que les prétendus journaux de modes décrivent et dessinent pour leurs infortunées lectrices. Ces excentricités sont tout simplement empruntées aux commandes de l'empereur Soulouque et de son auguste famille. Comme nos abonnées ne veulent point sans doute s'entortiller dans ces robes à queue, dans ces blondes d'or et d'argent, dans ces rubans aux mille nuances et aux mille fleurs, nous leur dirons que les femmes comme il faut ont adopté pour toilette de campagne: le matin, les robes à petits dessins perses, avec gar

nitures et mantelets pareils; le soir, les robes de taffetas chiné, écossais ou changeant, avec deux jupes unies ou une seule jupe à volants pour les dames, sans volants pour les demoiselles. Les cols sont toujours petits, rabattus sur la robe même ou sur un ruban léger. Les manches-pagodes, élargies du coude au poignet, avec garnitures an bout, sont généralement bien portées. (Voyez, pour les toilettes de dames, notre gravure Clotilde de Savigny; et, pour les toilettes d'enfant, notre gravure Camille d'Héricourt.) Le chapeau de paille domine partout; ses ornements sont empruntés aux fleurs les plus simples, qui se distinguent même dans les parures du soir: pàquerettes, chèvrefeuille, bouquets d'avoine ou de folles herbes des champs, etc

[graphic]

Robert Peel.

[graphic][graphic][merged small][merged small]

N.-B. Voyez, en tête du Mercure, l'avis pour le renouvellement de l'abonnement.

Paris, 1850. Typographie HENNUYER et Ce, rue Lemercier, 24. Batignolles.

HISTOIRE DE FRANCE.-LES RÉVOLUTIONS D'AUTREFOIS"

Autre temps, mêmes mœurs.

LE BOUQUET DE NOCES. PROLOGUE DU BOUQUET DE PAILLE. 1651-52.

[graphic][subsumed]

L'entrée de Mlle de Montpensier à Orléans, d'après le tableau d'Alfred Johannot, détruit au Palais-Royal le 24 février 1848.

-Broussel, mon beau-frère, ne sera corrigé, avait dit
meunier de Gonesse, que lorsqu'il se verra grand-prévôt
Paris, et renversé par ceux qui l'auront élevé.
(1) Voyez septembre, octobre, novembre, décembre, mai et juin.

SEPTEMBRE 1850.

[ocr errors]

Cette parole de Jean Boucherat se réalisa bientôt. Dès que le pain blanc fut rentré dans Paris avec le roi, le Parlement, soumis la veille, se redressa le lendemain; et Condé qui s'était servi de Mazarin pour abattre le Parle-45-DIX-SEPTIÈME VOLUME.

ment, se servit du Parlement pour abattre Mazarin. Le cardinal n'ayant pas voulu abdiquer aux pieds du vainqueur de la Fronde, le prince « passa au ministre la main devant le nez, comme pour lui appliquer une nasarde, et lui tourna le dos en lui criant: Adieu, Mars! »

Aussitôt, toutes les ambitions déçues se rallièrent à Condé, et organisèrent la NOUVELLE FRONDE. Reprenant son système de bascule, Mazarin leur opposa le Parlement, et le 18 janvier 1650, il crut triompher par un grand coup. En pleine salle du conseil, au Palais-Royal, il fit arrêter Condé, Longueville et Conti, et les enferma dans le donjon de Vincennes. Condé alors était de trop, car il était encore innocent, et la vengeance devait le rendre coupable. Toutefois, les Parisiens célébrèrent l'emprisonnement du vainqueur de Paris par des feux de joie..., qui coûtèrent cent mille écus au cardinal. Longueville gémit sur les suites du bel esprit de sa femme. Conti repentant demanda l'Imitation de Jésus-Christ, et Condé, riant dans sa fureur, réclama « l'Imitation de Beaufort. » On sait que Beaufort s'était évadé de la même prison.

A cette nouvelle, la belle duchesse de Longueville reprit son habit d'amazoné, courut avec Marsillac à Rouen, d'où la reine vint la chasser en personne, gagna le Havre, en appelant ses vassaux aux armes, se trouva cernée à Dieppe, s'enfuit seule, à moitié nue, la nuit, tomba dans la mer, faillit se noyer, fut recueillie par des pêcheurs, et gagna la Belgique, où elle trouva mieux qu'une armée, Turenne, dont ses attraits enchaînèrent les remords... En même temps, la princesse de Condé allait soulever la Guyenne; de sorte que les deux tiers de la France se trouvèrent armés contre Anne d'Autriche...

Voyant cela, et tournant au plus fort, la vieille Fronde s'unit à la nouvelle, et toutes deux forcèrent la reine frémissante à ouvrir d'une main la prison des Condé, à exiler de l'autre le cardinal Mazarin... Les captifs et le proscrit se croisèrent au Havre, où l'on avait transporté les princes. Condé donna à dîner au ministre dans sa prison même, et le quitta en poussant un grand éclat de rire. Mazarin, cédant à l'orage, gagna Brühl, près de Cologne, d'où il ne devait pas tarder à prendre sa revanche...

Le drame en était là, lorsqu'un nouveau personnage y apparut. Ce personnage est M. de Montpensier, appelée la grande Mademoiselle, fille de Gaston, duc d'Orléans, et cousine germaine de Louis XIV.

L'oncle du roi avait jusqu'alors ménagé la chèvre royale et le chou de la Fronde. Ce n'était qu'une vanité irrésolue. Il avait, dit Retz, tout ce qui fait un galant homme, moins le courage; mais il n'avait rien de ce qui fait un grand homme; «belle tête et bel esprit du reste, fortune royale, enjouement aimable et facilité de mœurs inouïe. »

Tel était le prince qui, le 4 septembre 1651, veille de la majorité de Louis XIV, hésitait encore à se déclarer.

Enfermé seul dans son cabinet, il parcourait une lettre de Gondy, qui lui offrait la régence s'il envoyait aux princes rebelles un ordre d'occuper sa bonne ville d'Orléans.

Après un quart d'heure d'irrésolution, le duc avait signé l'ordre fatal, et il n'avait plus qu'à le cacheter, lorsqu'une belle personne de vingt-quatre ans, à l'air intrépide, à la taille dégagée, aux cheveux tombant sur les épaules, une petite canne dorée à la main, le chapeau à plumes sur l'oreille, entra dans le cabinet en soulevant une portière, s'avança sur le bout du pied jusqu'à la table du prince, lut, sans qu'il la vît, la lettre qu'il venait d'écrire, la saisit d'un geste rapide, et dit avec fermeté : Vous n'enverrez pas cela, mon père !

[merged small][ocr errors]

Parce qu'il ne s'agit plus pour vous d'être régent, mais pour moi d'être reine de France!

Encore ces idées? reprit Gaston avec un sourire sceptique; quand done comprendras-tu que c'est impos sible?... Louis XIV aura treize ans demain..., et tu as... La princesse interrompit vivement son père:

Qu'importe l'âge des rois et des reines? Ces considérations sont bonnes pour les bourgeois du Marais. Lisez ce billet, monseigneur...

Et elle tendit au duc un papier contenant ces lignes:

« Mademoiselle, la grande négociation dont m'avait chargée « M. votre père touche à son terme, et se conclura demain. si « Votre Altesse Royale veut bien me seconder. Sa Majesté la reine « semble comprendre enfin que le seul moyen d'assurer l'autorite « de son fils, au moment où il va en prendre possession, est de « réunir, par votre mariage, les deux branches de la famille « royale contre l'ambition du prince de Condé. Que Votre Altesse achève de s'assurer du cœur de Louis XIV, et je crois pouvoir « l'assurer de sa main dans vingt-quatre heures. »

« ANNE DE GONZAGUE, princesse palatine (1). » -Oui, oui, continua Gaston, souriant toujours, c'est la vingtième fois que la princesse me donne cette espérance; j'ai déjà aventuré 200,000 écus pour sa négociation!

Comment! 200,000 écus! s'écria Mademoiselle.

Pardieu! reprit le duc, crois-tu que de telles ambassades ne coûtent rien? Mme de Gonzague a un bon de 200,000 écus sur ma cassette et sur la tienne, à toucher, heureusement, le jour de tes fiançailles avec Sa Majesté.

Mademoiselle se mordit la lèvre; elle se flattait de conquérir par d'autres moyens la main de Louis XIV. - Enfin, poursuiyit Gaston, attendons encore à demain. Tu as ma réponse aux frondeurs, garde-la; et puisses-in n'en avoir jamais besoin !

Il renvoya le messager de Gondi avec un billet évasif, et il suivit sa fille pour écouter ses confidences.

Outre sa naissance doublement royale (elle était Bourbon et Orléans), Mademoiselle avait, du chef de sa mère, vingt millions de fortune. Ne voyant donc rien au-dessus d'elle, elle s'était crue fort modeste en rêvant d'abord la main de Condé. Il fallait pour cela que la femme de celui-ci mourût, ce qui avait failli arriver l'année précédente; mais la jeune princesse s'étant rétablie, la fille de Gaston se dédommagea en visant au trône. Elle reçut alors les hommages de Charles Stuart, fils de Charles I, réfugié à Paris avec sa mère. Ce prince eut pour Mademoiselle les dehors d'une passion chevaleresque. Il sollpira des mois entiers derrière sa chaise, lui débitant de fongues tirades de pliébus, et lui racontant des aventures qui n'eussent point déparé le roman de Clélie. Elle écon tait avec un intérêt nonchalant les détails de la bataile de Worcester; comment le vaillant et malheureux fils du monarque anglais, réduit à fuir de province en province, s'était fait jour à travers l'armée de Cromwell, à la tête de cinquante cavaliers; puis, demeuré seul, élit monté sur un arbre, au pied duquel les soldats ennemis jouaient la tête de son père.... «Dans ces périls affreux, il protestait n'avoir jamais songé qu'à Mademoiselle.»

(1) Fille du grand-électeur palatin. qui épousa depuis le frère de Louis XIV. (Voyez son portrait dans notre numéro de juin dernier, page 265.)

« PoprzedniaDalej »