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Costumes du Finistère : Ploaré, Pont-l'Abbé, Douarnenez, Kerfeunteun, environs de Quimper. meur à Locronan. Celui-ci s'en vint avec moi, chargé d'un petit paquet, et s'enferma avec mes trois hôtes dans leur appartement.

- Mon ami, me dit Julien, tu reviendras dans une heure avec ton frère. Vous mettrez vos habits du dimanche. - Oui, monsieur, répondis-je, oubliant pour la première fois les recommandations du vieillard.

Il me le reprocha par un geste amical,

- Ma foi! m'écriai-je, voici le grand jour! chacun doit reprendre son rang!

Une heure après, nous étions tous réunis dans la chambre de Margaïte. Jamais ma pauvre maison n'avait vu, jamais elle ne reverra pareille fête. La pièce était tendue de draps et ornée de fleurs comme un reposoir. Tout ce que nous possédions de batiste, de dentelle, de velours et de soie, garnissait le lit, les fenêtres et le

chaises. Les trésors de notre vaisselier s'étalaient sur les rayons des armoires. La table, couverte jusqu'au plancher de la robe de noce de ma mère, figurait un autel où étincelaient nos flambeaux argentés.

Derrière, se tenait l'abbé de Plomeur, en surplis et en étole, son livre à la main; devant, étaient Frédéric et Margaïte, debout l'un près de l'autre. Mais pouvait-on donner encore à la jeune fille ce simple nom? Ses vêtements de paysanne avaient fait place à une robe de mousseline de l'Inde, enrichie de dentelles d'Angleterre. Un long voile, retenu par un bouquet de fleurs blanches, tombait de ses cheveux tressés en couronne jusqu'à ses pieds chaussés de satin blanc. Qu'elle était belle, grand Dieu! c'était à s'agenouiller devant elle ! Pour le coup, dis-je en pleurant d'admiration, voilà bien notre dame du Roseur!

Julien, assis près de sa fille, n'était plus reconnaissable. Il portait le grand habit de cour, les culottes bouclées d'or, l'épée au côté, et la croix de Saint-Louis sur la poitrine. Cela lui allait autrement que le jupen et le bragowbras! Il avait l'air d'un roi qui remonte sur son trône. Mon frère et moi nous étions tentés de lui baiser la main, pour nous dédommager de toutes nos privautés envers lui! Mais il fallait bien nous contenir, car nous-mêmes allions jouer de grands personnages...

M. l'abbé de Plomeur commença par faire un beau discours aux jeunes gens. Puis il prit deux anneaux d'or dans notre plus riche assiette; il les bénit et les remit à Frédéric, qui en passa un au doigt de Margaïte:

-Monsieur le marquis de Talhouarn, dit-il alors à Julien, vous déclarez, devant Hervé et Jean Ledirec, consentir au mariage de votre fille ?

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Même question à Mlle de Talhouarn, qui fit la même réponse.

Je remarquai cependant une grande différence entre les deux mariés. Mile de Talhouarn, malgré sa rongeur, semblait joyeuse et résolue; M. du Liscouet était pâle comme un mort, et sa voix tremblait en ajoutant ces mots: jusqu'à mon dernier moment!

Je frissonnai moi-même, saisi d'un pressentiment horrible...

Après le diner, qui me rassura, car le vicomte y fut très-gai, chacun reprit son déguisement, et nous allames visiter les magasins et la côte. M. du Liscouet voulut toucher les paniers qu'avait portés Margaïte, les filets qu'elle avait tendus, les instruments qu'elle avait maniés. Et, à chaque pause, c'étaient des larmes et des embrassements; et puis des remerciements pour moi. Il y avait de quoi fendre un cœur de rocher. Moi, qui avais l'âme tendre alors, je fus obligé de m'écarter pour pleurer à mon aise. Le vicomte profita du moment, et m'entraîna dans une grotte obscure...

(A ces mots, le père Hervé s'arrêta court et sembla défaillir. Une sueur froide couvrit son front chauve. Nous qui palpitions d'attente, nous tremblâmes de perdre la fin de son récit. Je m'empressai de rallumer sa pipe et Robert lui passa le bidon. Il le souleva d'une main faible et avala quelques gorgées.

Oh! c'est affreux! balbutia-t-il; je n'arriverai pas sans louvoyer...

Et prenant, en effet, un détour, il continua ainsi :) Cinq ans auparavant, j'avais servi à Brest chez le marquis de Talhouarn. Ma mère était la nourrice de sa fille. En 1793, j'avais arraché lui et les siens à la guillotine, et je les avais tous conduits en Angleterre. Tous? non pas. Un des fils de M. de Talhouarn l'avait abandonné pour suivre la révolution. Ce malheureux avait insulté son père et sa sœur, en les voyant émigrer. Le marquis avait manqué d'en périr de chagrin. On n'avait plus entendu parler de l'enfant prodigue. Le vicomte Frédéric du Liscouet rencontra les Talhouarn en Angleterre. Il aima Mile Marguerite; il en fut aimé. Tous deux étaient si bien faits l'un pour l'autre ! Bref, ils étaient déjà mariés par contrat, lorsque, la veille du mariage à l'église, le vicomte reçut l'ordre de partir pour Quiberon, avec le régiment qu'on mettait sous ses ordres. Il quitta son bonheur pour son devoir, et donna rendez-vous en France aux Talhouarn. Ils y arrivèrent avant lui, car l'expédition fut retardée. Ils vinrent chez moi, sous ces noms et ces habits de pêcheurs, mener l'humble vie que je vous ai dite; et le vicomte, qui savait leur retraite, les y rejoignit après le désastre que son courage n'avait pu empêcher.

Le mariage se termina comme je vous l'ai conté, et, au fond de ma pauvre chaumière, Mme du Liscouet allait être la plus heureuse femme du monde... quand son mari... (vous voyez que j'en frémis encore...) me prit à part, comme je vous disais, et me parla ainsi :

Hervé, vous avez été deux fois la providence des Talhouarn. Ils vont avoir besoin de vous plus que jamais. Promettez-moi que votre dévouement n'abandonnera point Marguerite...

- Elle peut compter sur moi, à la vie, à la mort. Mais allez-vous donc l'abandonner vous-même?

-Peut-être... Je ne m'appartiens plus... Aujourd'hui..., demain..., d'un moment à l'autre, je puis être enlevé... pour toujours... Voilà pourquoi je vous ai prié (et ne l'oubliez pas) de tenir votre barque à ma disposition...

Monsieur m'écriai-je, vous nous avez caché votre secret...; mais je le lis dans vos yeux! Vous n'êtes point évadé; vous n'êtes point sauvé, comme vous l'avez dit... Non! vous avez été pris en brave, les armes à la main ! On parle de deux mille captifs condamnés à mort... On parle de quelques-uns, libres sur l'honneur, jusqu'au moment de l'exécution... Vous en êtes, monsieur?......

Le vicomte baissa la tête et garda le silence...

— Eh bien, oui, dit-il enfin... Puisque vous m'avez deviné, vous êtes homme à me comprendre ! J'ai voulu faire, avant de mourir, ce que Marguerite eût fait à ma place, achever devant Dieu notre union commencée devant les hommes, lui laisser mon nom et peut-être un autre moimême, lui donner et prendre avec elle un jour de bonheur, de ce bonheur que nous rêvons depuis un an ! J'ai voulu l'épouser enfin aux portes du ciel et commencer l'éternité sur cette terre de douleur ! La bénédiction nuptiale a été pour moi l'extrême onction, et sera pour elle, j'en suis sûr, l'unique consolation qui lui permettra de me survivre! Un officier républicain m'a compris, m'a prêté ce costume et quelques heures de liberté... Sa tête répond de la mienne aux bourreaux... Il m'avertira au moment fatal. J'attends son appel dans les bras de Marguerite... J'étais anéanti... Je ne trouvais pas un mot... Je ne pouvais que répéter : C'est affreux! c'est affreux! Et, comme ceux qui gardent un mort, je n'osais regarder M. du Liscouet...

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Il serra mes mains tremblantes, me fit jurer de nouvean le secret, en me recommandant encore sa femme... Puis il se remit en marche et dit :

- Rejoignons la bien vite. Ses minutes de joie sont comptées. Ne lui en volons pas une de plus!

Cette confidence avait soulagé le vicomte. Pendant toute la promenade il fut charmant pour Marguerite. Tant de courage et de gaieté me confondaient... Ils se jouérent aux fleurs et aux coquillages. Ils chantèrent la chanson de la mariée. Ils nous en firent répéter le refrain. Ils bondirent sur la grève comme des chevreaux échappés. M. de Talhouarn semblait rajeuni de vingt ans. La jeune femme allait de son père à son mari avec des élans de bonheur et des éclats de rire adorables... Il fallut terminer la soirée par une ronde bretonne, qu'elle nous fit danser à tous dans le clos de ma maisonnette.

Et moi, qui croyais voir des fantômes sauter au bord d'une tombe, je n'y tins plus et je m'enfuis navré, suffoquant, la tête perdue...

A dix heures, nous fîmes la prière en commun, suivant notre usage. Les mariés s'agenouillèrent devant le marquis, reçurent sa bénédiction et rentrèrent dans leur chambre...

Je passai la moitié de la nuit à demander au bon Dieu d'avoir pitié de Marguerite. J'essayai de dormir, je ne pus en venir à bout. A chaque instant je croyais entendre le vicomte descendre l'escalier ou s'évader par la fenêtre... Si je sommeillais quelques minutes, je me réveillais au bruit de la fusillade, au milieu des cadavres sanglants. Je me relevai enfin et je sortis. Le couchant était plein d'étoiles. La lune inondait l'orient de lumière. La baie formait une nappe d'argent, à peine remuée par la brise. On n'entendait que le petit frémissement des vagues sur la grève. Je levai les yeux vers la chambre de Mme du Liscouet. Elle était encore plus calme et plus silencieuse que le reste de la maison. Les murmures de la nuit semblaient la bercer, comme les chants d'une nourrice qui endort son enfant.

Au point du jour, le vicomte descendit le premier, et me demanda si ma barque était prête... Je reculai de terreur... Il reprit en souriant :

Rassurez-vous! ce n'est pas encore pour moi seul. Je désire, avec le marquis et Marguerite, visiter la baie qu'ils ont parcourue si souvent. Vous nous conduirez vous

mème.

Je respirai en effet, et nous partimes. M. de Talhouarn était assis près de moi, au gouvernail. A l'autre bout, derrière la voile, se tenaient Frédéric et Marguerite. Nous les entendions rire et gazouiller, comme les oiseaux qui volaient autour d'eux.

- Savez-vous, disait la jeune femme, le meilleur moyen d'attendre ici la fin des mauvais jours? c'est de rester pêcheurs chez le bon Hervé. Mon père est déjà fait à cette vie. Vous serez son apprenti, Frédéric; et, avec vous, je deviendrai le premier mousse de la baie. Tenez, je vais Vous enseigner le nom des agrès et des manœuvres...

Et elle les indiquait du doigt et de la parole. Et elle me commandait de virer de bord, de mettre le cap au sud ou à l'ouest. Et je lui obéissais en dépit des lois du métier. Et tout le monde l'applaudissait à l'envi.

Mais à quoi cela nous conduira-t-il? demandait le vicomte avec distraction.

- D'abord à sauver notre vie, puis à la gagner. Jamais vos persécuteurs ne viendront vous chercher à Douarnenez, sous l'habit d'un pècheur de sardines. Et c'est un état très

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Dites plusieurs bateaux, toute une flottille, si c'est possible.

— Oui, pour agrandir notre commerce et promener nos amis.

- Ce sera charmant! Nous donnerons des fêtes à tous les mariés du canton!

Pendant cette conversation, qui me déchirait le cœur, et qui plongeait le marquis dans l'extase, j'avais remarqué un bateau qui était parti du port à toutes voiles. Il allait d'une barque à l'autre, comme pour les passer en revue. Tout à coup il se dirigea vers la nôtre comme une flèche. Moi seul je m'en aperçus, et une frayeur secrète me saisit. Je filai vent arrière; le bateau fila sur moi. Je louvoyai dans l'est; il courut la même bordée. Je tournai vers le nord; il tourna vers le nord. Décidément il nous donnait la chasse, et de minute en minute il nous gagnait de vitesse. Plus léger que ma chaloupe et plus fourni de voiles, il ne pouvait manquer de nous atteindre. Mon effroi redoubla quand j'y entrevis un uniforme militaire. Ma perplexité fut horrible. Je ne pouvais prévenir le vicomte sans trahir son secret, et le trahir en ce moment, c'eût été tuer Marguerite. J'attendis, à la grâce de Dieu, le coup fatal. Il ne tarda guère. Frédéric et Marguerite, penchés l'un vers l'autre et ne voyant que le ciel et euxmêmes, étaient retombés dans le silence de leur plus beau rêve, lorsque le bateau nous croisa, presque bord à bord, et j'entendis clairement une voix qui disait au vicomte : Ce soir, à Vannes!

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Le marquis n'avait rien distingué. Frédéric bondit comme sous un coup de poignard. Marguerite, réveillée en sursaut, s'écria: Qu'y a-t-il? Quant à moi, j'étais plus mort que vif. Je lâchai la barre ; la chaloupe tourna sur elle-même; le vent la prit en flanc, elle manqua de sombrer.

Cet accident fut heureux, d'ailleurs; car, en nous préoccupant tous, il permit au vicomte de donner le change à sa femme, qui n'avait guère entendu le mot terrible, et qui l'eût compris moins encore... Frédéric eut le courage de rire de ses questions, et de plaisanter le premier mousse de la baie sur ses transes pour un abordage ou un coup de vent.

Bref, le vicomte et moi nous fûmes seuls frappés, et notre promenade s'acheva sans autre événement.

J'oubliais une circonstance, qui s'expliqua bientôt pour moi. Après ces mots : Ce soir, à Vannes, l'homme du bateau avait poussé, en regardant Marguerite, une exclamation de surprise extraordinaire, et il avait regagné le rivage plus rapidement encore qu'il n'était venu.

Il était neuf heures du matin. Je fus tenté de prolonger le voyage, et même de gagner Jersey ou l'Angleterre. Mais le vicomte me signifia impérieusement d'aborder, et je vis qu'il m'arracherait la barre si j'osais lui désobéir. Tout ce que je pus faire, ce fut de perdre une heure en détours, et de n'arriver qu'à midi au Roseur.

Je courus le premier à la maison. J'y trouvai mon frère Jean tout bouleversé :

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présenté ici, et m'a demandé si ce n'était pas la demeure du vicomte Frédéric du Liscouet. J'ai nié de toutes mes forces. Il n'en a tenu compte : Il ne loge pas seul chez vous, a-t-il repris; conduisez-moi dans son appartement. Comme je lui résistais, il a tiré l'épée, et, déclarant que lui seul pouvait sauver nos hôtes, il a parcouru, malgré

Le retour des pêcheurs de sardines.

moi, la maison. Arrivé dans la chambre de Marguerite, il s'est arrêté, pâle et tremblant. Il a tout examiné, avec un respect mêlé de douleur; et quand il a découvert le petit portrait de la vicomtesse, il a jeté un grand 'cri et s'est mis à pleurer à chaudes larmes. Puis il a posé ses lèvres sur l'image, sur l'écriture de mademoiselle, sur les ouvrages de ses mains. Enfin, il a pénétré chez le marquis, s'est mis à genoux devant ses armes, s'est frappé la poitrine; el, me voyant le regarder avec surprise, m'a tourmenté de mille questions sur les Talhouarn. Je lui ai répondu le moins possible, mais il en savait si long, qu'il devinait tout le reste; et, avant de partir, il a laissé une lettre pour le vicomte, et m'a dit ces mots : Si vous voulez sauver M. du Liscouet, retenez-le ici jusqu'à demain; s'il part ce soir, il est mort!

M. Frédéric arriva comme mon frère achevait ce récit et me remettait la lettre de l'inconnu. Il me la prit des mains et lut ces trois lignes:

<< Soyez heureux un jour de plus. D'après un second avis que je reçois, ce n'est plus ce soir, c'est demain soir seulement que je vous attends à Vannes.

« Le capitaine ROMULUS. >> Le vicomte resta surpris et pensif. Il interrogea mon frère inutilement, car l'inconnu lui avait fait jurer le secret, et je lui signifiai moi-même de le garder.

Je ne comprenais pourtant rien à tout cela; mais le plus sûr étant de retenir le vicomte, je résolus avec mon frère de le garder à vue jusqu'au lendemain.

Pendant une heure, la chose fut aisée; les deux époux restèrent enfermés avec le marquis. J'espérais que Frédéric, se conformant à la lettre, remettrait de lui-même son départ au lendemain; mais tout à coup il descendit de la chambre et marcha droit à la porte du clos, où je faisais sentinelle avec Jean.

Marguerite le saluait joyeusement de la fenêtre.

A bientôt ! je reviens! lui dit-il en se retournant et en posant un doigt sur ses lèvres.

Ce sourire et ces mots me firent espérer encore; mais la figure du vicomte, changée en un clin d'œil, me détrompa aussitôt.

Monsieur, lui dis-je, vous allez mourir! vous ne sortirez pas !

Il m'entraîna vivement derrière la haie, et m'embrassa en me recommandaut de nouveau sa femme... Je le serrai dans mes bras comme dans un étau: - Mais, monsieur, vous avez jusqu'à demain !... D'une main il me ferma la bouche, de l'autre il me repoussa avec force: - Hervé, tu ne veux pas mon déshonneur ! sois homme comme moi, et ne songe plus qu'à Marguerite... En même temps, il m'emportait jusqu'à la route, suspendu à son cou. En vain mon frère accourut à mon aide, le vicomte nous renversa par un effort surhumain, et disparut dans la campagne...

Tandis que je courais, éperdu, après lui, sans le rejoindre, hélas! mon frère, plus éperdu encore, et croyant le sauver ainsi, se mit à crier sous les fenêtres de la vicomtesse: M. Frédéric est mort! M. Frédéric est

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mort!

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Le marquis et sa fille descendirent épouvantés. Jean, qui ne voyait et n'entendait plus rien, ne sut que répéter son cri: M. Frédéric est mort!

Quand je revins, hors d'haleine, une heure après, je trouvai Marguerite sans connaissance, et son père, qui savait tout enfin, courbé sur elle, silencieux, et vieilli de dix ans... Comprenant trop tard son imprudence, Jean se tordait les bras de désespoir...

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-Impossible d'arrêter le vicomte ! m'écriai-je, anéanti. - Oui, impossible! dit le marquis en relevant la tête, car je ne l'eusse pas arrêté moi-même. Il a fait son devoir... Occupons-nous de ma fille.

J'envoyai néanmoins mon frère à Vannes, et nous passâmes le reste du jour et la nuit dans l'attente.

Le lendemain matin, la vicomtesse était encore évanouie. Un médecin, arrivé près d'elle, craignait un transport au cerveau. Pour tout signe de vie, elle tressaillait de temps en temps, et balbutiait: Frédéric... mort!

Tout à coup un grand cri vint du dehors... Je reconnus la voix de mon frère, et nous le vimes rentrer, avec qui? (nous crûmes rêver) avec M. du Liscouet!

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bras.

Sauvé! il est sauvé! dit Jean, qui le jeta dans nos

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VI.

Retable en bois, dessiné dans l'église de Ploaré (Finistère).

ÉTUDES MORALES.

RENÉE, ANECDOTE DU JURA (1).

- LE SECRET SURPRIS.

Renée elle-même n'avait plus l'insouciance de son âge. Les diverses scènes dont elle avait été le témoin sans les comprendre, les entretiens mystérieux auxquels François et Jeanne ne se livraient pas toujours avec précaution, quelques mots imprudents prononcés devant elle, avaient excité son attention; elle voyait qu'on lui cachait quelque chose, et cherchait à dérober le secret dont elle n'osait pas demander la confidence.

Un jour qu'elle gardait ses chèvres à côté de la maison, le soleil de midi lui fit sentir que le petit bonnet blanc dont elle était coiffée ne suffisait pas à la garantir; mais, comme son chapeau de paille était dans la chambre audessus de celle où François prenait d'ordinaire à cette heure quelques moments de repos, elle ôta ses souliers, entra sans être aperçue, et, marchant sur la pointe du pied, elle s'approchait de la fenêtre, qui était ouverte, lorsqu'elle entendit Jeanne et François qui causaient ensemble avec vivacité et d'une voix étouffée. Elle avança la tête. Ils étaient à la fenêtre au-dessous. Une large planche, (1) Voyez le numéro du dernier mois.

suspendue devant celle où Renée se trouvait, portait quelques ruches d'abeilles. Cet abri empêchait qu'elle ne fût aperçue, et un intervalle entre la planche et le mur lui permit de recueillir, malgré le bourdonnement léger des abeilles, toutes les paroles de ceux qu'elle croyait ses parents.

Pauvre petite! elle sut bientôt tout ce qu'ils pouvaient lui apprendre sur sa condition. On aurait dit qu'ils avaient pris à tâche de repasser ce jour-là toute son histoire, depuis le premier instant jusqu'à la visite de l'Anglais. Les Périsard s'arrêtaient à tous ces détails pour en tirer les indices, qu'ils cherchaient eux-mêmes, sur la position, la fortune et les intentions des parents de Renée. L'oreille appuyée sur le bord de la fenêtre, celle-ci écoutait avidement. Le cœur lui battait avec violence. Enfin, ne pouvant résister plus longtemps à son émotion, et craignant d'autant plus d'être surprise qu'elle en apprenait davantage, elle profita d'un moment où la conversation s'était animée pour s'échapper sans bruit, retourner auprès de ses chèvres et pleurer en liberté.

Un secret douloureux est un pénible fardeau pour l'enfance. Renée venait d'apprendre, sans préparation, des

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