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ÉTUDES MORALES.

RENÉE, ANECDOTE DU JURA (1).

1.LE BIEN VIENT EN DORMANT. François Périsard et Jeanne, sa femme, habitaient, dans le Jura, une maison foraine, près de la grande route de France. C'étaient des gens pauvres et sans enfants. Bûcheron pendant l'hiver, faucheur ou moissonneur pendant l'été, Périsard vivait au jour la journée, louant ses bras, suivant la saison, dans la montagne ou dans la plaine. Une nuit qu'il dormait profondément, suivant son habitude, il s'éveilla tout à coup, vivement secoué par sa femme. -François, on appelle; on frappe à la porte!

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- Oui.

Voici un dépôt que l'on désire confier à votre humanité. Voyez de quoi il s'agit : j'attends votre réponse. Après s'être assuré que Périsard avait le fardeau dans les mains, l'inconnu s'enveloppa la figure dans son manteau, et s'appuya contre la muraille. La nuit était assez claire pour laisser entrevoir un carrosse arrêté à quelques pas.

Jeanne se hâta d'allumer sa lampe, et les deux époux furent bien surpris en voyant, dans une layette élégante, un bel enfant endormi. Sur les langes était une bourse pleine d'or; et une épingle fixait au linge de fine toile le billet suivant, que Périsard parvint à lire à sa femme, non sans hésiter à chaque mot:

« Nous savons que vous êtes des gens de bien et que « Dieu ne vous a pas donné d'enfants: recueillez, nous vous en supplions, cette petite fille; quand elle pourra faire le bonheur de ses parents, vous ne serez pas ou« bliés. »

A cette simple prière l'enfant ajouta, comme pour la rendre plus touchante, quelques vagissements, et Jeanne fut émue jusqu'aux larmes. Elle n'hésita pas un moment à recevoir cette petite créature. François aurait souhaité des promesses plus positives, mais il ne laissa pas de juger l'affaire avantageuse, et lorsque l'étranger, toujours caché dans son manteau, se fut approché, les deux époux lai dirent:

- Nous recevons l'enfant.

Sur quoi, leur ayant serré vivement les mains, il courut à la voiture, où son retour fit éclater des gémissements de femme; mais le cocher fouetta ses chevaux, et les voyageurs disparurent.

-Ceci commence bien, dit Périsard, en faisant le compte de la somme, tandis que Jeanne, tout occupée de l'enfant, lui donnait quelques cuillerées d'eau sucrée.

(1) Beaucoup de nos jeunes lecteurs connaissent sans doute le charmant petit livre intitulé Trois mois sous la Neige, par M. J.-J. Torchat, auquel l'Académie française a décerné, l'année derniere, le grand prix Montyon. La nouvelle de Renée est le pendant de cel ouvrage, et a été écrite par l'auteur expressément pour le Musée des Familles.

Mille francs! s'écria le mari.

Pauvre petite! soupira la femme.

Pendant le reste de la nuit ils s'entretinrent de ce qu'ils avaient à faire. La solitude où ils vivaient et l'âge de Jeanne leur permettaient de présenter l'enfant comme étant à eux; ils résolurent de ne point prendre de nourrice, afin de ne pas introduire chez eux ce témoin suspect. Ils achèteraient une vache dès le lendemain; cela ferait leur compte et celui des parents.

Et quel nom donnerons-nous à l'enfant? dit la bonne femme.

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On s'étonna dans le village de voir les Périsard acheter une vache, des outils, quelques meubles, et même un peu de terrain pour s'arrondir, mais on ne devina pas leur secret. Avaient-ils peut-être mis à la loterie ou fait un héritage? Avaient-ils trouvé de l'or? Cette dernière supposition était la plus accréditée; les paysans de ces montagnes ont cru longtemps qu'elles recélaient des richesses merveilleuses; quelques-uns même les cherchent encore. Deux ans s'étaient écoulés sans événements remarquables; Renée avait grandi; elle était charmante, et Jeanne en raffolait; mais avec le temps le zèle de François se refroidit.

Que ferons-nous, disait-il quelquefois d'un air soucieux, quand toute la somme sera dépensée!

Un soir, comme il était assis devant sa maison, un vieux chaudronnier vint à passer, et lui offrit de sa marchandise. Périsard, après avoir jeté un coup d'œil sur cette brillante batterie de cuisine, haussa les épaules, pour faire entendre que dans un ménage comme le sien des casseroles de cuivre seraient un luxe déplacé. Le vieillard s'assit auprès de lui en poussant un soupir.

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Eh bien, entrons. Allons nous asseoir au coin du feu: les soirées sont plus froides depuis quelques jours. Jeanne observa son hôte avec défiance; les chaudronniers ont eu quelquefois, dans les campagnes, une réputation assez mauvaise, qu'ils doivent peut-être à leurs mains noires et à leurs habitudes vagabondes. Mais le vieillard salua Jeanne d'un air si doux, en souriant à travers sa barbe grise, que la bonne femme fut rassurée surle-champ; elle lui adressait même quelques mots de bienvenue, lorsque des cris, partis de la chambre voisine, vinrent l'interrompre. C'était Renée qui s'éveillait au moment où, la soupe achevant de se cuire, on allait se mettre à table.

Jeanne courut auprès de Renée, pendant que son mari

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Il témoigna son chagrin du trouble dont il était cause, et les excuses qu'il en fit lui permirent de continuer la conversation sur le sujet qui l'avait amenée. Jeanne, qui n'en connaissait aucun sur lequel elle s'étendît plus volontiers, ne parla pendant une heure que des prouesses de Renée, de ses jolis petits mots et de ses premières dents. Le chaudronnier l'écoutait sans paraître fatigué de ces détails; Périsard lui fit observer obligeamment qu'il avait sans doute plus besoin de sommeil que de si belles histoires, et, s'excusant de ne pouvoir lui offrir que de la paille au fond de l'étable, il le conduisit auprès de l'ancienne nourrice de Renée. L'étranger s'étendit sur sa couche d'un air fort satisfait, et remercia son hôte en lui adressant un joyeux bonsoir.

Le lendemain, Jeanne, qui avait su gré au vieillard de son attention complaisante, ne voulut pas le laisser partir sans déjeuner. Elle servit même, comme aux bons jours, le beurre frais et le rayon de miel avec le café au lait. La petite dormait encore: Jeanne voulut du moins que son hôte la revît avant son départ.

- Adieu, mignonne! lui dit-il à demi-voix. Malgré ta bouderie d'hier au soir, je veux que le bien te vienne de moi en dormant. Par malheur, je ne suis qu'un batteur de cuivre, et non quelque riche orfévre; vaille que vaille ! voici une cafetière que je vous prie d'accepter pour elle. C'est un peu lourd, mais c'est de bonne marchandise.

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Assurés qu'on ne les oubliait pas, les Périsard redoublèrent de soins pour leur nourrisson; mais ils durent sc tenir sur leurs gardes, afin de ne pas laisser soupçonner leur aisance, et, véritablement, on ne montrait pas beaucoup de prudence en leur donnant de l'or. François dut faire tout exprès un voyage à Besançon pour en changer une partie. On le dépensa avec les mêmes précautions qu'on aurait prises pour de l'argent volé. Au reste rien n'annonçait, dans l'éducation et les vêtements de Renée, qu'elle ne fût pas une simple villageoise.

Deux années s'écoulèrent encore, et nos gens attendaient une nouvelle visite. A l'approche du jour anniversaire, ils avaient guetté les passants; plusieurs avaient même été l'objet de leurs prévenances intéressées, et s'étaient retirés en ne laissant pour adieux que des remerciements. Ces déceptions refroidirent le zèle hospitalier des Périsard, mais ne diminuèrent pas leur curiosité. Tout étranger qui semblait observer leur demeure était luimême observé à son tour. D'un regard scrutateur ils semblaient lui dire: « Est-ce vous? » Enfin, sans se laisser distraire plus longtemps de leurs travaux, ils prirent le parti d'attendre patiemment une nouvelle visite de la fortune.

Ils ne pouvaient guère supposer qu'elle se présentat sous la figure d'un peintre à barbe blonde, qui vint parcourir le pays, comme ils en avaient rencontré quelquefois, pour faire des études de paysage. Celui-ci fit à la maisonnette de Périsard l'honneur de la mettre sur son album.

Elle n'était pas indigne d'attirer l'attention d'un paysagiste. Dominée par des rochers escarpés, elle était à demi cachée dans un verger dont les vieux arbres formaient par leurs courbures diverses des masses pittoresques. Unc fontaine jaillissait à gros bouillons d'un tronc qui s'élevait de terre obliquement, et d'où pendait une longue barbe moussue. L'eau était recueillie dans un long bassin de chêne, mais si vieux qu'une végétation verdoyante le couvrait jusqu'au bord. Tombée du bassin, la source courait dans un étang, où des canards barbotaient au milieu des roseaux.

Les dépendances de la ferme étaient éparses à l'entour, et la place de chacune semblait avoir été marquée par la disposition naturelle du sol: ici le jardin, là une bassecour; plus loin un rucher exposé au levant et abrité par quelques tournesols.

En se plaçant au point de vue le plus favorable, on découvrait une perspective ravissante, des bois de sapin, des chalets, des masses de rochers calcaires, aux formes

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abruptes, et, dans le lointain, l'azur d'un lac et la neige des Alpes.

Renée, alors occupée de ses poules, n'avait pas remarqué d'abord le dessinateur. Quand elle l'aperçut, elle resta quelque temps immobile à le regarder, puis elle s'approcha de lui, curieuse et craintive, en faisant un long détour. On semblait ne pas la voir. Enfin la curiosité l'amena tout près de l'artiste. Le doigt posé sur la bouche, elle se leva sur la pointe des pieds, avança doucement la tête, et, tout émerveillée de ce qu'elle voyait, elle se mit à courir vers la maison en criant:

- Maman, maman, les poules et moi aussi ! Jeanne accourut, et, comme Renée la prenait par la main pour l'entraîner auprès du peintre, il se leva et vint au-devant d'elle.

- Votre enfant, lui dit-il, s'est trouvée heureusement pour moi auprès de ses poules, pendant mon travail, et la voilà fort étonnée de se reconnaître dans ce dessin.

Jeanne l'ayant admiré à son tour, l'artiste comprit qu'il ferait plaisir d'en offrir une copie. Ce fut l'affaire de quelques moments, et Renée fut bien joyeuse de voir sa mère figurer avec elle dans le nouveau croquis.

François étant revenu des champs, ce fut un troisième personnage à joindre aux autres pour compléter le tableau. Tant de complaisance enchanta nos bonnes gens, et ils offrirent l'hospitalité à l'obligeant dessinateur, qui n'eut garde de refuser. En attendant le souper, il recueillit dans son album la scène d'intérieur qu'il avait sous les yeux. Renée ne se possédait pas de joie; et, pendant la veillée, l'étranger l'amusant par son crayon facile et par sa conversation enjouée, elle ne sentait point l'approche du sommeil. Il fallut pourtant obéir aux sommations réitérées de Jeanne et renoncer à tant de plaisirs.

Lorsque la petite fille fut couchée, le peintre s'assit tout pensif auprès des tisons. Dans les vieilles maisons de ce pays, le canal des cheminées est d'une forme pyrami

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devoir en silence, et restaient assis près de leur hôte devant les braises éteintes; on entendait dans la chambre voisine Renée murmurer le chant monotone avec lequel on la laissait s'endormir. Quand elle eut fait silence à son tour, une voix, qui paraissait venir d'en haut, retentit tout à coup; on entendit ces mots prononcés d'un ton grave et solennel :

L'artiste, Renée, Périsard, Jeanne, devant la maisonnette. dale, et s'élargit par le bas jusqu'à embrasser dans son contour une grande partie de la cuisine. Cette construction n'est pas le mieux entendue pour faire monter la fumée, ni pour ménager la chaleur, mais elle intéresse comme un vieux souvenir; ce manteau protecteur offrit longtemps, autour du foyer, un large espace aux causeries de nos pères. C'est là qu'on passe encore la veillée à parler du ménage et de la récolte; c'est là qu'on fait toujours des contes merveilleux et des projets de fortune: mais c'est aussi là que l'on prie. Les deux époux avaient rempli ce

- Courage, bonne famille; vous serez bénis! Jeanne fit un geste de frayeur; François se leva; l'étran ger les regarda d'un air étonné.

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Eh bien, femme, un ventriloque!

Un ventriloque?

Pas autre chose. Tu sais, comme celui que nous entendimes à Salins, le jour de la foire.

-Qui pouvait l'imaginer? Voilà un étrange badinage, et les gens qui nous viennent de la part des parents de Renée sont bien singuliers!

La somme vérifiée, Périsard trouva le compte juste; c'était la pension de deux années.

La difficulté était toujours de dissimuler leur nouvelle aisance. Les voisins, qui s'en étaient aperçus, s'en occupèrent avec peu de bienveillance. Dans les campagnes, les signes d'une augmentation de richesse excitent facilement l'envie et le soupçon, parce que les changments de fortune y sont plus rares.

IV. UNE DAME INCONNUE.

Au bout de quelques mois, une dame de Paris, à qui les médecins avaient ordonné l'air des montagnes, vint passer l'été dans le voisinage. Mme de Varni était une femme du monde, mais pieuse et bienfaisante par inclination naturelle. Elle était bonne musicienne, et l'idée lui vint, dans son loisir solitaire, de rassembler les jeunes filles des environs, pour leur faire exécuter en parties quelques chants religieux. Renée, toute petite qu'elle était, fut appelée à ces exercices, et l'on remarqua bientôt la justesse et la beauté de sa voix.

Quand Mme de Varni eut quitté le pays, les leçons de chant continuèrent sous la direction d'un ecclésiastique plein de goût et de zèle; Renée dut à ses soins et à ceux de l'aimable dame un instrument de bonheur. Il y avait à côté de la maison des Périsard un pré fermé d'une haie vive. François en avait fait le parc de ses chèvres, et, quand il était à l'ouvrage, il laissait quelquefois dans cet enclos la petite avec le troupeau sous sa garde. On l'entendait, depuis la maison, chanter ses hymnes et ses prières en tressant des couronnes de fleurs; la bonne Jeanne prêtait l'oreille avec attendrissement, et elle con

servait toutes ces choses en elle-même, les repassant dans

son cœur.

Un jour, Renée chantait un hymne matinal, dont la mélodie était pleine de douceur. Comme elle venait d'achever, elle entendit une voix de femme derrière la haie. C'est elle! disait-on. Elle écarta les branches pour essayer de voir qui était là: alors elle s'entendit appeler par son nom. Elle monta bien vite sur le tronc d'arbre qui lui servait de banc, levant sa tête blonde au-dessus de la haie. Elle vit une belle dame qui lui dit, en lui tendant la main :

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Renée, qui venait de l'achever, l'avait posée sur sa tête. Elle la prit, et s'avança pour l'offrir à la dame étrangère; mais celle-ci, passant les bras par-dessus la haie, enleva la petite fille et la pressa longtemps sur son cœur en sanglotant. Enfin elle s'assit sur le gazon au bord du chemin, et fit asseoir Renée auprès d'elle, ne cessant pas de lui presser les mains, de l'embrasser, de fixer sur elle ses yeux pleins de larmes. Après un long temps de silence, elle dit avec effort:

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C'est maman qui m'appelle !... Permettez, madame... En disant ces mots, l'enfant s'échappa de ses bras, mais l'inconnue avait eu le temps de lui passer autour du cou une petite chaîne d'argent, qui portait un cœur da même métal.

Renée courut conter à Jeanne son aventure. Quelle sur prise et quel regret pour la bonne femme! Elle comprit qu'elle avait manqué l'occasion de voir la mère. La curiosité l'entraîna jusqu'au bout du jardin, d'où elle aperçut, dans l'éloignement, une dame richement vêine qui rejoignait sa voiture. A peine y fut-elle montée, que les che vaux partirent au grand trot. Alors Jeanne considéra plus attentivement la chaine, et vit gravés sur le cœur, d'un côté, le nom de Renée; de l'autre, la figure d'un enfant à genoux dans l'attitude de la prière.

Cette aventure fit beaucoup rêver dit mon nom?

Qui donc est cette dame? Qui lui

Pourquoi pleurait-elle ? Pourquoi ce joli cadeau?

Jeanne, pour donner un objet fixe à ses pensées, lui dit que la belle dame était sa marraine, qu'elle ne voulait pas encore être connue; mais qu'en attendant elle lui ferait du bien.

As-tu remarqué sa figure? ajouta-t-elle. Vous ne la connaissez donc pas non plus? Nous ne nous sommes rencontrées qu'une fois de nuit, quelques moments; je m'en souviens à peine. Oh! maman, qu'elle est jolie!

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Enfin, grâce à vous, mon Dieu, elles ont pu se voir un

moment.

François venait de rentrer avec une charretée d'herbe fraiche. On s'empressa de lui tout conter, et ce ne fut pas l'affaire d'un moment. Il écoutait en souriant, avec l'air de complaisance d'un homme qui sait, de son côté, des choses bien plus importantes. Il eut son tour, quand Renée fut sortie pour faire briller au soleil sa chaîne et son cœur. - Femme, j'étais au bout du pré d'en bas, occupé à faucher de l'herbe, lorsque j'ai entendu le bruit d'une voiture. Elle s'est arrêtée près de moi, mais cela ne m'a pas fait tourner la tête, parce que j'étais pressé. Un quart d'heure après, en allant prendre ma veste et ma chaussure, que j'avais posées au bord du pré, à côté de la haie, j'ai reconnu qu'en effet nous avons eu une nouvelle visite de nos gens. Voilà ce que j'ai trouvé dans l'un de mes sabots. Il montrait un rouleau d'or.

Hélas! mon pauvre homme, il n'est pas seulement besoin de vérifier. Ils ne veulent donc pas nous laisser leur enfant !

- C'est juste, nous voilà encore payés pour deux ans. Mais nous pourrions bien les revoir plus tôt: j'ai trouvé le billet que voici avec les espèces :

« Nous sommes satisfaits et reconnaissants de vos soins, a mes amis. Soyez toujours prudents et fidèles; prenez pa« tience : le moment approche où, selon notre promesse, a Renée fera votre bonheur, parce qu'elle pourra faire le a nôtre. Adieu! »>

-Notre bonheur! dit Jeanne en soupirant. Ne le faitelle pas depuis longtemps? On nous annonce comme une délivrance un moment que je voudrais ne voir arriver jamais. Je me passerais bien de leur or et de leurs visites. François entrait dans ces sentiments. Renée avait amolli ce cœur naturellement peu sensible. Ni le mari ni la lemme ne pouvaient se passer d'elle. Le jour, elle les suiVait aux champs, et se livrait, au milieu des scènes de la nature, aux élans d'une joie naïve, qui charmait les deux époux; le soir, elle leur lisait, avec une ferveur angélique, des livres de piété. Ils se flattaient toujours que Renée ne leur serait pas enlevée, et qu'elle serait la consolation de leur vieillesse et leur héritière.

Nouveau sujet pour Périsard, qui était assez enclin à Pavarice, de mettre dans ses affaires la plus rigoureuse économie. Mais la vue de son petit trésor, auquel il touchuit à peine maintenant, le jetait dans un embarras singulier. Il aurait voulu que les parents de Renée fussent toujours à sa porte pour augmenter la somme, et, en même temps, il redoutait une visite qui pouvait amener une séparation cruelle.

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Une nouvelle période de deux ans s'était écoulée, l'anxiété des Périsard allait croissant, comme leur affection pour la charmante Renée. Un matin, elle avait accompagne François dans un petit bois détaché de leur enclos, où il était allé cueillir quelques fagots de rames pour les pois de son jardin. Tandis qu'il faisait ses fagots, elle s'amesait à faire un bouquet. Un étranger parut dans le bois, o il se promenait, une boîte de fer-blanc sur le dos et un aton à la main.

Voici un herboriste, se dit François en le voyant s'atancer de son côté. L'étranger ne paraissait pas le voir, et faillit le heurter en passant.

-Oh! je ne vous voyais pas, dit-il, et en même temps il prit la main de Périsard et la secoua vivement.

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— Quand les eaux sont hautes, petit papa; mais elles sont si basses à présent!

Des pervenches roses! voulez-vous me les donner? Sur cette demande, faite du ton le plus caressant, Renée présenta son bouquet à l'Anglais, qui le reçut avec un vif empressement.

Ensuite ils s'acheminèrent à la maison, où l'étranger fut accueilli avec la plus grande cordialité, quoique sa rencontre fortuite dans le bois dût faire écarter l'idée que sa visite fût celle qu'on attendait depuis quatre ou cinq mois. Renée, d'abord surprise de l'accent étranger de leur hôte, avait fini par s'y accoutumer; elle répondait avec grâce à ses prévenances un peu gauches, mais bienveillantes.

Devenu plus communicatif que ne le sont d'ordinaire ses compatriotes, l'hôte de Périsard, tout en buvant son petit vin, lui apprit qu'il était professeur à l'Université d'Oxford, qualité que les bonnes gens ne pouvaient guère apprécier; mais ils comprirent que c'était un grand savant, et, comme il était Anglais, ils en conclurent qu'il était riche, bien qu'il parcourût à pied et solitairement les montagnes, comme aurait pu faire un commis de pharmacie.

Il leur apprit encore qu'il était marié, père de famille, et qu'il avait deux jeunes filles, à peu près du même âge que Renée.

Je cherche, leur dit-il, une jeune personne, qui parle français, qui soit d'une bonne santé et d'un bon caractère. Voulez-vous me confier votre enfant ? sa fortune sera faite. Je lui donnerai cinquante. guinées par an; elle sera la compagne de mes filles, et recevra la même éducation. Les Périsard refusèrent nettement. Avant même de laisser l'Anglais achever ce qu'il avait à dire, ils avaient écarté Renée, dès qu'ils eurent deviné où il en voulait venir. Le professeur d'Oxford parut vivement contrarié, et, pour essayer de vaincre la résistance des Périsard, il leur promit d'abord des informations exactes sur sa personne, et leur fit ensuite des offres plus brillantes encore pour leur enfant. Tout fut inutile.

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Nous ne pouvons pas nous séparer de Renée, répliqua Périsard du ton le plus ferme, et de manière à faire entendre qu'il n'en fallait plus parler. Alors, l'Anglais lui tendit la main et lui dit :

- Vous êtes un brave homme! Et il but un verre de vin à sa santé. Ses yeux brillaient de plaisir.

- François, dit Jeanne d'un air soupçonneux, monsieur

a voulu nous éprouver; monsieur est...

- Un des amis de vos amis, reprit vivement l'Anglais. Je leur dirai que vous êtes toujours les mêmes, toujours fidèles!...

- Mais vous, monsieur, dites-leur qu'ils nous font bien souffrir avec leurs cachotteries. Pourquoi ne pas agir fran

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